6 DIAGRAMMES PRESSION-VOLUME INTRAVENTRICULAIRES Comment évaluer l’influence de la précharge, de la postcharge et de la contractilité sur la pompe cardiaque ? Comment évaluer le travail cardiaque ? Le diagramme pression-volume intraventriculaires (gauches ou droites) ou diagramme P-V est une autre représentation du fonctionnement de la pompe cardiaque qui consiste à éliminer le temps entre les courbes de la pression et du volume intraventriculaires de la Figure 4-10. Sur un tel diagramme, il est facile d’observer les effets d’une modification, par exemple, de la précharge, de la postcharge ou de la contractilité. De plus, le travail ventriculaire est immédiatement visualisé. DÉFINITIONS La contraction d’un muscle strié est caractérisée par deux paramètres essentiels : la force (appelée improprement tension) qu’il développe et ses variations de longueur. Si la contraction s’effectue à force constante, elle est appelée isotonique. Si elle se réalise à longueur constante, elle est dite isométrique. Mais en général, force et longueur varient : on dit que la contraction est auxotonique. Dans le cas du cœur, la pression et le volume intraventriculaires sont les paramètres équivalents à la force et à la longueur. La pression est mesurée à l’aide d’un capteur de pression placé à l’extrémité d’un cathéter introduit dans le ventricule ; le volume intraventriculaire peut être évalué par radiographie. On définit une contraction isobarique dans laquelle la pression reste inchangée, une contraction isovolumique qui s’effectue avec un volume intraventriculaire constant et une contraction auxobarique quand la pression et le volume intraventriculaires varient simultanément. Le volume de sang que contient le ventricule en fin de diastole, appelé volume télédiastolique, représente la précharge. Au moment de l’ouverture de la valve aortique, alors que la précharge diminue en raison de l’éjection du sang, une nouvelle charge apparaît, représentée par l’impédance d’entrée de l’aorte (ou de l’artère pulmonaire) : on l’appelle la postcharge1. 1. Précharge et postcharge sont parfois définies comme étant représentées par la tension pariétale diastolique et systolique. 38 COMPRENDRE LA PHYSIOLOGIE CARDIOVASCULAIRE L’élastance définit l’élasticité, c’est-à-dire la propriété pour un corps déformable allongé ou comprimé par une force de retourner à son état initial. L’élastance cardiaque passive est due aux propriétés élastiques du muscle cardiaque au repos. L’élastance active représente une élastance supplémentaire provoquée par l’augmentation, lors de la contraction, du nombre des ponts actine-myosine des myofilaments contenus dans les cellules cardiaques. ÉTABLISSEMENT DU DIAGRAMME P-V Si en coordonnées cartésiennes on porte les variations de la pression intraventriculaire P en ordonnées et du volume intraventriculaire V en abscisses du ventricule gauche par exemple, durant tout un cycle cardiaque, on obtient une boucle fermée appelée diagramme P-V (Figure 6-1). Les quatre côtés du diagramme P-V correspondent aux quatre phases du cycle cardiaque. Phase I AB représente la phase de remplissage. Les coordonnées de A définissent la pression et le volume au début du remplissage ; celles de B la pression et le volume de fin de remplissage ou pression et volume télédiastoliques (fin de diastole) désignés par PED et VED (E : end ; D : diastole). D’après plusieurs auteurs (Maugham et al. 1979, Suga et al. 1974, etc.), la pression du début de remplissage ventriculaire est négative : le point A se trouverait ainsi en dessous de l’axe des volumes. Cela confirme l’effet d’aspiration responsable en partie du remplissage ventriculaire. Phase II Le segment BC correspond à la contraction isovolumique. P D A C B Figure 6-1 Diagramme P-V. V DIAGRAMMES PRESSION-VOLUME INTRAVENTRICULAIRES 39 Phase III Lorsque la pression intraventriculaire dépasse la valeur de la pression aortique, la valve aortique s’ouvre (point C) et la phase d’éjection commence. Pendant cette phase, le volume diminue (C à D) tandis que la pression continue d’augmenter, passe par un maximum puis diminue. Il s’agit donc d’une contraction auxobarique. Le point D définit la pression PES et le volume VES télésystoliques (fin de systole). Phase IV Le segment DA correspond au relâchement isovolumique. La différence entre les volumes intraventriculaires télésystolique VES (volume résiduel) et télédiastolique VED (volume de remplissage) donne le volume d’éjection systolique Vs. Les phases II et III constituent la systole, les phases I et IV la diastole. HISTORIQUE Le premier diagramme P-V fut donné par Frank en 1898, puis complété par Sulzer et Reichel dans les années 1930 (Figure 6-2). Ces auteurs ont défini trois courbes, conditions limites de la contraction. — La courbe 1, courbe réelle, est le lieu des points qui correspondent aux pressions passives (en l’absence de contraction) enregistrées au cours du remplissage, avec différentes valeurs de précharge. La courbe 1 est le lieu des points B (B est le début de la phase II : contraction isovolumique), aussi généralement l’appelle-t-on courbe des pressions minimales en contraction isovolumique, en abrégé courbe des minima isovolumiques. Elle est aussi appelée courbe des pressions passives. — La courbe 2 est le lieu des points E qui correspondent aux pressions maximales en contraction isovolumique (E est sur la droite BC). Cette courbe ne peut être obte- Figure 6-2 Diagramme P-V (Frank, Sulzer et Reichel, 1930). 