m ini-revue doi: 10.1684/hpg.2010.0463 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Comment optimiser la prise en charge de la colite aiguë grave ? How optimize the management of a patient with a severe attack of ulcerative colitis? David Laharie (1,2) Service d’hépato-gastroentérologie, Hôpital Haut-Lévêque, CHU de Bordeaux, 33600 Pessac, France 2 Inserm U853, Laboratoire de bactériologie, Université Bordeaux II, 33000 Bordeaux, France 1 e-mail : <[email protected]> Résumé La colite aiguë grave (CAG) est une complication qui survient chez 10-15 % des malades atteints de rectocolite hémorragique (RCH). Elle est volontiers inaugurale. Son diagnostic est avant tout clinique et repose sur les critères classiques de Truelove et Witts. Au stade initial, une surinfection par un pathogène, plus particulièrement par le Clostridium difficile ou le cytomégalovirus, doit être cherchée. La prise en charge est ensuite médicochirurgicale et repose sur des séquences thérapeutiques courtes qui, à chaque étape, doivent faire discuter la colectomie en urgence. En 2010, le traitement de première intention de la poussée sévère de RCH non compliquée reste la corticothérapie intraveineuse. Son échec est avéré après j5 et prédit dès j3. Il n’y alors plus rien à attendre des corticoïdes intraveineux. Deux options thérapeutiques sont alors envisageables : la colectomie ou un traitement médical de deuxième ligne qui peut être la ciclosporine ou l’infliximab. L’essai CYSIF en cours permettra de déterminer la molécule la plus efficace et la mieux tolérée dans cette situation. Un traitement médical de troisième ligne n’est habituellement pas recommandé et ne peut être proposé que dans un centre référent. n Mots clés : rectocolite hémorragique, colite aiguë grave, corticoïdes, ciclosporine, infliximab, colectomie Abstract A severe attack of ulcerative colitis (UC) occurs in 10-15% of patients and may begin the disease. The diagnosis is best defined by the usual Truelove and Witts’ criteria. At entry, patients must be screened for microorganisms, mostly Clostridium difficile and cytomegalovirus. Patients should be hospitalised and best cared for jointly by a gastroenterologist and surgeon. Short drug courses are mandatory and colectomy should be considered and discussed at each stage. In 2010, intravenous steroids are the first-line treatment. Steroid-failure is assessed about the fifth day and predicted about the third day. Second-line therapy with either ciclosporin, or infliximab would be considered. The ongoing CYSIF clinical trial comparing these two drugs in severe UC patients refractory to steroids will determine the agent with best efficacy and tolerance. Third-line medical treatment is not recommanded and may be only considered at a specialist centre. HEPATO GASTRO et Oncologie digestive n n Key words: severe ulcerative colitis, steroids, cyclosporine, infliximab, colectomy Tirés à part : D. Laharie HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive vol. 17 supplément 4, septembre 2010 21 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. La colite aiguë grave (CAG) est une entité décrite historiquement au cours de la rectocolite hémorragique (RCH) qu’elle complique chez 10-15 % des malades [1]. En 2010, la CAG reste la seule situation où une poussée de RCH peut tuer. Selon les données les plus récentes, sa mortalité est estimée aux alentours de 2 % [2-4]. Il faut également rappeler en préambule que la CAG n’est pas l’apanage de la RCH et peut aussi bien être observée au cours de la maladie de Crohn (MC) colique ou d’une colite infectieuse. Ainsi, le nombre croissant de cas d’infections à Clostridium difficile identifiées chez des malades atteints de colite inflammatoire, a fortiori sous immunomodulateurs, constitue une difficulté supplémentaire de prise en charge. En raison du grand nombre de données disponibles et d’une prise en charge bien codifiée, cette mini-revue sera centrée sur la CAG survenant au cours de la RCH. Nous verrons ainsi quelles sont les étapes décisives de sa prise en charge. 