Mini-revue Sang Thrombose Vaisseaux 2006 ; 18, n° spécial : 22-6 Épidémiologie et facteurs de risque de la maladie thrombo-embolique veineuse du sujet âgé Claude Jeandel Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Centre de prévention et de traitement des maladies du vieillissement, CHU, 34295 Montpellier <[email protected]> L a maladie thrombo-embolique veineuse (MTEV) représente un problème de santé publique majeur et sa prévention demeure une préoccupation quotidienne en milieux chirurgical et médical. Données épidémiologiques La prévalence moyenne de la MTEV évaluée à partir de séries autopsiques est de 33 % avec une prévalence de 23 % pour les thromboses veineuses profondes (TVP) et de 24 % pour les embolies pulmonaires (EP) dont 8 % pour les embolies mortelles [1]. La prévalence des TVP authentifiées par méthodes isotopiques chez des patients médicaux ne recevant pas de prophylaxies varie entre 9 et 26 % dans les études épidémiologiques [2] et dans les groupes contrôles des études cliniques [3]. Elle est plus élevée chez les patients considérés être à haut risque de maladie thrombo-embolique veineuse. Elle varie ainsi de 17 à 34 % dans les suites d’un infarctus du myocarde [4] et de 23 à 75 % après un accident vasculaire cérébral ischémique [5]. L’étude d’Anderson à Worcester établit à 48/100 000 habitants l’incidence annuelle des TVP et à 23/100 000 habitants celle de l’embolie pulmonaire [6]. Le risque thrombo-embolique augmente significativement avec l’âge tant en milieu chirurgical qu’en milieu médical. La prévalence des TVP en chirurgie générale s’élève de 19 % avant 60 ans à 36 % après 60 ans et à 65 % après 70 ans. Dans l’étude d’Anderson à Worcester, l’incidence moyenne des TVP dans les services de court séjour augmente de façon exponentielle avec l’âge [6]. Elle s’élève de 43 à 291/100 000 de la sixième à la neuvième décennie. Après 70 ans, l’incidence de la TVP est 10 fois supérieure à celle des 30-49 ans et est grevée d’une surmortalité immédiate et tardive (2 à 3 ans après l’événement) [6]. Dans l’enquête Sirius qui portait sur des patients ambulatoires consultant leur médecin généraliste pour des manifestations évocatrices de TVP, cette dernière s’avère significativement plus fréquente après 60 ans [7]. Dans l’étude de Nylander qui établit l’incidence annuelle de la TVP à près de 1 % dans une population de 263 144 habitants, sa fréquence est maximale pour les deux sexes dans la tranche 60-78 ans [8]. Plus fréquente, la maladie thrombo-embolique veineuse est également plus souvent sous-diagnostiquée ou méconnue chez le sujet âgé. Si les études 22 STV, vol. 18, numéro spécial, mars 2006 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. autopsiques montrent la présence d’une embolie pulmonaire dans 20 à 30 % des cas après 65 ans, celle-ci est le plus souvent méconnue. La maladie thrombo-embolique veineuse est une pathologie fréquente en gériatrie. Son incidence augmente de façon exponentielle avec l’âge [9, 10], en particulier après 60 ans. Son incidence annuelle est selon les études comprise entre 3 et 7 ‰ après 75 ans [11]. Les formes pauci ou asymptomatiques de thrombose veineuse profonde sont plus fréquentes chez le sujet âgé. L’étude Tadeus [12] estime la prévalence de TVP asymptomatiques à l’admission dans un service de Médecine Interne à 3,3 % entre 55 et 69 ans, 4,1 % entre 70 et 80 ans et 17,8 % après 80 ans. Une étude récente établit la prévalence de la TVP asymptomatique dans une unité de soins aigus gériatriques (âge moyen 85 ans) à 12 % [13]. La TVP asymptomatique non traitée, en particulier dans sa localisation proximale, est de mauvais pronostic tout particulièrement chez le sujet âgé. Les données relatives aux sujets âgés hébergés en institution sont peu nombreuses et l’incidence de la TVP demeure encore imprécise dans ces populations. Une étude prospective a permis d’en établir l’incidence minimale dans une unité de 120 lits de long séjour à 15 événements pour 100 patients par an [14]. Elle est également plus grave et plus souvent mortelle, se compliquant d’EP dans 40 % des cas. W. Coon évalue respectivement à 43 % et à 8,6 % le risque modéré et élevé de développer une TVP chez des patients d’âge moyen 85 ans hébergés en long séjour [15]. chez seulement 4 des 21 patients. La TVP se complique d’une embolie pulmonaire documentée chez plus d’un patient âgé de 80 ans sur deux (52 %) [20]. Volontiers pauci ou asymptomatique chez le sujet âgé, la TVP se révèle dans environ un tiers de cas (32 %) par une embolie pulmonaire [20]. Outre l’embolie pulmonaire et l’hypertension artérielle pulmonaire pouvant en résulter, la TVP peut se compliquer d’un syndrome postphlébitique volontiers invalidant. Vingt-cinq pour cent seulement des décès par embolie pulmonaire en milieu hospitalier surviennent dans les suites d’une intervention chirurgicale récente ce qui souligne l’importance de la prévention de la maladie veineuse thrombo-embolique chez les patients non chirurgicaux. Facteurs pathogéniques Différentes études transversales et longitudinales ont permis d’identifier plusieurs facteurs de risque de la maladie veineuse thrombo-embolique chez les patients médicaux [7]. Les premières recensent les facteurs de risque dans des groupes de patients porteurs d’une TVP documentée. Les secondes évaluent la fréquence de survenue d’une TVP à partir des groupes de contrôles des essais cliniques. Si certains facteurs de risque, tels que l’âge, peuvent être considérés comme intrinsèques, d’autres résultent des états pathologiques potentiellement thrombogènes. Les facteurs de risque intrinsèques au patient Pronostic Le risque d’embolie pulmonaire augmente de manière significative avec l’âge [14] et la fréquence des décès par EP chez les patients âgés hospitalisés est élevée [6]. La TVP des membres inférieurs et l’embolie pulmonaire sont responsables en milieu ambulatoire et hospitalier d’un grand nombre d’erreurs diagnostiques par défaut ou par excès, rendant compte d’une mortalité élevée. La plupart des grandes séries autopsiques soulignent le nombre élevé de décès par embolie pulmonaire (de 13 à 25 %) et leur fréquente méconnaissance du vivant du patient [16]. L’EP massive est responsable de 4 à 8 % de la mortalité en milieu hospitalier [17]. La mortalité hospitalière de la maladie veineuse thrombo-embolique est évaluée à 12 % [18]. L’embolie pulmonaire est incriminée dans les séries autopsiques hospitalières à l’origine de 4 à 11 % des décès dont trois-quarts concernent des patients issus de service de médecine [1]. Dans l’étude de Menin [19], 83 % des 30 patients âgés décédés en moyen séjour présentaient une embolie pulmonaire authentifiée par angio-pneumographie post mortem et le diagnostic avait été porté cliniquement • L’âge représente un des plus importants facteurs de risque de TVP après la chirurgie. W. Coon dans une étude épidémiologique portant sur plus de 4 000 patients a pu établir que si le risque thrombo-embolique était arbitrairement fixé à 1 pour un sujet de 35 ans, il s’élevait à 2,2 à 50 ans et augmentait considérablement au-delà [15]. • L’obésité apparaît au deuxième rang des facteurs de risque après l’âge dans l’étude transversale d’Anderson portant sur un collectif de 1 231 patients porteurs d’une TVP [21]. • Les antécédents de maladie thrombo-embolique veineuse (MTEV). Plus d’un quart (26 %) des 1 231 patients de l’étude d’Anderson présente des antécédents de MTEV. Dans l’étude cas contrôle Sirius, portant sur des patients non hospitalisés présentant une TVP, l’existence d’antécédents de MTEV multiplie par 15,6 le risque de TVP [7]. • L’alitement prolongé (supérieur à 5 jours) concerne 12 % des patients de l’étude d’Anderson et l’immobilisation récente multiplie par 5,6 le risque de TVP [7]. La fréquence des thromboses veineuses autopsiques dépasse 50 % après 5 ou 6 jours d’alitement sans traitement antithrombotique STV, vol. 18, numéro spécial, mars 2006 23 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. quelle que soit la nature chirurgicale ou médicale de la pathologie à l’origine du décès. À côté de l’immobilisation totale au lit, où le risque thrombotique est manifeste, la réduction de l’autonomie d’un patient assurant seulement ses transferts lit-fauteuil ou confiné au fauteuil roulant expose également à un risque non négligeable. Le risque de TVP augmente dans ces conditions si l’on recourt à des systèmes de contention faisant obstacle au retour veineux. • L’insuffisance veineuse chronique des membres