Traitement d’une colite aiguë grave compliquant une maladie inflammatoire chronique de l’intestin Treatment of acute colitis complications inflammatory bowel disease ● A. Alves*, Y. Bouhnik**, Y. Panis* P O I N T S F O R T S COMMENT FAIRE LE DIAGNOSTIC ? P O I N T S F O R T S En dehors des urgences chirurgicales représentées par l’hémorragie grave, le mégacôlon toxique ou la perforation, le diagnostic de CAG repose sur la mise en évidence de critères de gravité clinicobiologiques et/ou morphologiques (1). Ces critères clinicobiologiques comportent également des critères évolutifs englobant la résistance au traitement par corticoïdes. Ils ont surtout été étudiés dans la rectocolite hémorragique (RCH) (3). ■ La colite aiguë grave (CAG) peut mettre en jeu le pronostic vital et nécessite une prise en charge urgente en milieu hospitalier. ■ La coloscopie permet d’apprécier la gravité des lésions muqueuses chez 4 malades sur 5. ■ Les corticoïdes sont le traitement de première intention, par voie parentérale, à la posologie de 1 mg/kg/j d’équivalent prednisolone. ■ En l’absence d’efficacité thérapeutique au bout de 5 à 7 jours et en l’absence de complications (péritonite, mégacôlon toxique, choc hémorragique) se discutent un traitement par ciclosporine à la posologie de 2 mg/kg/j ou la colectomie subtotale (CST), qui est l’intervention de référence permettant d’enlever la quasi-totalité du côlon malade sans faire d’anastomose afin de limiter les complications postopératoires. ■ Le Rémicade® (infliximab) serait également une alternative thérapeutique en l’absence d’efficacité des corticoïdes. a colite aiguë grave (CAG) peut mettre en jeu le pronostic vital et nécessite une prise en charge urgente en milieu hospitalier. Cette complication est observée dans 15 à 20 % des cas au cours des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) (1, 2). L * Service de chirurgie digestive, hôpital Lariboisière, Paris. ** Service de gastroentérologie et d’assistance nutritionnelle, hôpital Lariboisière, Paris. La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 4 - vol. VIII - juillet-août 2005 Les critères clinicobiologiques Les critères de Truelove et Witts (4) ont été établis de façon empirique dans les années 1950 par l’équipe d’Oxford dans la rectocolite hémorragique (tableau I). Le but était d’identifier, grâce à quelques critères simples, les poussées sévères, dont la mortalité était de 31 %. La mise en œuvre, dans ces formes, d’un traitement médical intensif fondé sur les corticoïdes, suivi, en cas d’échec, d’une intervention chirurgicale, a permis de faire chuter la morTableau I. Classification de la sévérité des poussées de RCH selon Truelove et Witts (4). Sévérité de la poussée Sévère* Légère* Nombre d’évacuations/jour ≥ 6 sanglantes 4 peu sanglantes Température vespérale ≥ 37,5 °C sur 4 jours absence ou de fièvre ≥ 37,8 °C 2 jours sur 4 Fréquence cardiaque ≥ 90 bpm absence de tachycardie Taux d’hémoglobine < 75 % de la valeur normale absence d’anémie Vitesse de sédimentation ≥ 30 (1re heure) < 30 * La poussée est dite modérée dans les situations intermédiaires. 147 D O S S I E R T talité à 3 % (4). À l’heure actuelle, la sensibilité de ce score seul est insuffisante pour ne considérer comme CAG que les malades ayant les cinq critères au complet (3). Ces critères, modifiés par la même équipe d’Oxford, définissent une poussée sévère comme l’association de l’un des critères de Truelove et Witts à au moins un des quatre autres et à une albuminémie < 35 g/l (5). Les critères de Travis ont permis de définir un score prédictif de colectomie dans la RCH (6). Parmi 36 paramètres clinicobiologiques et radiologiques étudiés chez 51 malades atteints de CAG, la présence, au 3e jour du traitement médical, de l’un des deux critères suivants : > 8 selles glairosanglantes/24 heures ou 3 à 8 selles glairosanglantes/24 heures et une CRP > 45 mg/l était prédictive d’une colectomie dans 85 % des cas (6). Un nouveau score à partir des critères de Lichtiger et al. (7) a été décrit chez des malades ayant une RCH, traités par ciclosporine (tableau II). Les CAG sont définies par un score > 12 ; la réponse au traitement