22 Tableau 1. A. Critères de Truelove et Witts [5]. B. Critères de Truelove et Witts modifiés [6]. A Poussée de rectocolite hémorragique Légère Sévère Nombre d’évacuations/24 heures ≤5 >5 Rectorragies Traces Importantes Température (°C) < 37,5 ≥ 375 Fréquence cardiaque (/minute) < 90 ≥ 90 Taux d’hémoglobine < 10 ≥ 10 Vitesse de sédimentation (en mm à la première heure) < 30 ≥ 30 Poussée dite modérée dans les situations intermédiaires B Poussée de rectocolite hémorragique Légère Sévère Identifier les formes graves de rectocolite hémorragique (RCH) Nombre d’évacuations/24 heures (A) ≤5 >5 La CAG compliquant une RCH est une urgence qui relève de séquences thérapeutiques courtes. Il est donc indispensable de repérer rapidement ces malades sur la base de critères cliniques et biologiques simples. Les critères proposés dans les années 1950 par Truelove et Witts pour le diagnostic d’une poussée sévère de RCH restent toujours déterminants pour identifier une forme grave de RCH. Ils tiennent compte à la fois de l’intensité des signes digestifs – nombre d’évacuations par 24 heures et rectorragies – et du retentissement général – fièvre et tachycardie – et biologique – syndrome inflammatoire et anémie – de la poussée de RCH (tableau 1) [5]. Le taux d’albumine plasmatique a, par la suite, été identifié par la même équipe comme un signe de gravité. Selon les critères de Truelove et Witts modifiés, une poussée sévère de RCH est définie par au moins six évacuations par 24 heures, avec au moins un des éléments suivants : rectorragies importantes, température supérieure à 37,5 °, pulsations supérieures à 90 par minute, vitesse de sédimentation supérieure à 30 mm à la première heure, hémoglobine inférieure à 10 g/dL et albuminémie inférieure à 35 g/L [6]. Lorsque l’European Crohn’s & Colitis Organisation (ECCO) a proposé un consensus sur la RCH en 2008, les critères de Truelove et Witts ont été retenus (grade C). Ainsi, une poussée de RCH constituée d’au moins six évacuations par 24 heures et associée à des signes généraux et/ou biologiques doit être considérée comme sévère [7]. Le score de Lichtiger et al. est un autre moyen d’identifier les malades ayant une poussée sévère de RCH [8] (tableau 2). Bien que ce score n’ait jamais été validé, il a pour avantage d’être uniquement clinique et donc très Rectorragies Traces Importantes Température (°C) < 37,5 ≥ 37,5 Fréquence cardiaque (/minute) < 90 ≥ 90 Taux d’hémoglobine > 10 ≤ 10 Vitesse de sédimentation (en mm à la première heure) < 30 ≥ 30 Albuminémie (en g/L) < 35 ≤ 35 Poussée sévère définie par A et la présence d’au moins un des six autres critères simple d’utilisation en pratique courante. Il est de plus réalisable quotidiennement au chevet du patient. La variation jour après jour du score de Lichtiger est en effet rapide et correspond parfaitement à une situation aussi aiguë que la CAG. Selon un consensus d’experts internationaux, un score de Lichtiger strictement supérieur à 10 points – sur un maximum possible de 21 – définit la poussée sévère de RCH [9]. Au cours du suivi, la réponse au traitement médical est définie par : un score de Lichtiger inférieur à 10 ; deux jours consécutifs avec une baisse d’au moins trois points par rapport au score initial. “ Une poussée de rectocolite hémorragique constituée d’au moins six évacuations par 24 heures et associée à des signes généraux et/ou biologiques doit être considérée comme sévère Diagnostiquer et traiter une surinfection ” Quand un patient suivi pour RCH décrit des signes évoquant une poussée sévère de sa maladie, la recherche HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive vol. 17 supplément 4, septembre 2010 Prise en charge de la colite aiguë grave La surinfection d’une RCH par le C. difficile est de plus en plus fréquemment observée. Ainsi, l’incidence de cette infection chez des malades atteints de RCH a presque doublé aux États-Unis entre 1998 et 2004 [10]. En outre, l’infection à C. difficile a de très lourdes conséquences pronostiques chez les malades suivis pour colite inflammatoire : le taux de mortalité est multiplié par 4 et le taux de chirurgie par 6,6 [10, 11]. En pratique, quand le C. difficile et/ou sa toxine sont détectés chez un malade atteint de RCH en poussée, l’antibiothérapie est évidemment nécessaire. Dans le même temps, au regard d’une série rétrospective multicentrique européenne, il semble qu’il faille suspendre le traitement immunosuppresseur de la RCH. En effet, le risque de décès et de colectomie dans les trois mois est plus élevé quand celui-ci est maintenu (12 et 0 %, respectivement ; p = 0,01) [12]. Des travaux prospectifs devraient nous permettre de mieux prendre en charge cette situation dans l’avenir. Le CMV constitue également un problème infectieux très difficile. Les critères diagnostiques de la surinfection à CMV ne sont pas standardisés. Actuellement, on tient