inférieurs. • Les états thrombophiliques résultant d’anomalies constitutionnelles ou acquises de la coagulation (déficit en antithrombine III, protéine C, protéine S, résistance à la protéine C activée, déficit en deuxième cofacteur de l’héparine, anomalies du fibrinogène ou de la fibrinolyse, anticorps anti-phospholipides). L’hyperhomocystéinémie résultant d’une carence vitaminique (folates, vitamine B6, vitamine B12) apparaît comme un facteur de risque de MTEV dont le rôle semble augmenter avec l’âge [22]. • Facteurs plus hypothétiques. D’autres facteurs plus hypothétiques pourraient concourir à l’augmentation du risque de maladie veineuse thrombo-embolique chez le sujet âgé. Les modifications hémorrhéologiques associées à l’âge et les modifications de l’équilibre entre les facteurs procoagulants (augmentation du fibrinogène, des facteurs V, VII, VIII, Xa, de l’activité thrombine, de l’adhésivité plaquettaire) et les facteurs anticoagulants (diminution de l’activité fibrinolytique et de l’antithrombine III) engendreraient un état naturel d’hypercoagulabilité [23, 24]. Les pathologies à potentiel thrombogène Si les patients chirurgicaux représentent un groupe relativement homogène vis-à-vis du risque de TVP (la chirurgie du col fémoral se complique de TVP dans 40 % des cas et d’embolie pulmonaire dans 5 % des cas) et qu’une attitude prophylactique relativement bien codifiée peut leur être appliquée, les patients médicaux apparaissent être un groupe plus hétérogène à l’égard de ce risque. Des mesures préventives doivent cependant leur être appliquées car les trois quarts des patients victimes d’EP sont nonchirurgicaux. Certaines pathologies cardiologiques ou neurologiques exposent à un risque élevé de MTEV. • L’infarctus du myocarde récent : la prévalence de la TVP détectée par le fibrinogène marqué chez les patients présentant un infarctus du myocarde varie de 17 à 38 % [20]. Elle est plus élevée quand l’infarctus se complique d’insuffisance cardiaque (30 à 38 %) [25]. • L’insuffisance cardiaque : la prévalence de la TVP est de 20 % chez les patients présentant une insuffisance cardiaque en l’absence d’infarctus du myocarde et d’infection 24 pulmonaire [2]. Dans l’étude de Cogo et al. portant sur 278 patients hospitalisés pour TVP, le risque de survenue d’une TVP est multiplié par un facteur proche de 2 s’il existe une insuffisance cardiaque [26]. • L’accident ischémique cérébral : la prévalence de la TVP détectée par le fibrinogène marqué varie dans l’accident ischémique cérébral de 28 à 75 % [5]. Dans 90 % des cas, la TVP se développe au niveau du membre inférieur paralysé. Dans 20 à 50 % des cas, elle s’étend en aval de la région poplitée. Le risque de TVP perdure au-delà de la phase aiguë de l’accident vasculaire cérébral tant que persistent le déficit moteur et la réduction de l’autonomie. • Les néoplasies : dans l’étude transversale d’Anderson et al. portant sur un collectif de 1 231 patients porteurs d’une TVP, 22,3 % des patients sont porteurs d’une néoplasie et le cancer se situe au 4e rang des facteurs de risque après l’âge, l’obésité et les antécédents de MTEV [16]. Le risque de survenue d’une TVP est multiplié par plus de 2 en présence d’une néoplasie [26]. La fréquence de survenue d’une TVP en cours d’hospitalisation chez les patients porteurs d’une néoplasie varie de 7 à 37 % [27]. Les cancers exposant au risque le plus élevé de TVP sont ceux du pancréas, de l’estomac, de la sphère génito-urinaire, du poumon, du côlon et du sein. • Les traumatismes : les traumatismes musculaires récents multiplient par 7,6 le risque de TVP [7]. • L’insuffisance respiratoire obstructive ou restrictive, la déshydratation, les troubles du rythme cardiaque. • Les pathologies à l’origine d’un syndrome inflammatoire telles que les pathologies infectieuses et systémiques sévères multiplient par 5,7 le risque de TVP [7]. Kierkegaard et al. [2] ont étudié la prévalence de la MTEV chez des patients admis en court séjour pour pathologie infectieuse. Celle-ci s’établit à 13 % mais la plupart des patients présentaient une affection cardiaque ou une pneumopathie. • Les affections favorisant l’hypercoagulabilité et/ou l’hyperviscosité (hématocrite > 55 %, plaquettes > 500 000/ mm3) telles que les