ation th tient, orthop ciplinarité, a n, qualité mie, savoir

publicité
L’Education Thérapeutique du Patient en orthophonie
Rééducation
Orthophonique
Rencontres
Données actuelles
Examens et interventions
Perspectives
éd
p u
di atie cat
lu sc n io
au ati ipl t, n
tie to on ina or thé
pa nt no , ri tho ra
ci tie -e m q té, p pe
m ati n xp ie, ua a ho ut
ap iqu on ts, ert s lit id nie iqu
, av é an , e
le ha e ,
f
co xie s , c d or as oir d t, pl du
m , ie, rit ém ma soc -fa e év urièr a ti ia ire
pé
rc on t , v i ae
h
te
nc co and s d he , ion pa e,
as d es m ic e
s
m a p qu y s s o e
du u n , a té i c d lité pa a t ys ,
tie i o n nt ,
,
ISSN 0034-222X
Rééducation Orthophonique
N° 259 - 2014
52e Année
septembre 2014
Trimestriel
N° 259
L’Education Thérapeutique
du Patient en orthophonie
tie at
ci nt, ion
pl o t
n , i n a r rth h
m q i t é , op
ie ua a
,
rt, sa lité
as voir
r m s -f
oc a
a
a r t i o ia
c h n t io
,
de e
as
s
a p qu y s
, al t é
i c d ité
at ys ,
t io -
Fondatrice : Suzanne BOREL-MAISONNY
Fédération Nationale des Orthophonistes
Revue créée par l’A.R.P.L.O.E.V.
Paris
DERNIERS NUMÉROS PARUS
76, rue Jean Jaurès, 62330 ISBERGUES
Directeur de la publication : la Présidente de la F.N.O. :
— Tél. : 03 21 61 94 96 —
— Fax : 03 21 61 94 95 —
e-mail : [email protected]
Anne Dehêtre
N° 257 : RECHERCHE EN ORTHOPHONIE-LOGOPÉDIE ET IDENTITÉ PROFESSIONNELLE Editorial : Recherche en orthophonie-logopédie et identité professionnelle (Agnès WITKO) — Recherche
en orthophonie-logopédie et identité professionnelle : Un témoignage… Au restaurant chinois, (Pierre
FERRAND) - Intérêt de la recherche pour la clinique et vice versa : Clinique → Recherche → Clinique
→Recherche… Symptômes →Modélisations →Symptômes →Modélisations…, (Jean-Luc NESPOULOUS) Recherche et pratique professionnelle de l’orthophonie, (Marc MONFORT, Adoración JÚAREZ SÁNCHEZ,
Isabelle MONFORT JÚAREZ) - La question des apprentissages : Une ardente obligation, (Michel
FAYOL) — Eléments de cadre sur la recherche : Formats de la recherche en orthophonie, (Thierry
ROUSSEAU, Peggy GATIGNOL, Sylvia TOPOUZKHANIAN) - L’evidence-based practice à portée des
orthophonistes : intérêt des recommandations pour la pratique clinique, (Christelle MAILLART, Nancy
DURIEUX) - Sciences infirmières : disciplinarisation et interdisciplinarité, (Monique ROTHAN, Chantal
EYMARD) - L’analyse de la littérature biomédicale pour identifier les preuves et prendre des décisions,
(Hervé MAISONNEUVE) - Recherche et formation initiale des orthophonistes - Un compte rendu d’expérience en contexte universitaire français, (Agnès WITKO) — Liens entre clinique et recherche : Recherche
et pratique clinique en orthophonie : du transfert à l’échange de connaissances, (Yves JOANETTE, Perrine
FERRÉ) - Démarche de validation d’une approche réadaptative de la communication dans l’aphasie sévère :
phrc aphacom (Isabelle GONZALEZ, Sarah MARCHETTI, Hervé PETIT, Nelly MUNIER, Pierre-Alain
JOSEPH) - Comment analyser la voix humaine dans la parole et dans le chant ? Les outils scientifiques et
méthodes de la recherche fondamentale à disposition de la recherche clinique sur la voix et leurs implications
en orthophonie, (Nathalie HENRICH BERNARDONI, Audrey ACHER) - Construction d’une base de données de voix : intérêt pour la recherche en orthophonie et le partage de pratiques, (Etienne SICARD, Anne
MENIN-SICARD, Stéphanie PERRIÈRE) - Recherche clinique en orthophonie : comment la clinique des
troubles du langage écrit vient bousculer les modèles théoriques, (Sylvie RAYNAUD) - Apports et limites de
la recherche scientifique au traitement de la dyslexie en pratique clinique, (Gilles LELOUP) — Profession :
ouvertures et perspectives : L’orthophonie et la recherche, (Marine VERDURAND, Anne SICCARDI) - De
la pratique orthophonique à la naissance d’une discipline de recherche. Enjeux et conflits en recherche clinique, (Laura ALARIA, Jean-Laurent ASTIER) - Se dire pour se faire : évolution et enjeux des discours professionnels dans la construction du champ orthophonique, (Marie SAUTIER, Renaud PERDRIX, Nicolas
GUILHOT)
Revue éditée par la Fédération
Nationale
des
Orthophonistes
Rédaction
-
Administration
:
Abonnement normal : 104 euros
Abonnement réduit : 81 euros
réservé aux adhérents F.N.O.,
ou d’une association européenne
membre du CPLOL
Abonnement étudiant : 54 euros
(joindre copie de la carte)
Abonnement étudiant étranger : 58 euros
(joindre copie de la carte d’étudiant)
Abonnement étranger : 114 euros
Vente au numéro disponible
sur le site www.orthoedition.com
Membres fondateurs du comité de lecture :
Pr ALLIERES
G.
• A. APPAIX
DECROIX
•
R.
•
S.
DIATKINE
BOREL-MAISONNY
•
H.
DUCHÊNE
M. DUGAS • J. FAVEZ-BOUTONNIER • J. GERAUD
R. GRIMAUD • L. HUSSON • Cl. KOHLER • Cl. LAUNAY
F.
LHERMITTE
•
L.
MICHAUX
•
P.
PETIT
G. PORTMANN • M. PORTMANN • B. VALLANCIEN.
Comité scientifique
Aline d’ALBOY
Dr Guy CORNUT
Ghislaine COUTURE
Dominique CRUNELLE
Pierre FERRAND
Lya GACHES
Olivier HERAL
Jany LAMBERT
Frédéric MARTIN
Alain MENISSIER
Pr Marie-Christine MOUREN-SIMEONI
Bernard ROUBEAU
Anne-Marie SIMON
Monique TOUZIN
N° 258 : DENISE SADEK-KHALIL ET SON ŒUVRE – HOMMAGES ET TÉMOIGNAGES - Editorial :
(Dominique MARTINAND-FLESCH) — Introduction : Denise Sadek-Khalil, le langage oral au carrefour
de la linguistique et de la clinique, (Marie-Pierre THIBAULT) — Apports de ses travaux : Un itinéraire
improbable, (Ronald LOWE) - Sur les pas de Denise Sadek-Khalil. Rigueur, Liberté et Interaction dans la
prise en charge orthophonique, (Shirley VINTER) - Donner libre(s) cours à la recherche du langage : l’enseignement de Denise Sadek, (Elisabeth MANTEAU-SÉPULCHRE) - Denise Sadek-Khalil, Gustave
Guillaume : psycho-pédagogie et psychomécanique du langage, (Philippe SÉRO-GUILLAUME) - Denise
Sadek-Khalil : de la théorie à la réalité du langage, (Guy CORNILLAC) - Prendre, apprendre et comprendre, (Denise SADEK-KHALIL) — Compagnonnage : Une pionnière en orthophonie : Denise Sadek-Khalil,
(Anne-Marie WEIL-LEVEN, Simone TERRIER) - Gustave Guillaume et Denise Sadek-Khalil : la philosophie du langage (Colette SIRAT) - Rencontres et Privilèges, (Mireille COHEN-MASSOUDA) - Denise
Sadek... l'art de transmettre la langue dans un plaisir mutuel - Témoignages du CEOP, (Marie-Claude
CAUVIN-GARRITY, Marie-Christine CHAPERON, Christine ROMAND, Michel MAULET, Martial
FRANZONI) - A propos de « 7 Leçons de 1980 à 1984 » par Mme Sadek à une fillette sourde, (Francine
JALABERT) - Voir, savoir, faire savoir : en suivant les traces de SADEK sur les sentiers de la langue,
(Martine MIR) - Denise Sadek-Khalil, maître de stage et penseur de l’orthophonie (Mireille KERLAN) - Un
incontournable pour l’orthophonie de demain : l’approche de Denise Sadek-Khalil sur les traces de Gustave
Guillaume, (Patricia MALQUARTI) — Rencontre et hommage : Grandeur et simplicité, (Monique et JeanMarie DUCROS, Pascale DUCROS) - Témoignages (Claire DEMATEÏS-KOPPEL, Frédéric DEMATEÏS) Introduction à l’hommage rendu à Denise Sadek-Khalil lors de son inhumation le 20 avril 2012 (Nadine
SERVAJEAN)
Rédacteur en chef
Jacques ROUSTIT
Secrétariat de rédaction
Marie-Dominique LASSERRE
Abonnements
Sylvie TRIPENNE
Commission paritaire : 1110 G 82026
Réalisation TORI
01 43 46 92 92
Impression : CIA Bourgogne
Sommaire
septembre 2014
N° 259
Rééducation Orthophonique
Ce numéro est dirigé par Frédérique BRIN-HENRY,
Orthophoniste, Docteure en Sciences du langage
L’Education Thérapeutique du Patient en orthophonie
L’ETP en orthophonie
Frédérique Brin-Henry, Orthophoniste, Docteure en Sciences du Langage, Bar-le-Duc
1. L’intégration d’un patient-expert dans un programme d’ETP : regards croisés
Jean-Charles Verheye, Laboratoire Educations et pratiques de santé (EA 3412), Bobigny,
Roland Varinot, Président ACOLA-Meuse, Les Hauts de Chee,
Frédérique Brin-Henry, Orthophoniste Docteure en Sciences du Langage, Bar-le-Duc
1. Education thérapeutique du patient (ETP) : principes et intérêts,
Claire Marchand, Maître de conférence, Paris
2. Au-delà du masque de l’expert - Réflexions sur les ambitions,
enjeux et limites de l’Éducation Thérapeutique du Patient,
Alexandre Klein, Docteur en philosophie et histoire des sciences, Ottawa
1. Interdisciplinarité autour du patient en éducation thérapeutique :
le point de vue de soignants,
Sylvie Diancourt, Diététicienne, Chaulgnes
2. Education thérapeutique du patient aphasique et son conjoint,
Frédérique Brin-Henry, Orthophoniste,
Docteure en Sciences du Langage, Bar-le-Duc
3. Proposition d’un diagnostic éducatif dans le cadre du programme « Communiquer
malgré l’aphasie »,
Estelle Bernard, Orthophoniste, Bar-le-Duc
3
9
21
37
59
67
75
1
4. Impact d’un Programme d’Education Thérapeutique du Patient (ETP)
pour des personnes aphasiques et leurs aidants,
Charline César, Orthophoniste, Paris,
Frédérique Brin-Henry, Estelle Bernard, Orthophonistes, Bar-le-Duc
5. L’implication des aidants dans les programmes d’éducation thérapeutique,
Nathaly Joyeux, Orthophoniste, Avignon
6. Éducation Thérapeutique du Patient dysphagique :
état des lieux et propositions,
Ariane Létumier, Orthophoniste, Antony, Caroline Helly, Orthophoniste, Rive de Gier
7. De la conception à la labellisation d’ateliers thérapeutiques
pour adolescents dyslexiques,
Françoise Garcia, Orthophoniste, L'Aigle
1. Le réseau dans l’éducation thérapeutique : intérêt pour l’orthophoniste
et le médecin coordinateur - Expérience du réseau de l’Espace Régional
d’Education Thérapeutique de Basse-Normandie et du réseau Normandys,
Audrey Armand, Médecin généraliste et médecin coordinateur du réseau
de l’ERET de Basse Normandie, Hérouville Saint-Clair
2. La Fédération Nationale des Aphasiques de France et l’ETP,
Jean-Dominique Journet, Président de la FNAF, Saint-Etienne
2
107
127
141
147
163
171
L’ETP en orthophonie
Frédérique Brin-Henry
Orthophoniste
Cadre de santé et Docteure en Sciences du Langage
Chef de projet Chargée de mission Recherche
au Centre Hospitalier de Bar-le-Duc (55)
Membre du Laboratoire Analyse et Traitement Informatique de la
Langue Française (ATILF) UMR 7118 CNRS-Université de Lorraine,
Membre (chercheur) de la société savante Union Nationale de
Recherche et d'Evaluation en Orthophonie (UNADREO)
1 boulevard d'Argonne
55012 Bar-le-Duc Cedex
Courriel : [email protected]
L’Education Thérapeutique du Patient (ETP) fait à présent entièrement
partie des dispositifs affichés permettant de répondre à des besoins spécifiques
de patients atteints de maladie ou de pathologie chronique. Les orthophonistes
se sont depuis longtemps intéressés à l’accompagnement des patients et de leur
entourage face aux difficultés rencontrées dans la vie quotidienne et s’appuient
le plus souvent sur l’expression des projets de chacun. Ainsi, l’intervention
orthophonique ne se cantonne pas à la rééducation directe (prévention tertiaire)
que représentent par exemple un entraînement linguistique, l’acquisition de
compétences dans le langage ou la communication, ou la mise en œuvre de
moyens de compensation.
♦ Quelle intervention orthophonique ?
L’apport de l’orthophonie comprend aussi une part d’information, d’accompagnement, intégrant l’entourage, visant la réadaptation du patient ou
l’adaptation à de nouvelles conditions de vie (Michalet 1999, Mazaux 2007).
Or chacun d’entre nous est à certains moments confronté au problème de
la mise en œuvre des acquis chez les patients ainsi accompagnés. L’automatisation des nouvelles procédures, la généralisation des compétences acquises ou
restituées à l’ensemble des circonstances de la vie quotidienne, les phases d’acceptation ou d’adaptation à la maladie qui survient dans le cours de la vie, ne
sont pas des phénomènes unanimement traités par nos patients. Chacun réagit à
sa façon et à son rythme dans sa confrontation à l’annonce de la pathologie, à la
Rééducation Orthophonique - N° 259 - septembre 2014
3
maladie chronique. L’adaptation au changement au travers de la découverte de
la dynamique des troubles, le temps qui passe ne va pas de soi.
De la même façon, tout un chacun ressent à un moment de sa vie combien
la frontière entre normal et pathologique est ténue, changeante. Chacun d’entre
nous a pu éprouver un certain décalage par rapport à l’attendu dans une situation donnée. Chacun de nous est potentiellement inadapté, malhabile, inadéquat,
différent, selon les circonstances, les attentes et les points forts et faibles de chacun. Peut-on penser alors que dans une certaine mesure, l’adaptation nécessaire
à des potentialités modifiées de communication ou de langage est du ressort de
chacun d’entre nous ? Même entravés et compliqués, les besoins de tous d’être
entendu, attendu, consulté et informé restent universels. Les limitations dans
notre langage et notre communication doivent aussi être comprises comme des
entraves portées autant par la société que par le patient lui-même. Ainsi la
conception même du handicap devra être réfléchie, dans la façon dont nous la
considérons, la classons (Wirotius 2011), la dénommons (Brin-Henry, 2011,
2014a). De même le regard porté sur nos échanges avec nos patients doit évoluer pour encourager l’expression des besoins spécifiques de chacun en matière
de qualité de vie et de choix.
La maladie chronique ou séquellaire, les pathologies prioritaires dans nos
enjeux de santé sont donc des axes importants dans lesquels nous devons réfléchir à la place que l’orthophoniste peut et doit occuper (Gokelaere-Tornier
2011, Brin-Henry 2014b). Dans ce numéro de Rééducation Orthophonique,
nous cherchons à tracer le portrait de ce que peut être l’ETP sur un plan fondamental et pratique, en présentant des articles évoquant les enjeux et les fondations de l’ETP. Mais nous présentons également, pour ce qui concerne l’orthophonie, des initiatives très originales, parce qu’elles impliquent des personnes
qui ne présentent pas des pathologies métaboliques comme c’est historiquement
le cas dans la plupart des programmes actuels, mais qui sont reconnues comme
singulières dans leur communication ou leur langage. Et pour l’orthophoniste
qui est très attaché(e) à l’acquisition de l’autonomie, qui est fortement
habitué(e) à utiliser le langage pour parler du langage, l’ETP représente une
nouvelle façon pour ces professionnels de contribuer aux modifications sociétales permettant une intégration réelle de l’ensemble de ces patients, pour qu’ils
deviennent ou restent acteurs de leur santé et citoyens à part entière.