compte à la fois d’une réplication virale systémique significative, donc définie par un seuil de PCR qui varie entre les laboratoires et les équipes, et de la mise en évidence du virus sur les biopsies coliques. Plus que la positivité de la PCR sur les biopsies, qui repose également sur un seuil, c’est la mise en évidence de l’effet cytopathogène du virus ou sa détection en immunohistochimie qui semblent déterminantes. Dans la pratique, l’instauration d’un traitement anti-CMV relève du cas par cas. Tableau 2. Score de Lichtiger [8]. Diarrhées (nombre par 24 heures) Score 0–2 0 3–4 1 5–6 2 7–9 3 10 4 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Diarrhées nocturnes Non 0 Oui 1 Rectorragies visibles (% de nombre de selles) 0 0 < 50 % 1 > 50 % 2 100 % 3 Incontinence fécale Non 0 Oui 1 Douleurs abdominales Non 0 Minime 1 Modérée 2 Sévère 3 État général Parfait 0 Très bon 1 Bon 2 Moyen 3 Mauvais 4 Très mauvais 5 Faire appel au chirurgien précocement Tension abdominale Non 0 Minime/localisée 1 Minime à modérée/diffuse 2 Sévère/tendue 3 Traitement antidiarrhéique Non 0 Oui 1 Réponse clinique : score inférieur à 10 à deux jours consécutifs et baisse d’au moins trois points par rapport à l’entrée. de pathogènes doit être systématique avant d’envisager l’instauration d’un traitement immunomodulateur. Audelà de la recherche des habituels micro-organismes, en particulier bactériens, qui peuvent engendrer une colite infectieuse, une attention toute particulière doit être portée au C. difficile et au cytomégalovirus (CMV). L’objectif de la prise en charge de la CAG est simple : sauver la vie du malade. Les bases du traitement sont établies depuis plus de 50 ans. Il repose sur les corticoïdes intraveineux pour une courte durée et un recours rapide à la colectomie en cas d’échec ou de complication. En termes de mortalité, les résultats de cette stratégie sont impressionnants. Selon les données de l’équipe d’Oxford, le taux de décès causé par une poussée sévère de RCH est ainsi passé de 34 à 0 % entre 1952 et 1978. Les études les plus récentes font état d’un taux de mortalité de 1 à 3 % [2-4]. La colectomie précoce est le traitement qui a permis de réduire la mortalité de la poussée sévère de RCH. Le consensus ECCO propose ainsi que tout patient ayant une poussée sévère de RCH soit hospitalisé (grade D) et qu’une prise en charge médicochirurgicale concertée soit proposée d’emblée (grade D), afin de confier dès l’arrivée au chirurgien une CAG compliquée (perforation, hémorragie massive, colectasie) ou dépassée et de surveiller quotidiennement les autres. HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive vol. 17 supplément 4, septembre 2010 23 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Les résultats de la colectomie pour RCH ont été publiés par des centres référents. Les conséquences de cette intervention sont sans doute moins bonnes dans la réalité. D’après une grande série américaine ayant inclus 7 108 malades colectomisés pour RCH entre 1995 et 2005, la mortalité de la colectomie en urgence était de 5,4 contre 0,7 % quand elle était réalisée « à froid » [4]. Plusieurs facteurs augmentant la mortalité ont été identifiés en analyse multivariée. Ils sont pour partie liés au terrain : âge du patient supérieur à 60 ans et existence de comorbidités. L’expérience de l’équipe où le malade est opéré est également déterminante sur le pronostic de l’intervention : le taux de mortalité fait plus que doubler dans les unités où la colectomie pour RCH est pratiquée moins de quatre fois par an. Cette étude délivre aussi un message à l’adresse des gastroentérologues : plus la durée de l’hospitalisation préopératoire est longue, plus la morbimortalité de la chirurgie est élevée, et ce dès le sixième jour d’hospitalisation préopératoire. En fait, toute la difficulté est de confier le malade au chirurgien au bon moment : trop précocement, la colectomie peut être abusive ; trop tardivement, le risque de décès postopératoire est élevé. L’âge du patient et le terrain, l’ancienneté de la maladie, un doute sur la présence de dysplasie ou sur le diagnostic de MC, un désir de grossesse et surtout le retentissement de la poussée sur l’état général et le choix du patient sont des critères décisionnels à prendre en compte au sein d’équipes médicochirurgicales entraînées. Appliquer une corticothérapie dans les règles Le traitement de la poussée sévère de RCH, également appelé « régime de Truelove », est bien codifié [5]. Il repose avant tout sur la corticothérapie intraveineuse à forte dose (au moins 0,8 mg/kg par jour d’équivalent méthylprednisolone en une à deux fois par jour), pour une durée maximale de 5-7 jours (recommandation ECCO de grade B) [7]. Les autres éléments du traitement intraveineux intensifs sont la mise au repos du tube digestif, la prescription d’héparine de bas poids moléculaire à dose préventive et de lavements de corticoïdes. L’antibiothérapie et la nutrition parentérale totale n’améliorent pas les performances du traitement et ne sont donc pas systématiques. L’objectif thérapeutique est l’obtention d’une réponse clinique rapide. Elle est définie par un score de Lichtiger inférieur à 10, deux jours consécutifs et une baisse supérieure ou égale à trois points par rapport au score départ. Environ 60 % des malades traités avec corticoïdes intraveineux sont en rémission au cinquième jour [1, 13]. Le taux d’échec de ce traitement de première ligne, aux alentours de 40 %, est donc élevé. Si l’échec du traitement est officialisé à j5, celui-ci peut et doit être anticipé afin de 24 permettre l’instauration, le cas échéant, d’un traitement de deuxième ligne dans les meilleurs délais. Dès le troisième jour de corticoïdes intraveineux, la persistance d’un nombre élevé d’évacuations par 24 heures – au moins huit – et d’une augmentation de la protéine C réactive (CRP) – supérieure à 45 mg/L – peut prédire l’échec du traitement [14, 15]. Le délai de cinq jours de corticoïdes intraveineux permet également la réalisation des examens préalables au traitement de deuxième ligne. En l’absence de réponse à la corticothérapie intraveineuse, ou bien si celle-ci est insuffisante, il est non seulement inutile, mais surtout dangereux de poursuivre ce traitement au-delà de la première semaine. “ 60 % des malades traités avec des corticoïdes intraveineux sont en rémission au cinquième jour ” Recourir à un traitement médical de deuxième ligne sans délai Comme nous l’avons vu, la prise en charge d’une CAG compliquant une RCH est une course contre la montre : au-delà du sixième jour d’hospitalisation préopératoire, la mortalité de la colectomie augmente [4]. L’échec des corticoïdes doit donc être anticipé, afin d’envisager, soit une colectomie précoce, soit un traitement médical de deuxième ligne qui devra être débuté au cinquième jour d’hospitalisation au plus tard (figure 1). Après échec de la corticothérapie intraveineuse, trois options médicamenteuses sont envisageables à ce stade selon le consensus ECCO : la ciclosporine (grade B), l’infliximab (grade B) ou le tacrolimus (grade B) [7]. En France, les deux premiers traitements sont les plus utilisés. Les remarquables résultats de la ciclosporine intraveineuse observés dans l’essai princeps de Lichtiger et al. ont depuis été largement confirmés : une rémission clinique est obtenue chez environ 80 % des patients en une semaine, dans un délai rapide, en médiane de quatre jours [8, 16, 17]. De nombreux effets indésirables, parfois sévères, peuvent survenir : insuffisance rénale, hypertension artérielle, convulsions ou infections opportunistes potentiellement létales. Malgré une posologie initiale réduite à 2 mg/kg par jour, un passage plus précoce à la voie orale, une surveillance biologique régulière et une prévention systématique de la pneumocystose pulmonaire [18], ces effets secondaires limitent l’utilisation de la ciclosporine qui ne doit être envisagée que comme un traitement d’attaque dans l’attente de l’efficacité d’un traitement de fond par azathioprine/6-mercaptopurine [19, 20]. À distance, les résultats de la ciclosporine sont moins bons. Ainsi, le taux HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive vol. 17 supplément 4, septembre 2010 Prise en charge de la colite aiguë grave Poussée sévère de rectocolite hémorragique si complication Méthylprednisolone 0,8 mg/kg/j de J1 à J5-7 Colectomie Au 5-7e jour Échec Succès Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Colectomie Deuxième ligne Ciclosporine IV Infliximab ou Au 14-21e jour Échec Succès Colectomie Figure 1. Arbre décisionnel de prise en charge de la poussée sévère de rectocolite hémorragique. de malades colectomisés dans les 12 premiers mois varie entre 36 et 69 % [17]. À plus long terme, la plupart des malades traités par ciclosporine finissent par être colectomisés : le taux de colectomie à sept ans dans la série de Leuven fondée sur 118 répondeurs initiaux à la ciclosporine intraveineuse