on ne paie pas, on ne paie pas

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Théâtre
On ne paie pas, on ne paie pas !
Dario Fo / Joan mompart
Durée : 1h50
à partir de 14 ans
Catégorie B
Contact secteur éducatif : Maud Cavalca / 03 84 58 67 56 / [email protected]
Réservations : 03 84 58 67 67 / [email protected]
mardi 18 novembre à 20h
mercredi 19 novembre à 20h
au Granit
Sommaire
Distribution .............................................................................................................................................. 3
Présentation ............................................................................................................................................ 4
Une pièce en mouvement ................................................................................................................... 4
« Fo ou l’espace libre du théâtre », par Bernard Dort ............................................................................ 5
Entretien avec Joan Mompart ................................................................................................................. 8
Repères biographiques .......................................................................................................................... 11
Dario Fo, auteur................................................................................................................................. 11
Joan Mompart, metteur en scène ..................................................................................................... 11
Mauro Bellucci, comédien ................................................................................................................. 12
Camille Figuereo, comédienne .......................................................................................................... 12
François Nadin, comédien ................................................................................................................. 12
Brigitte Rosset, comédienne ............................................................................................................. 13
Activités préparatoires .......................................................................................................................... 14
Contexte historique ........................................................................................................................... 14
Une farce militante............................................................................................................................ 14
Après la représentation ......................................................................................................................... 17
Remémorations et impressions......................................................................................................... 17
La scénographie ................................................................................................................................. 17
Des propos d’actualité....................................................................................................................... 18
La presse en parle.................................................................................................................................. 20
Distribution
Texte
Dario Fo
Mise en scène
Joan Mompart
Avec
Luigi
Mauro Bellucci
Giovanni
Samuel Churin
Margherita
Camille Figuereo
Acteur Joker
François Nadin
Antonia
Brigitte Rosset
Scénographie, vidéo
Cristian Taraborrelli
Assistante à la scénographie
Allegra Bernacchioni
Lumière, régie vidéo
Yann Gioria
Musique, univers sonore
Olivier Gabus
Costumes
Claude Rueger
Maquillage, coiffure
Katrin Zingg
Traduction
Toni Cecchinato, Nicole Colchat
Production : Comédie de Genève, Coproduction : Llum Teatre
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Présentation
Jour de supermarché dans un quartier ouvrier. Un groupe de femmes, dont fait partie Antonia, se
révolte contre la hausse des prix et décide de partir du magasin sans payer. L’acte est légitime, elles
sont presque dans leur droit : « C’est la même chose qu’une grève, c’est même mieux ! » Mais
Giovanni, le mari d’Antonia, est profondément légaliste et ne voit pas les choses de cette façon. La
police non plus, qui commence à fouiller tout le secteur pour retrouver les coupables...
Une pièce en mouvement
Dario Fo a écrit et créé une première version de On ne paie pas, on ne paie pas ! en 1974. L’action
s’inspirait alors directement des luttes de quartiers qui avaient commencé en Italie à la fin des
années 1960. De quelles luttes s’agissait-il ? Tout d’abord d’une révolte contre une crise du
logement. Les mal-logés occupèrent des logements libres. Puis vint la « désobéissance civile » elle
consista en l’autoréduction des loyers dans un quartier de Turin en 1970, se propagea dans d’autres
villes et porta aussi sur le chauffage, les transports urbains, l’électricité. En revanche, lorsque Fo
écrivit On ne paie pas, on ne paie pas ! cette auto-réduction des tarifs ne s’était pas encore appliquée
aux supermarchés... Voici d’ailleurs ce que Fo a dit en prologue aux représentations de la Palazzina
en 2008 :
« Le spectacle que nous allons jouer fut porté à la scène pour la première fois en 1974. Lorsque nous
avons débuté, l’histoire semblait presque impossible, totalement surréaliste ; en effet, nous
racontions des événements qui ne s’étaient pas encore produits. Nous parlions de femmes qui, dans
la banlieue de Milan, allaient faire leurs achats au supermarché et se retrouvaient tout à coup face à
une augmentation excessive des prix ; furieuses, elles décidèrent dans un premier temps de ne payer
que la moitié du prix affiché, et par la suite de ne pas payer du tout. Notre récit était une pure fiction.
Je me rappelle de ce détail particulier : au début, lorsque nous jouions cette comédie, ici, à la
Palazzina, nous avions baptisé cette appropriation illégitime : « achats prolétariens »,
« désobéissance civile ». Certains critiques nous accusèrent de faire du théâtre de politique-fiction,
d’imaginer des histoires exagérément paradoxales et improbables. De toute évidence il s’agissait de
journalistes désinformés par rapport à la réalité des choses, des gens qui n’écoutent pas et ne lisent
même pas le journal dans lequel ils écrivent. Quelques mois plus tard explosa exactement ce que
nous racontions sur la scène. Exactement ! Les clients qui avaient appliqué l’achat prolétarien furent
arrêtés et traînés en justice. Au cours du procès, Il Giornale dirigé par Indro Montanelli conseilla au
juge de nous inculper, au motif que notre comédie avait inspiré et incité les ouvriers à commettre le
délit d’appropriation illégitime. »
L’auto-réduction des tarifs dans les supermarchés est-elle advenue parce que Dario Fo avait écrit et
joué On ne paie pas ! comme Il Giornale l’en accusait ou parce cette auto-réduction des produits de
première nécessité était l’étape suivante et logique du mouvement de « désobéissance civile »,
étape dont l’auteur aurait eu le pressentiment ? De cette histoire de superposition entre réalité et
fiction, il faut peut-être moins chercher à dénouer un principe de causalité qu’une ligne d’écriture
propre à la pièce : On ne paie pas ! trouve sa raison d’être dans une situation économique et sociale
concrète, au plus près, comme l’écrit son auteur, « de la réalité des choses ».