♦ Evolution de la relation orthophoniste/patient
Dans cette perspective, l’orthophoniste thérapeute détenteur du savoir
s’ouvre à la réalisation de la difficulté d’accompagner la chronicité : l’orthopho-
4
niste n’est plus tout puissant pour résoudre le problème du patient. Cette perspective plus modeste permet d’évacuer la nécessité du savoir absolu de ce qui
est le mieux pour le patient, et de différencier la définition des objectifs par le
thérapeute de celle qui convient au patient. La modification de ce paradigme
suit la tendance actuelle en santé qui est l’augmentation des approches centrées
sur le patient, lui permettant de se réapproprier son projet de vie dans la perspective d’être entendu dans sa singularité. La notion d’empowerment qui rend
explicite la volonté de replacer le patient au centre des décisions concernant sa
santé1, et l’intérêt porté à la qualité de l’accès aux informations qu’elles soient
sur Internet ou non (health literacy2) montrent combien les mentalités évoluent
pour faciliter une co-construction de la notion de santé. Pour l’orthophonie, cela
nous interpelle sur notre positionnement de thérapeute et s’inscrit parfaitement
dans les perceptions actuelles des professionnels.
Il n’est pas question de chercher à esquiver la scientificité des méthodes
de rééducation, ni de souhaiter que le patient régule la séance d’orthophonie (ce
qui pourrait être assimilé à de la maltraitance). Il s’agit plutôt de conserver un
ancrage théorique précis et des considérations thérapeutiques fondées sur les
preuves (EBM) sans se laisser rassurer par des mesures chiffrées des performances attendues. Les perspectives individuelles et éthiques permettent une
ouverture vers l’interaction avec le quotidien et encouragent la co-construction
des projets thérapeutiques. Les approches écologiques et pragmatiques des
vingt-cinq dernières années (comme les approches énonciatives et l’analyse
conversationnelle (de Partz 2011)) et la reconnaissance de l’interaction avec
l’environnement (modèle de la CIF, le Processus de production du Handicap de
Fougeyrollas 1998) ont engagé cette modification de la relation thérapeutique.
Dans quelle mesure peut-on considérer que puisque les troubles du langage et de la communication touchent et affectent les modalités de communication du patient avec son entourage, il faut s’appuyer avec intérêt sur l’implication du conjoint, du personnel soignant ? La relation avec l’entourage est-elle
une réponse à cette question de transfert des acquis ? L’orthophoniste comme le
médecin est-il à même d’activer des compétences pédagogiques suffisantes pour
faire réellement évoluer la relation à son patient ? Le patient peut-il être considéré comme en capacité de gérer ces décisions, y compris en cas d’atteinte cognitive ? Est-il indispensable à la conception et l’animation des ateliers ?
1. Limites de l’empowerment et nécessité de réfléchir à la qualité de l’information recueillie par le patient (esanté, littératie). http://www.healthcareglobal.com/healthcare_technology/seven-ways-healthcare-appshave-transformed-patient-health
2. Voir dans ce cadre le logo et le label HON pour les sites de santé
5
Ces questions cruciales engagent évidemment des considérations indispensables aux praticiens réflexifs que sont les orthophonistes. Sans pouvoir
trouver de réponses unanimes, ce numéro propose de guider le lecteur dans la
découverte de l’ETP et témoigne de la richesse de la démarche intégrative et
collaborative de ces professionnels.
Malgré tout il persiste encore beaucoup de confusion entre la nécessité
d’éclaircir les démarches, les objectifs de rééducation et le positionnement du
thérapeute : informer ou aider n’est pas suffisant, il faut passer à une vraie compétence d’analyse des besoins et de proposition thérapeutique (grâce à l’acquisition de savoir-faire). Cela ne se fait pas sans mal, il nous faut encore nous former, chercher, valider les démarches, les écrire et les évaluer.
♦ Intérêt de la démarche ETP
Les divers auteurs de ce numéro offrent donc un parcours spécifique entre
les apports de plusieurs axes : universitaire et professionnel, clinique et humain.
L’article rubrique Rencontres, co-écrit avec le chercheur Jean-Charles
Verheye et l’intervenant Roland Varinot, tente tout d’abord de dresser le portrait de ce patient-expert qui participe aux programmes d’ETP.
Claire Marchand, maître de conférences, nous propose ensuite un
exposé complet portant sur les principes et les intérêts de l’ETP. Au-delà de la
considération légitime de la gestion de la maladie chronique, l’ETP nous procure un cadre permettant d’envisager de modifier notre propre conception de
l’autre « non autonome », « diminué », « handicapé », « empêché » dans son
interaction. Ainsi à l’instar de Canguilhem (1966)3, il s’agira de reconsidérer
notre posture professionnelle de dispensateur de savoir pour nous replacer en
tant qu’interlocuteur privilégié, expert et facilitateur pour le patient aphasique
par exemple, mais également capable de resituer la personne dans un contexte
de communication plus naturel.
Alexandre Klein, philosophe, illustrera justement dans son article sur
les données actuelles cette évolution de la relation patient/médecin ou thérapeute, et assurera avec le recul nécessaire une juste mise en alerte face aux
promesses à tenir.
L’interdisciplinarité en éducation thérapeutique est évoquée par la diététicienne Sylvie Diancourt au travers d’entretiens menés auprès de professionnels
3. (http://centrecanguilhem.net/)
6
impliqués dans l’ETP. L’expérience du centre hospitalier de Bar-le-Duc (55)
dans un programme d’ETP destiné aux personnes aphasiques et leur conjoint
sera ensuite abordée par des orthophonistes au travers de trois articles par
Estelle Bernard, Charline César et moi-même, et Nathaly Joyeux, également
orthophoniste, complètera cette approche par un article consacré à l’implication
des aidants.
L’éducation thérapeutique du patient dysphagique sera exposée par nos
collègues Ariane Létumier et Caroline Helly dans l’article suivant, tandis que
Françoise Garcia décrit dans son article le processus de réflexion au sein d’un
réseau qui a mené à l’écriture d’un programme d’ETP.
Ce même réseau sera abordé dans l’article du Dr Audrey Armand qui
nous explique comment il est central dans l’organisation des programmes en
Basse-Normandie.
Nous le verrons tout au long de ce numéro de Rééducation Orthophonique, l’ETP offre une rigueur dans la démarche établie et le rapport à l’autre
dans la gestion de la santé, une vraie implication du patient dans la définition de
son projet de vie, favorisant le respect de l’autre et le vrai exercice thérapeutique
dans le savoir partagé. L’ETP encourage la réflexivité et la remise en cause des
représentations sur notre savoir et autorise l’intervention des patients euxmêmes (valorisation, expertise), des familles, et des associations de patients,
tous ces partenaires de l’orthophoniste.
C’est le président de la Fédération Nationale des Aphasiques de France
(FNAF), le Dr Jean-Dominique Journet, qui conclura ce numéro en précisant
la position adoptée par son association concernant la participation et la formation en ETP.
♦ Conclusion
Nous pensons que l’ETP propose une approche complémentaire et doit
être positionnée dans une étape chronologique distincte de la rééducation orthophonique habituelle. Cependant elle offre un cadre pédagogique et logistique
tout à fait spécifique à l’accompagnement des patients présentant une maladie
ou une pathologie chronique, en axant les interventions sur le patient et son
entourage, et l’acquisition de compétences d’auto-soins et d’adaptation permettant d’améliorer la qualité de vie de chacun.
Il ne s’agit pas de « vivre malgré » la maladie chronique, ni de « vivre
avec », mais plutôt de « vivre », tout simplement.
7
Ce numéro de Rééducation Orthophonique vous propose de réfléchir à ce
que nous pratiquons, en accord avec nos patients et leur entourage, et les professionnels avec lesquels nous travaillons. Les maîtres mots de notre profession,
langage et communication, nous permettent d’aborder les compétences clés de
notre société et d’influer non seulement sur les habiletés et leurs mesures, mais
également sur la façon dont notre communauté considère les déficits et les anomalies, qu’ils soient pour l’individu en phase aigüe comme en phase chronique.
« Je voudrais être un agitateur pour les réguliers, et parvenir à ce qu'on
laissât s'exprimer les irréguliers » Michel Foucault.
REFERENCES
BRIN-HENRY F. (2014a). Using Corpus-Based Analyses in Specialised Paramedical French. Revue Française de Linguistique Appliquée : Langues de spécialité : problèmes et méthodes Vol.XIX-1, juin
2014, 103-115.
BRIN-HENRY F. (2014b).Education Thérapeutique du Patient et Aphasie, in Mazaux JM, de Boissezon
X, Pradat-Dielh P et Brun V. Communiquer Malgré l'Aphasie. Montpellier : Sauramps Médical.
BRIN-HENRY F. (2011). La terminologie crée-t-elle la pathologie ? le cas de la pratique clinique de la
pose du diagnostic orthophonique. Thèse de doctorat es Sciences du Langage, Nancy Université.
CANGUILHEM G., (1966) (11ème édition quadrige 2009). Le normal et le pathologique. Paris : Presses
Universitaires de France.
DARRIGRAND, B., MAZAUX, J.-M. (2000). L’échelle de communication verbale de Bordeaux : une
évaluation des compétences communicatives des personnes aphasiques. Glossa ; 73, 4-15.
De PARTZ, M.-P. (2001).Une approche fonctionnelle des troubles aphasiques : l’analyse conversationnelle. Glossa ; 75, 4-12.
DOUMONT, D., AUJOULAT, I. L’empowerment et l’éducation du patient. UCL – RESO, dossier technique 18. Août 2002.[en ligne]
http://www.uclouvain.be/cps/ucl/doc/reso/documents/dos18.pdf
FOUGEYROLLAS, P., R. CLOUTIER, H. BERGERON, J. COTE, G. St MICHEL (1998). Classification
québécoise Processus de production du handicap. Québec : Réseau international sur le Processus
de production du handicap (RIPPH)/SCCIDIH.
GOKELAERE-TORNIER D. (2011). Programme d'Education Thérapeutique pour le Patient dyslexique :
étude préliminaire. Mémoire d'orthophonie. Université de Caen.
LACROIX, A. (1996) Approche psychologique de l’éducation du patient : Obstacles liés aux patients et
aux soignants, synthèse du séminaire assuré par Mme Anne Lacroix. Bulletin d’éducation du
patient (vo.15), 3, 78-86. Consulté en avril 2013 sur http://ipcem.org/RESSOURCES/articles.php
Le DORZE, G. (2012). Obstacles et facilitateurs à la réinsertion sociale après un accident cérébral-vasculaire selon le point de vue des proches et des personnes atteintes d’aphasie. In 2èmes rencontres
scientifiques de la CNSA pour l’autonomie. Paris.
MAZAUX, J.-M., PRADAT-DIEHL, P., BRUN, V. (2007). Aphasies et aphasiques. Paris : Masson.
MICHALLET, B., Le DORZE, G., TETREAULT, S. (1999). Aphasie sévère et situations de handicap,
implication en réadaptation. Annales de Réadaptation et de Médecine Physique, 42, 260- 270.
RONALD M. EPSTEIN R.M. (2011), Street R.L., Shared Mind : Communication, Decision Making, and
Autonomy in Serious Illness. Ann Fam Med ; 9:454-461
WIROTIUS, J.M. (2011). Sémiologie des handicaps en médecine physique et de réadaptation. Limoges :
Lambert-Lucas.
8
L’intégration d’un patient-expert dans un programme d’ETP : regards croisés
Jean-Charles Verheye, Roland Varinot, Frédérique Brin-Henry
Résumé
Le Ministère des Affaires Sociales et de la Santé s’investit en 2014 dans l’examen et l’encouragement de l’implication des « patients-intervenants » dans les programmes d’Education Thérapeutique du Patient. Au-delà de la reconnaissance de l’expertise des patients et de
la nécessité de s’appuyer sur leurs expériences et leurs connaissances, cet intérêt relance
la réflexion nécessaire sur la place des associations de patients et des personnes atteintes
de maladie chronique ainsi que leurs aidants dans la Santé. Un entretien croisé entre intervenants et chercheurs permet de présenter toute la difficulté du positionnement du patientexpert et de sa définition.
Mots clés : patient-expert, association de patients, formation.
Including expert-patients in TPE programmes : a comparative evaluation
Abstract
The Health Ministry’s focus for 2014 is to encourage and assess the involvement of expertpatients in Therapeutic Patient Education (TPE) programmes. Beyond recognising their
expertise and the importance of using their experience and knowledge, this endeavour supports an ongoing reflection on the role given to patients with chronic illnesses and their
caregivers within the health care system. This article presents the results of interviews with
researchers and practitioners and aims at highlighting the complexity of giving a clear definition of an expert-patient and of his/her role.
Key Words : expert-patient, patients’ non profit organisations, training.
Rééducation Orthophonique - N° 259 - septembre 2014
9
Jean-Charles VERHEYE
Chargé de mission au Laboratoire
Educations et pratiques de santé (EA 3412)
Université Paris 13
Sorbonne Paris Cité
74 rue Marcel Cachin
93017 Bobigny Cedex
Courriel :
[email protected]
Roland VARINOT
Président ACOLA-Meuse
39 rue Hurlin-Morel
Condé-en-Barrois
55000 Les Hauts de Chee
Courriel : [email protected]
Frédérique BRIN-HENRY
Orthophoniste PhD
Chef de projet chargée de mission
recherche
Centre Hospitalier Général
CS 10150
1, boulevard d'Argonne
55012 Bar-le-Duc Cedex
Courriel : [email protected]
N
ous nous sommes interrogés sur le rôle et l’intérêt de l’intégration du
patient dans les programmes d’ETP. La définition de ce patient-expert restant très floue, il nous a semblé utile de proposer des entretiens croisés
mettant en avant les représentations des uns et des autres sur le rôle que peut avoir
le patient dans des programmes intéressant l’orthophonie. Dans la mesure où nous
travaillons autour du langage avec le langage et proposons des programmes d’ETP
au sein desquels nous sollicitons des compétences métalinguistiques et métacognitives, le défi à relever pour ces patients nous semble à la fois exemplaire et porteur d’espoir. Il n’en reste pas moins que davantage de recherche et de réflexion
demeure nécessaire avant de pouvoir réguler et encadrer ce type d’intervention sur
un plan national. Cette expérience conjointe est extrêmement riche, et cet article
n’a pour ambition que de tracer quelques lignes de réflexion.
Roland Varinot est patient-expert dans un programme d’ETP proposé conjointement à des personnes aphasiques et à leurs aidants. Il a 67 ans, est aphasique
depuis 5 ans et a occupé des postes à responsabilité. Il a bénéficié d’un premier
programme d’ETP en 2012, puis est devenu « bénéficiaire-expert » en 2013 puis
« patient-expert » en 2014.
10
Les objectifs de cette sollicitation étaient pour les organisateurs du programme :
- Proposer à M. Varinot une mission de transmission d’un témoignage et de
certaines anecdotes importantes sur le savoir-faire de l’aidant (force de
conviction sur des éléments tels que « il ne faut pas faire semblant de comprendre »).
- L’encourager à réaliser ses propres compétences sociales et à activer ses compétences métalinguistiques.
Il s’en est suivi la création d’une association locale pour la connaissance de
l’aphasie (ACoLA) dont il a accepté la présidence.
♦ Pour vous qu’est ce qu’un patient-expert ? Quelle en serait la définition ?
(RV)
Dans expert j’entends le mot expertiser, il faut penser que c’est un malade qui a
déjà vécu, qui est passé par là où passent les bénéficiaires du programme d’ETP.
(JCV)
Les travaux sur les patients-experts sont relativement récents même si depuis plusieurs années, les patients sont de plus en plus impliqués sur les questions de
santé. La recherche d’une définition du patient expert reste donc encore à
construire. En premier lieu, on peut constater que l’implication des patients
concerne bien entendu leur propre santé. L’évolution des pratiques de soins et
des droits des malades permettent notamment aux patients une meilleure communication avec les professionnels de santé, un plus grand accès aux informations qui les concernent et ainsi la possibilité de prendre des décisions partagées
avec les soignants sur leur prise en charge. Rappelons qu’à partir des années 80,
les mouvements de revendications des personnes touchées par le VIH / sida ont
beaucoup contribué à donner la parole aux patients pour eux-mêmes mais aussi à
faire évoluer le système de soins en France. C’est à partir de cette époque, me
semble-t-il, que l’expertise collective des patients a commencé à s’imposer dans
le monde de la santé et à être considérée. Aujourd’hui les associations de patients
interviennent activement dans l’élaboration des politiques de santé en siégeant
par exemple dans des groupes de travail comme ceux du Plan Qualité de vie des
personnes atteintes de maladies chroniques. Les associations sont également présentes dans les organismes publics de santé comme la HAS1 ou l’Inserm2 pour
donner leur avis sur des recommandations de bonnes pratiques ou pour participer
à la définition d’une politique de recherche scientifique. Les patients sont égale1. HAS : Haute Autorité de Santé.
