Prédisposition au cancer du sein et de l’ovaire Dr Olivier Caron Gustave Roussy Mars 2016 Objectifs : - Savoir reconnaître les indications de consultation de génétique - Connaître les modalités de prise en charge des personnes porteuses de mutation BRCA1 ou 2, PALB2. - Connaître l’impact d’une mutation constitutionnelle sur la prise en charge thérapeutique Le cancer résulte de la conjonction de 3 facteurs : l’environnement, le patrimoine génétique, le hasard. Il est important de distinguer patrimoine génétique constitutionnel d’une personne, présent dans toutes les cellules nucléées d’un individu, et matériel génétique somatique, qui ne concerne que certaines cellules, notamment tumorales. La mutation du patrimoine génétique constitutionnel entraîne la survenue d’une prédisposition. Plusieurs gènes peuvent, lorsqu’ils sont porteurs d’anomalies génétiques, être responsables d’une augmentation majeure du risque de cancer du sein. Deux éléments permettent de suspecter une anomalie constitutionnelle: le nombre inhabituel de cancer du sein dans une famille, et l’âge précoce des cancers. Les situations suivantes doivent mener à la réalisation d’une consultation de génétique et constituent des indications d’analyse de BRCA1 et BRCA2 : - au moins 3 cas de cancers du sein chez des apparentées proches 1 - au moins deux cas, dont un diagnostiqué avant l’âge de 45 ans ou un cas masculin - un seul cas de cancer du sein, diagnostiqué avant 35 ans - l’association chez une même personne ou dans une même famille d’un cancer du sein et d’un cancer de l’ovaire. - Un seul cas de cancer de l’ovaire de haut grade (séreux+++), diagnostiqué avant 70 ans - Un seul cas de cancer du sein triple négatif (absence de récepteurs aux estrogènes, absence de récepteurs à la progestérone, surexpression de Cerbb2), diagnostiqué avant 50 ans Figure 1: Situations évocatrices de mutation BRCA1 ou BRCA2 2 absence de Les indications d’analyse de PALB2 sont identiques, sauf cas sporarique de cancer de l’ovaire. Pour les gènes BRCA1 et BRCA2, l’âge jeune et la présence de cancers de l’ovaire dans la famille sont les deux facteurs les plus prédictifs. Dans les familles à cas multiples de cancer du sein post-ménopausiques, la fréquence des mutations est très basse. La première étape consiste à identifier une anomalie dans une famille où elle est suspectée. A ce niveau, une seule analyse est menée par famille, chez la personne chez laquelle la probabilité de trouver l’anomalie si elle existe est la plus grande. Il s’agit de la personne ayant développé le cancer à l’âge le plus jeune. La consultation d’oncogénétique doit être une démarche volontaire de la part du patient. Lors de cet entretien, l’oncogénéticien précise la structure familiale et les 3 antécédents. En fonction de tous ces éléments, il valide l’indication d’analyse génétique. Le résultat de cette analyse révèlera : - soit une mutation délétère (en moyenne, dans 10-15% des situations cidessus), authentifiant la prédisposition - soit aucune anomalie particulière. Ceci ne permet pas d’exclure la prédisposition et peut être expliqué par : • Soit par les limites techniques laissant inexplorée une proportion non négligeable du gène. • Soit par l’implication d’un autre gène que ceux qui ont été étudiés. • Soit par le simple fruit du hasard. - soit un variant de signification inconnue : le lien entre la variation observée et les risques de cancer ne peut être clairement établi. Risques associés aux mutations constitutionnelles de BRCA1 ou BRCA2 Chez la femme, une mutation de BRCA1 confère un risque de cancer du sein d’environ 50-60% et un risque de cancer de l’ovaire de 20 à 40%. Une mutation de BRCA2 génère un risque équivalent de cancer du sein, mais un risque de cancer de l’ovaire significativement inférieur, de l’ordre de 10 à 20%. Les cancers du sein associés à BRCA1 sont préférentiellement « triple-négatifs » (absence de récepteurs hormonaux, absence de surexpression de cerbB2), mais tous 4 les cancers triple-négatifs ne correspondent pas à une mutation constitutionnelle de BRCA1. Les cancers de l’ovaire sont préférentiellement une histologie séreuse. Il ne s’agit pratiquement jamais de forme mucineuse. Les tumeurs germinales de l’ovaire ne font pas partie du spectre BRCA, pas plus que les tumeurs borderline de l’ovaire. Chez l’homme, un risque de cancer du sein existe notamment avec BRCA2 mais est nettement plus faible (risque absolu de 2-4%). Un sur-risque de cancer de la prostate de quelques pourcents est habituellement retenu. Pour les deux