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« Fo ou l’espace libre du théâtre », par Bernard Dort
Dario Fo est célèbre et inconnu. Il est en passe de devenir légendaire. N’est-il pas le seul, depuis
1968, qui ait réussi, à construire ce que les Italiens appellent un « circuit alternatif » sans compromission avec l’institution théâtrale ou, pour reprendre le titre d’un ouvrage italien, avec « le théâtre
du régime » et à produire des spectacles qui, tout en militant, clairement et directement, pour des
objectifs disons « gauchistes », n’en atteignent pas moins une large audience, ouvriers communistes
y compris. Bref, il incarne ce dont nous n’avons cessé de rêver, ces vingt dernières années : un
théâtre à la fois populaire et militant qui, se situant délibérément hors du système dominant, soit, au
sens plein du mot, un théâtre libre.
Qu’on ne se hâte pas trop, toutefois, de statufier Dario Fo. Je sais bien que c’est tentant : acteur,
auteur, animateur de La Comune et du Soccorso rosso... il a une dimension qui excède l’ordinaire et
force l’admiration. Mais en faire un héros, ce n’est peut-être qu’une façon de le méconnaître et d’en
être quitte avec lui. On l’a bien vu lorsqu’il est venu présenter, en janvier 1974, Mystère bouffe à
Chaillot, salle Gémier. Il n’y eut qu’une voix, ou presque, dans la presse, pour célébrer ce « mime de
génie », mais c’était aussi une façon de passer le reste sous silence : soit la richesse et le pouvoir
corrosif de ce spectacle qui ne se réduisait pas à l’exhibition personnelle d’un grand virtuose. À
l’inverse, il a suffi que Dario Fo discute et fasse quelques exercices avec des groupes de théâtre
d’intervention à la Cartoucherie de Vincennes pour qu’on oublie le travail proprement scénique de
Fo et qu’on ne retienne plus de lui que l’image d’un théâtre radicalement autre : La Comune devenait
aussi mythique que le Living.
Le besoin d’idole que, périodiquement, ressent le monde du théâtre ne suffit pas à expliquer ce
nouveau culte de la personnalité. Notre ignorance y est aussi pour beaucoup. Car nous ne
connaissons encore guère Dario Fo. Certaines de ses comédies ont été jouées. Et avec succès. Mais
nous connaissons davantage le tribun et l’acteur (le « jongleur » comme il dit) que l’auteur. Nous en
avons retenu la légende plus que la pratique. Il est grand temps d’aborder maintenant Fo par son
oeuvre. Et d’en prendre toute la mesure : publiée, elle ne comprend pas moins de trois volumes de
Comédies, plusieurs volumes de Compagni senza censura portant sur les spectacles de la Nuova
Scena, les textes du Mystère bouffe, et la bonne douzaine de pièces composées pour La Commune...
Sans compter que cette œuvre n’est pas faite que de textes : l’auteur, l’acteur et le militant y ont une
part égale. Elle est proprement théâtre, c’est-à-dire texte, jeu et action tout ensemble. Quelque
chose comme un continent qu’il nous faut découvrir et explorer.
Créer des espaces nouveaux
[...] loin de subordonner son activité à un objectif partisan, Fo n’a cessé d’affirmer l’autonomie et le
caractère « unitaire » du travail culturel comme condition de son efficacité politique. Certes, il sait
que ses pièces sont toujours susceptibles d’être reprises en charge par la bourgeoisie, même quand
elles dénoncent celle-ci : il suffit qu’elles le fassent « à l’intérieur des structures bourgeoises » et que
leur diffusion ou leur représentation soit « gérée par le pouvoir émanant de la bourgeoisie ». Mais il
n’en met pas pour autant le théâtre à la remorque et sous la coupe d’une action partisane.
Loin de s’arc-bouter sur une prétendue irrécupérabilité des textes militants ou de rêver à une impossible pureté des prises de position idéologiques, Dario Fo élargit le concept de théâtre jusqu’à
celui d’espace – d’espace culturel et politique.
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Son objectif, c’est l’invention de tels espaces nouveaux : des espaces gérés par la classe ouvrière, des
lieux qui permettent « une confrontation incessante » et où « puissent se développer la discussion et
la dialectique » – non « un terrain où, à chaque fois, la tendance hégémonique, livrant bataille contre
telle ligne ou tel groupe, cherche à rester la seule maîtresse », car « sur ce terrain-là, il ne peut rien
pousser, pas même du chiendent », mais des espaces libres où, dans et par le jeu, on peut débattre
d’une société nouvelle.
Le langage oral se fait langage écrit, la tradition se charge d’actualité, le passé est confronté au
présent le plus immédiat, la mémoire appelle l’action, le récit tourne au jeu et le corps relaie la parole : jamais Dario Fo ne se repose sur une vérité acquise. Il s’agit toujours de susciter un espace de
jeu où les idées reçues deviennent folles, où les certitudes volent en éclats et où les résolutions les
plus arrêtées se mettent mouvement. Et cet espace est, tout naturellement, théâtral.
Le théâtre, tripes à l’air
On pourrait dire que le théâtre de Fo expose (monte et démonte) ses coulisses et ses miracles à l’air
libre. Rien de plus éloigné de l’« agit-prop » au sens banal de ce mot ou, à l’inverse, d’un jeu
pirandellien où théâtre et réalité s’épuisent à force de se renvoyer l’un l’autre. Ou plutôt : c’est
précisément parce que les farces de Fo usent, ouvertement, de ceci et de cela, qu’elles sont autre
chose. Qu’on se reporte, par exemple, à Mort accidentelle d’un anarchiste. Les locaux de la police
sont bien là : « une pièce quelconque de la préfecture de police ». On pourrait y représenter la «
mort accidentelle », à savoir la chute par la fenêtre (la défenestration plutôt) du cheminot
anarchiste, Giuseppe Pinelli, telle qu’elle a eu lieu, dans la nuit du 15 au 16 décembre 1969, à Milan.