2. Inserm : Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale.
11
ment impliqués dans la formation des professionnels de santé que ce soit dans les
facultés de médecine ou dans la formation initiale des dentistes ou des infirmières, pour citer des exemples que j’étudie plus précisément. Et puis, les
patients s’impliquent aussi auprès de leurs pairs en participant de plus en plus
dans les programmes d’éducation thérapeutique qui se développent à l’hôpital et
en ville. Il me paraît donc difficile de donner une seule et unique définition du
patient-expert selon que l’on considère que l’expérience de la maladie qu’il vit
intimement le rend expert de lui-même et pour lui-même ou que le cheminement
qu’il fait à partir de cette expérience lui permet de s’investir à un niveau collectif.
Et même là, cette expertise peut se décliner à plusieurs niveaux selon que le
patient-expert participera à la production de nouvelles connaissances scientifiques destinées à la communauté ou qu’il contribuera à l’apprentissage de ses
pairs comme c’est le cas dans l’éducation thérapeutique. En l’absence de définition consensuelle, sans doute est-il plus simple de qualifier les patients-experts
selon leur contribution en choisissant une dénomination qui marque plus le
niveau de participation des patients, même si cela s’avère une tâche parfois peu
aisée. Dans l’éducation thérapeutique, par exemple, on retrouve des termes
comme patients éducateurs, patients ressources, patients formateurs ou plus
récemment patients intervenants suite à un travail réalisé par le Ministère de la
santé avec des associations de patients. En l’état actuel des choses, il n’est donc
sans doute pas possible de donner une définition unique du patient-expert qui
prend en compte toutes ces expressions du rôle du patient, sauf à envisager une
définition transversale. Comme le propose Olivia Gross dans ses travaux et avec
laquelle je collabore, une forme générale du patient-expert peut se formuler de la
manière suivante : les patients-experts sont des personnes affectées par une maladie chronique qui se forment sans relâche sur la maladie qui les concerne et qui
contribuent à apporter des améliorations à la prise en charge de leur maladie
et/ou à sa prévention, en complémentarité des professionnels ou à mener des
actions qui répondent à des manques du système de santé. Cette définition met
l’accent sur des traits généraux de cette nouvelle figure du patient qu’il convient
de considérer en fonction du lieu d’expression de son expertise.
♦ Pour vous quel est son rôle dans un programme d’ETP ?
(RV)
Un appui pour le programme :
Pour moi il sert avant tout à appuyer les équipes de professionnels pour dire ce
qu’il faut pour arranger les choses. On propose un témoignage.
Un espoir pour les patients :
Il faut dire que ça va aller mieux, que la récupération du langage va venir avec
12
le temps, au risque de mentir. Il faut rassurer les participants et dire que l’évolution va se poursuivre, pour que les participants puissent conserver l’espoir d’une
récupération. Il ne faut surtout pas démoraliser les gens.
Pour ce qui est de donner des connaissances, je pense que cela reste du domaine
du professionnel. L’orthophoniste reste un interlocuteur privilégié détenteur du
savoir, et si j’ai accepté d’intégrer le programme d’ETP en tant que patientexpert c’est pour rendre à mon tour ce que m’a apporté l’orthophoniste.
(JCV)
Le patient-expert peut intervenir à toutes les phases d’un programme d’ETP, en
prenant en compte l’étape qui lui convient le mieux et en définissant avec lui les
modalités de son intervention. Je pense qu’il faut toujours garder à l’esprit en quoi
le patient peut contribuer à la qualité et à l’efficacité de l’éducation thérapeutique.
L’implication des patients-experts, pour reprendre votre terme, dans les programmes d’ETP est donc possible à plusieurs niveaux. Tout d’abord, dans l’élaboration de l’offre d’éducation car les personnes qui connaissent la maladie pour la
vivre peuvent aider les concepteurs de programmes à mieux identifier les problèmes que les patients rencontrent dans leur vie quotidienne et donc les thèmes et
compétences qu’il serait souhaitable d’aborder lors des séances d’éducation thérapeutique. Dans le même ordre d’idée, les patients peuvent donner leur avis en
amont sur la manière dont les séances peuvent être animées, les techniques pédagogiques qui peuvent être utilisées ou les documents qui peuvent être remis aux
participants. Leur contribution évite que le programme soit conçu du seul point de
vue des soignants et manque de pertinence. Les patients-experts peuvent également participer à l’évaluation du programme et le panel de ce qui peut être interrogé est large : le programme répond-il aux besoins des patients, les conditions
dans lesquelles il est organisé sont-elles adaptées, est-il accessible au plus grand
nombre ? Ce dernier point est un enjeu fort de l’éducation thérapeutique car on
sait que les personnes vulnérables que ce soit pour des raisons financières,
sociales mais aussi géographiques ou culturelles ont plus de difficultés à participer
à l’ETP. La communauté des patients peut révéler les dysfonctionnements et
contribuer à trouver des solutions. Au delà de l’organisation de l’éducation thérapeutique, le patient peut aussi avoir un rôle dans l’apprentissage des autres
patients. Son intervention se rapproche alors de celle du soignant éducateur et
peut se décliner selon différentes modalités. Dans l’hémophilie, domaine dans
lequel je mène mes travaux, le patient/parent ressource, c’est ainsi qu’il est
dénommé, co-anime des séances avec les professionnels de santé pour compléter
les propos soignants, pour reformuler certains termes dans un « langage patient »
ou pour donner des astuces issues d’expériences de la vie quotidienne. Dans d’autres pathologies, comme la maladie de Crohn ou le VIH/sida, le patient n’inter-
13
vient pas forcement avec un soignant. Il peut alors animer seul une séance sur des
thématiques définies à l’avance en concertation avec les autres acteurs. Dans certains programmes, le patient-expert participe même au diagnostic éducatif qui est
réalisé en début de parcours d’ETP, pour aider le patient à identifier ses besoins
d’apprentissage et à définir avec lui un programme personnalisé. Quelle que soit
la manière dont le patient-expert va intervenir dans l’ETP, il me paraît important
de bien définir son rôle dès le départ. Tout d’abord, parce que le patient n’aura pas
forcement envie de s’investir dans tous les secteurs de l’ETP. Il est donc important
de tenir compte de sa motivation à intervenir. Nous avons pu constater que cette
motivation est très souvent en lien avec l’histoire du patient avec la maladie, soit
qu’il souhaite faire bénéficier les autres de ce que lui-même a vécu ou, au
contraire, pour éviter un manque ressenti au cours de son parcours de soins. De
plus, la motivation est un élément majeur dans la qualité de la collaboration avec
l’équipe d’éducation. Le recrutement des patients qui vont intervenir avec les soignants est donc important pour favoriser un bon équilibre et une bonne dynamique
collective. L’éducation thérapeutique repose en effet sur une démarche d’équipe.
Il est nécessaire que la participation de chacun soit claire pour éviter les redondances, les contradictions, les malentendus, voire les conflits. Cela est sans doute
d’autant plus vrai pour le patient-expert qui, contrairement aux professionnels qui
travaillent déjà au sein de l’équipe soignante, va devoir intégrer une organisation
déjà constituée. La présence du patient-expert dans les programmes d’ETP reste
récente et des réticences existent encore de la part des soignants, par peur de
débordement, par inquiétude de voir substituer leur rôle ou par représentation
même de la place de celui qui vit la maladie vis-à-vis de ceux qui « soignent ».
Nous avons constaté que ces freins sont souvent levés lorsqu’un travail préalable
est réalisé pour que chacun apprenne à se connaître et à se positionner dans sa
spécificité par rapport aux autres membres de l’équipe éducative. Bien définir les
rôles me semble aussi nécessaire parce que les compétences requises sont différentes selon que l’on élabore un programme ou que l’on anime des séances, même
si l’un n’empêche bien évidemment pas l’autre. Il serait en effet, au mieux, contre
productif de s’improviser « pédagogue », « méthodologiste » ou « évaluateur »,
mais cela est d’ailleurs valable que l’on soit patient ou soignant. Bien définir ce
que l’on va faire dans le programme permet de mieux s’y préparer.
♦ Quelles sont d’après vous les compétences et les forces du patientexpert ? D’où proviennent-elles ?
(RV)
Sa force c’est son expérience, ce qu’il a vécu. C’est aussi l’entourage qui donne
cette force d’avancer et de communiquer aux autres un soutien.
14
Elles proviennent du fait qu’on est passé par les étapes, le temps fait qu’on
accède à un stade d’adaptation, il ne faut pas se laisser décourager par la maladie.
(JCV)
La question des compétences du patient-expert se pose à deux niveaux car il
faut considérer ce qui requiert des éléments communs entre patients et soignants
dans l’intervention en ETP et ce qui fait la spécificité du patient-expert dans
l’apprentissage de ses pairs. D’un point de vue général, le fait d’intervenir dans
un programme d’ETP implique de posséder un certain nombre de compétences
qui, de mon point de vue, sont communes aux patients et aux soignants. Pour
ceux qui vont animer des séances d’éducation, ce sont tout d’abord les compétences pédagogiques qui sont essentielles pour aider les participants à développer des apprentissages durables dans le temps et qui leur seront donc utiles à
long terme. Un enseignement descendant qui ne ferait qu’apporter des contenus
sans les faire émerger de la situation du patient « apprenant » et sans les mettre
en lien avec l’utilisation qu’il pourra en faire dans sa vie quotidienne ne soutient
pas le développement de compétences visé en ETP. C’est pour cela que les
intervenants en ETP doivent maîtriser les mécanismes de l’apprentissage et les
techniques qui les favorisent. Des compétences relationnelles sont également
nécessaires pour créer un lien de confiance avec les bénéficiaires de l’ETP, les
aider à s’exprimer et pour faciliter la communication. Bien entendu, il est aussi
indispensable que les éducateurs en ETP maitrisent les sujets sur lesquels ils
interviennent en fonction du thème des séances qu’ils animent. C’est ce que l’on
appelle des compétences biomédicales et de soins ou plus largement des compétences techniques. Enfin, pour ceux qui vont participer à l’élaboration ou à la
gestion du programme, il faudra des compétences organisationnelles. Je dirais
que nous avons là un socle de compétences communes à posséder quel que soit
son statut dans l’ETP, soignants ou non-soignants. Leur acquisition peut se faire
de plusieurs manières. Comme pour les soignants, il est important que les
patients qui s’impliquent dans les programmes se forment à la démarche d’éducation thérapeutique. Dans certains cas, certaines associations développent des
sessions de formations spécifiques pour leurs adhérents sur la base des exigences de la loi HPST, comme c’est le cas dans le domaine de la rhumatologie
ou à l’Association Française des Hémophiles. Dans d’autres situations, les
patients suivent les mêmes cursus de formation que les professionnels qu’ils
soient du niveau minimum requis pour animer l’ETP, c’est à dire quarante
heures, ou de niveaux supérieurs comme des DU3 ou des Masters. Il faut également considérer que les patients peuvent déjà posséder un certain nombre de
3. DU : Diplôme universitaire.
15
compétences jugées nécessaires en ETP. Certaines associations de lutte contre le
sida ont prévu par exemple dans la formation initiale de leurs volontaires des
modules de préparation à l’entretien ou l’animation de groupe. Et puis il ne faut
pas oublier qu’avant d’être malades, les patients sont aussi des personnes qui
ont souvent acquis des compétences de par leur métier ou leurs activités de loisirs. C’est ainsi que nous avons rencontré un patient qui anime des stages de
photographie, un autre qui est cadre manager en ressources humaines ou une
maman formatrice pour adultes. Il est important de tenir compte de cette réalité,
encore trop souvent non prise en considération et de la valoriser, notamment en
complémentarité des autres membres de l’équipe d’éducation. Quoi qu’il en
soit, l’acquisition de ces compétences est un élément indispensable à la qualité
des interventions et elle doit être réfléchie dans cet esprit. En plus de ces compétences communes, les travaux que nous avons réalisés sur six pathologies
chroniques montrent que l’intervention des patients dans les séances d’éducation thérapeutique met en jeu des compétences liées à l’expérience du vécu de la
maladie et inhérentes à la condition de patient. Ces compétences dites expérientielles marquent une spécificité du patient expert dans le sens où le vécu quotidien de la maladie ouvre un champ de connaissances de la pathologie peu accessible ou inaccessible au soignant. Pendant longtemps revendiquées par les
patients, ces compétences expérientielles sont aujourd’hui de plus en plus perçues et reconnues par les soignants comme complémentaires de leur champ
d’intervention. Leur mobilisation dans les séances d’éducation diffère du témoignage dans le fait qu’elles s’inscrivent dans une dimension collective. Dans ce
cas, ce que le patient rapporte de l’expérience ne traduit pas sa situation et son
ressenti personnel mais exprime plutôt un exemple généralisable. Pour y arriver,
le patient devra avoir pris la distance nécessaire pour permettre à ses pairs de
s’approprier cette expérience comme une ressource plutôt que comme un
modèle.
♦ Selon vous, peut-on intégrer un patient-expert dans n’importe quel
programme d’ETP ?
(RV)
Non, je ne pense pas parce qu’il faut bien connaître la maladie, et selon la
pathologie c’est plus ou moins facile. Il y a aussi un paramètre individuel.
(JCV)
De plus en plus de programmes d’éducation thérapeutique font intervenir des
patients dans l’élaboration des contenus ou dans l’animation des séances et ce
dans de nombreuses pathologies. Dans l’absolu, rien ne limite la participation
16
des patients quel que soit le thème du programme, à partir du moment où ils
interviennent dans les mêmes conditions que les autres éducateurs, notamment
en termes de compétences attendues au niveau pédagogique et relationnel. Ceci
pose la question des compétences en lien avec les thèmes des séances. En effet,
l’animation d’atelier nécessite ici la maîtrise de certains contenus théoriques
et/ou pratiques. Ainsi, l’acquisition de connaissances liées aux effets secondaires des traitements sera plus facilement accompagnée par un médecin ou un
pharmacien. De la même manière, une séance visant la maîtrise des gestes
d’auto-injection sera plus couramment animée par une infirmière. Bien entendu
rien n’empêche un intervenant possédant les compétences nécessaires d’animer
ces séances. Rapportées aux compétences expérientielles liées à la maladie, la
question peut se poser de savoir dans quelle mesure une personne atteinte d’une
maladie chronique pourrait intervenir dans le cadre d’un programme qui porte
sur une autre pathologie que celle dont il est atteint. Cela constitue un enjeu
important dans le développement de l’éducation thérapeutique : celui de la
transversalité des compétences en ETP, en particulier pour les patients-experts.
En effet, une séance d’éducation consacrée à la communication autour de sa
maladie dans le cadre professionnel ne pourrait-elle pas être animée aussi bien
par une personne diabétique que par une personne atteinte d’une polyarthrite
rhumatoïde ? La question est en débat et plusieurs actions sont actuellement
menées en France à titre expérimental. De la même manière, pourrait-on envisager l’intervention de patients-experts dans des programmes proposés dans un
contexte de pluripathologies, c’est à dire à destination de personnes vivant avec
plusieurs maladies chroniques qu’elles soient liées à des co-morbidités, conséquences d’une maladie initiale ou que ces maladies coexistent sans lien les unes
avec les autres. Là encore, un enjeu pour le développement de l’ETP, l’allongement de la durée de vie allant rendre ces situations de plus en plus fréquentes.
♦ Qu’est ce que cette expérience peut apporter au patient-expert ?
(RV)
On apprend beaucoup de la vie des gens, cela me touche. On peut se comparer,
parfois ça peut rassurer sur son propre état, car on voit que c’est plus difficile
chez les autres. Parfois on peut trouver aussi une certaine communauté car on
vit les mêmes choses.
Etre patient-expert apporte aussi des informations sur soi-même. Si ce n’était
pas le cas, je ne participerais plus.