est définie par un score < 10 et par une diminution ≥ 3 points par rapport au score initial. Tableau II. Score de sévérité de la RCH selon Lichtiger (7). Symptôme Score Diarrhée (nombre de selles) 0-2 3-4 5-6 7-9 10 0 1 2 3 4 Diarrhée nocturne non oui 0 1 Sang dans les selles 0 < 50 % > 50 % 100 % 0 1 2 3 Incontinence fécale non oui 0 1 Douleur abdominale aucune modérée moyenne sévère 0 1 2 3 État général parfait très bon bon moyen mauvais très altéré 0 1 2 3 4 5 Douleur à la palpation abdominale aucune modérée et localisée modérée à moyenne diffuse sévère ou douleur de rebond 0 1 2 3 Antidiarrhéiques non oui 0 1 148 H É M A T I Q U E Les critères morphologiques L’abdomen sans préparation est utile pour rechercher un pneumopéritoine et une colectasie (le mégacôlon toxique associe une dilatation du côlon > 6 cm sur la radio et un tableau clinique grave marqué par des signes de sepsis). Il est réalisé tous les jours pendant le traitement d’attaque d’une CAG (1). La tomodensitométrie est utile au diagnostic de pneumopéritoine quand une perforation est suspectée et qu’un pneumopéritoine n’est pas décelé de manière évidente par l’abdomen sans préparation (3). La coloscopie a été proposée pour apprécier directement la gravité des lésions muqueuses (figure). Dans notre expérience (8), la fiabilité de la coloscopie pour la prédiction de la sévérité des lésions était de 84 %, parmi 155 malades consécutifs atteints de CAG. Le risque de complication de la coloscopie entre des mains expérimentées a été évalué à 4 % (8, 9). Dans le cas de la rectocolite hémorragique, une exploration limitée au côlon gauche suffit pour porter le diagnostic de gravité dans 90 % des cas. L’iléocoloscopie avec biopsies étagées peut être utile pour préciser le type de MICI (particulièrement en cas de poussée grave révélatrice de la maladie) et rechercher une surinfection à cytomégalovirus (2). Figure. Colite grave endoscopique. Diagnostic différenciel et formes intriquées Toute colite aiguë peut se compliquer de CAG, qu’elle soit de cause infectieuse, ischémique ou médicamenteuse. Le diagnostic différenciel est donc parfois difficile, en particulier quand la poussée est inaugurale. Une surinfection à cytomégalovirus doit être recherchée en cas de résistance au traitement ou d’aggravation sous traitement médical (10). MOYENS THÉRAPEUTIQUES Moyens médicaux Les corticoïdes L’efficacité de la corticothérapie est bien établie. Le schéma thérapeutique universellement adopté (1 mg/kg/j d’équivalent prednisolone) a permis de faire passer la mortalité des poussées graves de 30 % dans les années 1950 à moins de 1 % dans les séries les plus récentes (11). Les antibiotiques Leur utilisation est recommandée dans les situations suivantes : doute avec une cause infectieuse et biopsies coliques en cas de colectasie ou de fièvre élevée (3). Le repos digestif La mise au repos de l’intestin par le jeûne ou une diète stricte associée à une perfusion périphérique fait partie du traitement médical intraveineux intensif (3). La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 4 - vol. VIII - juillet-août 2005 Les immunomodulateurs De nombreuses études ont rapporté l’efficacité de la ciclosporine dans les colites aiguës graves et/ou corticorésistantes (12, 13). Toutefois, elle a de nombreux effets indésirables potentiels. Récemment, une étude contrôlée a montré que la ciclosporine était aussi efficace à la dose de 2 mg/kg/j qu’à la dose de 4 mg/kg/j (14). La posologie de 2 mg/kg/j par voie intraveineuse est désormais recommandée (14). Plusieurs études ouvertes portant sur un petit nombre de malades suggèrent que l’azathioprine orale permet de maintenir à long terme la rémission obtenue à court terme par la ciclosporine i.v. chez environ 50 % des malades (15). Les moyens chirurgicaux La colectomie subtotale (CST) est l’intervention de référence permettant d’enlever la quasi-totalité du côlon malade sans faire d’anastomose afin de limiter les complications postopératoires, en particulier le risque de fistule anastomotique (1). Elle est indiquée en cas de résistance au traitement médical ou d’emblée en cas de complications (perforation, colectasie, hémorragie). La sigmoïdostomie est indiquée en raison du doute diagnostique sur la cause exacte de la colite. Dans notre expérience (8), l’analyse anatomopathologique de la pièce opératoire chez 164 malades consécutifs a permis de modifier la nature de la maladie causale dans plus de la moitié des cas (54 %). Ainsi, parmi 164 malades consécutifs, le diagnostic définitif était une maladie de Crohn chez 110 malades, une RCH dans 35 cas et une colite indéterminée dans 19 cas. L’iléostomie et la sigmoïdostomie sont confectionnées habituellement dans deux orifices différents, le premier en fosse iliaque droite, le second en bas de l’incision médiane. La fermeture du moignon rectal dans la cavité péritonéale n’est pas recommandée en raison de la fréquence élevée des abcès intra-abdominaux (16). Dans notre expérience, l’iléosigmoïdostomie est confectionnée dans le même orifice en fosse iliaque droite, permettant, d’une part, de diminuer la fréquence des occlusions postopératoires et, d’autre part, de permettre un rétablissement ultérieur de la continuité digestive par voie élective, en fonction de la cause et de l’état du rectum. Dès le lendemain de l’intervention, des lavements du moignon rectosigmoïdien à l’aide de sérum physiologique, de dérivés salicylés et de corticoïdes sont réalisés, et ce pendant une durée de 3 mois. Si, dans le passé, la mortalité de la CST pour CAG variait de 7 à 44 %, notamment dans les formes compliquées (17-19), elle est actuellement faible dans les centres expérimentés. Ainsi, dans notre expérience, la mortalité opératoire était inférieure à 1 %, alors que 25 % des malades avaient des formes compliquées (hémorragie, perforation, colectasie). La morbidité postopératoire était de 33 % (9). La principale complication était l’occlusion postopératoire (15 %), nécessitant une réintervention dans la moitié des cas. Dans la littérature, l’occlusion sur bride représente la principale complication postopératoire chirurgicale, dont la fréquence varie entre 5 et 25 % des cas. Dans notre expérience, la morbidité était comparable chez les patients opérés en urgence pour des formes compliquées par rapport aux patients opérés en urgence relative (38 % versus 32 %). La durée moyenne d’hospitalisation était de 13 jours. La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 4 - vol. VIII - juillet-août 2005 Trois mois plus tard, un lavement aux hydrosolubles avec rectographie de profil et une endoscopie sont réalisés afin de rechercher un microrectum et une rectite. Selon l’étiologie, un rétablissement par voie élective (anastomose iléorectale) ou une proctectomie secondaire avec anastomose iléo-anale seront programmés. Dans le cadre d’une RCH, Penna et al. ont rapporté que la réalisation d’une CST suivie, dans un second temps, d’une AIA n’altère pas les résultats fonctionnels et n’augmente pas la morbidité par rapport à une AIA réalisée en un temps (20). La plus grande série publiée de CAG compliquant une RCH opérée par voie laparoscopique d’une CST a porté sur 18 patients (21). Dans cette étude prospective, la conversion était nulle, la morbidité postopératoire était de 33 % et la durée opératoire moyenne était d’environ 4 heures. Aucun patient ne nécessitait de réintervention précoce. La durée moyenne d’hospitalisation était de 5 jours (contre 9 jours par laparotomie, p < 0,05). Depuis lors, trois études rétrospectives comparatives (22-24) ont évalué la place de la laparoscopie dans les colites résistantes au traitement médical. La durée opératoire était significativement plus longue après CST par laparoscopie, le taux de conversion variant de 0 à 8 %. Bien que non significative, la morbidité globale était plus faible après CST par laparoscopie (16-35 % versus 24-56 %). La durée moyenne d’hospitalisation était significativement réduite après CST par laparoscopie (22-24). Ces études suggèrent que la CST par laparoscopie est réalisable en cas de colites aiguës résistantes au traitement médical, avec des résultats comparables à ceux de la laparotomie, dans des centres experts. TRAITEMENT INITIAL DE PREMIÈRE LIGNE Les corticoïdes sont le traitement de première intention de