Gynécomasties

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u MISE AU POINT
Progrès en Urologie (1999), 9, 1132-1135
Gynécomasties
Jean-Louis PARIENTE, François JACOB, Colette DEMINIERE, Jean-Marie FERRIERE, Michel LE GUILLOU
Service d’Urologie-Andrologie et de Transplantation Rénale, Hôpital Pellegrin, Bordeaux, France
RESUME
La gynécomastie est la manifestation la moins rare de la pathologie mammaire
chez l’homme. C’est pourquoi l’urologue doit savoir distinguer les di fférentes entités nosologiques, éliminer une tumeur testicul aire et reconnaître les principales
étiologies en réalisant un bilan simple mais complet. Le traitement médical est
assez décevant. Le traitement chirurgical s’adresse aux patients présentant des
compli cationss ou chez qui la persistance d’une gynécomastie est gênante sur le
plan esthétique.
Mots clés : Gynécomastie, androgènes, cancer du testicule, effets secondaires, médicaments.
La pathologie mammaire chez l’homme est rare. Il est
cependant important de savoir distinguer les différentes
entités nosologiques. La gynécomastie est la manifestation la plus fréquente.
DEFINITION
La gynécomastie correspond à une hyperplasie non
tumorale de la glande mammaire. Elle touche généralement les deux seins, mais peut cependant être unilatérale. Ceci peut paraître paradoxal, surtout lorsqu’une
étiologie endocrinienne doit être retenue, mais s’explique par des différences de sensibilité hormonale des
récepteurs présents au niveau du tissu mammaire [5,
20, 27].
Figure 1. Gynécomastie de type 2 : prolifération galactopho rique et conjonctive avec des pseudo-lobules entourés de
façon concentrique par un conjonctif assez dense (HES x 25).
ANATOMO-PATHOLOGIE
Il s’agi t d’une prolifération galactophorique et
conjonctive de type oestrogénique, sans acini, mais
avec ébauche de pseudo-lobules (Figure 1). La proportion entre tissu épithélial et tissu conjonctif dépend de
l’ancienneté de la gynécomastie.
Trois types anatomopathologiques sont décrits dans la
classification de WILLIAMS [25, 29] :
• Le type 2 montre un aspect quiescent. C’est le type le
plus fréquent. Les canaux sont enchâssés dans un collagène dense, sans hyperplasie épithéliale (Figure 1).
• Le type 3 montre un aspect dissocié. C’est le plus
rare. Il existe une hyperplasie épithéliale des canaux
mais le collagène est dense.
• Le type 1 correspond à un aspect floride, assez
typique de l’oestrogénothérapi e. L’hyperplasie des
canaux est entourée de façon concentrique par un
conjoncti f assez lâche et oedémat eux où les fibres
collagènes sont rares. L’épithélium est hyperpl asique.
Travail du Comité d’Andrologie de l’AFU.
Manuscrit reçu : mai 1999, accepté : août 1999.
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Adresse pour correspondance : Dr. J.L. Pariente, Service d’Urologie Andrologie
et Transplantation rénale, Hôpital Pellegrin-Le Tripode, Place Amélie Raba Léon,
33076 Bordeaux Cedex.
J.L. Pariente et coll., Progrès en Urologie (1999), 9, 1132-1135
plus fréquente. La liste des médicaments responsables
d'une gynécomastie est longue :
PHYSIOPATHOLOGIE
L’apparition d’une gynécomastie traduit une modification du rapport oestrogène sur testostérone. En effet,
les androgènes, la testostérone ou la dihydrotestostérone sont inhibiteurs de la prolifération du tissu mammaire. Les oestrogènes, exogènes ou provenant de
l’aromatisation des androgènes, stimulent la prolifération du tissu mammaire.
Il existe de nombreuses hormones régulatrices comme
les hormones thyroïdiennes, le cortisol, la prolactine,
les gonadotrophines hypophysaires, l’HCG, l’hormone
de croissance et l’insuline [28].
- Les œstrogènes, utilisés par le patient dans le traitement du cancer de prostate ou utilisés par sa partenaire
en gel per cutané, qui peut être absorbé lors d'un
contact direct peu de temps après utilisation de ce gel.
- Les androgènes par augmentation de la conversion
périphérique,
- les anti-androgènes (acétate de cyprotérone, flutamide, kétoconazole, spironolactone, cimétidine) ou certains toxiques pouvant avoir des propriétés anti-androgènes (haschich, marijuana),
- les agonistes du GnRh,
CLINIQUE
- les inhibiteurs de la 5αréductase (finastéride) [7],
L'interrogatoire oriente le diagnostic. Il faut rechercher
des antécédents familiaux du même type, des manifestations semblables à la puberté.