(JCV)
Pour élargir votre question, je dirais que l’intervention des patients dans l’ETP
17
présente plusieurs bénéfices, tant pour les patients qui bénéficient de l’ETP que
pour les soignants et les patients-experts qui la mettre en œuvre. Tout d’abord
pour les personnes qui participent aux séances d’ETP. Elles se disent rassurées
par la présence d’un de leurs pairs dans l’équipe qui anime les séances. Cela
leur permet de s’exprimer souvent plus librement face à un soignant, d’aborder
des questions plus personnelles ou d’ordre pratique car le patient-expert est
perçu comme plus à même de pouvoir y répondre pour les avoir sans doute
vécues. En tant qu’animateur, il pourra apporter des astuces de la vie quotidienne auxquelles le soignant n’aurait peut être pas pensé, il pourra mieux comprendre certains ressentis et les aborder d’une autre manière. Je pense en particulier à certaines situations relationnelles engendrées par la maladie chronique,
comme les relations de couple ou au sein de la famille. De la même manière,
certaines limitations de communication pour des personnes porteuses d’un handicap auditif ou verbal seront parfois mieux cernées par des personnes qui
vivent la situation pour elles-mêmes. Il leur sera alors plus facile de travailler
sur des solutions adaptées avec les patients ou de compléter les apports des soignants par des ajustements pratiques. Sur un autre plan, les animateurs euxmêmes disent tirer un bénéfice de cette intervention. Pour les soignants, en écho
à ce que disent les patients, l’intervention du patient-expert est perçue comme
un complément de leur action d’éducation sur des aspects pratiques. Au-delà de
cela, pour de nombreux soignants, la collaboration avec des patients-experts
leur donne une autre vision des personnes qu’ils prennent en charge. Plusieurs
d’entre eux nous ont ainsi fait part du fait qu’ils comprenaient mieux ce que les
patients vivaient au quotidien, leurs difficultés et leurs ressources. Cela les
amène parfois à revisiter leur pratique du soin, au delà de l’ETP, que ce soit la
manière de mener une consultation médicale, d’apporter des informations avant
un retour à domicile ou même de réaliser un pansement. Jusque-là « objet de
soins », le patient prend une autre place pour le soignant, en faveur d’une relation de soins qui l’implique comme partenaire à part entière dans sa prise en
charge. Le fait de participer à un programme d’ETP aura également un impact
sur le patient-expert lui-même. Ceux que j’ai rencontrés au cours de mes travaux expriment une grande satisfaction personnelle à intervenir auprès de leurs
pairs, accomplissement personnel que l’on pourrait retrouver dans d’autres
démarches altruistes. Le choix de l’ETP est sans nul doute à rapprocher de leur
motivation de départ souvent en lien avec sa propre histoire, comme je l’ai déjà
évoqué. Pour certains, cette implication dans une action positive face à la maladie contribue à les maintenir dans une dynamique personnelle de gestion de leur
propre situation. S’il est nécessaire que les patients-experts aient pris le recul
nécessaire par rapport à leur état de santé pour favoriser une approche positive
18
de l’apprentissage, cela ne veut pas dire qu’ils soient ou qu’ils doivent être
exemplaires dans leur propre vie. L’engagement auprès des autres, et en particulier sur des sujets tels que l’ETP, peut ainsi être un moteur pour s’inscrire ou se
maintenir dans une action de soi-même pour soi-même.
♦ Comment peut-on devenir patient-expert ?
(RV)
Je pense qu’on apprend sur le tas. Je ne pense pas a priori qu’une formation soit
nécessaire car c’est surtout l’expérience personnelle qui est recherchée dans
cette participation.
(JCV)
Le terme « devenir » me semble important car être patient-expert est le fruit
d’une évolution qui se réfléchit selon moi à deux niveaux. Tout d’abord, sur le
fond en interrogeant ce qui a amené certains patients à s’investir dans cette voie.
Cela intervient fréquemment dans le prolongement d’un engagement associatif
déjà existant, dans une logique d’évolution des actions proposées par l’association ou dans un parcours militant. Dans d’autres cas, les patients-experts s’investissent à titre personnel, sans lien antérieur avec une association. C’est là
qu’intervient souvent l’histoire de vie de chacun. Comme je l’ai déjà évoqué le
fait d’avoir été soi-même soutenu par ses pairs à des moments difficiles de son
parcours de malade chronique ou, au contraire, d’avoir ressenti un manque
constitue chez certains patients que j’ai rencontrés un levier important dans la
motivation à s’impliquer en direction des autres. La démarche de « devenir »
patient-expert est donc rarement neutre et il est donc important de bien préparer
cet engagement, notamment par un processus de recrutement formalisé. C’est là
qu’intervient le second niveau à considérer dans votre question, celui de la
forme. Dans de nombreux projets d’ETP qui ont structuré l’intervention des
patients dans les séances d’éducation, un processus de recrutement a été réfléchi
et formalisé. L’Association Française des Hémophiles a ainsi mis en place un
protocole conjoint entre les antennes locales de l’association et les Centres de
traitement de l’hémophilie en région pour coopter les personnes qui souhaitent
devenir patient ou parent ressource. De la même manière les futurs patientsexperts de l’Association François Aupetit qui lutte contre la maladie de Crohn
passent plusieurs entretiens avant et au cours de leur formation avant d’intervenir dans des ateliers d’ETP. Pour aider les équipes qui souhaiteraient impliquer
des patients dans leur programme, la Direction générale de la santé vient d’éditer un guide de recrutement des patients intervenants, disponible sur Internet. Ce
guide est issu de travaux réalisés avec des associations de patients. Il permet de
19
donner des points de repères pour susciter des candidatures, sélectionner les
futurs intervenants et informer les équipes de soins. Vient ensuite la question de
la formation des patients-experts à travers des processus qu’il convient d’adapter en fonction du type d’intervention attendu et des compétences déjà existantes. La démarche ne sera en effet pas la même si le programme est élaboré
dès le départ par une équipe qui inclut des patients-experts ou si ces derniers
intègrent des actions déjà existantes. Comme cela a déjà été évoqué, il existe de
nombreuses formations vers lesquelles les patients-experts peuvent se tourner en
fonction de leurs contenus et du niveau d’intervention souhaité. Dans certains
cas, il est aussi important de prendre en compte les compétences déjà existantes.
En tout état de cause, si l’expérience est un élément majeur dans ce qui fait le
patient-expert, son « expertise » se structurera à l’issue d’un travail de réflexion
sur les pratiques d’ETP et sur ce qui constitue les apports spécifiques du patient.
Ce processus de prise de distance et d’acquisition de compétences fait partie
d’un cheminement de ce que l’on pourrait appeler une auto-formation qui
marque bien que l’on ne devient pas patient-expert du jour au lendemain. La
formation peut faire partie de ce processus en fonction des compétences nécessaires à chaque intervenant en ETP. Dans la perspective du développement de
cette nouvelle figure du patient, la formation peut être également une manière
de reconnaître la place des personnes atteintes de maladies chroniques dans
l’éducation thérapeutique en direction de leurs pairs.
♦ Pour en savoir plus :
Vous trouverez ci-dessous les liens qui vous dirigeront vers le cahier des charges
de l'appel à projet 2014 et vers les deux guides sur les patients intervenants.
http://www.sante.gouv.fr/plan-pour-l-amelioration-de-la-qualite-de-vie-des-personnes-atteintes-de-maladies-chroniques-2007-2011.html
http://www.sante.gouv.fr/actions-et-realisations-et-appels-a-projets.html
http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/Guide_de_recrutement_de_patients_intervenants_2014.pdf
http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/Guide_d_engagement_intervenants_programmes_ETP.pdf
20
Education thérapeutique du patient (ETP) : principes et intérêts
Claire Marchand
Résumé
L’éducation thérapeutique du patient (ETP) est devenue incontournable dans la prise en
charge des patients atteints de maladie et/ou de troubles chroniques. Elle est intégrée dans
les politiques de santé. Les orthophonistes font partie de l’équipe pluridisciplinaire impliquée
dans des programmes d’ETP. Fondée sur des valeurs humanistes, l’ETP transforme la relation soignant-patient. Il s’agit de permettre au patient d’acquérir des compétences lui permettant de prendre ses propres décisions. La démarche d’ETP comprend plusieurs étapes :
diagnostic éducatif, contrat, séances d’éducation et évaluation pédagogique. Elle concerne
le patient et son entourage. Des recommandations ont été rédigées par la HAS. Au-delà
d’une efficacité déjà démontrée, l’ETP présente des intérêts pour le patient et son entourage, mais aussi les professionnels qui la mettent en œuvre et d’un point de vue économique.
Mots clés : éducation thérapeutique du patient, démarche systémique, critères de qualité,
compétences du patient.
Therapeutic Patient education (TPE) : principles and benefits
Abstract
Therapeutic Patient Education (TPE) has become a major part of the management of
patients affected by chronic diseases and/or disorders. It is integrated into health policies.
Speech therapists are included in multidisciplinary teams involved in TPE programs. Based
on humanist values, TPE changes the relationship between patients and the medical staff. It
develops patients’ skills, enabling them to make their own decisions regarding their health.
TPE follows several stages: educational diagnosis, contract, educational sessions and evaluation. It concerns both patients and home-based caregivers. Recommendations were drafted by the French Health Authority (HAS). TPE has already demonstrated its efficiency and is
valuable to patients and their caregivers, to professionals who implement it, and in economic terms.
Key Words : Therapeutic Patient Education, systemic approach, qualitative criteria, patient
skills.
Rééducation Orthophonique - N° 259 - septembre 2014
21
Claire MARCHAND
Maître de conférence
Laboratoire Educations et Pratiques de
Santé EA 3412 1
U.F.R. Santé Médecine Biologie Humaine
Université PARIS 13
74 rue Marcel Cachin
93017 Bobigny Cedex
Courriel : [email protected]
♦ Bref historique du développement et de la reconnaissance de l’ETP
en France
D
ans les années 70, L. Miller officiant auprès de patients diabétiques, a
montré que si l’on associait à la prescription d’un traitement un temps
dédié à la compréhension par le patient de ce même traitement, celui-ci
était d’autant plus efficace quel que soit le niveau social du patient (Miller, 1979).
C’est à partir de ces premières expérimentations qu’est apparue et n’a cessé de
se développer l’éducation thérapeutique du patient (ETP), pratique alliant soin et
éducation. Compte tenu de l’augmentation du nombre de maladies chroniques
depuis plusieurs années et du vieillissement de la population, l’ETP est devenue
incontournable dans la prise en charge des patients et a été progressivement
structurée et intégrée dans les politiques de santé en France (Tableau 1).
Aujourd’hui, les institutions de santé qui souhaitent mettre en place des programmes d’éducation thérapeutique du patient doivent remplir un cahier des
charges et demander une autorisation à leur Agence Régionale de Santé (Arrêté
du 2 août 2010).
Depuis cet arrêté, le nombre de programmes d’ETP autorisés n’a cessé
d’augmenter. Pour la seule région d’Ile de France par exemple, en février 2014,
environ sept cents programmes ont été autorisés. A titre d’exemple, un site de
partage permet d’identifier l’ensemble de ces programmes, leurs localisations et
le public auquel ils s’adressent (CARTEP : http://www.educationtherapeutiqueidf.org). En dehors d’une maladie chronique, L’ETP se développe aussi auprès
des patients atteints de troubles chroniques associés ou non à une pathologie
(ex : dysphagie, troubles sphinctériens, aphasie, etc.) nécessitant de la part du
1. Site du Laboratoire de pédagogie de la santé : http://www.univ-paris13.fr/lps
22
patient ou de son entourage des apprentissages particuliers lui permettant de
vivre le mieux possible.
Encore aujourd’hui les programmes d’ETP se structurent majoritairement
à l’hôpital (environ 80% des programmes autorisés). Nous avons pu identifier
quelques programmes sur l’Ile de France (Site CARTEP) dans lesquels sont
impliqués les orthophonistes : programmes s’adressant à des patients victimes
d’AVC, d’affection neurologique et troubles de la déglutition, de malformation
de la face et de la cavité buccale, par exemple. Par ailleurs l’ETP se développe
de plus en plus en ambulatoire (Traynard et Gagnayre, 2013), dans le cadre de
réseau de soins (Mollet 2013), dans des centres de santé (Djassibel et Lopez,
2013), au sein des mutuelles de santé telle que la MSA (Frete, 201), en pratique
libérale (Guyot, 2013), au sein d’associations de patients et depuis peu dans les
officines pharmaceutiques de ville (Lafortune 2013). En dehors des programmes
d’ETP pour lesquels une autorisation est nécessaire, des activités d’ETP sont
parfois mises en place pour répondre aux besoins éducatifs des patients.
23
24
♦ Les principes de l’ETP
Une définition de l’ETP a été proposée en 1998 par l’OMS :
« L’éducation thérapeutique du patient devrait permettre aux patients
d’acquérir et de conserver les capacités et compétences qui les aident à
vivre de manière optimale leur vie avec leur maladie [...] Il s’agit d’un
processus permanent, intégré dans les soins, et centré sur le patient.
L’éducation implique des activités organisées de sensibilisation, d’information, d’apprentissage de l’autogestion et de soutien psychologique
concernant la maladie, le traitement prescrit, les soins, le cadre hospitalier
et de soins, les informations organisationnelles, et les comportements de
santé et de maladie. Elle vise à aider les patients et leurs familles à comprendre la maladie et le traitement, coopérer avec les soignants, vivre plus
sainement et maintenir ou améliorer leur qualité de vie [...] »
Ainsi, l’ETP est une démarche comprenant différentes activités qui permettent au patient et à son entourage de développer et maintenir des compétences. Cette définition met en exergue l’importance de la participation du
patient et/ou de son entourage dans la prise en charge de la maladie. Cette participation dépend des valeurs humanistes sur lesquelles s’appuie l’éducation
thérapeutique. Ces valeurs reconnaissent au patient la potentialité de pouvoir
prendre des décisions concernant sa santé et devenir ainsi un véritable acteur
de santé en collaboration avec les soignants.
Avec l’ETP, les rôles et la relation soignant-patient se transforment. Le
statut de la personne malade passe d’une position de dépendance aux soignants à
celle d’acteur de santé capable de s’autoréguler, de déterminer sa propre norme de
santé et de participer aux décisions de santé le concernant (Barrier, 2010). De son
côté, le professionnel de santé doit adopter une posture éducative permettant de
soutenir chez les patients un début d’apprentissage significatif (Gagnayre, 2013).
C’est cette posture éducative qui donne sa légitimité éthique et son sens à l’ETP
(Reach, 2011). Il ne s’agit plus de transmettre des informations et de dire au
patient ce qu’il doit faire (modèle paternaliste de la relation thérapeutique), mais
d’aider le patient à acquérir des connaissances et des compétences lui permettant
de prendre ses propres décisions de santé. Progressivement, avec le développement de l’éducation thérapeutique, le patient devient un acteur incontournable
pour la conception et la mise en œuvre de programmes d’ETP (HAS 2007 ; Berthon 2011). Dans certaines pathologies, les patients interviennent dans l’animation
des séances d’ETP au côté des soignants (Wintz et al, 2010).
L’ETP est une pratique qui convoque plusieurs disciplines : les
sciences médicales et les sciences humaines (sciences de l’éducation, psycholo-
25
gie de la santé, anthropologie, sociologie, etc). Elle s’appuie donc sur un
modèle biopsychosocial de la maladie qui envisage la prise en charge du
patient de façon globale, dans ses dimensions cliniques, psychologiques et
sociales, contrairement au modèle biomédical davantage centré sur la maladie.
De plus, s’agissant d’éducation, elle se réfère aux théories constructivistes et socioconstructivistes de l’apprentissage. Selon ces théories l’apprenant
(ici le patient ou son entourage) apprend dès lors qu’il est capable de construire
ses connaissances lui-même, en mettant en lien les connaissances nouvelles
(apportées par l’éducation et l’expérience de la maladie) avec son réseau de
connaissances antérieures (Tardif, 1992). Cet apprentissage est d’autant plus
riche que l’apprenant le développe au cours d’interactions sociales (séances
d’ETP collectives par exemple). L’information au patient n’est donc pas suffisante pour qu’il y ait apprentissage. Ces théories se traduisent dans la pratique
par la mise en œuvre de conditions et de principes favorisant l’apprentissage des
patients : prise en compte des connaissances antérieures, interactivité et travail
collaboratif source de conflit sociocognitif, prise en compte des contextes émotionnel et social, préparation au transfert des apprentissages, développement de
compétences métacognitives en particulier celle d’auto-évaluation permettant au
patient de réajuster des conduites à tenir de façon autonome.
♦ La démarche d’ETP
Pour mettre en œuvre l’ETP, d’Ivernois et Gagnayre (2013) ont proposé
une démarche systémique qui permet d’opérationnaliser le processus complexe qu’est l’ETP. Cette démarche comprend 4 grandes étapes reliées entre
elles, des allers et retours sur chacune de ces étapes étant constants.