Mais Fo se hâte de nous suggérer que « la comédie raconte un fait réel survenu en 1921, en
Amérique » : ce n’est que pour « rendre l’action plus actuelle, donc plus dramatique » qu’il a «
transposé toute l’action à notre époque » et l’a « située non pas à New York mais dans une bonne
ville italienne quelconque, mettons Milan ». C’est sa façon de prêcher le faux pour dire le vrai et,
surtout, pour nous amener à reconnaître ce vrai, à travers les feintes de la fiction. Toute la « farce »
de Mort accidentelle d’un anarchiste repose sur cette « dialectique jésuite-là ». Elle ne dépeint pas ce
qui est arrivé. Elle constitue une enquête sur un fait divers. Mais celui qui la mène est un fou, un
provocateur – Fo dirait : un jongleur. Il va tout révéler, faire tout avouer, mais sur le mode du jeu, par
l’entremise du déguisement et de la marionnette (lui-même termine couvert de prothèses). C’est
dans ce détour par le théâtre le plus débridé et le plus excessif que nous en revenons à la réalité, à
cette mort bien réelle, précise et datée, qui était en fait un assassinat par la police, et que nous nous
retrouvons « dans le fumier jusqu’au cou ». À la fin, le théâtre se renverse. Il a été mis tripes à l’air. Il
apparaît pour ce qu’il est : une fiction qui, au long de la représentation, se détruit elle-même et
ouvre sur les luttes de notre société.
Nul puritanisme, nul « moralisme foireux » chez Fo. Mais un bonheur visible, sensible, à faire jouer le
théâtre, à le pousser jusque dans ses derniers retranchements. Fo ne nous épargne aucun
rebondissement, aucun coup de théâtre (au propre et au figuré), mais c’est pour mieux mettre à
l’épreuve nos déguisements et nos langages d’emprunt. Il construit des machines scéniques dont
chaque rouage entraîne l’autre dans une vertigineuse giration, mais, au lieu de nous faire prendre
des moulins pour des géants, c’est pour que derrière les figures des géants nous reconnaissions de
vrais moulins – des moulins qui sont manoeuvrés par des hommes et que d’autres hommes
pourraient, un jour, faire tourner à leur bénéfice, à condition de ne pas persister à les prendre pour
des géants.
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Sans doute, la représentation théâtrale constitue-t-elle le lieu, sinon unique du moins privilégié, du
mouvement de va-et-vient entre l’oral et l’écrit, le passé et le présent, le mythe et l’histoire, le rêve
et le besoin, la fiction et la réalité qui est celui de toute l’oeuvre de Fo : là où ce mouvement peut se
déployer avec le plus d’ampleur et le plus d’intensité et où il prend, littéralement, à partie les
spectateurs. Nous le lisons déjà, clairement, dans la construction des pièces. Mais le fonctionnement
d’un tel lieu repose, ne l’oublions pas, sur un travail concret : celui de l’acteur, du « jongleur » selon
Fo. C’est à lui qu’il revient de mettre en action les machines scéniques dont, dans le texte, nous
n’avons que les plans, que les relevés ; c’est lui qui, en définitive, après avoir joué, prendra la parole.
Par le jeu, il a fait place nette : il a conquis un espace libre. À nous de délibérer avec lui sur ce qu’il
conviendra d’y construire.
Article rédigé en 1977, in « Dario Fo, Tome 1 », Dramaturgies Éditions, 1997.
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Entretien avec Joan Mompart
Pourquoi avoir choisi de monter On ne paie pas, on ne paie pas ! de Dario Fo ?
J’ai découvert la pièce il y a une dizaine d’années, grâce à une superbe mise en scène de Jacques
Nichet au Théâtre Nanterre-Amandiers, et je m’étais alors beaucoup intéressé à l’œuvre de Dario Fo.
C’est Hervé Loichemol qui m’a reparlé de ce texte, et je lui ai dit mon désir de le monter.
C’est une pièce qui pour moi est profondément liée à la situation actuelle de mon pays d’origine,
l’Espagne, une situation qui m’attriste beaucoup. Ce pays connaît aujourd’hui une crise économique
et sociale d’une extraordinaire difficulté, et il y a quelques mois seulement, un événement similaire à
celui qui ouvre la pièce s’y est produit : cet été, en Andalousie, des militants de gauche sont entrés
dans deux supermarchés et se sont emparés de produits de première nécessité pour les redistribuer
à des personnes dans le besoin. Cela a fait beaucoup de bruit, et le journal El País s’est posé la
question suivante : cet acte devait-il être qualifié de vol ou était-ce un acte de « désobéissance
civile », donc un acte légitime ? C’est exactement le point de départ de la pièce de Dario Fo, pourtant
créée en 1974.
D’autre part, je viens d’un théâtre qui, comme celui de Dario Fo, est nourri par l’improvisation de
l’acteur. Avec le Llum Teatre, ma compagnie, j’aspire à créer des spectacles à la fois festifs et ancrés
dans la réalité du monde, qui tâchent d’ouvrir différentes réflexions sur notre manière de grandir, sur
la notion de progrès technologique et ses « dommages collatéraux ». Ces réflexions portent par
exemple sur ce que l’on doit abandonner pour trouver sa place dans la vie, dans le monde.
Notre dernier spectacle, La Reine des neiges d’après Andersen, parlait du passage à l’adolescence et
de comment on abandonne l’innocence de l’enfance. Dans On ne paie pas ! il est aussi question
d’abandon, de dépouillement. Mais c’est au niveau des conventions théâtrales qu’a lieu ce
dépouillement : il y a dans la pièce un mouvement, un jeu de théâtre dans le théâtre, qui vient
mettre en doute les conventions théâtrales et le fait même d’être « en représentation ». Les
personnages, progressivement, s’avouent être certes des êtres fictionnels, mais aussi de « vraies
personnes ». Le phénomène qui m’intéresse le plus dans ce mouvement, c’est sa conséquence :
parce qu’il est dépouillé des armes de la narration, parce que les outils les plus constitutifs de la
représentation sont contestés, le propos de la pièce – et c’est là le génie de Dario Fo – se rapproche
des gens.
