*ALGO 3/2003 22/09/03 11:35 Page 112 Éthique Éthique L’algologie doit avoir un code éthique Michel Y. Dubois *, Alex Cahana ** L’ algologie, aux États-Unis et dans la plupart des pays occidentaux, est arrivée à maturité. Au cours des dix dernières années, l’algologie est en effet devenue une véritable spécialité, et, parallèlement, l’un des champs d’activité les plus dynamiques de la médecine. Curieusement, néanmoins, et contrairement à d’autres domaines de la médecine, l’algologie n’a pas développé de recommandations d’ordre éthique concernant ses problèmes cliniques spécifiques. Des problèmes éthiques isolés concernant le traitement de la douleur, comme l’insuffisance de prescription analgésique ou encore l’utilisation des opiacés pour le traitement des douleurs non cancéreuses, ont fait l’objet de discussions et abouti à des propositions de recommandations. Mais la seule situation clinique pour laquelle les aspects éthiques ont été réellement discutés correspond au scénario du contrôle de la douleur chez les patients en fin de vie. Cet aspect a très longuement été discuté au cours des dernières années avec un certain nombre de résultats positifs. Il reste néanmoins une tâche considérable à accomplir pour établir des recommandations similaires adaptées aux autres situations cliniques couramment rencontrées. L’algologie a bénéficié d’avancées considérables sur le plan de la recherche comme sur le plan thérapeutique. Néanmoins, de nombreuses barrières s’opposent encore à une prise en charge efficace de la douleur. Ces barrières peuvent avoir été érigées par le patient, le soignant ou le système de soins. L’état actuel du système de soins aux Etats-Unis ne facilite guère le travail quotidien de l’algologue. Des décisions critiques concernant la stratégie thérapeutique, prises au jour le jour, sont ou ne sont pas les meilleures pour le malade, particulièrement lorsqu’elles sont réduites de manière significative par un tiers non soignant, en l’occurrence les organismes payeurs. L’algologie nécessite de manière urgente et cruciale de disposer des moyens de démontrer l’efficacité des traitements mis en œuvre et de mesurer leurs effets. Les médecins de la douleur sont en effet très fréquemment confrontés aux dilemmes suscités par des techniques dont l’efficacité n’est pas scientifiquement démontrée, par des traitements qu’ils contrôlent mal et dont ils ne mesurent pas les effets et l’efficacité. Nombre de ces dilemmes comportent un élément éthique qui doit être pris en considération. * New York University Pain Program, New York, États-Unis. ** Programme Antalgie interventionnelle, département APSIC, hôpitaux universitaires de Genève, Suisse. 112 Le Courrier de l’algologie (2), no 3, juillet/août/septembre 2003 La prise en considération et la discussion de ces aspects éthiques en préalable à la décision médicale en général, et thérapeutique en particulier, ont des implications pratiques en ce sens qu’elles évitent les abus : abus de la part du malade mais aussi abus engendré par le système de soins ou par le praticien. Quatre grandes situations schématiques favorisent l’abus : ✓ la situation bénéficie au médecin algologue dont “l’économie” personnelle (dettes, emprunts...) peut entraîner la prescription de soins qui ne sont pas nécessaires. En outre, en raison même du fait que ce domaine de la médecine n’a pas de standards bien établis (c’est-à-dire de protocoles cliniques), contrairement aux spécialités plus anciennes, et malgré les efforts pour construire des programmes de formation et exiger une formation minimale, la porte reste largement ouverte au charlatanisme ; ✓ la situation bénéficie au patient qui peut l’utiliser pour obtenir des bénéfices secondaires, ou encore pour s’installer dans une adaptation à sa maladie qui ne peut que rendre vaine et inefficace toute proposition thérapeutique ; ✓ la situation bénéficie au payeur, lorsque les excès auxquels entraîne une conception des soins fondée sur le profit des compagnies d’assurance, conduisent inévitablement à des abus de la part du malade ou du médecin ; ✓ l’agenda politique, qui n’a qu’un rapport éloigné avec les soins médicaux, peut avoir une influence décisive en fonction d’une plate-forme de propositions électorales, telles que la lutte contre le trafic illicite de stupéfiants, qui peut mener, parfois, à une restriction de l’accès aux antalgiques opiacés. Tous ces facteurs entraînent des prises de décision parfois