1. La première étape consiste à réaliser un diagnostic éducatif encore appelé
bilan éducatif partagé (HAS, 2007). Il s’agit au cours d’un ou plusieurs
entretiens d’appréhender le patient dans sa singularité et sa globalité afin
d’identifier ses besoins éducatifs, ses potentialités pour suivre l’ETP et
mettre en œuvre ses compétences. Plusieurs aspects du patient sont explorés au cours de ces entretiens : sa santé, sa maladie, ses traitements et
antécédents (dimension médicale), ce qu’il fait dans la vie, ses loisirs, son
entourage (dimension socioprofessionnelle) ; ce qu’il sait de sa maladie,
comment il se la représente, ce qu’il croit (dimension cognitive) ; son
vécu, le sens qu’il attribue à sa maladie, son niveau d’acceptation de la
maladie (dimension psychologique), son ou ses projets de vie susceptibles
de le motiver à apprendre et à mettre en œuvre ses compétences (dimension motivationnelle). Le diagnostic éducatif ne doit pas être compris
26
comme un simple recueil d’informations sur le patient pour permettre au
soignant de lui proposer un programme d’ETP adapté à ses besoins. Il
constitue un véritable temps de l’éducation à condition qu’il soit centré sur
le patient et qu’il sollicite sa réflexion et son point de vue sur sa situation
de santé tout au long de l’entretien (Iguenane et Gagnayre 2004).
2. Une fois les besoins éducatifs identifiés, une proposition de programme
d’ETP est faite au patient. Ce programme comprend un ensemble d’activités d’éducation animées par une équipe de professionnels de santé comprenant parfois des patients. Il s’agit dans un premier temps de s’accorder
avec le patient sur les compétences à acquérir pour gérer sa maladie.
La notion de compétences en ETP est importante car elle souligne le fait
qu’il ne suffit pas d’avoir des connaissances pour résoudre des problèmes
thérapeutiques ou s’adapter à sa maladie dans la vie quotidienne
(Gagnayre, 2002). Deux catégories de compétences ont progressivement
été distinguées même si elles sont intimement liées dans leur développement et leur mise en œuvre dans le quotidien du patient (HAS 2007,
d’Ivernois et Gagnayre 2011) : les compétences d’auto-soins et les compétences d’adaptation à la maladie. Le tableau 2 présente ces deux catégories
de compétences avec quelques exemples. A partir de ces compétences, les
équipes peuvent élaborer des référentiels de compétences pour les patients
dont ils s’occupent. C’est sur la base de ces référentiels et en fonction des
besoins identifiés au moment du diagnostic éducatif qu’une proposition de
programme est faite et négociée avec le patient. Les soignants et le patient
s’entendent sur un programme d’ETP : c’est le contrat d’éducation qui a
valeur d’engagement entre les différents partenaires. Ce contrat peut être
réalisé dans le temps en fonction de sa complexité et des potentialités du
patient.
27
Tableau 2 : Matrice des compétences d’auto-soin et d’adaptation à la maladie
(Extrait de D’Ivernois JF, Gagnayre R et les membres du groupe de travail de
l’IPCEM. Compétences d’adaptation à la maladie du patient : une proposition.
Educ Ther Patient/Ther Patient Educ 2011 ; 3(2) :S201-S205)
3. A partir de cette proposition, des séances d’ETP sont organisées et proposées au patient. Elles peuvent être individuelles ou collectives, selon les
choix du patient et les modalités d’organisation institutionnelle. Chaque
séance est en lien avec une compétence à développer et s’appuie sur des
objectifs pédagogiques précisant les apprentissages visés par le patient
(ex : à la fin de la séance le patient doit être capable de ….). Pour favoriser
l’apprentissage du patient au cours de ces séances, certains principes et
conditions doivent être respectés : progression dans l’apprentissage (l’acquisition de compétences par le patient nécessite une pédagogie du « pas à
pas »), activités concrètes ayant du sens pour le patient (utilité de l’ap-
28
prentissage pour le quotidien du patient), techniques éducatives sollicitant
la participation active et la curiosité du patient, sollicitation des connaissances antérieures du patient, utilisation d’outils d’aide à l’apprentissage,
valorisation du patient, respect de son rythme d’apprentissage, vérification
de la compréhension du patient, préparation au transfert des apprentissages par le patient dans son quotidien.
4. A la fin du programme, ou à la suite de plusieurs séances d’ETP, un bilan
des acquisitions du patient est nécessaire : c’est l’évaluation pédagogique
du patient (d’Ivernois et Gagnayre, 2007). Cette évaluation est un véritable temps d’éducation dans la mesure où elle sollicite l’avis et la réflexion
du patient : il donne son accord pour ce bilan, il participe activement à son
déroulement et aux décisions qui suivent l’analyse de ses résultats (Marchand et al, 2007). Cette évaluation réalisée à l’aide d’outils d’évaluation
spécialement conçus (tests de connaissances, situation problème, etc.) permet de faire le point avec le patient sur ses acquisitions en regard du
contrat initialement discuté, et d’envisager les modalités de son suivi éducatif. En effet, l’éducation thérapeutique du patient ne s’arrête pas à la fin
du programme tel que déterminé au départ avec le patient. Elle s’inscrit
dans la continuité, les besoins des patients évoluant avec le temps compte
tenu de leur environnement, de leur vie, de la maladie et des traitements.
♦ Les critères de qualité de l’ETP (HAS)
L’ETP concerne le patient et son entourage. En effet, dans de nombreux cas l’ETP s’adresse non seulement au patient, mais aussi à ses proches
qui vont aider le patient dans ses soins. Dans certains cas, cette participation est
ponctuelle : l’adaptation par le proche de l’alimentation d’un patient souffrant
de dysphagie, l’amélioration de la communication avec ses proches dans le cas
d’aphasie, la réalisation d’un repas équilibré ou sans sel pour son proche atteint
d’une insuffisance cardiaque, l’aide à la réalisation des soins de pieds chez un
patient diabétique atteint d’une déficience visuelle, etc. Parfois les proches doivent se substituer totalement au patient. C’est le cas par exemple des personnes
présentant des troubles cognitifs tels que dans la maladie d’Alzheimer. Face à
l’apparition de la maladie au sein de la famille, les proches doivent vivre une
certaine transition (Meleis et al 2000) qui les amène progressivement à changer
de rôle et à devenir « proches aidants ». Pour vivre cette transition, les proches
aidants ont besoin de soutien et doivent acquérir des compétences spécifiques
leur permettant d’intervenir auprès de leur parent Alzheimer par exemple
(Amieva et al, 2012).
29
L’ETP est une pratique interdisciplinaire. Elle nécessite la participation et l’implication des différents professionnels en charge du patient. La
notion d’interdisciplinarité suppose des interactions fortes entre les différents
professionnels issus de plusieurs disciplines afin de mieux appréhender la situation complexe de l’éducation thérapeutique du patient (de la Tribonnière
Gagnayre, 2013). La mise en œuvre de cette interdisciplinarité est facilitée par
une coordination des activités et du programme. Le coordinateur d’un programme d’ETP facilite la communication entre les différents acteurs par l’organisation de réunions multiprofessionnelles autour de l’ETP, l’élaboration de
documents, les relations avec les autres professionnels de santé n’intervenant
pas dans le programme, etc. Ainsi, tout programme d’ETP autorisé par les ARS
comprend un coordinateur et un ensemble d’acteurs (professionnels et patients)
impliqués dans le programme.
L’ETP doit être formalisée. La formalisation de l’ETP passe par la mise
en place de documents permettant d’organiser et de suivre le programme ou les
activités d’ETP. Concernant les séances d’ETP il est souhaitable de rédiger un
conducteur pédagogique pour chaque séance d’ETP. Ce document décrit de
façon très précise le déroulement de la séance : objectifs de la séance, public
auquel elle s’adresse, le matériel nécessaire, les différentes étapes et techniques
pédagogiques de la séance, en particulier ce que doit faire l’éducateur et ce que
doivent faire les patients pour apprendre. Sont indiqués aussi dans ce document
les critères qui permettent de vérifier l’acquisition des objectifs de la séance
(David, 2008). Le dossier d’éducation individuel comprend les éléments
nécessaires au suivi éducatif du patient : les principaux éléments du diagnostic
éducatif, le contrat d’éducation, les séances suivies, les résultats d’évaluation,
les incidents rencontrés par le patient dans son éducation, etc. Dans certaines
structures où le dossier du patient est informatisé, un onglet spécifique ETP a
parfois été rajouté permettant à tout professionnel d’avoir accès aux informations éducatives. Par ailleurs, les équipes doivent mettre en place des outils permettant de tracer l’activité d’un point de vue général (rapport d’activité décrivant le nombre de patients inclus, le nombre de séances réalisées, etc.) afin de
rendre compte du fonctionnement de leur programme.
L’ETP doit être évaluée. Depuis 2010, les programmes d’ETP autorisés
par les ARS doivent procéder à deux types d’évaluation. Ces deux évaluations
ont pour principal objectif d’amener les équipes à réfléchir à leur programme
d’ETP afin de l’améliorer (Marchand, 2013). Chaque année faisant suite à l’autorisation de leur programme, les équipes doivent réaliser une auto-évaluation
annuelle. Il s’agit d’une évaluation du processus de leur programme leur permettant de se questionner sur la qualité de leur programme. Dans cette intention,
30
la HAS a produit un guide à l’intention des équipes pour les aider à réaliser ces
évaluations (HAS 2012). Au bout de 4 années d’autorisation (et nous arrivons
en 2014 dans cette période pour les premiers programmes autorisés), une autoévaluation quadriennale doit être réalisée par les équipes. Cette auto-évaluation devrait porter sur les effets du programme d’ETP (effets sur le patient, sa
prise en charge, son entourage, etc.) ainsi que sur l’évolution de sa structuration.
A partir de cette évaluation, les équipes pourront envisager des réajustements de
leur programme et, si elles le souhaitent et le jugent utile, demander un renouvellement de leur autorisation à leur ARS. La HAS prévoit de mettre à la disposition des équipes un guide pour mener ces évaluations quadriennales.
L’ETP est un processus continu. L’éducation thérapeutique s’inscrit
dans la continuité au même titre que la maladie chronique. Avec le temps les
connaissances et les compétences acquises peuvent se déliter, en particulier si
elles ne sont utilisées qu’occasionnellement par le patient. Par ailleurs, des évènements de vie, l’apparition de complications, la nécessité de changer de traitement ou de matériel de surveillance par exemple, vont faire émerger de nouveaux besoins éducatifs chez le patient. Dans ce sens, la HAS a déterminé 3
types d’éducation : (1) l’ETP initiale qui correspond globalement à une première année de prise en charge éducative au cours de laquelle auront été abordées les compétences du contrat d’éducation initial ; (2) l’ETP de suivi régulier qui permet au patient de consolider ses compétences et de répondre à de
nouveaux besoins éducatifs émergents ; (3) l’ETP de suivi approfondi ou de
reprise pour les patients présentant des difficultés d’apprentissage, d’importantes modifications de leur état de santé ou de leur contexte de vie perturbant
leurs compétences pour gérer leur maladie. Cette éducation peut se faire dans le
même cadre institutionnel que l’éducation initiale (ETP de suivi approfondi),
selon différentes modalités (éducation à distance, télé-éducation, etc.) ou être
relayée par d’autres structures ou professionnels. Un compte rendu éducatif
doit être rédigé et communiqué aux professionnels de santé qui prennent en
charge le patient en dehors de la structure où s’est déroulée l’ETP afin d’assurer
aussi une continuité dans les soins : médecins traitants, infirmiers, orthophonistes libéraux par exemple.
L’ETP doit être réalisée par des professionnels et autres acteurs formés.
L’ETP ne va pas de soi et nécessite de la part des professionnels d’adopter une
posture éducative dans leur relation de soins. Ils n’ont en général pas été formés
à cette relation. En effet, les formations initiales en santé sont principalement
basées sur le modèle biomédical (la prise en charge d’une maladie), même si
elles tendent à se transformer progressivement (INPES 2006 ; Van Rooij et al
2012). Dès 1998, l’OMS a souligné l’importance de la formation des profes-
31
sionnels de santé pour pouvoir dispenser l’ETP. Deux niveaux de formation ont
été alors identifiés : un niveau de formation de base permettant de dispenser
l’ETP (les 40 heures aujourd’hui demandées aux professionnels pour monter un
programme et obtenir une autorisation ARS), et un niveau de formation universitaire (type Master) permettant de former des coordinateurs, ou des responsables de structures transversales d’ETP. Les différents textes qui ont suivi
ont permis de préciser les compétences à développer dans chacune de ces formations. Outre les professionnels, les patients qui interviennent dans les programmes d’ETP en collaboration des soignants ont aussi besoin de suivre une
formation pour co-animer des séances d’ETP (Wintz et al, 2010).
♦ Les intérêts de l’ETP
Les intérêts de l’ETP en terme d’efficacité ne sont plus à démontrer, la littérature sur le sujet est abondante, spécifique à chaque domaine ou pathologie.
L’ETP présente des intérêts pour les patients et leur entourage, les professionnels de santé, ainsi que d’un point de vue économique.
Les premiers intérêts de l’ETP concernent le patient. L’ETP vise à le
rendre « plus connaissant et plus compétent » lui permettant de retrouver un certain pouvoir sur sa vie avec sa maladie (« empowerment »), de pouvoir mieux
communiquer avec les soignants et son entourage, et participer aux décisions de
santé le concernant. Dans le diabète par exemple, une étude a permis de montrer
qu’un programme éducatif structuré permettait au patient d’améliorer son
contrôle de la maladie ainsi que son sentiment de compétence (Howorka et al,
2000). Les effets de l’ETP sur la qualité de vie et la santé des patients ont aussi
été démontrés au travers de plusieurs études et méta-analyses (Lagger et al,
2009) : réduction des incidents (ex : l’apparition de crises d’asthme), amélioration des symptômes (ex : diminution de la douleur rhumatismale), diminution et
retard de l’apparition des complications (ex : la rétinopathie et l’insuffisance
rénale chez les diabétiques).
Chez les professionnels de santé, l’ETP transforme leur rôle de soignant,
lui redonne une plus grande dimension relationnelle en modifiant leur regard sur
le patient et leur façon de communiquer avec lui. Elle a aussi pour effet d’améliorer la cohésion et la communication au sein de l’équipe pluridisciplinaire
(d’Ivernois et Gagnayre 2007, Deccache et al 2009). Pour certains professionnels, le psychologue par exemple, l’ETP lui permet d’élargir son champ d’action en participant à des projets d’équipes innovants (Léger et al, 2012).
D’un point de vue économique, l’ETP permet de réduire certains coûts
de santé : baisse de l’absentéisme entrainant une diminution des indemnités
32
pour arrêt de travail, meilleure utilisation des ressources de santé dans le
domaine de l’obésité (Sanguignol et al, 2009), prévention des chutes à l’hôpital
réduisant les coûts de santé (Haines et al, 2013).
♦ Conclusion
L’Education thérapeutique du patient fait partie intégrante de la prise en
charge des patients atteints de maladie chronique mais aussi de troubles ou handicaps entravant leur qualité de vie. En développement depuis près de 30 ans,
elle reste une pratique en plein essor qu’il est nécessaire de continuer à explorer
et améliorer. Actuellement, plusieurs questions se posent : comment rendre
l’ETP accessible au plus grand nombre de patients compte tenu des inégalités
sociales de santé (faible niveau de litéracie en santé ou « Health Literacy » par
exemple) et des difficultés d’accès au soins ? Quels formats ou modèle d’ETP
peuvent être proposés pour des patients porteurs de plusieurs pathologies chroniques (polypathologie) ? Comment les patients apprennent et comprennent leur
maladie ? Comment leurs représentations et leurs affects interfèrent-ils dans
leurs apprentissages, dans leur raisonnement quand ils doivent prendre des décisions concernant leur santé ? Comment impliquer les patients dans l’apprentissage de leurs pairs ? C’est à ces questions que le laboratoire « Educations et
Pratiques de Santé » de l’Université Paris 13, tente de répondre aux travers de
ses thématiques de recherche (http://www.univ-paris13.fr/lps/).
REFERENCES
AMIEVA H, RULLIER L, BOUISSON J, DARTIGUES JF, DUBOIS O, SALAMON R. 2012. Attentes et
besoins des aidants de personnes souffrant de maladie d’Alzheimer. Revue d’épidémiologie et de
santé publique ; 60 : 231-8
BARRIER P. 2010. L’autorégulation à l’épreuve de la maladie chronique (vers une pratique auto-normative de la régulation). Educ Ther Patient/Ther Patient Educ; 2(2) : S401-S404
DAVID V. IGUENANE J, GREFFIER C, GAGNAYRE R, RAVILLY S. et le Groupe de travail éducation
thérapeutique et mucoviscidose (GETHEM). 2008. Le conducteur pédagogique : une aide pour
mener des séances d’éducation thérapeutique. L’exemple du « planning du souffle » dans la
mucoviscidose. Rev Mal Respir ; 25 : 1322-5
DECCACHE A, BERREWAERTS J, LIBION F, BRESSON R. 2009. Former les soignants à l’éducation
thérapeutique des patients : que peut changer un programme ? Educ Ther Patient/Ther Patient
Educ ;1(1) : 39-48
D’IVERNOIS JF, GAGNAYRE R. 2007. Proposition pour l’évaluation de l’éducation thérapeutique.