Comme vous l’avez mentionné, c’est une pièce d’une grande actualité...
Oui, et à deux niveaux de lecture – parmi beaucoup d’autres. D’abord dans son rapport étroit à la
société d’aujourd’hui, une société en crise, où les gens sont malmenés. Mais aussi parce que la pièce
semble aborder la question de la révolte des travailleurs moins du point de vue du groupe que du
point de vue de l’individu. Je crois qu’elle soulève cette hypothèse : dans une société occidentale
individualiste, dans une société où l’on est de plus en plus seul, la décision de se révolter – ou pas –
devrait partir de l’individu. Tout devrait se jouer au niveau de « l’unipersonnel », c’est-à-dire sur le
terrain de l’univers inhérent à chaque personne. C’est en tout cas la lecture que je fais de On ne paie
pas ! Nous ne sommes plus en 68, le groupe s’est dissout, il n’y a plus de dimension corporative des
couches les moins aisées et manifester est devenu quelque chose d’ordinaire, presque d’obsolète.
C’est toujours un moyen d’action, mais il est devenu tellement routinier qu’il est dévoyé. J’ai
l’impression qu’aujourd’hui, le système a assimilé à tel point les moyens de la contestation sociale
qu’il les a annulés.
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C’est donc dans un endroit préservé, celui de l’intimité de l’individu, que la révolte, que l’anticonformisme, que le mouvement de protestation contre la misère peut encore naître et se révéler : et
c’est cet endroit-là que j’aimerais toucher avec On ne paie pas !
Votre scénographie évoque La Ruée vers l’or de Charlie Chaplin...
La fragilité du monde dans lequel vivent Antonia et Giovanni, la fragilité de leur situation est matérialisée par un plan à bascule sur lequel tient – tant bien que mal – leur appartement. Et qui rappelle
effectivement la cabane de Charlot et Big Jim dans La Ruée vers l’or : suspendue au bord de la falaise,
elle peut à tout moment basculer dans le vide. Dans le film de Charlie Chaplin, je crois qu’il ne s’agit
pas seulement de créer les conditions d’un bon gag : l’équilibre précaire de la cabane peut être
interprété comme une métaphore pour dire que ces deux personnages sont entre la vie et la mort.
Dans On ne paie pas ! C’est plutôt entre « exister » et « être inexistant » que les choses se jouent.
Ce plan à bascule pourrait aussi être une balance : combien pèsent ces gens-là dans notre société ?
Quel est leur poids ? Ils ne pèsent sans doute pas bien lourd... Mais Antonia va malgré tout tenter de
retrouver du poids. Comment ? Par la parole. Et une manière de redonner du poids à la parole qui ne
coûte pas cher, c’est la fantaisie. La fantaisie, c’est abordable, pas besoin d’attendre les soldes pour
en avoir. C’est le seul luxe d’Antonia. Des mots, des histoires, des mensonges : c’est tout ce qu’elle a
les moyens d’offrir à son mari Giovanni. Et à son tour, celui-ci va s’amuser avec ces histoires, les
déformer, les réinventer. Il va y ajouter peut-être pour qu’elles pèsent encore un peu plus ? – tout
son plaisir et son talent, puis les transmettre à quelqu’un d’autre : à un voisin, à son ami Luigi... C’est
le phénomène du « passe-parole », très cher à Dario Fo, qui tient beaucoup à son héritage de
conteur, de fabulator.
Par ailleurs, quand Antonia « affabule » devant Giovanni, je pense que les questions que celui-ci lui
pose sont moins là pour mettre en doute son récit que pour la relancer. Elle lui raconte des mensonges tout à fait incroyables, mais lui va décider tacitement de les croire. Mieux, il va les exagérer,
les pousser dans leurs retranchements... En cela, il est fidèle à la tradition du Zanni de la commedia
dell’arte qui exécute au pied de la lettre les ordres de son maître pour en fait éclater l’absurdité.
Vous avez une très belle distribution...
Je ne pouvais pas rêver mieux. Dans La Reine des neiges, il y avait parfois des rôles de composition –
c’est une donnée quasi incontournable du conte. Avec On ne paie pas ! il était très important pour
moi que les rôles soient proches des interprètes. Je ne souhaitais pas qu’il y ait de contre-emplois.
J’ai donc choisi chacun des comédiens pour leurs points communs avec leur rôle : je pense par
exemple à la fantaisie de Juan Antonio Crespillo, à son détachement par rapport aux choses, doublé
d’un rapport viscéral à la réalité, qui correspond très bien au personnage de Giovanni.
On ne paie pas ! est une pièce qui a beaucoup bougé depuis 1974. Elle a connu des réécritures en
1991, en 2008. Et lors les représentations données par Dario Fo, il y avait également beaucoup de
place laissée à l’improvisation. Ce qui m’importe donc dans le travail avec les comédiens, à présent
que le texte est figé, que sa matière ne changera plus, c’est de préserver tout de même cet esprit, ce
souffle de liberté, ce sentiment d’une improvisation permanente. Pour les comédiens, cela passera
d’une part par un travail d’une grande rigueur et d’une grande fidélité au texte, et d’autre part par
un travail sur le corps : c’est par le corps qu’ils pourront se libérer, se redécouvrir certaines
possibilités de jeu – et les personnages, chaque soir, se réinventer.
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Passer de l’univers féerique de La Reine des neiges au monde ouvrier de On ne paie pas !, c’est un
sacré saut...
Oui. On passe d’un univers poétique à une situation plus concrète et plus proche de la réalité des
gens. Mais la dynamique reste fondamentalement la même. Car les mensonges d’Antonia, ses
« contes », si on ne leur donne pas une valeur, si on n’arrive pas à y croire, il n’y a tout simplement
pas de pièce. Et si Giovanni ne les avalait pas (au sens « d’avaler une couleuvre » mais aussi au sens
de leur « donner son aval »), rien de cette pièce ne pourrait émerger.