- les œstrogènomimétiques (digoxine, isoniazide),
L'examen clinique précise le caractère uni ou bilatéral,
la symétrie éventuelle de la gynécomastie et le volume
de la tuméfaction, sa situation par rapport à la plaque
aréolaire (centrée ou non). La palpation recherche également un écoulement mamelonnaire et d’éventuelles
adénopathies axillaires. L'examen clinique doit être
complet en étudiant les caractères sexuels secondaires
(pilosité, habitus, répartition des graisses), en examinant en particulier les testicules à la recherche d'un
nodule suspect, la thyroïde, le foie et la peau (angiomes
stellaires, pigmentation anormale).
- la chimiothérapie anti-néoplasique [3],
Les examens complémentaires peuvent être utiles : une
mammographie [9] et/ou une échographie mammaire
permettent de mieux préciser les caractères perçus lors
de l'examen clinique et de confirmer le diagnostic de
gynécomastie. La radiographie pulmonaire permet de
rechercher une tumeur bronchopulmonaire.
- les anti-dopaminergiques (sulpiride, métoclopramide,
tiapride, phénothiazine, risperidone),
- les inhibiteurs de l'urico-synthèse (allopurinol) [23],
- traitement anti HIV: antiprotéases (indinavir), et inhibiteurs de la reverse transcriptase (stavudine) [6, 21].
• Les étiologies gonadiques :
- Tumeurs à cellules de Leydig (hypersécrétion d'œstrogènes) [11, 22],
- tumeurs germinales (hypersécrétion d'HCG) [3],
- tumeurs à cellules de Sertoli (hyper aromatisation des
androgènes),
- hypogonadismes congénitaux ou acquis (syndrome de
Klinefelter, traumatisme, torsion, radiothérapie, chimiothérapie),
Sur le plan biologique, le bilan hormonal doit comporter : FSH, LH, prolactinémie, œstradiol et testostérone
plasmatique, HCG et TeBG.
- pseudo hermaphrodisme (déficit enzymatique),
En fonction des résultats de ce bilan hormonal, un complément plus orienté peut être demandé : une échographie testiculaire, un bilan thyroïdien, hépatique ou surrénalien.
• Les étiologies tumorales non génitales :
- syndrome de résistance aux androgènes.
- surrénaliennes (hypersécrétion d'œstrogènes et/ou
d'androstenedione),
- bronchiques (épidermoïde),
- hépatiques (hépatoblastome),
- rénales, cérébrales,
ETIOLOGIES
Il est difficile de définir avec précision la fréquence de
survenue d'une gynécomastie pour les différentes étiologies citées car il s'agit pour certaines de cas sporadiques rapportés dans la littérature et pour d'autres de
manisfestations plus fréquentes qui correspondent en
fait à des effets secondaires indésirables.
- adénome à prolactine [13].
• Les étiologies iatrogènes représentent la cause la
- dénutrition sévère,
• Les étiologies métaboliques :
- alcoolisme et cirrhose (élévation de la TeBG et augmentation de l'œstradiol libre et abaissement de la testostérone libre) [16, 18, 30],
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J.L. Pariente et coll., Progrès en Urologie (1999), 9, 1132-1135
- insuffisance rénale,
TROIS CAS PARTICULIERS
- hyperthyroïdie (élévation de la TeBG) [12].
• La poussée mammaire néonatale : il s'agit d'une
manifestation assez fréquente, touchant près de deux
tiers des nourrissons. Elle survient plus précocement
chez le garçon que chez la fille. On identifie trois
stades : le stade I correspondant à une tuméfaction sous
aréolaire du mammelon, le stade II, cette tuméfaction
déborde l'aréole et un stade III où à la tuméfaction
s'ajoute un écoulement mamelonnaire. Cette poussée
mammaire néonatale est spontanément résolutive et ne
nécessite aucun traitement.
• Les étiologies diverses :
- hyperstimulation du mamelon (sexuelle ou névrotique),
- idiopathiques.
EVOLUTION
L'évolution est variable selon l'étiologie.
Les gynécomasties peuvent quelquefois disparaître
spontanément, mais le plus souvent cela dépend de la
cause. Cependant, si le degré de fibrose est important
(surtout quand la gynécomastie est ancienne), la régression ne sera pas obtenue malgré la suppression de la
cause.