ADSP 58 : 57-61
D’IVERNOIS JF, GAGNAYRE R et les membres du groupe de travail de l’IPCEM. 2011. Compétences
d’adaptation à la maladie du patient : une proposition. Educ Ther Patient/Ther Patient Educ ;
3(2) : S201-S205
33
D’IVERNOIS JF, GAGNAYRE R. 2013. Apprendre à éduquer le patient. Approche pédagogie. 4ième ed.
Paris : Maloine
De la TRIBONNIERE X, GAGNAYRE R. 2013. L’interdisciplinarité en éducation thérapeutique du
patient : du concept à une proposition de critères d’évaluation. Educ Ther Patient/Ther Patient
Educ ; 5(1) :163-176
DJASSIBEL M, LOPEZ R. 2013. Un programme d’ETP dans un centre de santé. In : Education thérapeutique du patient en ville et sur le territoire. Sous la direction de Traynard PY et Gagnayre R.
Paris : Maloine : 211-221
EYMARD C. 2010. Des modèles de l’éducation et de la santé à l’activité d’éducation thérapeutique. In :
Education thérapeutique du patient. Modèles, pratiques et évaluation. Sous la direction : Foucaud
J, Bury J, Balcon-Debussche M, Eymard C. Editions INPES, Saint Denis : 39-53
GAGNAYRE R. 2002. L’éducation thérapeutique et les compétences du patient. Pour une pédagogie de la
compétence. Ann Dermatol Venereol ; 129 : 985-9
GAGNAYRE R. 2013. La posture éducative comme pratique. In : Education thérapeutique du patient en
ville et sur le territoire. Sous la direction de Traynard PY et Gagnayre R. Paris : Maloine : 147-9
GUYOT F. 2013. L’ETP au service de la pratique clinique. In : Education thérapeutique du patient en ville
et sur le territoire. Sous la direction de Traynard PY et Gagnayre R. Paris : Maloine : 127-132
HAINES TP, HILL AM, HILL KD, BRAUER SG, HOFFMANN T, ETHERTON-BEER C STEVEN M
McPHAIL SM. 2013. Cost effectiveness of patient education for the prevention of falls in hospital : economic evaluation from a randomized controlled trial. BMC Medicine, 11:135 doi :
10.1186/1741-7015-11-135
HAS – INPES 2007. Structuration d’un programme d’éducation thérapeutique du patient dans le champ
des maladies chroniques. Haute Autorité de Santé et Institut National de Prévention et d’Education pour la Santé. Disponible sur le site : www.has-santé.fr
HAS 2012. Auto-évaluation annuelle d’un programme d’éducation thérapeutique du patient. Guide pour
les coordonnateurs et les équipes. Haute Autorité de Santé. Disponible sur le site : www.hassanté.fr
HOWORKA K, PUMPRLA J, WAGNER-NOSISKA D, GRILLMAYR H, SCHLUSCHE C, SCHABMANN A. 2000. Empowering diabetes out-patients with structured education : Short-term and
long-term effects of functional insulin treatment on perceived control over diabètes. Journal of
Psychosomatic Research ; 48:37–44
IGUENANE J, GAGNAYRE R. 2004. L’éducation thérapeutique du patient : le diagnostic éducatif. Les
cahiers de Kinésithérapie ; 29-30 : 58-64
INPES 2006. Etat des lieux de la formation initiale à l’éducation thérapeutique du patient en France.
INPES : 48p
LAFORTUNE C. 2013. L’ETP en ville : une ouverture à d’autres acteurs. Une pharmacienne d’officine.
In : Education thérapeutique du patient en ville et sur le territoire. Sous la direction de Traynard
PY et Gagnayre R. Paris : Maloine ; 97-93
LAGGER G, PATAKY Z, GOLAY A. 2009. Efficacité de l’éducation thérapeutique. Rev Med Suisse ;
5(196) : 688-90
LEGER P. GARNIER PH, BAUER D, PIALOUX V, Le HELIAS L, IGUENANE J, GERFFIER C. 2012.
Expériences de psychologues cliniciens en éducation thérapeutique. Educ Ther Patient/Ther
Patient Educ ; 4(1) : 23-28
MARCHAND C. 2013. Deux évaluations au service d’un programme d’ETP. In : Education thérapeutique
du patient en ville et sur le territoire. Sous la direction de Traynard PY et Gagnayre R. Paris :
Maloine ; 179-196
MELEIS AI, SAWYER LM, IL EO, HILFINGER MESSIAS DK, SCHUMACHER K. 2000. Experiencing ransitions : an emerging middle-range theory. ANS Advances in nursing science ; 23(1)12-28
MILLER LV, GOLDSTEIN V. 1972. More efficient care of diabetic patients in a country-hospital setting.
N Engl J Med ; 286 :1388-91
MOLLET E. 2013. L’éducation thérapeutique du patient en ville : état des lieux, analyses des freins et
leviers de son développement. In : Education thérapeutique du patient en ville et sur le territoire.
Sous la direction de Traynard PY et Gagnayre R. Paris : Maloine : 55-72
34
Organisation Mondiale de la Santé (OMS). 1998. Education thérapeutique du patient, Programmes de formation continue pour les professionnels de soins dans le domaine de la prévention des maladies
chroniques. Recommandations d’un groupe de travail de l’OMS, Bureau régional pour l’Europe,
Copenhague
REACH G. 2011. Une éducation thérapeutique sans posture n’est qu’une imposture. In : Education thérapeutique. La mise en œuvre (dir. Grimaldi A). Editions Scientifiques L&C, Paris : 11-3
SANDRIN-BERTHON B. 2007. Associer des patients à la conception d’un programme d’éducation thérapeutique. Santé publique ; 19(4) : 313-322
SANGUIGNOL F, LAGGER G, GOLAY A. 2009. L’efficacité médico-économique de l’éducation thérapeutique chez des patients obèses. Educ Ther Patient/Ther Patient Educ ; 1(1) : 57-62
TARDIF J. 1992. Pour un enseignement stratégique : l’apport de la psychologie cognitive. Montreal :
Logiques
TRAYNARD PY et GAGNAYRE R. 2013. Education thérapeutique du patient en ville et sur le territoire.
Paris : Maloine
Van ROOIJ G, CROZET C, De ANDRADE V, GAGNAYRE R. 2012. Enquête sur l’enseignement de
l’éducation thérapeutique auprès de 30 instituts de formation en soins infirmiers de la région Ilede-France. Educ Ther Patient/Ther Patient Educ ; 4(2) : S111-S121
VEXIAU P, RAYMOND G. 2010. Les patients « experts » de l’Association française des diabétiques
(AFD) : de quoi s’agit-il ? Médecine des maladies Métaboliques ; 3(4) : 337.
WINTZ L, SANNIE T, AYCAGUER S, GUEROIS C, BERNHARD JP, VALLUET D, et al. 2010. Patient
resources in the therapeutic education of haemophiliacs in France : their skills and roles as defined by consensus of a working group. Haemophilia ; 16(3) : 447-54.
35
Au-delà du masque de l’expert
Réflexions sur les ambitions, enjeux et limites de
l’Éducation Thérapeutique du Patient
Alexandre Klein
Résumé
Cet article entend préciser et interroger les enjeux philosophiques et éthiques de l’Éducation
Thérapeutique du Patient. En retraçant la genèse de cette démarche éducative de soins, il se
propose de la réinscrire dans l’histoire du mouvement d’autonomisation des usagers de
santé dont elle est issue, afin de mettre en perspective ses ambitions avec la réalité de son
institutionnalisation. De cette manière, il peut dévoiler les obstacles et mettre en lumière les
limites que rencontre aujourd’hui ce domaine en pleine expansion.
Mots clés : ETP, autonomie, histoire, expertise, philosophie.
Beyond the expert’s mask
Reflecting on the aims, scope and limits of Therapeutic Patient Education
Abstract
This article intends to specify and raise philosophical and ethical issues related to Therapeutic Patient Education (TPE). Going back to its origin, the author attempts to link this educational method of care to the healthcare users’ movement of autonomy in which it is grounded,
in order to compare its original aims with its current institutional implementations. In this
manner, we can highlight TPE’s present and future obstacles and limits.
Key Words : TPE, autonomy, history, expertise, philosophy.
Rééducation Orthophonique - N° 259 - septembre 2014
37
Alexandre KLEIN
Docteur en philosophie et histoire des
sciences
Chercheur postdoctoral à l’Université
d'Ottawa
Membre associé à l’UMR 7117 CNRS
(Université de Lorraine)
Adresse de correspondance :
Chaire de recherche sur la francophonie
canadienne en santé
Université d'Ottawa
451 Rue Smyth - Pièce 3245A
Ottawa (Ontario) K1H 8M5
Canada
Courriel : [email protected]
L
e XXe siècle fut le lieu de changements majeurs dans le monde de la santé,
notamment en ce qui a trait à la relation médicale. De la rencontre d’une
conscience et d’une confiance, nous serions passés à la confrontation de
deux consciences (Roland, 2007) consécutivement à l’autonomisation de ceux
qui ne souhaitaient plus être « patients »1. Le rapport médical moderne, fondé sur
la domination technique du praticien et la soumission conséquente du malade,
s’est en effet effrité au profit de l’instauration d’une pluralité de relations possibles2, relevant toutes de tentatives d’établissement d’un partenariat singulier
entre les acteurs du soin. Il revient désormais au médecin d’accepter la pleine
autonomie du malade et au malade d’assumer cette autonomie en ne se limitant
pas à être un simple consommateur de soins. Cette évolution sociale notable,
notamment actée par la loi Kouchner de mars 2002 sur le droit des patients ou
par le développement du dossier médical personnalisé (DMP)3, trouve
aujourd’hui un écho et un moteur nouveaux sous un acronyme de plus en plus
répandu : l’ETP.
1. Sur l’autonomisation des patients au cours du XXe siècle, nous nous permettons de renvoyer à notre travail
(Klein, 2012a ; 2012b).
2. Voir à ce propos les différents modèles mis en lumière par Janine Barbot et Nicolas Dodier à partir de
l’exemple des malades du sida (Barbot, Dodier, 2000 ; Barbot, 2006).
3. Établi par l’article L1111-7 du Code de santé publique, il confie au malade l’entière propriété des informations le concernant et la possibilité de masquer certaines informations qu’il contient aux vues des professionnels de santé.
38
L’Éducation Thérapeutique du Patient (ETP) est un dispositif éducatif et
pédagogique qui entend assurer, par la formation des différents acteurs du soin,
un transfert de savoirs et de savoir-faire entre le soignant et le malade, dans le
but de permettre à ce dernier d’acquérir ou de maintenir les compétences dont il
a besoin pour gérer au mieux, de manière autonome, sa vie avec la maladie. Si
elle concernait d’abord les médecins et les malades chroniques, elle tend
aujourd’hui à s’imposer comme un modèle plus large, s’adressant à la fois aux
autres professions de santé et à l’ensemble des malades effectifs ou potentiels4.
Il faut dire qu’elle se présente comme une réponse adaptée aux modifications
d’ordre épidémiologique (majoration des maladies chroniques dans le paysage
pathologique français) et sociologique (autonomisation des sujets de santé) qu’a
connues le monde de la santé au cours des dernières décennies. Visant à la fois
l’amélioration des pratiques, la réduction des coûts et la valorisation de l’autonomie des acteurs, l’ETP apparaît comme une solution prometteuse aux difficultés actuelles du système de santé. En concrétisant la reconnaissance de l’autonomie des patients promulguée par la loi du 4 mars 2002 tout en participant à son
extension, elle pourrait en effet renouveler la relation médicale autour d’un partenariat assumé de ses acteurs (Sandrin-Berthon, 2000), mais aussi favoriser une
plus grande qualité des soins, participer à la réduction des coûts du système de
santé (Saout, Charbonnel, & Bertrand, 2008), et même lutter contre la pénurie
de médecins (Deccache & Laperche, 2001), et ce tout en encadrant l’extension
des pratiques autonomes de santé.
Du fait de ce potentiel révolutionnaire, digne d’un nouveau paradigme,
l’ETP s’est naturellement imposée dans le paysage du soin français. Le 21 juillet 2009, la loi n°879-2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients,
à la santé et aux territoires (HPST) a ainsi inséré, par le biais de son article 84,
une modification du VIe titre du premier livre de la première partie du Code de
la santé publique afin de concrétiser la naissance d’une politique nationale
d’Éducation Thérapeutique du Patient, telle que l’avait proposée un rapport préliminaire l’année précédente (Saout, Charbonnel, & Bertrand, 2008). Ainsi soutenue par les instances politiques, l’ETP qui disposait déjà de ses propres
cursus5 et diplômes universitaires6, d’une société savante7 et même d’une revue
4. Notamment à travers la notion d’« éducation pour la santé du patient », terme retenu notamment pour le
Comité Interinstitutionnel d’Education pour la Santé du Patient (CIESP) pour qualifier une démarche qui
s’adresse tant au malade qu’au bien-portant et vise à regrouper tous les types de prévention (primaire,
secondaire, tertiaire, voire quaternaire).
5. Par exemple le Master Santé Publique spécialité éducation et santé du Département de Pédagogie des
Sciences de la Santé de l’Université Paris 13.
6. Pour une liste des DU et DUI en ETP, voir : http://www.educapic.com/educ_the_formations.html .
7. La Société d’Éducation Thérapeutique Européenne créée en 2002 : http://www.socsete.org/ .
39
scientifique dédiée8, pouvait réaliser finalement ce que l’éducation en santé avait
toujours échoué à faire : devenir une discipline universitaire à part entière9.
C’est ce que concrétisa la création, le 21 juin 2011, de la première chaire française d’éducation thérapeutique du patient à l’Université Pierre et Marie Curie à
Paris. Par le biais de l’ETP, l’éducation en santé pouvait ainsi acquérir ses lettres
de noblesse pour s’inscrire dans le mouvement de cette démocratie sanitaire
assurant la transformation définitive de la médecine contemporaine par l’abandon du paternalisme qui l’avait caractérisée jusqu’alors et par la promotion
d’une véritable citoyenneté de santé. En décembre 2013, l’Académie de médecine célébrait d’ailleurs, dans son rapport sur l’ETP, l’apparition d’un nouveau
paradigme renouvelant tant la relation de soins que les interactions entre professionnels de santé. Elle appelait même à la généralisation de cette pratique par le
biais d’une sensibilisation massive des soignants comme du public et de la multiplication de la recherche et des formations dans ce domaine (Jaffiol et coll.,
2013).
À mesure que l’ETP s’affirme comme une référence incontournable pour
les acteurs du soin et de l’éducation en santé, en investissant progressivement
les référentiels des différents métiers de la santé, sa soumission à une démarche
proprement critique s’impose. Parce qu’elle cristallise « en même temps tous les
enjeux et toutes les ambiguïtés de l’éducation et de la santé » (D’Ivernois et
Gagnayre, 1995, p. 5), elle reste en effet un domaine éminemment problématique, situé au cœur des questionnements aussi essentiels que délicats soulevés
par l’articulation de ces deux domaines anthropologiques fondamentaux10.
Ainsi, au-delà des alléchantes promesses, tout bon praticien, d’autant plus s’il se
veut réflexif (Schön, 1994), se doit d’interroger ce dispositif pour en éclairer les
enjeux et fondements épistémologiques ou politiques afin d’en préciser la portée
ainsi que les limites, notamment éthiques et philosophiques. C’est cette
réflexion que nous souhaitons ici engager, dans la droite ligne de notre précédent travail de mise en perspective éthique de la discipline orthophonique
(Klein, 2011a), afin de fournir aux praticiens de l’ETP les repères nécessaires à
la constitution d’une démarche réflexive sur leur propre pratique. Pour ce faire,
nous nous proposons tout d’abord de retracer succinctement la genèse de l’ETP
afin de mettre en lumière les principes et la nature de ce mouvement, mais aussi
de cerner les glissements de visées comme de valeurs qui ont pu s’y opérer.
8. Éducation thérapeutique du patient - Therapeutic patient education, Journal de la SETE : http://www.etpjournal.org/ .
9. Sur l’histoire de l’éducation en santé, voir Klein, 2012c.
10. Sur les différentes formes d’articulation de ces domaines et leurs enjeux et problématiques, voir Parayre et
Klein, 2014.