sexes, un sur-risque de cancer du pancréas est également suspecté, notamment pour une mutation de BRCA2. Pour PALB2, seul le risque de cancer du sein a été estimé. Longtemps considéré comme un gène de prédisposition modérée, suite à une analyse poolée, les risques seraient assez proches de ceux de BRCA2, mais très influencé par l’histoire familiale. Prise en charge des femmes porteuses de mutation BRCA1, BCRA2, PALB2 Prise en charge du risque de cancer du sein: Il est recommandé de réaliser chez les personnes porteuses d’une mutation BRCA1 ou 2 : - une surveillance clinique, dès l’âge de 25 ans, par palpation mammaire chez le spécialiste 2 fois par an - des examens d’imagerie : mammographie et échographie mammaire annuelles dès l’âge de 30 ans. Les données récentes de la littérature permettent d’ajouter la réalisation d’IRM mammaires systématiques. Il est 5 actuellement préconisé de réaliser les 3 examens simultanément. Cette position est susceptible d’évoluer. Il n’y a pas d’examen biologique de dépistage. Cette surveillance est mise en place sans limite d’âge, ce qui exclut ces femmes du dépistage de masse. Ces recommandations devraient être modifiées en 2016. La mastectomie prophylactique n’est pas recommandée systématiquement, la surveillance étant mise en avant préférentiellement. Elle est cependant tout à fait acceptable. La patiente doit être systématiquement informée de cette possibilité, et accompagnée dans son choix, éclairée par les conseils techniques notamment des chirurgiens et d’un accompagnement psychologique. Un délai de réflexion suffisant doit être respecté. Il est variable selon les personnes, en fonction des niveaux d’information et de réflexion préalables. L’indication de tout geste prophylactique doit être validée de manière collégiale en réunion de concertation pluridisciplinaire. La prise en charge sénologique des femmes mutées PALB2 est identique. Prise en charge du risque de cancer de l’ovaire (BRCA1 et BRCA2 uniquement): Aucune surveillance ovarienne ne permet de dégager de bénéfice médical. Il est cependant d’usage de proposer une échographie pelvienne annuelle à partir de l’âge de 35 ans. Le manque de sensibilité et de spécificité de cet examen fait porter la recommandation d’une annexectomie prophylactique à la quarantaine. Ce geste radical permet de diminuer considérablement le risque de cancer de l’ovaire (risque 6 résiduel : environ 2%), et de diminuer le risque de cancer du sein d’environ 50% s’il est effectué avant 45 ans. Autres mesures : La contraception ne fait l’objet d’aucune mesure particulière, malgré un léger surrisque. L’usage des traitements hormonaux substitutifs de la ménopause est possible pour les femmes avec annexectomie à un âge précoce. Mesures pour les apparentés : Toute personne porteuse d’une mutation génétique peut à son tour transmettre l’anomalie génétique, avec un risque de 50% à chaque grossesse, quel que soit le sexe du parent ou celui de l’enfant. Les tests présymptomatiques peuvent alors être réalisés chez les enfants majeurs après réalisation d’une consultation de génétique. Pour PALB2, dans la mesure où de nombreuses questions demeurent, faute de données suffisantes à l’heure actuelle, il est préconisé de surveiller une femme non porteuse d’une mutation familiale de PALB2 selon les modalités prévues par la HAS pour les proches des femmes atteintes de cancer du sein (en général, mammographie annuelle à 40 ans). 7 Cas des familles évocatrices de prédisposition sans mutation identifiable : Lorsqu’aucune mutation n’est identifiée dans une famille, il n’y a pas de test génétique envisageable pour les apparentés, dont le risque reste difficile à évaluer. Pour les seins, une surveillance adaptée est proposée aux apparentées au premier degré de femmes ayant développé un cancer du sein ou de l’ovaire. Les dernières recommandations de la Haute Autorité de Santé de 2014 confient à l’oncogénéticien le classement de la famille entre « risque élevé de cancer du sein » et « risque très élevé ». Dans cette dernière catégorie, les examens de surveillance mammaire sont identiques à celles femmes porteuses de mutation BRCA1 ou BRCA2. Pour le « risque élevé », un suivi annuel par mammographie annuel est nécessaire dès l’âge de 40 ans et/ou 5 ans avant l’âge au diagnostic de cancer dans la famille. Le risque de cancer de l’ovaire dans les familles ne présentant que des cancers du sein est proche de celui de la population générale, ce qui justifie l’absence de prise en charge particulière. Dans les familles avec cancers du