DOSSIER THÉMATIQUE Journée FFCD-PRODIGE Comment prendre en charge la santé sexuelle de nos patients cancéreux ? How to take into account the sexual health of our patients? Daniel Habold* Le droit à la santé sexuelle © La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue 2013;2(mars-avril):55-6. *Centre hospitalier de Chambéry, Réponse onco-sexologique des Alpes (ROSA). La Fédération française de cancérologie digestive (FFCD) se préoccupe à son tour des modalités d’une prise en charge adaptée des conséquences du cancer et de ses traitements sur la sexualité. Au-delà des aspects toujours plus complexes des stratégies diagnostiques nécessaires à la mise en œuvre de traitements codifiés évolutifs et constamment réévalués, les praticiens doivent également organiser la meilleure vie possible pour leurs malades et familles. Le propos n’est pas de transformer les spécialistes en sexologues, bien que certains suivent les enseignements de ce diplôme inter-universitaire, mais bien de sensibiliser à la prise en compte de la qualité de vie sexuelle pendant et après les cancers digestifs. Le fait est que les survies augmentent, que les patients aspirent fortement à une médecine curative et soucieuse de leur qualité de vie, et que l’Organisation mondiale de la santé n’est pas prête à modifier la définition de la santé, dans laquelle l’aspiration à une santé sexuelle épanouissante est un droit des patients et un devoir soignant, au même titre que la santé organique ou psychique. Comme pour les autres localisations, la littérature scientifique produit chaque jour un peu plus d’informations sur ce que sont les complications sexuelles des cancers et de leurs traitements (1). La métaanalyse (2) de 2012 portant sur 82 études réalisées entre 1990 et 2010 et objectivant les dysfonctions sexuelles et atteintes de la qualité de vie dans le cadre des cancers colorectaux ne peut que responsabiliser les cancérologues digestifs. Cette prise en charge trouve également sa justification dans les enquêtes patients : l’enquête 2 ans après (3) menée à 218 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXII - n° 6 - juin 2013 grande échelle par l’Inserm en 2009 nous a appris que 65 % des malades, tous cancers confondus, indiquent garder des séquelles sexuelles de leur cancer (85 % en cas de localisation au petit bassin), évoquant une attention trop faible portée par le monde médical à cet aspect de la qualité de vie. Cinq années de consultation de recherche clinique en Rhône-Alpes au travers des consultations dites SAICSSO (Sexologie d’aide individuelle et des couples en soins de support oncologie) nous ont également permis de constater que l’information, la prévention et la prise en charge des dysfonctions sexuelles (directement par l’équipe de cancérologie, ou par orientation vers un praticien ressource) n’avaient que trop peu été réalisées durant le parcours de soins, alors même que l’essentiel des questionnements des patients et de leurs partenaires pouvaient trouver réponse auprès des équipes, étant souvent très simples (4). Organiser l’accompagnement tout au long du parcours de soins À la question : “Quand doit-on l’aborder ?”, nous répondons : à chacune des 4 phases du parcours personnalisé de soins, à la réserve près que, la hiérarchie des priorités évoluant, le “comment” diffère : le temps de l’annonce doit permettre d’autoriser et d’informer, parfois par un simple feuillet identique à ceux présentant les autres aides dont le patient peut bénéficier, qu’il est autorisé d’en parler aux membres de l’équipe ou à une ressource identifiée des soins de support, car des modifications de l’intimité surviennent chez les malades et leurs Résumé Mots-clés Les cancers digestifs, de par leurs traitements et leurs localisations, ont des conséquences sur la qualité de vie sexuelle. Informer, repérer, prévenir et orienter sont un devoir des équipes soignantes, en lien avec des unités de soin de support en santé sexuelle. partenaires. C’est une première occasion de laisser la parole s’exprimer et de repérer les premiers questionnements. Durant la phase des soins, le contrat thérapeutique doit éthiquement contenir l’information concernant les dysfonctions sexuelles classiquement rencontrées (troubles du désir, difficultés d’érection ou de lubrification, dyspareunies, dysorgasmies) et leur prévention, et permet d’aborder la nécessité d’envisager l’adaptation du patient et du couple. Enfin, la sortie et le suivi doivent donner lieu à une évaluation des troubles et à une orientation vers des spécialistes en vue d’améliorer ces troubles si le patient ou le partenaire en émet le souhait, dans l’objectif d’une intimité acceptée (5). La possibilité d’avoir recours à des professionnels formés en sexologie dans les réseaux ville-hôpital, dans des services de soins de support organisés, ou