40
Nous étudierons ensuite cette figure, devenue centrale en ETP, du « patientexpert » afin de questionner son sens, sa pertinence et sa portée, notamment
dans le cadre du mouvement contemporain d’autonomisation des sujets de
santé. Nous serons ainsi en mesure de mettre en lumière les limites théoriques et
les impasses inhérentes à ce modèle en vue d’envisager les conditions d’exercice d’une Éducation Thérapeutique du Patient digne d’un nouveau paradigme
en matière de santé.
♦ Genèse et définitions de l’Éducation Thérapeutique du Patient
L’apparition de l’ETP trouve sa source dans les victoires sans précédent
qu’a connues la rationalité médicale lors de la première moitié du XXe siècle,
notamment la production synthétique de la molécule d’insuline suite aux travaux
de Frédéric Banting (1891-1941) ou celle de la pénicilline grâce à la découverte
fortuite d’Alexander Flemming (1881-1955). La maîtrise de ces biotechnologies
permit en effet à la médecine, pour la première fois de son histoire, de lutter efficacement et à grande échelle contre des maladies épidémiques qui jusqu’alors
conduisaient les malades à une mort certaine. Une situation inédite vit alors le
jour dans laquelle des malades ne nécessitaient plus de soins médicaux réguliers
et/ou intensifs, mais devaient apprendre à vivre avec une maladie devenue chronique et à se prodiguer à eux-mêmes des soins. La question de l’éducation du
patient se fit alors jour (Newman, 1946 ; Ford, 1949), car plutôt que de prendre
en charge cette gestion quotidienne de la maladie, l’ordre médical11 décida de le
déléguer aux malades par le biais de groupes d’entraide, afin de rester centré sur
sa mission de luttes contre les maladies. Quittant ainsi le rôle de patient-profane
qui leur était jusque-là attribué, et qui les enjoignait, comme l’a théorisé Talcott
Parsons (1955), à n’être que de simples objets médicaux silencieux, les malades
ont commencé à développer une certaine autonomie, certes partielle, mais
jusqu’alors interdite. Ils pouvaient désormais, de manière collective et
« officielle », acquérir, exercer et transmettre des pratiques autonomes de santé
favorisant la gestion quotidienne de leur maladie à l’aune de leur propre vécu. En
se faisant ainsi « autosoignants », ils transformèrent leur statut social de malades
pour devenir, ainsi que l’ont analysé les sociologues Claudine Herzlich et Janine
Pierret (1984), de « nouveaux malades ». Dès lors, à partir de cette première
entorse autorisée à la domination médicale et à mesure que se multipliaient les
champs possibles d’application de ces pratiques autonomes, ils purent progressivement formaliser un autre discours médical, parallèle à celui de la médecine
11. Le terme fait directement référence à l’ouvrage éponyme de Jean Clavreul (1978).
41
officielle, relevant d’un modèle davantage psychosocial que biomédical (Herzlich, 1969) et s’affirmant souvent critique à l’égard du pouvoir des médecins.
Revendiquant le droit à une prise en charge autonome, et donc possiblement
alternative, de leur santé, ces nouveaux usagers de santé participèrent de l’émergence et de l’expansion d’un marché du soin multiple et divers12. Inquiet d’assister à une telle remise en question de son monopole et à la multiplication de pratiques jugées charlatanesques, le corps médical, aidé des instances politiques,
s’attacha à remettre de l’ordre dans le paysage de la santé. Ainsi, dès 1976, la
section européenne de l’Organisation Mondiale de la Santé réunit des spécialistes
de santé publique pour statuer sur ces pratiques autonomes de santé, rassemblées
sous la notion anglo-saxonne de self-care. Participant du mouvement international naissant de la promotion de la santé13, l’intérêt pour le self-care visait à promouvoir ces pratiques, mais de manière rationalisée et encadrée au sein d’une
politique publique de santé globale, afin de réunifier les soins profanes et professionnels pour participer à la réduction des coûts de santé qui posaient alors déjà
problème (Levin et coll., 1976). Dans ce contexte, l’éducation des patients s’imposa rapidement comme une voie pertinente à explorer.
En 1972, la Dr Léona Miller avait déjà mis en évidence, dans un article
devenu ensuite fondateur (Miller & Goldstein, 1972), l’impact d’une prise en
charge pédagogique des diabétiques sur la fréquence et la durée des hospitalisations. Le transfert de compétences de soins des médecins vers les malades permettait la réduction des coûts et de la sollicitation du système de santé institutionnel. Fort de ce constat, le Dr Jean-Philippe Assal créa en 1975, au sein de
l’hôpital cantonal de Genève, une « unité de traitement et d’enseignement du
diabète » qui favorisait la prise en charge autonome par les diabétiques de leurs
soins, en vue de l’amélioration de leur condition de malades chroniques. Développée avec l’aide de la psychologue Anne Lacroix, le Service d’enseignement
thérapeutique pour maladies chroniques, mettant en avant la nécessaire prise en
charge biopsychosociale de la maladie, fut reconnu par l’OMS comme centre
collaborateur et centre de recherche en éducation diabétique. En 1989, les spécialistes belges en santé publique Alain Deccache et Éric Lavendhomme publièrent un premier ouvrage francophone de synthèse sur l’information et l’éducation du patient où ils proposaient cette définition princeps :
L’éducation du patient est un processus par étapes, intégré dans la
démarche de soins, comprenant un ensemble d’activités organisées
12. L’engouement pour les médecines alternatives qui commença à s’exprimer au cours des années 1960 en
est un exemple. Voir à ce propos, Klein, 2012a, p. 324-344.
13. La promotion de la santé vit le jour lors de la conférence internationale sur les soins de santé primaires
d’Alma Ata de 1978, avant d’officiellement se concrétiser par la rédaction, en 1986, de la Charte d’Ottawa.
42
de sensibilisation, d’information, d’apprentissage et d’aide psychologique et sociale, concernant la maladie, les traitements, les soins,
l’organisation et procédures hospitalières, les comportements de
santé et ceux liés à la maladie, destinés à aider le patient (et sa
famille), à comprendre la maladie et les traitements, collaborer aux
soins, prendre en charge son état de santé et favoriser un retour aux
activités normales (Deccache et Lavendhomme, 1989, p. 45)
La même année, le Pr Alain Golay, qui intégrait le service d’Assal après
plusieurs années d’études à Stanford, appliqua des méthodes similaires au cas
de l’obésité et développa un séminaire de formation des soignants à cette
approche pédagogique. Le partenariat qui se noua avec les pédagogues du Laboratoire de didactique et d’épistémologie des sciences de l’université de Genève
(dont André Giordan) participa à la fondation, au cours du 1er Congrès international d’enseignement thérapeutique « Patient Éducation 2000 » de 1994, de la
notion d’éducation thérapeutique. En 1995, Rémi Gagnayre et Jean-François
d’Ivernois, médecins et chercheurs français en sciences de l’éducation, firent
enfin paraître un ouvrage présentant la formation des soignants nécessaire au
développement de l’éducation du patient. En 1998, alors que la Faculté de
médecine de Genève créait le premier diplôme de formation continue en éducation thérapeutique du patient (DIFEP), l’OMS-Europe publia un rapport d’expertise sur l’éducation thérapeutique dans les maladies chroniques, qu’elle définissait officiellement en ces termes :
L’éducation thérapeutique du patient devrait permettre aux patients
d’acquérir et de conserver les capacités et les compétences qui les
aident à vivre de manière optimale leur vie avec leur maladie. Il
s’agit par conséquent, d’un processus permanent, intégré dans les
soins, et centré sur le patient. L’éducation implique des activités
organisées de sensibilisation, d’information, d’apprentissage de
l’auto-gestion et de soutien psychologique concernant la maladie, le
traitement prescrit, les soins, le cadre hospitalier et de soins, les
informations organisationnelles, et les comportements de santé et de
maladie. Elle vise à aider les patients et leur famille à comprendre la
maladie et le traitement, coopérer avec les soignants, vivre plus sainement et maintenir ou améliorer leur qualité de vie (OMS, 1998).
Dès 1999, le Manuel d’accréditation des établissements de santé envisageait que le patient puisse bénéficier d’actions éducatives spécifiques à sa maladie. L’année suivante, la Conférence nationale de santé proposait de développer
la prévention et l’éducation, dans une approche de promotion de la santé
43
(Ministère de la Santé, 2007). Elle souhaitait plus explicitement voir se renforcer l’éducation thérapeutique du patient et la diffusion des pratiques professionnelles éducatives à l’ensemble des futurs intervenants du domaine de la santé
(proposition n° 8). Cette proposition fut renforcée par la loi du 4 mars 2002 sur
l’information des patients puis par le plan d’amélioration de la qualité de vie des
patients atteints de maladies chroniques d’avril 2007. En 2009, finalement, la loi
HSPT consacra l’éducation thérapeutique comme un enjeu de santé publique en
la reconnaissant comme une thérapeutique à part entière.
♦ D’une visée à l’autre : le glissement de l’expertise
Ainsi, au fur et à mesure de son évolution et de son institutionnalisation, l’ETP a élargi son champ d’application et multiplié ses visées, au point de
s’affirmer comme un espace de choix d’aménagement des relations entre le
médical et le social, voire de résolutions de leurs difficultés (Sandrin-Berthon,
2000). Elle participe en effet à la fois au décloisonnement du monde médical et
à l’émancipation des usagers de santé par rapport à un modèle proprement biomédical auquel ils devraient se plier. Elle milite pour que les soignants développent des compétences pédagogiques à l’égard de leur propre savoir ainsi qu’une
capacité d’écoute et d’intégration de la perspective des malades, mais aussi pour
la formation d’une expertise des patients leur permettant de gérer par euxmêmes leurs soins, leur maladie et son évolution symptomatique et pathologique.
Tout d’abord, l’éducation thérapeutique s’est en effet déployée comme
reconnaissance d’un rôle éducatif du médecin, se centrant ainsi sur les moyens
pour les médecins de développer une éducation du malade. Elle revendique les
rôles pédagogiques des soignants comme le centre de leur action plaçant l’éducation du malade au sein d’une pédagogie médicale (D’Ivernois & Gagnayre,
1995, p. vii). L’ouvrage de référence, dans le contexte français, publié en 1995
par d’Ivernois et Gagnayre, se destine ainsi entièrement aux soignants qui souhaitent « développer et structurer l’éducation thérapeutique de leurs patients »
(Ibid., p. ix). L’éducation thérapeutique se veut une pratique de soin, reposant
sur un transfert de compétences théoriques et pratiques, induisant un type de
didactique singulier et déterminant une relation soignant-soigné renouvelée.
Parce qu’elle est l’expression d’un « changement de conceptions de santé
qui infèrent que le patient est capable d’être son propre médecin pour une
période donnée » (Ibid., p. 1), l’ETP participe également de l’émancipation des
patients de leur rôle de patient-profane silencieux et passif. Elle s’est développée à mesure de l’expansion de l’autonomie des patients et souhaite y participer,
44
en donnant au malade, par un transfert de compétences, tous les moyens cognitifs et techniques d’une cogestion de sa maladie (Ibid., p. 2). Comme formation
venant redoubler l’exigence d’informations des « nouveaux malades », elle vise
la généralisation d’une négociation entre le soignant et le patient en vue de
développer des alternatives de prises en charge thérapeutiques à la croisée des
normes thérapeutiques médicales et des représentations, pratiques et savoirs des
malades. Il s’agit de faire du patient un partenaire à part entière de la relation de
soins (Soulez Barselo, 2010 ; Guimelchain-Bonnet, 2010) en favorisant la culture de compétences et de savoirs propres aux malades chroniques.
Si les deux enjeux étaient à l’origine corrélatifs, parce qu’essentiellement
complémentaires, la formation des malades en vue de leur implication dans le
processus de soins s’est développée, au cours des dernières années, de manière
indépendante et plus importante, à la fois parce qu’elle suscitait de nombreux
espoirs du côté des nouveaux « patients » en quête d’autonomie et de réformes,
que parce qu’elle s’avérait médicalement et économiquement plus efficiente
(Sanguinol et coll., 2009), tandis le corps médical apparaissait finalement plus
réticent à la transformation de ses représentations et pratiques (Deccache et
coll., 2009). L’entrée de l’ETP à l’université s’est d’ailleurs opérée sous une
bannière très claire sur la direction prise par le domaine, puisque c’est une
« Université des patients » qui a finalement ouvert ses portes en 2011 à l’université Paris VI - Pierre et Marie Curie14. Plutôt que le médecin formateur, c’est
une autre figure qui s’est donc progressivement imposée comme l’image même
de l’ETP, celle du « patient-expert ».
♦ La figure du patient-expert
Encore peu conceptualisée, car apparue récemment, la figure du patientexpert recouvre différentes réalités (Grimaldi, 2010) qui convergent toutes vers
une valorisation de l’autonomie des « patients » magnifiant la démocratisation
de l’usager acteur de sa santé. Cette figure reconnaît et participe à la formation
d’une double expertise individuelle des soignés qui complètent et assoient deux
types d’expertise collective.
Tout d’abord, le patient est expert de lui-même et développe donc ce que
l’on nomme les savoirs expérientiels. Considérant, dans une perspective biopsychosociale (Engels, 1980), que le malade est le meilleur spécialiste de sa mala14. Initiative de Catherine Tourette-Turgis, cette université des patients, qui avait déjà pris forme en 2009 avec
la création d’un DU spécialisé en ETP sur le modèle d’une formation débutée aux Etats-Unis, offre des
formations conjointes aux équipes soignantes, aux malades chroniques ou aux chercheurs en sciences
humaines et sociales, mais inclut une majorité de soignants. http://www.universitedespatients.eu/ .
45
die, tandis que le médecin serait le spécialiste de la maladie, l’ETP invite les
patients à développer les ressources que lui offre son expérience intime et individuelle de sa pathologie. Suivant au quotidien l’évolution de ses symptômes,
de ses ressentis, de l’influence des traitements sur son cas individuel, le malade
constitue une connaissance intime de son vécu pathologique qu’il est à même de
valoriser sous la forme d’un savoir propre, notamment grâce au développement
d’Internet qui offre de nouveaux lieux de partage et de renforcement de son
expérience, des informations, des apprentissages individuels. Par exemple, avant
que la notion d’index glycémique soit mise en évidence, des patients diabétiques avaient pu établir par leur propre expérience que le chocolat entraînait
moins d’hyperglycémie que le pain alors même que les experts scientifiques
pensaient, à tort, que les sucres simples étaient des sucres rapides et les sucres
complexes des sucres lents.
En outre, le patient peut, par le biais d’une éducation spécifique, acquérir
des savoir-faire techniques relatifs à sa maladie. Ainsi, le diabétique sait lire son
taux de glycémie et s’administrer lui-même les doses d’insuline nécessaire à son
cas particulier. Ces gestes proprement médicaux à l’origine sont partagés entre
les différents acteurs du système de soins et participent, notamment en se combinant aux acquis de l’expérience individuelle, au renforcement de l’expertise
des patients.
Cette double expertise, expérientielle et technique, peut-être renforcée et
complétée par une expertise collective développée au sein des associations de
malades où les informations issues des cas individuels se confrontent, se partagent, s’organisent de manière à pouvoir peser sur l’expertise scientifique, parfois au point de s’intégrer aux protocoles même du savoir scientifique, comme
ce fut le cas lors de l’épidémie de Sida (Barbot, 2002 ; Epstein, 1992 ; 1996).
Enfin, ces connaissances forgeant un savoir spécifique, à la fois partagé
avec les médecins et propre aux malades, assoient l’émergence d’une expertise
pour les autres. Cette activité d’ordre tant médical que pédagogique participe à
la constitution d’une nouvelle forme d’expertise tournée vers les autres et dont
rend compte le modèle du patient-formateur (Flora, 2012) qui tend aujourd’hui
à redoubler la figure du patient-expert15.
Le patient-expert tend finalement à qualifier, sans pourtant que l’on
puisse généraliser cette figure, une personne atteinte d’une maladie chronique,
devenue expérimentée à l’égard de sa pathologie par l’acquisition de connais15. La participation de ces patients-formateurs à la formation des médecins déplace en effet quelque peu les
enjeux et distingue dès lors les deux postures (voir à ce propos, Flora, 2010).
46
sances expérientielles (savoir « profane ») et médicales sur sa maladie et ayant
une volonté de s’impliquer auprès d’autres personnes atteintes d’une maladie
chronique pour aider à améliorer la condition de malade chronique. C’est une
figure qui tend donc à bousculer les cadres d’expertises habituellement admis, à
effacer les frontières qui qualifient communément l’expertise comme relevant
du partage amateur/professionnel (Gaudillière, 2006).
