FORUM FINANCIER BELGE comité de Verviers Eupen

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FORUM FINANCIER BELGE
comité de Verviers Eupen
Séminaire du 24 novembre 2010
LA LOI SUR LA CONTINUITE DES ENTREPRISES :
PREMIERS ENSEIGNEMENTS
LE CREANCIER FACE A LA PROCEDURE DE REORGANISATION JUDICIAIRE
BERNARD LEROY,
avocat au Barreau de Verviers.
Frederick, Leroy, Henry et Masset
INTRODUCTION
La loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises connaît, depuis son entrée en
vigueur, un incontestable succès. Elle remplace l'ancienne loi sur le concordat judiciaire qui s'était
avérée trop lourde et trop coûteuse et avait suscité une grande méfiance aussi bien dans le chef des
débiteurs qui perdaient le contrôle de leur entreprise que dans le chef des partenaires commerciaux
et des créanciers en raison notamment de l'ambiguïté du rôle du commissaire au sursis.
La législation actuelle donne résolument la priorité à la prévention et à l'aide aux entreprises.
Le débiteur garde le contrôle de ses affaires, bénéficie d'un éventail de possibilités et est ainsi
encouragé à recourir plus tôt à l'aide qui lui est offerte par la loi, ce qui permet d'espérer de
meilleurs chances de redressement.
L'objectif de la loi est de permettre aux entreprises de surmonter leurs difficultés, voire de corriger
leurs erreurs tout en maintenant l'activité économique et en sauvegardant un maximum d'emplois.
La loi envisage même la possibilité de sauver l'entreprise en difficulté malgré elle, toujours dans un
but de continuité et de maintien de l'emploi.
La protection que l'on offre à l'entreprise en difficulté est perçue de façon radicalement différente si
l'on se place du point de vue des créanciers. Il existe et existera toujours un conflit inévitable entre
d'une part, la protection et le sauvetage d'une entreprise en difficulté et d'autre part, les droits de ses
créanciers.
Ceux-ci, de façon compréhensible, restent réservés, sinon carrément méfiants à l'égard des
« faveurs » accordées à leur débiteur par la loi actuelle.
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La principale crainte des créanciers est évidemment de voir leur situation se dégrader : ils n'ont plus
entière confiance dans leur débiteur alors que celui-ci, qui bénéficie d'un sursis, est laissé à la tête
de son entreprise; ils considèrent que le Tribunal de Commerce ne dispose que de pouvoirs limités
tant à l'ouverture de la procédure qu'au long de celle-ci et lors de l'homologation du plan de
réorganisation .
D'autre part, les créanciers qui bénéficient de garanties craignent de les voir se détériorer au cours
du sursis sans qu'ils aient de réelles possibilités d'intervenir.
« Les créanciers d'une entreprise en difficulté sont d'autres entreprises en recherche de stabilité, des
travailleurs ou des institutions publiques ou d'intérêt public, pour qui la sécurité des échanges
constitue le socle indispensable à leur survie ou à l'efficacité des politiques collectives ou de
solidarité » (Michèle GREGOIRE « Le point de vue des créanciers face à la réorganisation de
l'entreprise de leur débiteur » CUP vol. 120, p. 208).
Il ne faut évidemment pas que la continuité des entreprises en difficulté se fasse au détriment des
entreprises saines ; le but de la loi n'est évidemment pas de permettre à des « canards boiteux » de
prolonger leur existence de façon artificielle et injustifiée dans le cadre de « soins intensifs »
susceptibles de créer une concurrence déloyale ou de mettre d'autres entreprises en difficulté.
C'est dans cet esprit qu'il a paru intéressant d'examiner la loi sous l'angle des droits des créanciers et
des moyens d'action dont ils disposent.
L'exposé sera divisé en trois parties envisageant le point de vue des créanciers, dans le cadre de la
loi relative à la continuité des entreprises, selon qu'on se situe avant ou en dehors de toute procédure
collective, pendant la procédure de réorganisation judiciaire et à l'issue de celle-ci.
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I. LE CREANCIER AVANT UNE PROCEDURE COLLECTIVE.
1.
La prévention
L'article 12 §1er de la L.C.E. prévoit que les chambres d'enquêtes commerciales « suivent la
situation des débiteurs en difficulté en vue de favoriser la continuité de leur entreprise ou de leurs
activités et d'assurer la protection des droits des créanciers ».
C'est donc dans ce double but que la loi donne de réels pouvoirs au juge enquêteur et prévoit des
mesures conservatoires.
Le sujet de la prévention sera abordé de façon approfondie par Madame le Juge Nathalie
BONHOMME et nous faisons donc ici référence à son exposé.
2. Les moyens d'action du créancier.
En dehors de toute procédure collective, le créancier a naturellement la possibilité d'agir
librement en récupération de sa créance par toutes les voies normales lui permettant de prendre des
2
mesures conservatoires, d'obtenir un titre et de le mettre à exécution. L'article 584, 3° du code
judiciaire autorise toutes les mesures provisoires et urgentes de même que la désignation en référé
d'un administrateur provisoire (de droit commun) lequel peut être compétent pour déposer une
requête en réorganisation judiciaire (comm.Verviers, 10/11/2010, inédit aff. DELOS France).
La loi sur la continuité des entreprises donne une autre possibilité intéressante : son article 14
permet en effet à « tout intéressé » de saisir - selon les formes du référé - le Président du Tribunal de
commerce, en cas de manquements graves et caractérisés du débiteur, aux fins de voir désigner un
ou plusieurs mandataires de justice. Il faut préciser que les « manquements graves » dont il est
question ne sont pas nécessairement des « fautes » au sens de l'article 28, ils peuvent être
simplement des évènements qui menacent la continuité de l'entreprise (divergences entre associés,
démissions d'administrateurs, ...).
D'autre part, l'initiative permise par l'article 14 n'est pas supprimée en cas de procédure de
réorganisation judiciaire, elle peut être exercée à tout moment (A. ZENNER, J.Ph .LEBEAU, C.
ALTER « la loi relative à la continuité des entreprises à l'épreuve de sa première pratique », n°65) .