Or Antonia, à force de mensonges, alors même qu’on pourrait croire qu’elle s’engage dans une voie
sans issue, transforme le monde et crée un espace de liberté. En cela il me semble qu’elle réalise
presque à la lettre ce que disait Guy Debord : « Dans le monde réellement renversé, le vrai est un
moment du faux ».
Propos recueillis par Hinde Kaddour
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Repères biographiques
Dario Fo, auteur
Dario Fo naît en 1926 en Lombardie, dans une famille de prolétaires. Par son grand-père, il découvre
très tôt le théâtre populaire et la tradition orale. Après des études d’art et d’architecture à Milan, il
compose pour la radio ses premiers monologues comiques en 1952 et fait ses débuts d’acteur dans
des revues de cabaret. Deux ans plus tard, il épouse Franca Rame. Le couple crée sa compagnie,
monte des farces puis des comédies. La saison 1967-1968 est un triomphe. En 1968, ils fondent
l’association Nuova Scena, proche du PCI (Parti Communiste Italien) , s’engagent dans la recherche
d’un nouveau langage théâtral, et présentent des spectacles – accompagnés de débats – dans des
lieux initialement non destinés au théâtre. Ils s’éloignent du PCI en 1970, et créent le collectif La
Comune. En 1974, Dario Fo inaugure son propre théâtre (le local de la Palazzina Liberty à Milan) avec
la pièce On ne paie pas, on ne paie pas !, qui est un succès. L’anticonformisme, l’engagement social
et politique de Dario Fo l’entraînent à de nombreuses reprises à connaître des démêlés avec la
justice italienne, la censure, le Vatican. Ces polémiques n’entravent pas sa réussite, et son travail
connaît un succès mondial. En 1997, il reçoit le prix Nobel de littérature pour avoir « dans la tradition
des bateleurs médiévaux, fustigé le pouvoir et restauré la dignité des humilié ». En 2000, il reçoit un
Molière pour Mort accidentelle d’un anarchiste. En 2006, il est nommé docteur honoris causa de La
Sapienza, prestigieuse université de Rome, comme avant lui Luigi Pirandello et Eduardo De Filippo.
En 2010, il entre au répertoire de la Comédie-Française. Parmi ses pièces les plus célèbres, parfois
écrites en collaboration avec Franca Rame, on peut citer entre autres : Les Archanges ne jouent pas
au flipper (1959), Mystère bouffe (1969), Mort accidentelle d’un anarchiste (1970), On ne paie pas, on
ne paie pas ! (1974), Histoire d’un tigre (1978), Klaxon, trompettes... et pétarades (1981), Couple
ouvert à deux battants (1983), et L’Anomalo bicefalo (2003).
Joan Mompart, metteur en scène
Né en 1973, Joan Mompart est comédien et metteur en scène. Compagnon de route d’Omar Porras
au Teatro Malandro, il joue les premiers rôles des spectacles phares de la compagnie, en Suisse mais
également en Europe, au Canada, en Amérique du Sud, à Mexico, à Bogotá, au Japon et au Théâtre
de la Ville de Paris. En 2002 et 2003, il participe aux créations de Rodrigo García en France. En 2003, il
devient collaborateur artistique d’Ahmed Madani, directeur du Centre dramatique de l’Océan Indien
à Saint-Denis (La Réunion) et joue dans plusieurs de ses créations dont L’Improbable vérité du monde
au Théâtre Nanterre-Amandiers et à la Comédie de Genève. Il collabore, entre autres, avec Thierry
Bedard, Robert Bouvier, Robert Sandoz, l’Orchestre de la Suisse Romande, l’Orchestre de Chambre
de Genève, l’Orchestre de Chambre de Lausanne. En 2005, il co-fonde la Compagnie du Rossignol
avec Antoine Marguier, et crée des spectacles pour orchestre et récitant sur des partitions de Theo
Loevendie, Tibor Harsányi, Igor Stravinsky. En 2008, il joue le rôle de Dante aux côtés de Romane
Bohringer dans L’Enfer (spectacle nommé aux Molière et mis en scène par Pierre Pradinas). En 2009
et 2010, il joue dans deux mises en scène de Jean Liermier, Le Jeu de l’amour et du hasard et L’École
des femmes. En 2010 également, il fonde le Llum Teatre et crée La Reine des neiges d’après Andersen
au Théâtre Am Stram Gram. En tournée, le spectacle réunit plus de 14 000 spectateurs entre 2010 et
2012.
En 2011, Joan Mompart est à l’affiche de Monsieur Chasse, mis en scène par Robert Sandoz au
Théâtre de Carouge, et crée avec la Compagnie du Rossignol un spectacle pour orchestre et récitant,
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Le Baron de Münchhausen. En 2012, il interprète le rôle de Marco dans l’adaptation au théâtre de la
BD Le Combat Ordinaire de Manu Larcenet et est à l’affiche du film de Régis Roinsard, Populaire, avec
entre autres Romain Duris et Bérénice Bejo. En avril et en mai 2013, il jouera le rôle de Hugo dans Les
Mains sales de Jean-Paul Sartre sous la direction de Philippe Sireuil à la Comédie de Genève.
Mauro Bellucci, comédien
Après des études à l’École Serge Martin et au Conservatoire d’Art dramatique de Genève qu’il
termine en 1986, il travaille avec de nombreux metteurs en scènes parmi lesquels Michel Voïta,
Stanislas Nordey, Claude Stratz, Anne-Marie Delbart, Anne-Cécile Moser, Dominic Noble, Serge
Martin, Frédéric Polier, Françoise Courvoisier, Denis Maillefer, Valentin Rossier, Philippe Morand ou
Philippe Mentha.