40 COMPRENDRE LA PHYSIOLOGIE CARDIOVASCULAIRE nue qu’artificiellement en clampant l’aorte (ou l’artère pulmonaire) et en mesurant la pression maximale atteinte lors de la contraction pour différentes valeurs de précharge. Cette courbe de pressions maximales en contraction isovolumique est généralement dénommée, en abrégé, courbe des maxima isovolumiques. — La courbe 3 est le lieu des points F qui correspondent aux volumes maximaux d’éjection atteints lorsque pendant l’éjection on impose artificiellement une pression constante égale à la pression télédiastolique (point B), et ceci avec différentes valeurs de précharge. Cette courbe des volumes maximaux d’éjection en contraction isobarique est généralement dénommée, en abrégé, courbe des maxima isobariques. Les points E et F constituent les limites du lieu du point D correspondant à la pression et au volume télésystolique atteints en contraction auxobarique pour une précharge donnée. Le point D est situé sur la courbe 4 qui relie les points E et F. Les résultats de Frank et d’autres auteurs, obtenus avec des ventricules de grenouille, montrent que la courbe 4 est assimilable à un segment de droite. DIAGRAMME P-V MODERNE Dans les années soixante, il est devenu évident que ce diagramme pression-volume devait être modifié pour un ventricule de mammifère. Ainsi (Figure 6-3) Monroe et al. (1961), Suga et al. (1973), Weber et al. (1976) et Sagawa (1978), entre autres, ont montré que contrairement au concept de Frank et Reichel, les courbes 2 et 3 et par conséquent 4 étaient confondues. Ces courbes pouvaient être représentées par une droite L (lieu des points D) dont la pente représente l’élastance active télésystolique EES du ventricule ou élastance maximale Emax car sa valeur correspond à la valeur maximale de l’élastance atteinte en fin d’éjection. Son équation est donnée par : Figure 6-3 Diagramme P-V (Sagawa, 1978). DIAGRAMMES PRESSION-VOLUME INTRAVENTRICULAIRES 41 PES EES (VES Vd) ou EES PES/(VES Vd) (1) Vd (d pour dead, mort), point où la droite L coupe l’axe des volumes, représente le volume mort car ce volume ne contribue pas à engendrer une pression active pendant la systole. La valeur de Vd varie légèrement pendant le cycle cardiaque atteignant un minimum à la fin de la systole. Vd est différent de Vu qui est le volume où la courbe 1 du diagramme P-V de Frank rejoint l’axe des volumes. Enfin, Vd est plus petit que Vu (respectivement 5 à 8 ml et 15 à 20 ml pour un chien de 20 kg). Les expériences montrent que la droite L ne change pas lors des modifications de la précharge ou de la postcharge. En revanche, un changement de contractilité se traduit par un changement de pente de la droite L mais avec une valeur de Vd qui reste inchangée. L’élastance active E varie au cours de la systole. L’équation (1) est généralisable à toute la systole et s’écrit : E (t) P (t)/(V (t) Vd (t)) (2) L’équation (2) montre que la courbe d’élastance peut être tracée si l’on connaît P (t), V (t) et Vd (t). Les travaux de Little et al. (1988) réalisés sur des cœurs in situ de chien éveillés montrent que la droite L présente en réalité une concavité dirigée vers l’axe des volumes. Cependant, la relation entre PES et VES (1) peut être considérée comme linéaire sur une gamme de valeurs de PES comprise entre 30 et 60 mmHg. INFLUENCE DE LA PRÉCHARGE, DE LA POSTCHARGE ET DE LA CONTRACTILITÉ SUR LE DIAGRAMME P-V Précharge Une augmentation du volume de remplissage provoque une augmentation de la précharge. Le point B du diagramme P-V se déplace vers la droite en B′ (Figure 6-4 (1)). Le volume d’éjection Vs augmente (loi de Starling), et donc la pression aortique moyenne augmente. Une plus grande pression intraventriculaire est nécessaire pour ouvrir la valve aortique : le point C se déplace vers le haut en C′. À contractilité égale, la pression ventriculaire télésystolique est plus importante (point D ′). Malgré un volume résiduel plus grand, le volume d’éjection Vs est augmenté : V′s Vs. Ainsi une augmentation du volume télédiastolique provoque une augmentation du volume d’éjection sans changement de contractilité, ce qui est en conformité avec la loi de Starling. Une diminution de la précharge a un effet inverse. 