sein et cancer de l’ovaire, la prise en charge ovarienne des apparentées relève d’avis d’équipes spécialisées. Certains algorithmes (Brcapro, Bodicea, McCuzyck…) permettent de chiffrer le risque de cancer du sein, mais ils sont cependant d’une aide limitée pour ce type de situation (mauvaise discrimination / calibration). Autres gènes de prédisposition au cancer du sein 8 D’autres gènes sont impliqués de manière rarissime. STK11 (Syndrome de PeutzJeghers), PTEN (maladie de Cowden) et CDH1 (prédisposition aux cancers gastriques à cellules isolées) concernent des prédispositions dans lesquelles le cancer du sein n’est pas au premier plan. Dans le cadre du syndrome de Li Fraumeni, associé aux mutations du gène TP53, la place du cancer du sein est prépondérante. Il touche des femmes très jeunes (âge moyen 25 ans). La surveillance est essentiellement basée sur des IRM mammaires débutant entre 20 et 25 ans. La complexité de la prise en charge de ces familles Li Fraumeni résulte de l’incertitude concernant le risque de cancers d’autres organes (sarcomes, système nerveux central, hémopathies…), par ailleurs inaccessibles pour le moment à la surveillance. Lorsqu’une telle prédisposition est authentifiée ou fortement suspectée, l’indication d’analyse de TP53 et la prise en charge doivent s’effectuer dans des centres de référence. D’autres gènes peuvent également être impliqués, notamment RAD51C ou D, avec une fréquence présumée très faible, ou d’autres, comme CHEK2, avec une fréquence de mutation plus importante mais un effet très modéré en termes de risque. On peut citer également BARD1, ABRAXA, BRIP1… Les progrès technologiques (NGS) donne la possibilité d’analyser de nombreux gènes dans un délai acceptable et à moindre coût. Des « panels » sont désormais proposés par de nombreux laboratoires commerciaux ou académiques. Il est important de garder en tête que, même si l’analyse est techniquement faisable, compte-tenu des zones d’ombre, notamment sur la pénétrance des variants identifiés, l’analyse de ces 9 gènes ne s’entend en 2016 que dans le cadre de projets de recherche, sans utilisation clinique actuellement. Impact sur la prise en charge thérapeutique d’une personne porteuse de mutation constitutionnelle La présence d’une mutation constitutionnelle peut influencer les choix thérapeutiques. L’efficacité de nouveaux agents thérapeutiques (inhibiteurs de PARP ; trabectidine,…) est grandement augmentée en cas de présence d’une mutation constitutionnelle d’un gène BRCA. Les inhibiteurs de PARP sont encore en phase d’étude clinique pour le cancer du sein, mais il est probable que le statut mutationnel de BRCA fasse partie des éléments décisionnels. Le test génétique BRCA deviendra très probablement à terme utile pour l’adaptation thérapeutique, bouleversant les besoins et surtout les délais d’analyse. En outre, la présence d’une mutation de BRCA1/2 ou de TP53 permet de préciser le risque de nouveau cancer du sein, évalué à 50% à 10 ans. Elle apporte un argument fort mais non définitif en faveur d’un traitement non conservateur du sein. Enfin, une mutation constitutionnelle de TP53 représente une contre-indication relative à la radiothérapie en raison d’une radiosensibilité accrue. 10 Au total, la démarche en oncogénétique permet de préciser et de rationnaliser la surveillance de personnes à haut risque et d’apporter des arguments pour la prise en charge thérapeutique. Elle est multidisciplinaire. Par leur proximité avec les patientes et bien souvent leur famille, l’ensemble des médecins amenés à prendre en charge une femme atteinte de cancer du sein et de l’ovaire jouent un rôle majeur dans l’identification des situations à risque. 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N Engl J Med, 2009. 361(2): p. 123-34. 11 • Lee, J.S., E.M. John, V. McGuire, A. Felberg, K.L. Ostrow, R.A. DiCioccio, et al., Breast and ovarian cancer in relatives of cancer patients, with and without BRCA mutations. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev, 2006. 15(2): p. 359-63. • Domchek SM, Friebel TM, Singer CF, Evans DG, Lynch HT, Isaacs C, et al., Association of risk-reducing surgery in BRCA1 or BRCA2 mutation carriers with cancer risk and mortality. JAMA. 2010 Sep 1;304(9):967-75. • Thompson ER, Rowley SM, Li N, McInerny S, Devereux L, Wong-Brown MW, Trainer AH, Mitchell G, Scott RJ, James PA, Campbell IG. Panel Testing for Familial Breast Cancer: Calibrating the Tension Between Research and Clinical Care. J Clin Oncol. 2016 Jan 19. pii: JCO637454. [Epub ahead of print] 12