Si cela devient nécessaire, le créancier, dispose également de l'article 8 de la loi sur les faillites qui
permet à « tout intéressé » de saisir le Président du Tribunal de Commerce s'il existe des indices
graves, précis et concordants de la réunion des conditions de la faillite et lorsqu'il y a (simplement)
« urgence » (et non plus comme précédemment « absolue nécessité »). Le Président peut ordonner
le désaisissement du débiteur et désigner un ou plusieurs administrateurs provisoires chargés de
citer en faillite dans la quinzaine, s'il y a lieu. L'administrateur provisoire art.8 LF est compétent lui
aussi pour déposer s'il y a lieu une requête en réorganisation judiciaire.
Rappelons enfin les dispositions de l'article 182 du code des sociétés (action en dissolution) et, bien
entendu, la possibilité de citer directement en faillite lorsque les conditions sont réunies.
3.
L'accord amiable sans procédure
Une des originalités de la L.C.E. est de permettre, en dehors de toute procédure, la conclusion d'un
accord amiable entre le débiteur et deux ou plusieurs de ses créanciers.
Le contenu de cet accord est tout à fait libre, l'accord ne donne lieu à aucune publicité et n'est
exposé à aucun contrôle. Par le dépôt de l'accord au greffe du Tribunal de Commerce – dépôt qui
peut rester confidentiel – les créanciers concernés obtiennent la garantie qu'en cas de faillite
subséquente, les articles 17, 2° et 18 de la loi sur les faillites ne seront pas applicables.
L'article 17,2° de la L.F. prévoit l'inopposabilité à la masse de « tous paiements, soit en espèces, soit
par transport, vente, compensation ou autrement, pour dettes non échues et pour dettes échues, tous
paiements faits autrement qu'en espèces ou effets de commerce ».
L'article 18 vise la possibilité pour le curateur de faire déclarer inopposables tous les autres
paiements faits par le débiteur avec connaissance dans le chef de celui qui le reçoit, de l'état de
cessation de paiement de son débiteur .
Avec Maître Pierre RAMQUET, on peut regretter que cette exemption ne soit pas étendue à l'article
17,3° de la L.F. (constitution d'hypothèques ou de garanties pour dettes antérieurement contractées),
ce qui aurait eu pour avantage de favoriser la négociation du débiteur avec son banquier (Pierre
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RAMQUET « Un an d'application de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité de
l'entreprise. L'information, l'accord amiable et la réorganisation par accord amiable ou collectif des
créanciers » Commission Université Palais, vol. 120, p. 90).
La confidentialité de l'accord amiable laisse naturellement les autres créanciers dans l'ignorance
totale de cet accord, mais il ne faut pas oublier que ceux-ci conservent la plénitude de leurs droits.
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II. LE CREANCIER DANS LA PROCEDURE DE REORGANISATION JUDICIAIRE.
L'article 16 de la loi qui définit le but de la procédure de réorganisation judiciaire prévoit que celuici est « de préserver, sous le contrôle du Juge, la continuité de tout ou partie de l'entreprise en
difficulté ou de ses activités ».
L'intérêt et les droits des créanciers ne sont pas expressément visés, l'accent est mis sur la continuité
de l'entreprise et sur le triple choix qui lui est offert.
Nous verrons toutefois que tout au long des différentes procédures, les créanciers gardent des
possibilités significatives d'intervention ou de recours.
1. Les différentes sortes de créanciers.
L'article 2 de la loi définit les différentes sortes de créanciers en adoptant un nouveau vocabulaire
justifié par le fait que la procédure en réorganisation judiciaire ne crée pas de concours entre les
créanciers et afin de ne pas créer de confusion avec les autres situations de concours; cela modifie
assez sensiblement les catégories habituelles puisque, en l'espèce, les créanciers qui bénéficieraient
d'un privilège « général » ne peuvent logiquement l'exercer et sont mis sur le même pied que les
créanciers ordinaires. Cette seule question à fait l'effet d'une véritable révolution et provoqué une
abondante jurisprudence concernant notamment les droits du fisc et de l'ONSS.
Les créanciers sont définis en fonction du caractère de leurs créances, à savoir :
Créances sursitaires : il s'agit des créances nées avant le jugement d'ouverture de la
procédure, ou les créances nées du dépôt de la requête ou des décisions prises dans le cadre
de la procédure (cela vise notamment l'hypothèse de l'article 35 §2, cas où le débiteur décide
de ne plus exécuter un contrat en cours et s'expose à des dommages et intérêts, ou encore la
créance de la TVA en remboursement de taxes récupérées par les créanciers en cas
d'abattement prévu au plan )
Créances sursitaires extraordinaires : il s'agit des créances garanties par un privilège spécial
ou une hypothèque de même que les créances « créanciers propriétaires ».
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Créanciers propriétaires : personne dans le chef de laquelle sont réunies simultanément les
qualités de titulaire d'une créance sursitaire et de propriétaire d'un bien meuble corporel qui
n'est pas en sa possession et qui fait office de garantie (c'est le cas par exemple de la vente
avec une clause de réserve de propriété, ou du leasing d'un bien meuble corporel, les
immeubles étant exclus).
Créances sursitaires ordinaires : toutes les créances sursitaires qui ne sont pas
extraordinaires .
En dehors de ces créanciers concernés par le sursis, il existe naturellement d'autres
créanciers « non sursitaires » qui seront confrontés à la procédure de réorganisation
judiciaire; il s'agit notamment des titulaires de créances nées postérieurement au jugement
d'ouverture de la procédure, c'est-à-dire durant le sursis ou après celui-ci.
2. L’information des créanciers
a) Dispositions générales
En dehors des créanciers concernés par l'article 22 de la loi (effets du dépôt de la requête) qui seront
nécessairement avertis, il n'est pas prévu de publicité particulière pour le dépôt de la requête
initiale; cela paraît normal car il s'agit d'une procédure sur requête unilatérale menée au départ avec
discrétion et ce, d'autant plus que la demande en réorganisation peut être rejetée si les conditions ne
sont pas réunies.