était de 88 % [21]. La ciclosporine permet donc d’éviter la colectomie en urgence. Cependant, en dépit d’un traitement d’entretien par azathioprine/ 6-mercaptopurine, la plupart des malades sont colectomisés dans les années qui suivent. L’infliximab constitue une alternative à la ciclosporine. Il a fait l’objet d’un seul essai randomisé, contre placebo, au cours de la poussée sévère et corticorésistante de RCH [22]. Cet essai scandinave a démontré qu’une injection unique d’infliximab, à la dose de 4 à 5 mg/kg, permettait de réduire significativement le taux de colectomie au 30e jour par rapport au placebo (29 % sous infliximab et 67 % sous placebo ; p = 0,017), sans surcroît d’effets indésirables. Bien que les effectifs de cet essai soient faibles, il faut souligner que, dans le sous-groupe des 28 malades les plus graves, l’infliximab ne faisait pas mieux que le placebo : 47 et 69 % de colectomie dans les trois mois, respectivement. De la même manière, il a été observé dans une série prospective canadienne que l’efficacité de l’infliximab était moindre au cours des poussées sévères de RCH comparativement aux poussées modérées [23]. Un schéma d’induction par trois injections de 5 mg/kg aux semaines 0, 2 et 6 semble induire un meilleur taux de réponse qu’une seule perfusion de sauvetage [3]. Il n’y a aucune donnée quant à l’efficacité d’une dose plus importante d’infliximab au cours de la CAG. Des complications graves, le plus souvent de nature infectieuse, ont été observées sous infliximab. Deux cas de décès ont été rapportés, suite à une légionellose et à une septicémie à bacille Gram négatif [3, 24]. En outre, plusieurs infections graves ont également été signalées (tuberculose, infections à levures, à Herpès simplex virus ou à varicelle-zona virus). Le risque infectieux sous infliximab est sans doute accru au cours de la CAG, du fait, d’une part, du mauvais état général des malades et, d’autre part, de la multiplicité des traitements immunomodulateurs associés. En conséquence, comme pour la ciclosporine, une prévention primaire de la pneumocystose est recommandée par le consensus ECCO sur les infections opportunistes quand l’infliximab est associé à deux autres immunomodulateurs, tels que les corticoïdes et l’azathioprine [18]. Il existe peu de données sur les résultats à moyen et à long terme avec l’infliximab au cours de la CAG. En outre, ces études rétrospectives ont le plus souvent regroupé les CAG avec les RCH modérées réfractaires aux immunosuppresseurs. Dans les séries dédiées aux formes graves traitées par infliximab, les taux de colectomie à 1 an avoisinent les 50 % [3, 23, 25]. Nous aurons, dans les années à venir, des données sur le HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive vol. 17 supplément 4, septembre 2010 25 bénéfice de l’infliximab à long terme, en particulier en ce qui concerne la proportion de malades qui évitent la colectomie à distance. Comme pour la corticothérapie intraveineuse, l’efficacité du traitement de deuxième ligne, que ce soit la ciclosporine ou l’infliximab, est jugée par l’évolution du score de Lichtiger à court terme, dans un délai d’une semaine maximum. “ Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Au-delà du sixième jour d’hospitalisation préopératoire, la mortalité de la colectomie augmente ” Choisir entre la ciclosporine et l’infliximab Bien que le taux de colectomie à long terme après infliximab pour CAG soit inconnu, l’infliximab constitue une solution alternative à la ciclosporine en traitement médical de deuxième ligne de la poussée sévère de RCH. Un essai randomisé du Groupe d’étude thérapeutique des affections inflammatoires du tube digestif (GETAID) comparant ces deux molécules chez des malades atteints d’une poussée sévère et corticorésistante de RCH est en cours (étude CYSIF) et devrait permettre de déterminer le traitement de choix en termes de réponse à court terme et de tolérance. En attendant, comment choisir entre la ciclosporine et l’infliximab ? Le critère décisionnel principal est la possibilité d’un traitement d’entretien par l’azathioprine. Soit le malade est connu pour être en échec ou intolérant à l’azathioprine, auquel cas un traitement en « bridge » par la ciclosporine n’a pas de sens et il faut privilégier l’infliximab (par trois perfusions d’induction puis en entretien), soit il s’agit d’un malade naïf pour l’azathioprine et le choix reste ouvert : « bridge » ciclosporine-azathioprine ou infliximab en induction puis en entretien. Dans cette dernière situation, le bénéfice à associer l’azathioprine à l’infliximab n’est pas connu. 