syndromes myéloprolifératifs ou le syndrome néphrotique peuvent également majorer le risque de MTEV. Très peu d’études ont évalué le risque de TVP dans des groupes médicaux non sélectionnés. La plupart des études se réfèrent au bras placebo des essais randomisés. Cade et al. [28] comparent des patients admis en unité de soins intensifs cardiologiques à un groupe de patients en unité de soins standard. Un tiers des patients des soins intensifs ont des antécédents chirurgicaux récents, les autres présentent une insuffisance respiratoire ou circulatoire. Vingt-neuf pour cent d’entre eux développent une TVP contre 10 % dans le groupe hospitalisé en unité de soins standard. STV, vol. 18, numéro spécial, mars 2006 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Indépendamment de l’âge, les antécédents de maladie thrombo-embolique veineuse, les néoplasies, l’infarctus du myocarde, l’insuffisance cardiaque et l’accident ischémique cérébral constituent donc les principaux facteurs de risque de TVP chez le sujet âgé. Cependant, les malades âgés sont, de plus, volontiers exposés à des pathologies aiguës intercurrentes de nature infectieuse, à des pathologies inflammatoires ou néoplasiques qui modifient la coagulation, la fibrinolyse, l’activité plaquettaire, réduisent l’activité physique et favorisent la décompensation de la fonction ventriculaire gauche. L’ensemble de ces facteurs intrinsèques et pathologiques sera fréquemment intriqué pour agir sur une des composantes de la triade de Virchow. – Les facteurs de stase veineuse : immobilisation ou réduction de mobilité, surpoids, insuffisance veineuse et vasodilatation veineuse postopératoire, insuffisance cardiaque, sarcopénie (diminution de la masse musculaire des membres inférieurs) et anomalies de la pompe musculoveineuse. La pompe musculoveineuse, qui favorise le retour veineux et s’oppose à la stase en position debout, ne présente pas de déficit dans sa composante circulatoire chez des sujets âgés de 80 ans, indemne de pathologie veineuse mais s’avère déficiente en raison de facteurs locaux extra-vasculaires (déficit musculaire et de la fonction articulaire), résultant du vieillissement intrinsèque, de la dénutrition, de l’alitement prolongé et du déconditionnement physique. Son fonctionnement pourrait donc être amélioré par la correction de ces facteurs (trophicité musculaire, mobilité articulaire) [29]. La fonction veineuse circulatoire est cependant fréquemment altérée chez le sujet âgé par l’effet additif des facteurs favorisant l’insuffisance veineuse : altération de la pompe cardiaque, gêne du jeu respiratoire, affaissement de la voûte plantaire rendant moins efficient l’écrasement de la semelle veineuse, insuffisance valvulaire consécutive à l’atteinte pariétale ou séquellaire de thromboses veineuses. – Les facteurs veineux (anomalies pariétales) : le vieillissement intrinsèque du système nerveux (« phlébosclérose ») se caractérise histologiquement par une fibrose parcellaire des trois tuniques de la paroi veineuse respectant les valvules. Il se manifeste cliniquement par des lacis télangiectasiques du tiers inférieur des jambes fréquemment associés à des signes d’insuffisance veineuse (varices et dermite ocre). Différentes situations peuvent être à l’origine des lésions intimales (traumatismes, chirurgie, antécédents de thrombose, brûlures). – Les modifications hémorrhéologiques et de l’hémostase induites ou favorisées par l’âge, les néoplasies, la période postopératoire, l’infarctus du myocarde, la polyglobulie, l’hémolyse, la déshydratation, et l’inflammation peuvent conjuguer leurs effets pour créer un état prothrombotique : hypercoagulabilié accentuée et entretenue par la stase, la diminution de la filtrabilité des monocytes, hyperagrégabilité plaquettaire, diminution de la fibrinolyse, hyperagrégabilité érythrocytaire, augmentation de la viscosité plasmatique, hyperfibrinogénémie. ■ Références 1. Lindblad B, Sternby NH, Bergvist D. Incidence of venous thromboembolism verified by necropsy over 30 years. BMJ 1991 ; 302 : 709-11. 2. Kierkegaard A, Norgren L, Olson CG, Castenfars J, Persson G, Persson S. Incidence of deep vein thrombosis in bedridden non surgical patients. 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