L'article 26 §1er prévoit la publication au Moniteur Belge du jugement d'ouverture de la procédure
de même que les différentes mentions obligatoires (il n’y a plus de publication dans les journaux) ;
le §2 du même article précise que le débiteur doit lui-même aviser individuellement ses créanciers
des mêmes données et ce, dans les 14 jours du prononcé du jugement.
Aucune publicité n'est prévue par l'article 38 dans le cas d'une prorogation du sursis.
L'article 39 qui prévoit la possibilité de modifier l'objectif de la procédure ne prévoit que la seule
publication au Moniteur. On remarquera dès lors que si le transfert d'entreprise n'est envisagé que
via une modification de l'objectif de la procédure, ce qui est fréquent, les créanciers ne doivent pas
en être avertis individuellement, contrairement à l'hypothèse où le transfert d'entreprise est envisagé
dès le début.
b) La réorganisation par accord collectif
L'article 45 exige du débiteur lui-même qu'il communique à chacun de ses créanciers sursitaires le
montant de sa créance dans les 14 jours du prononcé du jugement qui ouvre la procédure avec la
mention éventuelle du privilège spécial et de son assiette ou du bien dont le créancier est
propriétaire.
Lorsque le plan de réorganisation est déposé au greffe, les créanciers en sont individuellement
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avisés par les soins du greffier.
Il n'est pas prévu que le greffe adresse copie du plan de réorganisation à chacun des créanciers mais
il va de soi que le débiteur, qui souhaite le vote favorable de ses créanciers, prendra soin lui-même
de l'adresser à chacun.
c) L’information des travailleurs
Une attention toute particulière est réservée aux travailleurs, la loi prévoyant à diverses reprises
l'obligation pour le débiteur de respecter strictement les obligations légales et conventionnelles
d'information et de consultation des travailleurs ou de leurs représentants (article 17 §2 9°). Les
mêmes dispositions sont visées aux articles 15 (accord amiable sans procédure) et 43
(réorganisation judiciaire par accord amiable).
Dans le cas d'une réorganisation par accord collectif, le plan social devra être négocié avec les
travailleurs et ceux-ci devront être entendus par le tribunal (article 49). Les obligations sont plus
strictes encore dans l'hypothèse d'un transfert d'entreprise (voir à cet égard les articles 59, 61, 62 et
64).
d) Le transfert d’entreprise
Le transfert d’entreprise se fera sans information spécifique pour les créanciers sursitaires
ordinaires; ce n'est qu'à l'issue de la procédure que l'article 64 prévoit la publication du jugement
autorisant la vente au Moniteur Belge et la communication de ce jugement aux créanciers par les
soins du mandataire de justice chargé du transfert.
N'oublions cependant pas qu'au départ tous les créanciers doivent être avisés individuellement du
jugement d'ouverture de la procédure et ce, quel que soit l'objectif poursuivi, et que le juge délégué
est expressément chargé par l'article 19 de veiller au respect de cette formalité prévue par l'article 26
§2.
A partir de ce moment, le créancier avisé sera à même de prendre par lui-même toute initiative pour
compléter son information puisqu'il dispose, ainsi qu'il est exposé ci-après, de l'accès libre au
dossier du greffe; il pourra également, s'il le juge utile, intervenir volontairement à la cause à tout
moment (art.5 al.5) .
Ajoutons que les créanciers inscrits sur les immeubles ou sur le fonds de commerce sont
obligatoirement entendus dans l’hypothèse de la vente des biens qui sont l’objet des garanties dont
ils disposent
3. L'accès au dossier de la réorganisation judiciaire.
L'article 20 de la L.C.E. précise qu'est tenu au greffe un dossier où figurent tous les éléments relatifs
à la procédure et au fond de l'affaire. Le dossier comportera donc dès le départ la requête
introductive, de même que toutes ses annexes prévues à l'article 17 §2, annexes qui doivent être
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déposées soit en même temps que la requête, soit au plus tard dans les 14 jours du dépôt de celle-ci.
Les annexes comportent des éléments précieux pour les créanciers : l'objectif de la procédure, les
deux derniers comptes annuels, la situation active et passive et un compte de résultats récent (moins
de trois mois), les prévisions d'encaissement pour la durée du sursis et la liste complète des
créanciers sursitaires avec mention des éventuelles créances sursitaires extraordinaires.
Le débiteur a bien évidemment un devoir de sincérité et de loyauté dans le dépôt des pièces annexes
mais veiller au respect des dispositions de l'article 17 fait partie des missions spécifiques du Juge
délégué.
Il faut enfin rappeler que l'article 41 §2 permet au tribunal de statuer d'office sur la fin de la
procédure si les pièces visées à l'article 17 §2 1° 9° ne sont pas déposées au plus tard dans les 14
jours du dépôt de la requête.
L'article 20 de la L.C.E. accorde l'accès au dossier de tout créancier et, sur autorisation du juge
délégué, de toute personne justifiant d'un intérêt légitime; les intéressés peuvent donc prendre
connaissance du dossier mais aussi en obtenir copie moyennant paiement des droits de greffe.
L'article 20 comporte également une disposition importante pour créanciers : « Le dépôt d'un titre
par le créancier au dossier de la réorganisation judiciaire interrompt la prescription de la créance.
Il vaut également mise en demeure » (départ du cours de intérêts).
Enfin, l'article 21 permet à « tout intéressé » de demander au tribunal qu'il ordonne le dépôt au
dossier de la réorganisation d'un document qui serait susceptible d'influencer la procédure.
Le dossier de la réorganisation judiciaire est donc l'outil de base pour l'information des créanciers et
de tout intéressé. Il est trop peu consulté ce qui est dommage, d'autant plus que les greffes des
tribunaux de commerce sont très généralement aimables et serviables.
4. Le créancier « paralysé »par le sursis.
a) Le principe
Le seul dépôt de la requête a déjà des effets importants prévus par l'article 22 de la L.C.E., à savoir
que dans l'attente du jugement :
Aucune faillite ne peut être déclarée ni aucune dissolution judiciaire prononcée dans le cas
d'une société;
Aucune réalisation de biens meubles et immeubles ne peut intervenir dans le cadre de
l'exercice d'une voie d'exécution.