42 COMPRENDRE LA PHYSIOLOGIE CARDIOVASCULAIRE Figure 6-4 Influence de la précharge (1), de la postcharge (2) et de la contractilité (3) sur le diagramme P-V. Postcharge Pour faire varier la postcharge, c’est-à-dire l’impédance d’entrée de l’arbre artériel, on peut modifier la résistance périphérique ou la compliance d’entrée de l’arbre artériel. Par exemple, une augmentation de la résistance périphérique augmente la pression aortique moyenne et la pression intraventriculaire (les points C et D sont déplacés vers le haut en C′ et D′ sur le diagramme P-V), mais diminue le débit aortique et le volume d’éjection : V′s Vs (Figure 6-4 (2)). Contractilité La valeur maximale de l’élastance active est donnée par la pente de la droite L du diagramme P-V. Une augmentation de la contractilité (effet inotrope positif) provoque une augmentation de la pente de cette droite. Le volume télédiastolique (point B) reste similaire ou diminue très légèrement. Comme le volume télésystolique diminue (point D′), il en résulte que le volume d’éjection Vs augmente : V′s Vs (Figure 6-4 (3)). L’augmentation de Vs provoque une augmentation de la pression aortique moyenne (le point C est déplacé vers le haut en C′). Voir Modèle de compréhension de l’activité mécanique cardiovasculaire, annexe 1. TRAVAIL DU CŒUR D’une manière générale, le travail W est égal au produit de la force F par le déplacement d : WFd (1) DIAGRAMMES PRESSION-VOLUME INTRAVENTRICULAIRES 43 Dans le cas du cœur, la force est la pression P s’exercant sur une surface S qui est la surface de section de l’aorte ou de l’artère pulmonaire. L’équation (1) s’écrit : WPSd or S d V où V est le volume de sang déplacé, et donc : W P V. Le travail d’un ventricule est donc représenté par la surface interne au diagramme P-V en grisé sur la Figure 6-3. Si l’on additionne les surfaces délimitées par le diagramme P-V des deux ventricules, on obtient la valeur du travail produit par le cœur au cours d’un cycle cardiaque. Pratiquement, pour évaluer le travail d’un ventricule, on prend : W Vs j P où Vs est le volume d’éjection systolique et P j la pression ventriculaire moyenne pendant l’éjection. Si l’on exprime Vs en m3 et P j en pascal, on obtient le travail en joules J. Avec un volume d’éjection égal à 8 105 m3 (80 ml) et une pression moyenne pendant l’éjection du ventricule gauche égale à 13 330 pascals (100 mmHg), on obtient : W 8 105 13 330 1,06 J Le travail produit par le ventricule droit est environ 1/6 de celui du ventricule gauche. Lors d’un exercice physique, le travail du cœur peut augmenter jusqu’à 6 fois sa valeur de repos. DIAGRAMME TRIDIMENSIONNEL DE LA CONTRACTION CARDIAQUE En plus de la force F et de la longueur L, un autre paramètre important de la contraction d’un muscle strié est la vitesse de raccourcissement dL/dt. Dans le cas du cœur, le paramètre équivalent est la vitesse de contraction dV/dt, où V est le volume du cœur. Il est donc intéressant de représenter par un diagramme tridimensionnel (pression intraventriculaire, volume intraventriculaire, vitesse de contraction) la contraction, par exemple du ventricule gauche (Figure 6-5, 1) (attention à l’orientation de l’axe des volumes sur la figure) : — AB correspond à la phase de remplissage (phase I) ; — BC situé dans le plan pression-vitesse représente la phase de contraction isovolumique (phase II). La vitesse de contraction s’accroît très rapidement pendant la phase initiale de la contraction isovolumique puis décroît jusqu’au début de l’éjection (point C); — CD représente la phase d’éjection (phase III) : volume et vitesse diminuent ; — DA correspond au relâchement isovolumique (phase IV) ; — AB représente le volume d’éjection Vs. 44 COMPRENDRE LA PHYSIOLOGIE CARDIOVASCULAIRE vitesse vitesse 2 1 C B volume A pression pression volume précharge D vitesse vitesse 4 3 pression pression volume volume postcharge contractilité Figure 6-5 Diagrammes tridimensionnels de la contraction cardiaque (1 : normal ; 2 : augmentation de la précharge ; 3 : augmentation de la postcharge ; 4 : augmentation de la contractilité). Comme pour le diagramme P-V, il est possible d’analyser sur ce diagramme tridimensionnel le fonctionnement de la pompe cardiaque (gauche ou droite) au cours d’une variation isolée ou simultanée d’un des trois facteurs déterminants : précharge, postcharge et contractilité (Figure 6-5, 2 à 4). Le diagramme P-V moderne établi avec des ventricules de mammifère est différent du diagramme classique obtenu à partir de ventricules de grenouille. En particulier la droite L, lieu des pressions et volumes télésystoliques, ne change pas lors des modifications de la précharge et de la postcharge. En revanche, un changement de la contractilité se traduit par un changement de pente de la droite L. Le diagramme P-V moderne permet de comprendre le fonctionnement de la pompe cardiaque normal ou au cours de la variation d’un ou plusieurs des trois facteurs déterminants : précharge, postcharge et contractilité. Si en plus de la pression P et du volume V, on tient compte de la vitesse de contraction dV/dt, on peut établir un diagramme tridimensionnel de la contraction cardiaque.