Parallèlement à ses activités de comédien, il met en scène de nombreux spectacles. Ces dernières
années, il a mis notamment en scène Pan dans la matière, un montage de textes de Valère Novarina
(Grü, 2005), Pour un oui ou pour un non de Nathalie Sarraute (Théâtre Pitoëff, 2009) ou L’Opération
de Mme L de Pierre-Louis Chantre (Genève, 2010).
On le voit également au cinéma et à la télévision dans les films de Nicolas Wadimoff, Paolo Poloni ou
Tonie Marhsall.
Camille Figuereo, comédienne
Formée à l’École Régionale d’Acteurs de Cannes (ERAC), elle travaille au théâtre avec Christian Ritz
(Phèdre, La Surprise de l’amour), Omar Porras (La Visite de La vieille dame, El Don Juan, Maître
Puntila et son valet Matti), Ahmed Madani (Ernest ou comment l’oublier), Pierre Pradinas (Les Amis
du placard).
Au cinéma, elle tourne notamment avec Pascal Chaumeil (L’Arnacœur), Brigitte Sy (Les Mains libres),
Philippe Lioret (Toutes nos envies), Christophe Chevalier (Le Nez dans le ruisseau). Nombreuses séries
télévisuelles (Scènes de ménages, PEC, Alice Nevers, Section de recherche, etc.).
À la radio, Camille prête sa voix dans plusieurs fictions pour France Culture et pour la Radio Suisse
Romande.
François Nadin, comédien
Après des études au Conservatoire, François Nadin débute au théâtre en 1996 sous la direction
d’Hervé Loichemol. Il joue Pirandello, Kleist, Brecht.
Gérard Desarthes le met en scène dans une pièce de Giraudoux à Vidy. Par la suite, sa rencontre avec
Brigitte Jaques-Wajeman l’emmène sur les routes, avec plusieurs spectacles : Molière, Plaute et puis
Corneille et son merveilleux personnage Matamore dans L’Illusion comique en 2005.
Il joue Pinter, Shakespeare, Crimp, Strindberg, Racine, Chiachari, etc.
En 2009, Jean Liermier le choisit pour endosser l’habit d’Arlequin dans sa version du Jeu de l’amour et
du hasard de Marivaux.
Au cinéma, il travaille notamment avec Patrice Leconte, Vincent Pluss et Elena Hazanov.
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Brigitte Rosset, comédienne
Elle commence sa carrière en 1992 et travaille au Théâtre de Carouge avec Georges Wod, Georges
Wilson, Jean Liermier.
Participe à la création de la Compagnie Confiture à Genève. Au sein de cette troupe, elle joue dans
une quinzaine de spectacles à la Cité Bleue, au Casino Théâtre ou au Théâtre Pitoëff. C’est dans ce
cadre qu’elle crée son premier solo, Voyage au bout de la noce en 2001, puis en tournée entre 2002
et 2003. Son deuxième solo, Suite matrimoniale avec vue sur la mère tourne pendant trois ans, en
Suisse et en France. Son dernier seul en scène Smarties, Kleenex et Canada dry reçoit le « prix du
meilleur spectacle d’humour 2012 », distinction remise par la Société Suisse des Auteurs.
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Activités préparatoires
Contexte historique
Demander aux élèves de faire une recherche sur l’Italie des années 70.
L’Italie des années 1970 est touchée par la crise. Les multiples contestations qui caractérisent les
années 70, aboutirent à l'adoption en mai 1970, du statut des travailleurs qui améliorait leurs
conditions de travail et reconnaissaient le rôle des syndicats dans les entreprises. Une autre
conséquence de ces mouvements fut la libéralisation de la société : ainsi, en 1973, la loi italienne
autorisa le divorce, puis légalisa l'avortement en 1978.
La crise économique se traduisit en 1971 par une réduction des investissements de 9 % et une baisse
de 4% de la production. La récession de 1974, aggrava l'inflation, le chômage et la dépréciation de la
lire (monnaie italienne qui précéda l’euro). La violence des bouleversements sociaux, l'extension du
travail au noir, la crise permanente amplifièrent le malaise politique. La fin des années 70 vit se
succéder des gouvernements toujours dirigés par les démocrates-chrétiens. Pendant une brève
période, en 1974, le pays se trouva même sans dirigeants. Les problèmes économiques de l'Italie
augmentèrent, une vague d'enlèvements et de violence déferla sur la péninsule et la confiance des
citoyens dans ses représentants déclinait. De son côté, l'influence du Parti Communisme s'étendait
sous l'impulsion de son nouveau secrétaire général depuis 1972, Enrico Berlinguer
En juin 1975, les élections régionales furent remportées par les démocrates-chrétiens, mais les
communistes étaient en nette progression. Ils adoptèrent alors une nouvelle stratégie qui prit le nom
de "compromis historique" et se caractérisait par une alliance entre les formations de gauche et les
partis du centre.
La violence latente qui gangréna la société au cours des années soixante-dix aboutit à l'émergence
d'un terrorisme nouveau d'extrême gauche, qui s'ajouta à un terrorisme d'extrême droite et
multiplia les attentats. La décomposition du pays, la rupture entre le Parti communisme et une partie
de sa base, la jeunesse refusant le compromis historique firent basculer dans le terrorisme plusieurs
factions et groupuscules.
Le plus important d'entre eux, les Brigades Rouges, s'attaqua à l'État, aux politiciens, à la police, aux
journalismes et aux hommes d'affaire. En mars 1978, les Brigades enlevèrent l'ancien président du
Conseil, Aldo Moro, et exigèrent la libération de militants détenus dans les prisons italiennes. Le
gouvernement refusa de négocier et Aldo Moro fut exécuté. Cette crise, sans doute la plus grave
qu'ait connu l'Italie de l'après-guerre mit en lumière la faiblesse de l'État et du système politique et
montra du doigt la gestion politique de tous les partis traditionnels.
Source : Encyclopédie Universalis 2002
Une farce militante
Amener les élèves à réfléchir sur le genre de la pièce.