A noter toutefois que l'expulsion d'un locataire dont le bail a pris fin reste toujours possible, il en est
de même de la reprise par le légitime propriétaire de biens confiés en dépôt ou en consignation et
n'ayant pas fait l'objet d'une vente (voir à ce sujet A. ZENNER, J.Ph. LEBEAU, C. ALTER « La loi
relative à la continuité des entreprises à l'épreuve de sa première pratique » n° 105 et suivants).
Les articles 30 et 31 précisent quant à eux les effets du jugement ouvrant la procédure en
réorganisation judiciaire.
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Aucune voie d'exécution des créances sursitaires ne peut plus être poursuivie sur les biens du
débiteur au cours du sursis; le débiteur ne peut plus être déclaré en faillite ou une société ne peut
plus être dissoute judiciairement; aucune saisie ne peut plus être pratiquée du chef des créances
sursitaires, les saisies antérieures gardent toutefois leur caractère conservatoire.
Le passif sursitaire, sans qu'il soit distingué entre les créances sursitaires ordinaires ou
extraordinaires se trouve ainsi « gelé » ce qui constitue pour le débiteur une protection provisoire
indispensable pour lui permettre de mener les démarches et les négociations nécessaires à la
réalisation de l'objectif fixé pour la procédure.
b) Les exceptions
Cette paralysie des créanciers est toutefois tempérée par un certain nombre de dispositions de la loi
elle-même ou de lois particulières dont les effets sont maintenus :
Les saisies pratiquées antérieurement gardent un caractère conservatoire. Cela signifie que
les biens et valeurs, objets de la saisie sont intégralement indisponibles, même s'ils restent
dans le patrimoine du débiteur.
L'article 32 prévoit que le sursis n'affecte pas le sort des « créances spécifiquement gagées
au profit de tiers ». Ces créances doivent être parfaitement identifiées (ex: créances données
en gage en vue du remboursement d'une avance sur facture); cela ne concerne pas le gage
sur fonds de commerce qui comprend les créances dans leur globalité lesquelles ne sont
donc pas « spécifiquement » gagées. De plus, la saisie des éléments du fonds de commerce
même si elle identifie de façon précise des créances ne transforme pas celles-ci en
« créances spécifiquement gagées » (A.Zenner, J.Ph.Lebeau, C.Alter, o.c. p.161).Ne sont pas
non plus spécifiquement gagées, les créances, visées dans leur généralité par les conditions
générales de crédit des organismes bancaires.
Les créances sursitaires peuvent être l'objet de paiements volontaires par le débiteur (article
33); cette disposition qui pourrait être source d'abus, doit recevoir application de façon
raisonnable; les paiements volontaires autorisés ne peuvent naturellement être faits que dans
le but de servir la continuité de l'entreprise (fournisseurs de biens ou de services
incontournables par exemple). La surveillance du débiteur à ce sujet fait partie des missions
du juge délégué.
Le sursis ne profite pas aux codébiteurs ni aux débiteurs de sûretés personnelles.
L'action directe instituée par l'article 1798 du code civil n'est pas entravée. Cela rend
particulièrement délicate une réorganisation judiciaire dans le secteur de la construction.
Les dispositions de la loi du 15 décembre 2004 relatives aux sûretés financières restent
d'application (le Tribunal de Commerce de Verviers a autorisé la conservation par une
banque des fonds perçus via le compte du débiteur dans le cadre de l'activité de celui-ci
postérieure au sursis; comm. Verviers, 26/08/10, inédit aff. Zegels c/ Fortis banque).
La compensation entre créances sursitaires et créances nées au cours du sursis reste permise
en cas de connexité.
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La procédure ne met pas fin aux contrats en cours ni aux modalités de leur exécution à la
condition, en cas de manquement du débiteur, que celui-ci ait mis fin à ce manquement dans
les 15 jours d'une mise en demeure adressée par le créancier. En mettant fin à son
manquement, le débiteur paie une créance sursitaire.
Les contrats en cours à prestations successives ne sont pas soumis au sursis pour ce qui
concerne les prestations effectuées au cours de celui-ci.
Les retenues sociales et fiscales légales : l'article 30 bis de la loi sur la sécurité sociale des
travailleurs et les articles 402, 403 du CIR 92 impose aux cocontractants des entreprises en
retard de paiement d'opérer sur chaque facture une retenue de 35 % au profit de l'O.N.S.S.
Et de 15 % au profit du fisc; à défaut, les cocontractants en question sont solidairement
responsables des dettes de l'entrepreneur. En cette matière, deux arrêts contraires ont été
rendus, l'un par la Cour d'Appel de Liège qui a considéré que la responsabilité solidaire
prévue par les dispositions sociales et fiscales tombe sous l'application de l'article 33 de la
L.C.E. qui dispose que le sursis ne profite pas aux codébiteurs ni aux débiteurs de sûretés
personnelles .La Cour du Travail de Mons quant à elle a considéré au contraire que les
dispositions de l'article 30bis de la loi sur la sécurité sociale et celles des articles 402 et 403
du CIR 92 devaient être suspendues en raison des effets légaux du jugement de
réorganisation prévus par les articles 30 et 31 de la L.C.E. (voir à ce sujet A. ZENNER et
JPH LEBEAU et C. ALTER n° 108 à 110).
En ce qui concerne les créances se rapportant à des prestations effectuées pendant la durée
du sursis, celles-ci sont considérées par l'article 37 de la L.C.E. comme des « dettes de
masse dans une faillite ou liquidation subséquentes survenues au cours de la période de
réorganisation ou à l'expiration de celle-ci, dans la mesure où il y a un lien étroit entre la fin
de la procédure de réorganisation et cette procédure collective » (article 37 al.1er).Il s'agit
d'une garantie importante donnée aux cocontractants du débiteur durant la période du sursis
et qui a manifestement pour objectif de favoriser le maintien des relations entre le débiteur
et ses fournisseurs durant cette période. Ce « superprivilège » est cependant affaibli par les
dispositions de l'alinéa 3 qui précise que « le paiement des créances sera toutefois prélevé
par priorité sur le produit de la réalisation de biens sur lesquels un droit réel est établi que,
dans la mesure où ces prestations ont contribué au maintien de la sûreté ou de la
propriété ». La protection que le législateur a voulu accorder aux contractants du débiteur
pendant le cours du sursis, est donc le plus souvent inefficace si les biens du débiteur sont
hypothéqués ou gagés.