la CAG, par voie intraveineuse, à la posologie recommandée de 1 mg/kg/j d’équivalent prednisolone. Ils sont associés à la mise au repos du tube digestif et à des antibiotiques. Cette corticothérapie est maintenue jusqu’à l’obtention d’une réponse clinique franche, sans dépasser 7 jours, si ce traitement n’est pas efficace. En l’absence de réponse au traitement médical, une nouvelle coloscopie est réalisée au 5e jour afin d’évaluer la gravité des lésions. TRAITEMENT INTENSIF DE DEUXIÈME LIGNE : CICLOSPORINE OU CHIRURGIE Ce traitement doit être envisagé en l’absence de réponse clinique et biologique entre 3 et 5 jours après le début de la corticothérapie intraveineuse. – Les principaux arguments en faveur du traitement chirurgical d’emblée sont : • les risques d’une intervention trop tardive (péritonite par perforation colique) ; • les risques d’effets secondaires sévères et potentiellement irréversibles de la ciclosporine ; • la fréquence des rechutes chez les malades traités par ciclosporine (30 à 60 % des malades colectomisés). 149 D O S S I E R T – Les arguments en faveur du traitement par la ciclosporine sont : • son efficacité remarquable et rapide ; • les chances de maintenir une rémission par azathioprine ou 6-mercaptopurine. La ciclosporine doit être débutée à la dose de 2 mg/kg/j par voie intraveineuse pendant 8 jours. Depuis l’étude de Travis et al. (6), il est conseillé de débuter le traitement par la ciclosporine dès le 4e jour en l’absence de réponse au traitement médical intensif initial de première ligne. Cependant, en cas d’apparition de signes de gravité (rectorragies abondantes responsables d’une anémie aiguë [Hb < 6 g/dl] et/ou nécessitant des transfusions abondantes et/ou répétées, mégacôlon toxique ou perforation colique), la CST sera réalisée en urgence. – Place du Remicade® Une étude prospective multicentrique randomisée (25) comparant le Remicade® au placebo dans les colites aiguës sévères compliquant une RCH et résistant aux corticoïdes a récemment montré que le Remicade® permettait de réduire significativement le recours à une CST à 90 jours. Ainsi, parmi 45 patients inclus (24 dans le groupe Remicade® et 21 dans le groupe placebo), l’administration de Remicade® à la posologie de 5 mg/kg ramenait le recours à la chirurgie de 67 % à 29 % (p = 0,017). Si la différence n’était pas significative chez les patients ayant une CAG fulminante (69 % versus 47 %, NS), en revanche, aucun patient ayant une CAG modérée n’a été opéré dans le groupe Remicade®, contre 63 % dans le groupe placebo (p = 0,009). Cette étude suggère que le Remicade® est une alternative thérapeutique chez des patients atteints d’une RCH, en l’absence d’efficacité des corticoïdes. CONCLUSION La CAG complique 15 à 20 % des MICI et peut mettre en jeu le pronostic vital. En dehors des urgences chirurgicales, le diagnostic de CAG repose sur la mise en évidence de critères de gravité clinicobiologiques et/ou morphologiques. Les corticoïdes sont le traitement de première intention de la CAG, par voie intraveineuse, à la posologie recommandée de 1 mg/kg/j d’équivalent prednisolone, associés à la mise au repos du tube digestif et à des antibiotiques. En l’absence d’efficacité au bout de 5 jours, et en l’absence de complications, la ciclosporine ainsi que, depuis peu, le Remicade® représentent des alternatives thérapeutiques au traitement chirurgical. La CST est l’intervention de référence permettant d’enlever la quasi-totalité du côlon malade sans faire d’anastomose afin de limiter les complications postopératoires, en particulier le risque de fistule anastomotique. Elle est indiquée en cas de résistance au traitement médical ou d’emblée en cas de complications (perforation, colectasie, hémorragie). ■ Mots-clés : Colite aiguë grave - Corticoïdes - Ciclosporine Colectomie subtotale. Keywords: Acute colitis – Steroids – Cyclosporin – Subtotal colectomy. 150 H É R É F M É R E N A C E S T B I I B L I Q O G R A U P H I E Q U E S 1. Katz JA. Medical and surgical management of severe colitis. Semin Gast Dis 2000;11:18-32. 2. Champault A, Benoist S, Alves A, Panis Y. 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