difficiles pour l’algologue. Toutes ces situations comportent d’une certaine manière et de façon plus ou moins importante, un élément éthique. Comment un algologue pourrait-il, dans sa pratique quotidienne, suivre strictement les règles cardinales de l’éthique médicale : bénéfice pour le patient, absence de préjudice pour le patient, respect de l’équité et de l’autonomie pour le patient ? Comment le même médecin peut-il analyser des situations complexes lorsqu’il n’existe ni recommandations ni méthodologie ? Le besoin de concepts éthiques validés, acceptés et transposables à l’algologie est évident. L’Académie américaine de médecine de la douleur (AAPM, American Academy of Pain Medicine) et la Société américaine de la douleur (APS, American Pain Society) ont réuni un comité ad hoc (task force) et adressé un questionnaire à ses membres en août 1999, dans le but de les interroger sur leurs difficultés éventuelles et sur *ALGO 3/2003 22/09/03 11:35 Page 113 leur connaissance des problèmes éthiques liés à leur exercice médical. Plus de 30 % d’entre eux ont répondu (1 100 réponses), ce qui montre bien l’intérêt des algologues pour ces questions. Les problèmes éthiques les plus fréquemment évoqués étaient, sans surprise, la gestion de la douleur pour les patients en fin de vie et l’insuffisance de traitement de la douleur, notamment chez l’enfant et chez la personne âgée. D’autres points ont également été soulevés, comme l’impact des soins palliatifs sur le traitement de la douleur, les obstacles au traitement de la douleur et l’intérêt des procédures invasives (high-tech medical procedures), ou encore la gestion des rapports professionnels parfois conflictuels entre spécialistes à propos des stratégies de prise en charge de la douleur. Enfin, les médecins répondeurs s’estimaient eux-mêmes peu compétents en matière d’éthique. Des discussions professionnelles paraissent donc nécessaires autour des problèmes éthiques et moraux soulevés par l’exercice de l’algologie. Seule la discussion collective et la “sagesse” propre à chaque discipline peuvent amener à améliorer la qualité des soins. Cette approche collective doit également permettre aux algologues d’améliorer leur démarche diagnostique, leurs prescriptions et donc l’évolution à court, moyen et long terme de leurs patients. Cette approche pourrait également avoir un impact économique non négligeable et contribuer à donner à l’algologie les ■ lettres de noblesse qu’elle mérite. Référence bibliographique Résumé/Summary L’algologie doit avoir un code éthique L’algologie, dans la plupart des pays occidentaux, est arrivée à maturité. Dans certains pays, notamment aux États-Unis, l’algologie est devenue une spécialité à part entière et, dans d’autres, un exercice spécifique commun à plusieurs spécialités. Parallèlement, l’algologie s’est affirmée comme l’une des spécialités les plus dynamiques et innovantes. Néanmoins, contrairement à d’autres domaines médicaux, l’algologie ne dispose pas de recommandations éthiques spécifiques. Les auteurs rapportent et commentent les résultats d’un questionnaire adressé par l’Académie américaine d’algologie et par la Société américaine de la douleur à ses membres à propos des problèmes éthiques et moraux, résultats qui rejoignent tout à fait les problématiques européennes. Éthique Éthique Mots-clés :Traitement de la douleur - Algologie - Éthique. Why pain medicine must have a code of ethics Pain Medicine, in the US and in most Western countries, is coming of age. During the last 10 years, Pain Medicine has become, indeed, a specialty of its own, and, at the same time, one of the most dynamic fields in today's medicine. Interestingly enough, however, and contrary to other established fields of medicine, Pain Medicine does not have a set of ethical guidelines addressing specific problems of clinical management. The authors report and comment the results of a survey on ethical issues, sent to the members of the AAPM (American Academy of Pain Medicine) and of the APS (American Pain Society). Keywords: Pain Medicine - Ethics. 1. American Medical Association. Education for Physicians on End-oflife Care. Trainer’s guide on CD-Rom, 2000. Les articles publiés dans “Le Courrier de l’algologie” le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays. © Datebe - septembre 2002. Imprimé en France - EDIPS - 21800 Quetigny - Dépôt légal : à parution Le Courrier de l’algologie (2), no 3, juillet/août/septembre 2003 113