Le créancier et le plan de réorganisation judiciaire.
a) La détermination des créances.
En vertu de l'article 45, le débiteur doit communiquer à chacun de ses créanciers le montant de la
créance avec la mention éventuelle de son caractère extraordinaire. Ce n'est donc plus le créancier
qui a l'obligation de déclarer sa créance, comme cela était le cas dans la loi sur le concordat
judiciaire. Rappelons toutefois les effets de article 20 al.3 en cas de dépôt d'un titre par le créancier.
En cas de contestation du montant ou de la qualité de sa créance, c'est, cette fois, le créancier lui9
même qui, dans l'hypothèse d'un désaccord persistant, portera la contestation devant le tribunal
(procédure contradictoire par citation ou comparution volontaire).
Il en est de même pour tout autre intéressé qui se prétend créancier sans être repris sur la liste; cette
hypothèse pose toutefois un problème en ce sens que, non mentionné par le débiteur, ce créancier
n'aura reçu aucune information – en dehors du moniteur belge - l'avertissant de la procédure. Tout
créancier doit donc être vigilant, voire « pro actif » et est en quelque sorte le premier garant de ses
propres intérêts.
Il est à noter que tout intéressé peut, par les mêmes voies, contester toute créance sursitaire en
dirigeant son action contre le débiteur et le créancier contesté.
Le tribunal, après avoir entendu les intéressés, statue définitivement ou provisoirement; il peut
également renvoyer les parties devant un autre tribunal qui serait compétent.
L'article 46 §4 prévoit même que le tribunal peut être saisi par requête unilatérale du débiteur ou
d'un créancier et – en cas d'absolue nécessité – modifier la décision qui détermine le montant et la
qualité de la créance sursitaire.
L'article 46 qui règle toute cette procédure précise en son paragraphe 6 que la liste définitive et
complète des créanciers devra être corrigée et déposée au plus tard 8 jours avant l'audience prévue
pour le vote des créanciers.
Cette liste qui est la liste de départ visée par l'article 17 §2,7°, ainsi corrigée et/ou complétée est
déposée au dossier de la réorganisation judiciaire.
b) Le contenu du plan.
Le plan doit obligatoirement décrire les droits de toutes les personnes titulaires de créances
sursitaires ou de créances à naître du fait du vote ou de l'homologation du plan (article 48).
Dans sa partie descriptive, le plan de réorganisation doit renseigner les créanciers sur les difficultés
de l'entreprise, sur le déroulement de l'activité poursuivie durant le sursis et sur les mesures prises
ou à prendre pour assurer le retour à une rentabilité; ces éléments sont essentiels pour fonder la
crédibilité du plan. Un rapport doit également être fait au sujet des contestations de créances
Le plan, en sa partie prescriptive doit indiquer les délais de paiement, les abattements éventuels et
d'une façon générale, toute mesure affectant les droits de chacun des créanciers. L'information doit
être complète et transparente sur le sort réservé aux différentes créances.
L'intérêt du débiteur est d'éclairer parfaitement ses créanciers en vue d'obtenir leur vote favorable.
c) Le règlement différencié de certaines catégories de créances.
L'article 49 précise que le plan peut parfaitement prévoir un règlement différencié de certaines
catégories de créances « notamment en fonction de leur ampleur ou de leur nature ».
Les entreprises en réorganisation judiciaire ne se privent pas de profiter de cette faculté et font
preuve d'une très grande imagination dans la définition des catégories de créances.
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Cette seule question de la différenciation entre créanciers donne lieu à un abondante jurisprudence
de même qu'à de très importants commentaires. La plupart des auteurs s'accordent sur le fait que
les catégories doivent être claires et précises et basées sur des critères objectifs et sincères. La
différenciation ne peut entraîner des conséquences qui seraient contraires à la loi.
Pour le surplus, référence est fait à l'article à paraître de Maître Alain ZENNER, article très
documenté et qui examine cette question dans le détail et avec de nombreuses références.
L'article 50 de la L.C.E. contient une protection particulière pour les créanciers sursitaires
extraordinaires dont les droits ne peuvent être suspendus par le plan pour une durée supérieure à 24
mois à dater du dépôt de la requête (ou à 36 mois dans des conditions bien précises). Aucune autre
mesure ne sera admise concernant les créanciers sursitaires extraordinaires sauf leur consentement
individuel ou l'accord amiable conclu conformément aux articles 15 ou 43 de la L.C.E.
d) Le vote des créanciers.
Pour produire ses effets, le plan de réorganisation doit être approuvé à la double majorité des
créanciers et ensuite homologué par le tribunal.
Le vote des créanciers est donc indispensable et le plan doit recueillir le vote favorable d'une
majorité de créanciers représentant au moins la moitié de toutes les sommes dues en principal. Mais
les créanciers qui n'ont pas participé au vote et les créances qu'ils détiennent ne sont pas pris en
comptes pour le calcul des majorités. Le rôle des créanciers est donc en principe un rôle
extrêmement important puisque c'est finalement de leur décision que dépend la réussite de la
réorganisation judiciaire.
On peut donc s'étonner de la passivité voire du désintérêt de bon nombre de créanciers pour le
résultat des votes. Les créanciers personnellement présents sont rares, le débiteur ayant pris soin
d'obtenir au préalable des procurations afin de s'assurer par avance de la réunion des majorités
requises.
La loi prévoit néanmoins en son article 54 qu'à l'audience fixée pour le vote, les créanciers peuvent
être entendus ce qui ne sera généralement le cas que pour les créanciers qui ont pris la peine de se
déplacer pour voter négativement.
Il faut préciser que l'article 5 al.6 de la loi prévoit qu'à défaut d'une intervention volontaire en bonne
et due forme, les créanciers entendus , même s'ils déposent une note écrite, n'acquièrent pas de ce
seul fait la qualité de « partie »; cette disposition est importante en matière de recours.