26 fait alors courir un risque infectieux majeur pour éviter la colectomie. Nous disposons de deux séries rétrospectives ayant évalué les résultats d’un traitement médical de sauvetage en troisième ligne. Parmi les 20 malades du MountSinaï Hospital (14 traités par infliximab après échec de la ciclosporine et six par la séquence inverse), les taux de rémission à court terme étaient faibles (36 et 33 %, respectivement) et plusieurs complications graves ont été observées : un décès par septicémie à colibacille, une œsophagite herpétique et un ictère [26]. La série du GETAID, ayant recruté 86 malades traités en troisième ligne dans 16 centres, le plus souvent par infliximab après échec de la ciclosporine, confirme le bénéfice modeste de cette stratégie – seulement 40 % des malades évitaient la colectomie dans l’année, et ce quelle que soit la séquence proposée – pour un risque élevé de complications (un décès, survenu chez un homme de 40 ans en postopératoire suite à une complication thromboembolique, et 17 infections sévères, dont deux colites à C. difficile et une à CMV) [27]. Conclusion La prise en charge d’un patient atteint d’une poussée sévère de RCH est standardisée. Ses principes ont fait l’objet d’un consensus du groupe ECCO dont les recommandations principales sont rappelées dans le tableau 3 [7]. La corticothérapie intraveineuse demeure le traitement de référence en première intention. En cas d’échec, la ciclosporine ou l’infliximab sont des traitements efficaces, mais exposent les malades à des effets indésirables parfois Tableau 3. Synthèse des principales recommandations de l’European Crohn’s & Colitis Organisation (ECCO) sur les formes sévères de rectocolite hémorragique [7]. Recommandation Grade Une poussée sévère de RCH est définie par les critères de Truelove et Witts C Un traitement médical de troisième ligne est-il raisonnable ? Une poussée sévère de RCH doit être hospitalisée D La corticothérapie intraveineuse est le traitement de première intention B Un traitement médical de troisième ligne de la CAG, destiné à sauver le côlon du patient, n’est pas recommandé par le groupe ECCO [7]. À ce stade, la colectomie est le traitement de référence. Un traitement de sauvetage peut exceptionnellement être envisagé dans des centres référents et consiste alors à proposer l’infliximab après échec de la ciclosporine ou bien la séquence inverse. L’accumulation des traitements immunomodulateurs – emploi successif de la ciclosporine puis de l’infliximab (ou vice versa) chez des patients corticorésistants et candidats à un traitement d’entretien par azathioprine – Une prise en charge médicochirurgicale concertée est souhaitable D La réponse aux corticoïdes est appréciée dès le troisième jour B Les options médicamenteuses de deuxième intention sont : – la ciclosporine B – l’infliximab B – ou le tacrolimus La colectomie est recommandée après échec de deux lignes de traitement médical HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive vol. 17 supplément 4, septembre 2010 B D Prise en charge de la colite aiguë grave n n T ake home messages n n Les formes graves de rectocolite hémorragique sont identifiées sur des critères clinicobiologiques simples. n Une surinfection par Clostridium difficile ou CMV doit être cherchée. corticothérapie intraveineuse a pour but d’entraîner une rémission clinique en quelques jours. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. n La n L’échec des corticoïdes doit être anticipé afin d’envisager sans délai la colectomie ou un traitement médical de deuxième ligne. graves. La colectomie en urgence ne doit pas être envisagée en dernier recours. Plus son indication est portée tardivement, moins ses résultats et ses suites sont favorables. La chirurgie reste un traitement de référence de la CAG, à discuter et à proposer à chaque étape sans attendre les échecs successifs des traitements médicaux. La prise en charge des formes sévères de RCH doit être privilégiée au sein d’équipes médicochirurgicales, rompues à l’utilisation des immunosuppresseurs et à la colectomie totale avec anastomose iléoanale. Conflit d’intérêts : aucun. n Références Les références importantes apparaissent en gras 1. Edwards FC, Truelove SC. The course and prognosis of ulcerative colitis. Gut 1963 ; 4 : 299-315. 2. 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