Définition du mot farce : « ‘‘Farce’’ vient du latin farci. C’était une sorte de tourte farcie des
ingrédients les plus variés, fromage, légumes, poissons, morceaux de mouton. Voilà pourquoi faire
une farce signifie aussi faire quelque chose qui soit plein de fantaisie, y mettre n’importe quoi. Donc
sortir des règles, inventer, improviser, en restant à la portée de tous. La farce en cuisine comme au
théâtre, a toujours été un privilège réservé au vulgaire. Je considère pour ma part que j’appartiens au
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vulgaire : un acteur gueux, mais libre ! » (Dario Fo, à propos de On ne paie pas, on ne paie pas !,
1982)
On ne paie pas, on ne paie pas ! est une farce militante, une réaction face à la pauvreté. Qu’on ne s’y
trompe donc pas : malgré le burlesque des situations, l’arrière-plan de la pièce est d’une réalité
sombre.
L’action se déroule dans un quartier ouvrier en déroute. Au supermarché du coin, la direction a
augmenté les prix tant et si bien qu’il est devenu impossible aux femmes de faire leurs courses. Dans
les HLM, cela fait des mois que personne n’est plus en mesure de payer ni le loyer, ni le gaz, ni
l’électricité. Les chômeurs se bousculent devant les agences de travail. Quant à l’usine qui permet de
faire vivre encore un peu la ville, elle va être délocalisée à l’Est. Bref, la précarité règne.
Alors, on se révolte. Au supermarché, les femmes décident de ne plus payer leurs achats : « Pour tout
l’argent que vous nous avez volé depuis des années et des années, sur tout ce qu’on achète ! » À
l’usine, les ouvriers aussi partent de la cantine sans payer, et sur le chemin du retour, se couchent sur
les voies des trains pour protester contre l’augmentation du tarif des billets.
Dans ce monde « de salauds, de fripouilles et de dupes », on mène une vie de chien. D’ailleurs on en
vient même à manger leur pâtée...
Pourtant, et même si Dario Fo a écrit que sa pièce était une pièce « sur la faim », On ne paie pas ! n’a
rien d’un drame. De quiproquos en situations burlesques, la farce tourne à plein, avec une allégresse
communicative. Comment l’auteur parvient-il, malgré la noirceur de l’arrière-plan, à nous
communiquer cette allégresse ? Comment parvient-il à nous faire rire ? Et surtout, comment
procède-t-il pour que ce rire ne soit pas un rire noir, mais un rire juste, un rire de la raison, un rire
qui, faisant éclater l’absurdité du monde, l’éclaire ?
On comprendra sans doute mieux cela à la lumière d’une comparaison. Ce rire-là en effet, qu’on
pourrait appeler un « rire de la faim », dans l’entre-deux guerres, eut un maître incontesté : Charlie
Chaplin. La comparaison n’est pas hasardeuse si l’on sait que Dario Fo, dès ses débuts, lorsqu’il écrivit
ses premières pièces, s’inspirait avec sa compagne Franca Rame de Georges Feydeau et d’Eugène
Labiche pour la mécanique et le rythme de ses canevas, mais aussi de Jacques Tati et de Charlot pour
le « caractère » des personnages. Charlot et Dario Fo – certains critiques ne purent s’empêcher de
faire le rapprochement...
Dans On ne paie pas, on ne paie pas ! ce rapprochement affleure par touches discrètes. Comme des
souvenirs lointains et un peu flous – inconscients ? – des images de films de Chaplin semblent
resurgir sous la plume de Dario Fo. On entrevoit Les Temps modernes dans le rythme d’une réplique :
« Une soudure, pan, un coup de foreuse, une pièce de finie, vite une autre » (Luigi, Acte 1, scène 10).
On retrouve aussi le soin délicat pris par Charlot à préparer et à manger l’immangeable – sa
chaussure – dans la scène où Giovanni propose à Luigi de déguster sa « soupe aux graines de millet
pour canaris dans un bouillon aux têtes de lapin surgelées ».
On retrouve surtout chez Dario Fo cet art qui fut propre à Chaplin : celui de faire surgir le comique
même au plus profond d’une situation tragique. Et dans cet art-là, ni l’un ni l’autre ne se sont arrêtés
à la simple dénonciation de l’injustice d’un ordre établi – celle des riches et des patrons envers les
pauvres et les ouvriers. Chez Dario Fo comme dans les films de Chaplin, le héros (dans On ne paie
pas ! l’héroïne Antonia) agit comme un catalyseur, déclenche des réactions en chaîne, des effets en
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cascade, en boules de neige, qui ne s’arrêteront que lorsque le monde, saccagé, ne ressemblera plus
jamais à celui que nous connaissions.
Charlot le vagabond et Antonia la chômeuse ont ceci en commun que leurs actes ne se contentent
pas de faire éclater l’absurdité d’un ordre, mais bien de renverser le monde, et d’inventer un nouvel
espace de vie sur lequel peut émerger quelque chose qui ressemble à un rêve, ou plus simplement à
de la liberté.
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Après la représentation
Remémorations et impressions
Recueillir les premières impressions des élèves sur le spectacle en leur demandant de recenser les
moments qui leur ont semblé les plus réussis. Cet exercice a pour objectif de faire réfléchir les élèves
sur la mémoire collective du spectacle. Quels sont les moments de l’action qui ont le plus marqué les
mémoires ? Pourquoi certaines scènes leur ont-elles semblé particulièrement réussies ?
La scénographie
Demander aux élèves de décrire la scénographie du spectacle et d’expliquer, selon eux, pourquoi le
choix d’un plan incliné.
Après avoir laissé les élèves faire leurs propres réponses on pourra les amener à lire l’entretien de
Joan Monpart qui se trouve dans ce dossier. Il y donne des éléments de réponses.
Essayer ensuite de les amener à faire le parallèle entre le refuge de montagne du film la ruée vers l’or
de Charlie Chaplin.