Le créancier et le transfert d'entreprise.
Ainsi que cela a été souligné ci-avant, dans l'hypothèse du transfert d'entreprise, les créanciers ne
sont avertis individuellement que si le transfert constitue l'objectif initial de la procédure introduite
par le débiteur.
Aucune information spécifique n'est prévue dans l'hypothèse, pourtant fréquente, où le transfert
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d'entreprise n'est envisagé que par une modification de l'objectif de la procédure en application de
l'article 39. Quoi qu'il en soit, le créancier attentif, quelle que soit la qualité de sa créance, dispose
des moyens nécessaires pour parfaire son information notamment par l'accès au dossier de la
réorganisation judiciaire. Il garde également toujours la possibilité de faire intervention volontaire.
La réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice oblige le tribunal dans toutes les
hypothèses à désigner un mandataire de justice « chargé d'organiser et de réaliser le transfert au
nom et pour compte du débiteur »; Ce mandataire de justice désigné par le tribunal est donc une
garantie pour les créanciers : le choix par le tribunal des mandataires de justice est fonction de leurs
qualités, l'article 71 exige « des garanties de compétence, d'expérience, d'indépendance et
d'impartialité » ; au sujet du rôle du mandataire dans la procédure, nous pouvons ici faire référence
à l'exposé de Monsieur Paul LAHAYE.
Le tribunal devra entendre les créanciers hypothécaires et les créanciers bénéficiant d'un privilège
spécial, dans l'hypothèse où la vente porte sur un immeuble ou sur un fonds de commerce. Ces
créanciers ont donc voix au chapitre et peuvent, en intervenant volontairement, exercer une
influence sur le prix de vente minimum que peut fixer le Tribunal de Commerce.
Les représentants du personnel doivent eux aussi être entendus (article 64).
Enfin, pour ce qui concerne la distribution du prix du transfert, l'article 65 n'est pas rédigé de façon
parfaite et a donné lieu à des interprétations diverses.
Il semble toutefois qu'une majorité se dégage pour préciser que le prix des meubles est perçu et
distribué par le mandataire de justice lequel doit respecter les dispositions des articles 1627 et
suivants du code judiciaire. Ce n'est que dans l'hypothèse d'une vente publique qu'un huissier de
justice doit être désigné pour procéder à la vente des meubles et à la distribution du prix.
En ce qui concerne les immeubles, l'acte doit être passé par l'office du notaire qui a rédigé le projet
et c'est également le notaire qualifié de façon ambiguë de « mandataire de justice commis » qui aura
la responsabilité de répartir leur prix de vente.
7. Le transfert d'entreprise : alternative intéressante à la faillite.
L'hypothèse du transfert sous autorité de justice, dans le cadre de la procédure en réorganisation
judiciaire, comporte, du point de vue des créanciers, plusieurs avantages intéressants sur celle d'une
réalisation après faillite des biens du débiteur :
meilleure réalisation probable des actifs (le débiteur y participe et reste concerné)
maintien de l'activité durant toute la procédure, et donc
+ sauvegarde de la clientèle (moins de perturbation dans celle-ci)
+ maintien et cession des marchés en cours (moins d'indemnités au passif)
Sauvegarde totale ou partielle de l'emploi
+ ce qui évite à tout le moins en partie les licenciements et la création du passif social
L'activité économique est poursuivie par le cessionnaire, ce qui entraine
+ un bénéfice direct pour les partenaires commerciaux
+ un bénéfice également pour la région, pour l'Etat et la sécurité sociale
Les créanciers sursitaires extraordinaires sont entendus sur les conditions du transfert.
La répartition du prix du transfert se fait sous l'autorité du mandataire de justice avec au
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besoin intervention du notaire et de l'huissier.
Les chances de récupération des créanciers sont améliorées tant du fait de la bonne
réalisation des actifs que du fait des passifs évités.
Les créanciers restant impayés ont au moins l'occasion de reprendre des relations d'affaires
avec un nouveau partenaire solvable.
8. Les moyens d'action des créanciers durant la procédure.
La loi impose au débiteur un certains nombre d'obligations, que ce soit en matière d'information des
créanciers ou dans l'élaboration du plan de réorganisation judiciaire. Cela implique qu'il agisse avec
loyauté et transparence et qu'il réponde aux questions qui lui sont posées durant la procédure.
Le créancier, quant à lui, a accès au dossier de la réorganisation et, s'il est attentif, peut suivre
d'assez près l'évolution de la situation de son débiteur. Comme nous l'avons déjà souligné, le
créancier est lui-même le premier garant de ses propres intérêts.
Si la situation l' inquiète, qu'il ne bénéficie pas de l'information prévue ou que ses demandes sont
laissées sans réponse, le premier recours dont il dispose est le Juge délégué chargé par la loi de
« veiller au respect de la procédure ». Lorsqu'il y a un mandataire de justice, ce qui est obligatoire
dans le cas du transfert d'entreprise, celui-ci, quelle que soit sa mission précise, est sans aucun doute
l'intermédiaire idéal auquel le créancier peut s'adresser à tout moment.
Enfin, la loi elle-même donne au créancier, comme à tout intéressé, un arsenal de moyens destinés
permettre un contrôle efficace de la procédure, à éviter les dérapages, voire même à provoquer la fin
anticipée de celle-ci :
article 14 : à tout moment il peut demander en référé un mandataire de justice, en cas de
manquement grave et caractérisé;
article 27 §2 : si dans sa requête introductive, le débiteur ne demande pas lui-même un
mandataire de justice, tout intéressé peut le faire à sa place;
article 28 : en cas de faute grave et caractérisée, ou de mauvaise foi manifeste, tout intéressé
peut solliciter désignation d'un administrateur provisoire qui remplacera le débiteur;
article 41 § 1er : tout intéressé peut provoquer la fin anticipée de la procédure à partir du 30e
jour suivant le dépôt de la requête, si le débiteur n'est manifestement plus en mesure
d'assurer la continuité de tout ou partie de son entreprise ou de ses activités; le tribunal peut
même, en ce cas, déclarer la faillite;
article 41 § 2 : la fin de la procédure peut être ordonnée si le débiteur n'a pas déposé dans les
14 jours, les pièces visée à l'art. 17 § 2, 1° à 9°; le tribunal statue d'office sur rapport du juge
délégué qui peut naturellement être alerté par un créancier;
Article 59 § 2 :un créancier peut provoquer le transfert « forcé » de tout ou partie de
l'entreprise ou de ses activités.