• La poussée mammaire pubertaire : cette manifestation est également très fréquente touchant près de la
moitié des garçons [15]. Elle survient aux alentours de
13-14 ans et on retrouve souvent une notion héréditaire. Il s'agit d'une tuméfaction bilatérale de petite taille,
sensible, voire douloureuse à la palpation. Elle peut
quelquefois se compliquer. La régression spontanée est
classique en un à deux ans. C'est la raison pour laquelle l'abstention thérapeutique est la règle. Cependant, en
cas de persistance d'une tuméfaction inesthétique, un
traitement chirurgical peut être proposé.
Les différentes complications connues en pathologie
mammaire chez la femme peuvent survenir, à savoir
des kystes, des fibro-adénomes ou une inflammation
locale. La dégénérescence est exceptionnelle sauf pour
le patient porteur d'un syndrome de Klinefelter.
La gynécomastie du vieillard : c'est une manifestation
qui est assez rare. Il faudra distinguer cette manifestation d'une gynécomastie iatrogène liée aux traitements
médicaux. Il s'agit le plus souvent d'une gynécomastie
liée à un hypogonadisme.
TRAITEMENT
Le traitement médical est assez décevant. On peut utiliser, selon les étiologies une androgénothérapie per
cutanée, du tamoxifène, du danazol, ou de la bromocriptine [4, 14,16,17].
CONCLUSION
Chez les patients traités pour un cancer de la prostate
on peut tenter un changement d'anti-androgène sans en
attendre un résultat parfait. Certains auteurs ont même
pu proposer une radiothérapie localisée, préventive ce
qui paraît un peu lourd [14].
Le traitement chirurgical s'adresse aux patients présentant des complications ou chez qui la persistance d'une
gynécomastie est gênante sur le plan esthétique. Ce
traitement chirurgical ne résoud pas le problème étiologique.
L'augmentation du volume mammaire ne suffit pas
pour porter le diagnostic de gynécomastie. L'urologue
doit savoir prendre en charge ces patients et réaliser un
bilan étiologique précis pour proposer un traitement
adapté au contexte.
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85-89.
- Le plus classique est une mastectomie sous-cutanée
réalisée par une incision péri-aréolaire [8, 19, 24, 26].
Un excès de peau peut être corri gé par une bourse. Un
pansement compressi f est nécessaire pendant
quelques jours. La compl ication la plus fréquente est
une invagination du mamelon. Si une incision périaréolaire n'est pas réalisée la cicat rice peut être inesthétique.
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Commentaire d’Albert Leriche, Unité d’Urologie, Hôpital
Henry Gabrielle, Saint Genis Laval.
Cet article très intéressant expose de manière claire, synthétique
et concise une pathologie à laquelle tout urologue a été confronté un jour ou l’autre. Cet article représente une véritable mise au
point de la gynécomastie en citant de façon exhaustive les différentes étiologies et en donnant une conduite à tenir claire et
précise.
Outre l’examen clinique et le bilan biologique hormonal, l’échographie testiculaire doit bien évidemment être réalisée, d’après
nous, au moindre doute.
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19. PARK A.J., LAMBERTY B.G. : Gynaecomastia: have Webster's lessons been ignored? J.R. Coll. Surg. Edinb., 1998, 43, 89-92.
20. PONS J.Y. : Pathologie du sein masculin. in : Andrologie (tome 1),
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SUMMARY
Gynaecomastia : a review.
22. SCIARRA A., CASALE P., Di NICOLA S., Di CHIRO C., Di SILVERIO F.,: Hormonal profile of patients with Leydig cell tumors: a
urologic cause of gynecomastia. Minerva Urol. Nefrol., 1998, 50,
241-246.
Gynaecomastia is the least rare manifestation of the male breast
disease. Urologists must therefore be able to distinguish the
various forms of gynaecomastia, eliminate a testicular tumour
and identify the main causes by performing a simple but com plete assessment. Medical treatment is fairly disappointing.
Surgical treatment is required in patients presenting with com plications or when persistent gynaecomastia is aesthetically
bothersome.
23. SEIBEL V., MULLER H.H., KRAUSE W. : Incidence of gynecomastia in dermatology patients. Hautarzt., 1998, 49, 382-387.
Key words : Gynaecomastia, androgens, testicular cancer,
adverse effects, drugs.
21. SCHURMANN D., BERGMANN F., EHRENSTEIN T., PADBERBG J. : Gynaecomastia in a male patient during protease inhibitor treatment for acute HIV disease. AIDS 1998, 12, 12, 2232-2233.
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