La ruée vers l’or de Charlie Chaplin
Ce n’est pas un hasard si Joan Monpart a imaginé avec le scénographe Cristian Taraborrelli
l’appartement du couple formé par Antonia et Giovanni sur le modèle du refuge de montagne de La
Ruée vers l’or. Posé sur un plan à bascule, prêt à dégringoler comme la cabane au bord de la falaise
où se sont réfugiés Charlot et Big Jim, l’appartement que peuvent se payer Antonia et Giovanni ne
tient pas à l’horizontale et quand ils se disputent leur propre armoire, c’est toute la fondation de leur
immeuble qui chavire…
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Des propos d’actualité
Le spectacle de Joan Monpart nous donne un exemple de désobéissance civile.
La désobéissance civile est une forme d'action non-violente qui s'est développée au cours du XXème
siècle à partir d'expériences de luttes socio-politiques.
Il s’agit d’actes de désobéissance à une loi ou un règlement en vigueur, accomplis volontairement et
à visage découvert, le plus souvent collectivement, dans le but de faire pression sur une autorité
constituée afin de faire changer le règlement en question. Cette stratégie d’action implique
également le fait d’assumer les conséquences légales de ses actes. La désobéissance civile s’affirme
aussi comme une désobéissance non-violente, en ce qu’elle participe d’une stratégie de noncoopération à une injustice établie. (Source : http://www.desobeissancecivile.org/)
Demander aux élèves de recherches des exemples du passé ou actuels (ex : lutte contre la
ségrégation de Martin Luther King, les faucheurs volontaires d'OGM…)
Vous trouverez ci-dessous un article du journal L’Express relatant d’un fait d’actualité espagnol
similaire à l’histoire du spectacle.
Amener les élèves à débattre sur la légitimité de cette action.
Espagne: le Robin des bois andalou en marche contre l'austérité
De notre correspondante Cécile Thibaud, à Madrid, publié le 07/09/2012 à 13:07, mis à jour à 15:34
Activiste aux multiples casquettes, Juan Manuel Sanchez Gordillo, surnommé "le robin des bois
andalou" déclenche la polémique. Il veut attirer l'attention sur les victimes de la crise et propose un
mode de vie alternatif.
ANDALOUSIE - à la tête d'une "marche ouvrière", Juan Manuel Sanchez Gordillo a sillonné toute la
région en protestation contre la politique d'austérité du gouvernement de Mariano Rajoy.
Foulard palestinien autour du cou, barbe poivre et sel à la Karl Marx, Juan Manuel Sanchez Gordillo
est en première ligne de la marche ouvrière "Andalousie debout". Cette marche a sillonné toute la
région en signe de protestation contre la politique d'austérité du gouvernement de Mariano Rajoy.
Elle est arrivée à Séville le 5 septembre.
À 60 ans, ce militant a organisé des opérations commando dans des supermarchés. Objectif: charger
les caddies de produits de première nécessité, partir sans payer et redistribuer le butin aux chômeurs
et aux familles sans ressources. "Ce n'est pas du vol, défend-il mais un geste d'insoumission. Pourquoi
sauver les banques et oublier les pauvres ?"
Attirer l'attention sur les victimes de la crise
Sanchez Gordillo est devenu l'un des héros d'une désobéissance citoyenne montante contre la dureté
des plans d'austérité. Un déclic, alors que jusque-là, l'Espagne avait subi une rude série d'ajustements
budgétaires avec peu de soubresauts sociaux. Le gouvernement sape les services publics de santé et
d'éducation et entraine la suppression de prestations sociales aux plus démunis, tandis que le taux de
chômage s'approche de 25%.
Taxé de démagogue, tour à tour applaudi ou décrié, il agace et fascine. Celui que la presse s'est
empressée de baptiser "Le Robin des bois andalou" n'en n'est pas à son coup d'essai. Fort d'une
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longue expérience, le député régional étiqueté Izquierda unida (coalition écolo-communiste), est un
militant très actif du syndicat andalou des travailleurs (SAT). Il avait d'ailleurs connu son heure de
gloire en lançant un mouvement d'occupation des terres par les journaliers dans les années 80.
"La terre à ceux qui la travaillent"
Un activiste également élu maire depuis 33 ans de Marinaleda, une commune de 2700 habitants, au
sud de Séville, vue comme une enclave de résistance dans la Gaule occupée. Ce village où le taux de
chômage est proche de 0% (contre 34% en Andalousie) est géré par un système d'assemblées. L'accès
au logement est garanti à tous, et la plupart des habitants travaillent -tous au même salaire- pour
une coopérative agricole. Celle-ci exploite les terres d'une grande propriété laissée à l'abandon dont
ils ont réussi à obtenir légalement l'usage il y a une vingtaine d'années, au nom du principe : " la terre
à ceux qui la travaillent ".
Il n'y a pas si longtemps, l'utopie anachronique de Sanchez Gordillo faisait poliment sourire.
Aujourd'hui elle interroge : et si c'était la voie pour échapper à la pression des marchés et aux diktats
de Bruxelles ?
Les actes de l'activiste andalou ont été condamnés avec véhémence par les principaux partis
politiques. Pourtant, ils suscitent la sympathie des mouvements issus de la protestation des Indignés.
Ces derniers prônent la désobéissance civile pour protéger les plus démunis, qu'il s'agisse des
médecins qui veulent continuer à soigner les immigrés sans-papiers, malgré la loi qui leur retire
l'accès à la santé gratuite, ou encore des collectifs qui défendent l'occupation de logements par les
familles surendettées qui se seraient retrouvées sans logis.
Le Robin des bois andalou est toujours dans l'attente d'une éventuelle inculpation. Mais cela ne
semble pas vraiment l'affecter
En savoir plus sur http://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/espagne-le-robin-des-boisandalou-en-marche-contre-l-austerite_1157660.html#GITIp9KfIhsww9es.99
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La presse en parle
La Tribune de Genève, 12/03/2013
20
Le temps, 14/03/2013
21
La Terrasse, Avril 2013
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Le Figaroscope, 17 avril 2013
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