Rappelons aussi que l'article 5 al.5 autorise expressément tout intéressé à intervenir dans
toutes les procédures prévues par la loi.
L'examen de la loi sous l'angle des droits des créanciers montre donc que ces derniers, malgré le
sursis et la protection accordée à l'entreprise en difficulté, ne sont pas impuissants et démunis face à
un débiteur qui serait resté libre de ses mouvements.
Le tribunal de commerce qui, il est vrai, est limité dans son pouvoir d'appréciation lors du dépôt de
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la requête et lors de l'homologation du plan de réorganisation judiciaire, garde sans aucun doute des
moyens d'action et de contrôle en cas d'abus de procédure, de manquements graves, de fautes ou de
mauvaise foi manifeste du débiteur. Il ne pourra toutefois statuer que s'il est saisi, que ce soit par un
créancier, « tout intéressé », ou par le Procureur du Roi qui, lui aussi, a un rôle actif à jouer dans la
procédure.
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III. LES CREANCIERS A L'ISSUE DE LA PROCEDURE DE REORGANISATION
JUDICIAIRE.
1. Les recours.
Le jugement statuant sur la demande d'homologation du plan de réorganisation judiciaire n'est pas
susceptible d'opposition (article 56); le seul recours offert aux parties à la cause est donc l'appel qui
dont être introduit dans les 8 jours de la notification du jugement et dirigé contre le débiteur ou, s'il
émane de ce dernier, contre les créanciers. L'appel est suspensif.
Pour les personnes qui ne sont pas parties à la cause (voir à ce sujet l'article 5 al.6), la voie de la
tierce opposition est ouverte mais celle-ci est singulièrement limitée par les dispositions de l'article
1122, 3° du code judiciaire qui n'ouvre la tierce opposition « aux créanciers, qu'en cas de fraude de
leur débiteur ou s'ils peuvent invoquer une hypothèque, un privilège ou tout autre droit distinct de
leur droit de créance ».
Aucun délai n'est stipulé pour ce qui concerne un recours éventuel à l'encontre du jugement
autorisant le transfert d'entreprise. L'article 5 de la loi nous renvoie dès lors aux délais prévus par le
code judiciaire ce qui signifie que les parties à la cause peuvent interjeter appel dans le délai d'un
mois à dater de la publication au Moniteur Belge. Nous partageons ici l'avis de Maître Yves
GODEFROID qui écrit : « C'est regrettable, car le temps est l'ennemi des affaires qui exigent
sécurité et rapidité; c'est très embarrassant pour le cessionnaire qui entre dans les lieux : il
hésitera à prendre les premières mesures utiles et urgentes à l'exploitation de l'entreprise
nouvellement acquise. » (Yves GODEFROID « La loi relative à la continuité des entreprises :
réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice » C.U.P, vol. 120, p. 183)
2. Le créancier soumis au plan de réorganisation judiciaire.
Le plan homologué est contraignant pour tous les créanciers sursitaires (article 57), quelle que soit
la qualité de leurs créances, qu'ils ait ou non participé au vote, et qu'ils soient ou non repris sur la
liste des articles 17§2,7° et 46§6 de la L.C.E.
Les créances qui ont été contestées mais qui ne sont reconnues judiciairement qu'après
l'homologation, doivent être payées selon les mêmes modalités prévues pour les créances de même
nature.
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3 . Le créancier « oublié » .
L'article 57 al.3 prévoit que les créances sursitaires qui n'ont pas été reprises dans les listes visées
aux articles 17 et 46... « sont payées après l'exécution intégrale du plan conformément aux
modalités prévues pour les créances de même nature. Si le créancier n'a pas été informé dûment au
cours du sursis, il sera payé selon les modalités et dans la mesure prévue par le plan homologué
pour des créances similaires ».
Ces dispositions obligent le créancier « oublié » à prendre lui-même l'initiative puisque par
hypothèse, il est ignoré par le plan de réorganisation, que ce soit par manque d'information ou pour
toute autre raison.
4. Les créanciers « non sursitaires ».
Tous les créanciers dont les droits sont nés postérieurement à l'obtention du sursis par le débiteur ou,
à fortiori, postérieurement à l'homologation du plan de réorganisation ne sont donc pas concernés
par celui-ci. Ils peuvent librement exercer tous leurs droits contre le débiteur.
L'article 37 de la loi accorde un sort particulier aux créances qui sont nées pendant la procédure de
réorganisation judiciaire en les considérant comme dettes de masse dans une faillite ou une
liquidation subséquente. Cette disposition est destinée à favoriser la poursuite d'échanges
commerciaux durant le sursis mais doit être nuancée en fonction du dernier alinéa de l'article 37
dans l'hypothèse où il existe des créanciers jouissant d'hypothèques ou de sûretés réelles.
5. Les droits des créanciers en cas de transfert d'entreprise.
En vertu des dispositions de l'article 66 de la L.C.E. : « Par l'effet de la vente des meubles ou
immeubles, les droits des créanciers sont reportés sur le prix ».
Le mandataire de justice, qui a la responsabilité de la répartition du produit du transfert (article 65)
devra donc agir avec grande prudence. La plupart des auteurs s'accordent pour considérer que les
articles 65 et 66 de la L.C.E. supposent nécessairement qu'après la réalisation du transfert
d'entreprise, un concours se soit créé entre les créanciers, concours obligeant le mandataire de
justice à tenir compte non seulement des sûretés réelles mais également, pour le surplus, des
différents rangs de privilège.
Maître Alain ZENNER considère que les créanciers bénéficiant des dispositions de l'article 37
(dettes de masse) doivent être partie prenante à ce concours et venir donc en priorité par rapport à
tout autre créancier privilégié, sauf ce qui est prévu pour les sûretés réelles. (A. ZENNER, J.Ph.