au sein des équipes, est un atout majeur pour l’ensemble des professionnels de santé. Non pas dans le but de leur adresser chaque patient, mais bien dans celui d’apprendre à leur contact à être plus à l’aise dans les savoirs et savoir-être de base pour proposer avec régularité aux patients et à leurs partenaires de se préoccuper de leur qualité de vie et de leur santé sexuelle. Être proactif comme savent l’être les infirmières stomathérapeutes, les psychologues ou les socio-esthéticiennes est essentiel pour entendre la plainte du malade. Du médecin chef de service à la secrétaire en passant par les internes et par le médecin traitant, les cadres, infirmières ou aides-soignants, chacun a sa place pour s’assurer que l’état de santé sexuel ne pose pas de problème au cancéreux traité et à son couple. On sait qu’en matière d’intime, un certain nombre de freins et de défenses sont avancés par les soignants. La posture soignante et la légitimité collective parent à ces fausses peurs intrusives et permettent d’assumer notre devoir. Une jeune infirmière n’est-elle pas régulièrement amenée à donner des soins relevant de la plus grande intimité à des hommes ou à des femmes qui ont l’âge de ses grands- parents, mais qui avant tout sont des patients ? La question simple trouvera écho immédiatement ou en différé si le soignant ne se sent pas d’en discuter, tandis que sera proposée une consultation auprès d’un professionnel (gynécologue, uro-andrologue, sexologue) pour les cas plus compliqués (6). Des outils de sensibilisation et de médiation pour apprendre Chacun voit dans les médias et sur internet l’omniprésence de la thématique de la sexualité, qui nourrit les patients d’informations diversement validées. Quel soignant a lu le contenu des brochures (7) de la Ligue contre le cancer qui permettent d’informer en la matière et qui sont des plus consultées par les patients ? Il est indispensable que les soignants soient sensibilisés et formés, et c’est dans ce cadre qu’à l’initiative de l’Association francophone de soins oncologiques de support (AFSOS), l’ensemble des réseaux régionaux et territoriaux de cancérologie ont validé un référentiel socle de bonnes pratiques à l’attention des professionnels de santé. Intitulé “Cancer, vie et santé sexuelle” et disponible sur le site de l’AFSOS (5), il est complété par une démarche d’implémentation au travers d’une proposition de formation/sensibilisation d’une durée de 2 heures, destinée aux équipes pluri-professionnelles. Le Réseau Espace Santé-Cancer Rhône-Alpes est l’interlocuteur des autres réseaux régionaux pour mettre en œuvre cette action. À l’instar des équipes prenant en charge les cancers en lien direct avec la génitalité, les équipes prenant en charge les cancers digestifs doivent mettre en place des organisations locales répondant à cette nouvelle approche holistique de la santé, permet de compléter l’action diagnostique et curative initiale, le “cure” des Anglo-Saxons, par le soin attentionné, l’accompagnement et la réparation, le “care”. ■ Santé sexuelle Cancer Qualité de vie sexuelle Troubles sexuels après cancer digestif Soins de support Abstract Digestive cancers, due to their treatments and locations, have consequences on the sexual quality of life. To inform, to spot, to warn, to prevent, and to direct is a duty of the medical teams, in connection with supportive care units in sexual health. Keywords Sexual health Cancer Quality of sexual life Sexual disorders after digestive cancer Supportive care Références bibliographiques 1. Meeus P. Les séquelles de la colostomie. 37e séminaire de sexologie, 2007. 2. Traa MJ, Vries J, Roukema JA et al. Sexual (dys)function and the quality of sexual life in patients with colorectal cancer: a systematic review Ann Oncol 2012;23:19-27. 3. Préau M, Bouhnik AD, Rey D et al. Les difficultés sexuelles à la suite de la maladie et des traitements. In: Le CorrollerSoriano AG, Malavolti L, Mermilliod C (eds). La vie deux ans après le diagnostic de cancer. La documentation française, régionaux en SOS”, “Troubles de la sexualité et de la fertilité”). collection Études et statistiques. Paris, 2008:299-310. 6. Park ER, Norris RL, Bober SR. Sexual health communi4. Habold D, Bondil P. Enquête “Aptitudes et attentes des cation during cancer care: barriers and recommendations. soignants dans la prise en charge de la demande sexologique Cancer J 2009;15:74-7. de leurs patients”. Revue francophone de psychy-oncologie 7. Schraub S, Marx E. Sexualité et cancer : information 2007;1(4):296-7. destinée aux hommes et aux femmes traités pour un cancer. 5. GTS AFSOS 2011. Référentiel “Cancer, vie et santé 2007, Guides d’information SOR SAVOIR PATIENT, Ligue La Lettre Cancérologue • Vol. XXII - n° 6 - juin 2013 | 219 sexuelle”. www.afsos.org (rubrique “Référentiels inter­ du contre le cancer.