CAS CLINIQUE Mots-clés : Réaction d’inclinaison oculaire – Divergence oculaire verticale Keywords: Ocular tilt reaction – Skew deviation Réaction d’inclinaison oculaire Ocular tilt reaction P. Grimbert*, F. Abdul Samad**, C. Bertout** L a divergence oculaire verticale (skew deviation) traduit une atteinte des voies vestibulaires. Quand elle s’associe à un torticolis, à une cyclotorsion conjuguée des yeux et à une atteinte de la verticalité subjective, elle entre dans le cadre d’une réaction d’inclinaison oculaire. L’étude de notre cas permet de rappeler la démarche diagnostique à tenir devant un trouble acquis de la verticalité, pour différencier notamment une divergence oculaire verticale d’une paralysie oculomotrice touchant l’oblique supérieur. Observation Mr R., âgé de 76 ans, est adressé aux urgences pour un syndrome confusionnel aigu. Il présente comme antécédent une HTA traitée ; il a un pacemaker, posé en 1991. L’examen neurologique a révélé un syndrome cérébelleux statique et cinétique gauche, associé à des troubles oculomoteurs et à un torticolis avec la tête penchée sur l’épaule droite (fi gure 1). L’examen oculomoteur a objectivé en position primaire une dissociation oculaire verticale et une hypertropie de l’œil gauche estimée à 35 dioptries (fi gure 2). La manœuvre de Bielschowsky n’a pas retrouvé de variation de la déviation verticale selon les mouvements de la tête. L’étude de la motilité oculaire a révélé une limitation importante de la verticalité dans le regard : en haut pour l’œil droit et en bas pour l’œil gauche. Par ailleurs, les mouvements horizontaux étaient peu perturbés. Le réflexe oculocéphalique était préservé, ce qui révèle une atteinte supranucléaire. L’examen du fond d’œil a montré une incyclotorsion de l’œil gauche de 7° et une excyclotorsion de l’œil droit de 12° (fi gure 3). Un scanner cérébral a mis en évidence un accident vasculaire céré bral ischémique constitué dans le territoire de l’artère cérébelleuse supérieure gauche et une hypodensité du pédoncule cérébelleux supérieur gauche et de la partie antérosupérieure du lobe cérébelleux gauche (fi gure 4). La présence du pacemaker la contre-indiquant, aucune IRM cérébrale n’a été réalisée. * Interne d’ophtalmologie. ** Service de neurologie, hôpital de Saint-Nazaire. Figure 1. Attitude vicieuse de la tête à droite. Figure 2. Dissociation oculaire verticale avec hypertropie de l’œil gauche. A B Figure 3. Rétinographie, révélant une cyclotorsion conjuguée : excyclotorsion de l’œil droit (A) et incyclotorsion de l’œil gauche (B). La Lettre du Neurologue • Vol. XIV - n° 11 - décembre 2010 | 375 CAS CLINIQUE Figure 4. TDM cérébrale, accident vasculaire cérébral constitué dans le territoire de l’artère cérébelleuse supérieure gauche. Position primaire Manœuvre de Bielschowsky Torticolis spontané Figure 5. Paralysie oculomotrice du nerf IV. D i s c u s s i o n Normalement, le réflexe oculocéphalique permet le maintien d’une vision stable. Un mouvement de la tête engendre un mouvement oculaire opposé de même vitesse. Les informations graviceptives rejoignent le noyau vestibulaire, puis croisent la ligne médiane pour stimuler les noyaux des nerfs III et IV, ce qui permet le maintien d’une verticale subjective correcte malgré les mouvements céphaliques. Ainsi, une lésion située sur cette voie vestibulaire peut engendrer des troubles de la perception de la verticalité et une divergence oculaire verticale. L’atteinte peut être périphérique ou, le plus souvent, centrale sur le tronc cérébral, mais elle peut également se situer au niveau cérébelleux (1-3). En effet, il est maintenant reconnu qu’une atteinte cérébelleuse isolée peut engendrer à elle seule une divergence oculaire verticale (1, 3). Distinguer une réaction d’inclinaison oculaire et une paralysie oculomotrice du nerf IV peut être difficile. En effet, chez notre 376 | La Lettre du Neurologue • Vol. XIV - n° 11 - décembre 2010 patient, l’association d’une attitude vicieuse de la tête à droite et d’une hypertropie de l’œil gauche pouvait évoquer une paralysie oculomotrice par atteinte du nerf IV gauche. Mais, dans ce cas, le torticolis spontané permettrait de diminuer la stimulation du muscle oculomoteur atteint et diminuerait donc les différences de hauteur. À l’inverse, la manœuvre de ­Bielschowsky, en inclinant la tête du côté paralysé, stimulerait l’oblique supérieure déficiente. Il semble donc qu’une action du muscle oculomoteur synergistique (le droit supérieur homolatéral) aggraverait l’hypertrophie (figure 5). Le test à l’écran des différentes positions du regard permet aussi d’orienter le diagnostic en répondant aux 3 questions du test de Parks-Bielschowsky (4) : “La déviation est-elle maximale dans la direction opposée à l’œil hypertropique ?”, “La déviation est-elle maximale dans le regard en bas ?” et “La manœuvre de ­Bielschowsky est-elle positive ?” Les réponses sont toutes positives en cas paralysie du nerf IV, et, en cas de divergence oculaire verticale, elles sont au contraire, dans la plupart des cas, négatives. En cas de doute persistant, la recherche au fond d’œil d’une anomalie de la torsion oculaire est déterminante. Une hypertropie liée à une paralysie du nerf IV s’associera à une excyclotorsion. Dans la divergence oculaire verticale on a au contraire une incyclotorsion (5). Dans notre cas, la manœuvre de Bielschowsky était négative. La déviation oculaire verticale ne variait pas selon la position de la tête, ni selon la direction du regard. Le fond d’œil retrouvait une incyclotorsion de l’œil gauche et une excyclotorsion de l’œil droit. L’ensemble de ces éléments confortait ainsi le diagnostic de divergence oculaire verticale. C o n c l u s i o n La réaction d’inclinaison oculaire est une présentation clinique peu fréquente qui signe une atteinte des voies vestibulaires. Elle associe une dissociation oculaire verticale, un torticolis, une cyclotorsion conjuguée des yeux et une atteinte de la verticalité subjective. Seule une démarche clinique précise permet de ne pas la confondre avec une paralysie oculomotrice touchant l’oblique supérieur. ■ Références bibliographiques 1. Brodsky MC, Donahue SP, Vaphiades M. Skew deviation revisited. Surv Ophthalmol 2006;51:105-28. 2. Wong AM, Sharpe JA. Cerebellar skew deviation and the torsional vestibuloocular reflex. Neurology 2005;65:412-9. 3. Baier B, Dieterich M. Ocular tilt reaction: a clinical sign of cerebellar infarctions? Neurology 2009;72:572-3. 4. Robert M. Diplopie binoculaire : orientation diagnostique. À Propos Biopharma 2010. 5. Palla A, Straumann D. Neurological evaluation of acute vertical diplopia. Schweiz Arch Neurol Psychiatr 2002;153(4):180-4.