LEBEAU, C. ALTER, « La loi relative à la continuité des entreprises à l'épreuve de sa première
pratique » n° 139, p. 204).
Cet avis ne me paraît pas conforme à une lecture littérale de l'article 37 qui est de stricte
interprétation . L'article 37, qui fait partie des dispositions communes aux différentes procédures de
réorganisation judiciaire, prévoit que les créanciers ne deviendront créanciers de la masse que dans
l'hypothèse de la survenance subséquente d'une faillite ou d'une liquidation, survenue au cours de la
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période de réorganisation ou à l'expiration de celle-ci et, en outre, dans la mesure où ces procédures
collectives ont un « lien étroit » avec la procédure de réorganisation. (voir en ce sens, Y. Godefroid,
C.U.P. Vol.120, p.183).
Le doute qui plane sur l'interprétation de l'article 37 et sa relative efficacité encourageront les
fournisseurs après sursis à être extrêmement méfiants durant le sursis et peur-être même, à
provoquer la faillite ou la liquidation pour pouvoir recueillir le bénéfice de cette disposition. Le
législateur qui a voulu protéger ces créanciers n'a donc pas parfaitement atteint son but.
En ce qui concerne la notion de « prestations », un jugement récent du tribunal de commerce de
Verviers (inédit du 21/10/2010 en cause Etat Belge, contributions de Liège 6 contre faillite SA
Naturafood), précise que l'application de l'article 37 de la L.C.E. « suppose l'existence d'un lien
contractuel, la dette en découlant se rapportant à des « prestations effectuées à l'égard du
débiteur »; que tel n'est pas le cas d'une dette d'impôt résultant des activités menées pendant la
procédure de réorganisation judiciaire ».
Ce point de vue partagé par Alain ZENNER confirme que la volonté du législateur a bien été de
favoriser la continuité des relations commerciales pendant le sursis.
6. Opposabilité du transfert au fisc et à l'ONSS
La cession d'un fonds de commerce est normalement soumise aux dispositions de l'article 442bis du
CIR 92 qui prévoit qu'une cession n'est opposable qu'après l'expiration du délai d'un mois après
notification à l'administration fiscale de la copie certifiée conforme de l'acte de cession. Des
dispositions identiques existent en matière de TVA et d'ONSS.
Il convient toutefois de rappeler que le paragraphe 4 de l'article 442bis précise que ne sont pas
soumises à ces obligations les cessions réalisées par un curateur ou un commissaire au sursis.
Même si les termes de la loi n'ont pas été modifiés, il me paraît évident que l'on doit l'appliquer par
analogie aux transferts réalisés sous autorité de justice.
7. Les droits des travailleurs.
Le but avéré de la loi est d'assurer la continuité des entreprises et de permettre le maintien d'un
maximum d'emplois. On doit donc normalement espérer que, tant dans l'hypothèse d'un plan de
réorganisation que dans l'hypothèse d'un transfert d'entreprise, les travailleurs auront été maintenus
ou repris, à tout le moins pour la plus grande partie d'entre eux. Il faut en outre observer qu'il s'agit
d'une catégorie de créanciers particulièrement favorisée en matière d'information, la L.C.E. ne
modifiant en rien les obligations légales de consultation et d'information des travailleurs.
Le problème se pose toutefois au sujet des travailleurs licenciés dans le cadre du volet social de la
réorganisation ou des travailleurs non repris dans l'hypothèse du transfert d'entreprise.
En l'état actuel des choses, le Fonds des Fermetures d'Entreprises n'intervient pas à ce stade, ce qui
oblige le débiteur à prévoir le financement des licenciements dans le cadre de sa réorganisation
judiciaire, ce qui est souvent insurmontable. Dans l'hypothèse d'un transfert sous autorité de justice,
la faillite ou la liquidation de l'entreprise cédante est notamment pour ce motif, inévitable.
Il faut également faire mention ici de la procédure prévue devant le tribunal du travail qui permet de
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donner des garanties au cessionnaire tout en veillant au respect des droits des travailleurs.
8. La révocation.
Tout créancier qui serait en mesure de démontrer que le plan de réorganisation n'est pas respecté ou
ne pourra pas l'être, dispose, en vertu de l'article 58, de l'action en révocation du plan de
réorganisation judiciaire.
Cette même action appartient également au Procureur du Roi. Il s'agit bien entendu de la sanction
normale du non respect par le débiteur des engagements pris à l'égard de ses créanciers dans le
cadre de la procédure de réorganisation judiciaire.
****
CONCLUSION.
La loi relative à la continuité des entreprises est réellement un progrès en ce qu'elle permet à
l'entreprise en difficulté de ne pas attendre la dernière extrémité pour bénéficier du large éventail
des aides prévues par la loi.
Il est néanmoins indispensable d'éviter les abus et d'avoir conscience que les créanciers eux-mêmes
sont des entreprises dont la sauvegarde et la prospérité sont essentielles tant pour leurs partenaires
que pour l'ensemble de la vie économique.
Dans cet esprit, la loi n'a pas oublié les créanciers et fait preuve d'un certain équilibre.
Il importe toutefois que les créanciers soient non seulement avertis des droits qui leur sont conférés
par la loi mais qu'ils n'aient pas de crainte à les exercer en temps voulu, c'est-à-dire suffisamment tôt
pour ne pas avoir à se plaindre ultérieurement d'avoir été victime de dérapages.
Il semble bien que les créanciers attentifs disposent des moyens suffisants pour faire respecter au
maximum leurs droits, maintenir le débiteur sur la voie d'un redressement équitable ou, s'il le faut,
mettre fin aux abus ou combattre la mauvaise foi manifeste.
La loi doit cependant encore faire la preuve de ce qu'elle améliore sensiblement les chances de
redressement des entreprises en difficulté, avec pour conséquence nécessaire l'amélioration du sort
général des créanciers eux-mêmes.
Verviers, le 24 novembre 2010
Bernard LEROY
Avocat au Barreau de Verviers
[email protected]
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