♦ De la théorie à la pratique : les ambigüités de l’institutionnalisation
Sous ses différentes formes, la figure du patient-expert semble bien participer de cette émancipation des patients qui a caractérisé l’évolution sociologique du monde médical au cours du XXe siècle (Klein, 2012a ; 2012b), voire
même la concrétiser en remplaçant le soignant formateur par son alter-ego soigné. Seulement la mise en place institutionnelle de l’ETP laisse apparaître une
tout autre réalité. Comme le dénonçait récemment le philosophe Philippe Barrier, l’institutionnalisation de l’ETP l’a malheureusement « condamnée à un certain formalisme techniciste et administratif qui l’entraîne dans des dérives où
elle perd une bonne part de son sens » (Barrier, 2014, p. 51).
Le mouvement de valorisation du patient-expert opère en effet un double
mouvement qui engage l’ETP vers une contradiction interne : d’une part, il
impose l’activité de recherche d’informations comme une exigence nouvelle
pour les patients, mais d’autre part et dans le même temps, il limite l’extension
de cette exigence d’implication au champ de l’expert-profane (Grimaldi, 2010)
ou du profane-soignant (CFES, 1985). Autrement dit, il invite (voire contraint) à
une certaine autonomie, mais cette « autonomie » est limitée, encadrée et ne
peut s’exercer qu’au sein d’un cadre déterminé. Le patient se voit donc confier
des responsabilités supplémentaires en échange de la reconnaissance d’un droit
à l’autonomie tout théorique puisque son exercice effectif reste partiel et délimité. Le « Cadre de coopération avec les associations de patients et d’usagers »
produit par la Haute Autorité de Santé (2008), institution prescriptive des
normes de régulation du système de santé pour préciser les conditions d’intervention des usagers dans la gestion du système de soins, explicite cette normalisation nouvelle de la figure du patient contemporain. Tout en reconnaissant l’expertise des patients et usagers, il en formalise aussitôt l’usage et la fonction au
sein du système de soin, notamment par la sélection des associations qui seules
peuvent être présentes dans les négociations et par l’établissement de règles
strictes de fonctionnement de cette coopération. Entre les lignes, la figure du
patient-expert qui se dessine ici est donc moins celle d’un individu détenteur de
savoirs spécifiques pouvant fonder une expertise propre qui pourrait être prise
47
en compte concrètement, que celle d’un sujet se définissant en regard des droits
et des responsabilités qui lui incombent eu égard à son nouveau statut de témoin
et de spécialiste. La relation entre les patients-experts et le système de soins est
contractualisée de manière telle qu’ils deviennent de simples consultants. L’institutionnalisation valorise une figure abstraite du patient, réduite à ses possibilités légales et organisationnelles plus que vitales et créatrices. Comme le souligne Barrier (2014, p. 51), au lieu de reconnaitre les aptitudes propres au
patient autonome et d’adapter les pratiques à leur mesure, on réduit ces capacités – c’est le rôle du diagnostic éducatif - à un ensemble de compétences quantifiables qui permettent alors de fixer des objectifs à l’égard desquels le malade
devra alors performer. Comme l’a montré Grégoire Lagger dans sa thèse de doctorat, le patient est considéré comme raisonnant de la même manière que le soignant et faisant seulement preuve d’un manque de connaissance (Lagger,
2010, p. 19) voire de motivation pour lui permettre d’adopter le bon comportement. Le modèle du patient perçu comme sujet de droit, défini par ses responsabilités et considéré comme essentiellement rationnel et transparent à lui-même,
qui est au cœur du discours médical moderne (Klein, 2011b ; 2012a), favorise
donc l’instauration d’une pédagogie de l’instruction unilatérale et passive, organisée autour de l’idée selon laquelle, pour que le patient apprenne, il suffit que
le médecin enseigne. En lieu et place de l’éducation formative et réciproque
promise par l’ETP, on constate que les méthodes pédagogiques utilisées en ETP
restent à ce jour majoritairement fondées sur le principe d’autorité (Lagger,
2010, p. 57). La figure du patient-expert ne fait que masquer celle du soignantexpert qui reste en fait le cœur d’un dispositif relevant davantage d’une
démarche de soin que d’une véritable démarche d’éducation. La notion même
de « diagnostic éducatif » rend d’ailleurs compte de cette hégémonie du soignant et de la perspective biomédicale, d’autant plus qu’il s’apparente davantage
à un interrogatoire, ainsi que le constate Philippe Barrier (2014, p. 52), qu’à un
réel dialogue. Pourtant, comme le résume Philippe Lecorps à propos de l’éducation du patient :
On n’attend pas de l’éducateur qu’il dise les règles du bien vivre,
car il ne les a pas […] On attend plutôt de l’éducateur qu’il contribue à créer les conditions de possibilité qui permettront au sujet
humain, quelle que soit sa pathologie, de déployer sa vie (Lecorps,
2004, p. 83).
La formation pédagogique des soignants devait répondre à cette exigence
et ainsi assurer au patient les conditions de maintien et d’accroissement de son
autonomie. Seulement, en détachant la figure du patient-expert de celle du soignant-pédagogue, en divisant la double formation complémentaire qu’elle pro-
48
posait initialement, l’ETP institutionnalisée n’a conduit qu’à la reconduction du
modèle médical de domination du soignant sur un soigné passif et patient ;
modèle dont les excès ont déjà été dénoncés et qui assimile l’éducation à la
santé à ce medical training, ce conditionnement qui est exercé par les vétérinaires et qui permet à des grands singes diabétiques de prendre eux-mêmes leur
insuline suite à une « éducation » toute pavlovienne (Ollivet-Courtois et Overnoy, 2012). En ce sens et sous cette forme, le patient-expert devient le point
nodal de soutien d’un système de santé qui renie son autonomie effective en la
matière, tout en assurant la reconnaissance apparente de celle-ci.
Loin de rendre compte du caractère surinformé, loquace, mobile et décidé
(Barbot, 2002, p. 11) des nouveaux sujets de santé parvenus à cette « majorité »
à laquelle on peut associer l’autonomie (Kant, 1784), la figure du patient-expert
les renvoie au contraire vers une minorité médicalement encadrée. L’appel à leur
participation, la reconnaissance de leur autonomie, de leur vécu ou de leurs
représentations ne sert finalement qu’à la mise en place de nouvelles normes,
finalement contraignantes, de la figure du bon patient (Fainzang, 2010). Dès
lors, au lieu de la révolution annoncée16, l’inclusion du patient au cœur du processus de soin, par le biais de cette figure concrètement absente et abstraite de
patient-expert, laisse entrevoir, ainsi que le note Antonio Casilli, une victoire de
la rationalité biomédicale parvenue à la fois à surmonter les obstacles des
années 1980-1990, et à détourner à son profit les usages autonomes et leurs promesses (Casilli, 2009, p. 188). Tout en affirmant reconnaître l’expertise du
patient et en ouvrant ainsi un espace de parole nouveau, l’institution médicale,
en insistant sur la formalisation de ce rôle, restreint en effet immédiatement le
territoire précédemment dévoilé. « Si l’organisation se déplie pour le nouvel
acteur, ce dernier se plie à l’organisation pour pouvoir en faire partie » ainsi que
le résument Alexia Jolivet et Consuelo Vàsquez (2011). Autrement dit, tout en
reconnaissant aux patients leur qualité d’auteur en matière de santé, leur autorité
et leur autonomie sont d’emblée restreintes par un cadre organisationnel strict
les déterminant alors dans un rôle nouveau de patient-profane autonome (Méadel et Ackrich, 2010) qui réactive finalement le monopole technique du discours
médical. Le patient au lieu d’être auteur de son parcours de soin, reste l’acteur
d’un scénario écrit par d’autres. Le patient-expert renouvelle bien cette figure de
l’expert-profane qui, selon Jean-Paul Gaudillière (2006), « partage tous les présupposés des scientocrates » et ne peut exprimer de critiques « que sur des
aspects tactiques des conditions dans lesquelles tel ou tel résultat est élaboré et
monopolisé ». En d’autres termes, au lieu d’assurer l’émancipation des sujets de
16. Notamment par Anne Fagot-Largeault (2011, p. 9).
49
santé à l’égard de la domination du corps médical en soutenant leur autonomisation croissante, la figure du patient-expert assure au contraire leur retour vers
une situation semblable à celle qu’imposait le rôle du patient traditionnel ; situation d’autant plus difficile à cerner et à s’extirper qu’elle semble pourtant en
apparence, dans le discours, dans les mots, répondre aux exigences de chacun.
Dès lors, pour sortir de cette impasse, de ce « cauchemar », il ne suffit pas de
simplement changer le vocable - en effet porteur de valeurs et de représentations
éculées - de « patient-expert » (Shaw et Baker, 2004). Il convient plutôt de désamorcer le nœud de signification qui permet aujourd’hui que l’affirmation de la
reconnaissance et de la valorisation de l’autonomie du patient favorise une
situation allant à l’encontre de l’autonomie effective du malade. Il est donc
nécessaire de revenir sur la notion même d’autonomie pour comprendre comment les perspectives peuvent tant diverger autour d’une même idée, et pour ce
faire, il faut retourner aux racines de l’institutionnalisation de l’éducation du
patient.
♦ La paradoxale autonomie du sujet contemporain de santé
Pour comprendre la situation dans laquelle se trouve aujourd’hui l’ETP, il
convient de revenir sur le mouvement d’affirmation des soins autonomes de
santé, à partir duquel elle a pu prendre forme. Nous avons en effet précisé que
c’est dans le cadre de la prise en charge institutionnelle des pratiques de selfcare que l’éducation du patient s’est vu sollicitée, et donc encouragée, comme
facteur d’unification des perspectives professionnelles et profanes ainsi que de
réduction des coûts. Le mouvement d’autonomisation des patients et des usagers de santé à l’égard du monopole médical avait conduit les autorités à s’interroger sur la possibilité d’intégrer les revendications d’autonomie des patients au
sein d’une réforme du système de santé en faisant du self-care une démarche
officielle et encadrée, et c’est dans ce contexte que l’éducation des patients s’est
avérée utile. Or, au cours des rencontres internationales qui eurent lieu à ce
moment, notamment sous l’égide de l’OMS, la notion de self-care connut une
transformation, nécessaire à son opérationnalisation, qui modifia profondément
les questions d’autonomie en matière de santé (Saillant et Gagnon, 1996) et fit
définitivement de l’éducation du patient un outil d’observance plus que de
réforme systémique.
Dans un premier temps, les débats s’organisèrent autour de la diversité
inhérente à la notion de self-care (qui recouvrait une multiplicité de pratiques
diverses et diversifiées) en vue de l’effacer. Pour ce faire, on insista alors sur
l’aspect novateur du concept en mettant en avant son caractère de mouvement
50
social émergent et en axant la perspective sur son rattachement implicite à la
question du droit des patients (Levin, 1977). Le but avoué était d’intégrer la
revendication sociale de soins autonomes au sein de la promotion de la santé
alors naissante (Levin et coll., 1976). Le self-care était alors perçu comme le
point nodal d’une réflexion sur les relations entre les soins profanes et les soins
professionnels, le partage des responsabilités et leurs impacts économiques et
politiques sur le système de santé. Il devait permettre d’assurer à la fois le développement de l’autonomie et de la participation du patient ainsi qu’une réduction de la médicalisation et des coûts attenants à la santé (Schumaker, 1977).
Mais ce processus de détermination de l’objet conceptuel self-care opéra une
transformation qui le coupa des pratiques sociales qui s’en revendiquaient : l’autonomie individuelle en matière de santé (self-care) ne dépendait plus nécessairement de conditions nouvelles d’organisation fondées sur l’entraide (self-help).
Ainsi, l’autonomie comme revendication de changement de la part des citoyens
laissait place, à la fin des années 1970, à une autonomie comme conduite à
adopter par les usagers de santé. Le self-care dépendait désormais d’un selfmanagement, entendu comme « le fait d’amorcer de façon motivée et de son
propre chef l’activité de soin, d’en être responsable, de la contrôler » (Saillant et
Gagnon, 1996, p. 29), et non plus d’un self-help. Tout en le coupant de ses
racines de revendications sociales et citoyennes, ce glissement de sens engendra
un amalgame de deux compréhensions du concept de self-care : il était à la fois
une conduite autodéterminée et un type de soins différent mais complémentaire
des soins professionnels (Haug et coll., 1989). Seulement, l’articulation de ces
deux dimensions restait problématique : le degré d’initiative du sujet est bien au
cœur de la démarche de self-care mais il apparaît insuffisant pour distinguer les
soins profanes des soins professionnels. Pour sortir de ce paradoxe qui qualifiait
le self-care de pratique qui d’une part dénonce les excès de la médicalisation du
système de santé et qui d’autre part s’inscrit comme pratique à part entière de ce
système, un dernier glissement de sens fut opéré. Le concept a alors été repensé
comme un idéal : tout en restant une conduite nécessaire des sujets de santé, il
s’élevait au niveau d’un idéal où l’autonomie demandée par les usagers participerait de la rationalisation du système de santé voulu par le monde médical. Il
désigna alors la contribution et les responsabilités nouvelles demandées aux
individus pour décharger le système de santé et s’imposa comme le lieu et le
moyen de déploiement de la promotion de la santé. Ainsi, le self-care était
devenu une exigence de participation aux soins professionnels qui paradoxalement menace l’autonomie. C’est ainsi qu’il est aujourd’hui le moyen d’une
médicalisation nouvelle de l’individu dans laquelle ce dernier est désormais partie prenante et l’éducation du patient un outil de choix. L’ETP, telle qu’elle est
51
aujourd’hui définie, ne peut donc pas être le point d’appui d’une révolution du
système de santé, ni même le support d’avènement d’un nouveau paradigme du
soin puisqu’elle est, en elle-même, porteuse d’une stratégie d’étouffement des
revendications sociales d’autonomie inhérentes au self-care au profit de son
intégration dans le système de santé qu’il entendait pourtant dépasser.
Alors que la revendication d’autonomie visait originellement à « désordonner » la médecine pour établir un nouveau système de santé sous contrôle
populaire et attenant à une nouvelle pratique médicale (Groupe Information
Santé, 1974 ; 1975a ; 1975b)17, l’autonomisation est aujourd’hui devenue un
idéal de conduite dépourvu de toute ambition de changement. Et bien qu’elle
soit pourtant quantitativement première dans l’expérience de santé18, elle semble
condamnée à être limitée, dans son application, aux cadres du discours médical,
sans parvenir à concrétiser le mouvement de réforme médical qui était pourtant
son pendant. Sans renouvellement de la réflexion sur le concept même d’autonomie, toutes les initiatives qui y ont trait ou qui pourraient y participer sont
destinées à manquer leur but. Le dédoublement du concept même d’autonomie
qui a conduit à en exclure toute revendication de réforme d’ordre social et sociétal pèse en effet aujourd’hui sur toutes les initiatives d’affirmation d’autonomie
en matière de santé. Les études menées sur les usages des sites Internet dédiés à
la santé en France démontrent par exemple une absence de volonté de réforme,
de constitution d’un contre-pouvoir par les patients sur la base de leur expertise
individuelle et collective. S’ils favorisent la circulation de l’information, en opérant une vulgarisation des données de la recherche, ces sites n’apparaissent pas
comme des lieux de revendications (Quinche, 2008). Certes, la majorité des usagers de ces sites font part d’une insatisfaction à l’égard de leur relation avec le
médecin notamment en termes de communication, pour autant ils n’utilisent pas
Internet en vue de se mobiliser pour faire changer la médecine qu’ils jugent
d’ailleurs globalement de manière positive (Renahy et coll., 2007, p. 8). Comme
l’ont mis en lumière Madeleine Akrich et Cécile Méadel (2007), Internet participe à la constitution de collectifs qui ne visent pas à une mobilisation, mais à
l’ouverture d’espaces d’échanges. Les sites de partage sont des laboratoires qui
favorisent surtout le lien social, l’objectivation de vécus et la construction d’une
représentation commune, mais qui ne s’extériorisent jamais véritablement. Le
militantisme et les critiques du système de soins qu’impliquent ces espaces
17. Pour plus de détails sur cette revendication et sur l’émergence d’un discours médical alternatif et critique
dans la seconde moitié du XXe siècle, nous renvoyons à notre travail (Klein, 2012a ; 2012b).
18. En 2001, une étude démontrait qu’en Europe, sur 1000 troubles de santé, 900 se traitaient en milieu familial,
tandis que 90 impliquaient un professionnel de premier recours, 9 un hôpital et 1 un hôpital universitaire,
rappelant ainsi que l’autonomie qualifie la majorité des pratiques de santé (Deccache et Laperche, 2001).
52
libres se maintiennent dans les échanges privés entre les membres. C’est ce que
confirme également Florence Quinche en affirmant que les forums de discussion
où les usagers peuvent librement échanger leur opinion ne sont pas des lieux de
créations de nouvelles normes (Quinche, 2008, p. 87), mais servent simplement
à compenser le manque de dialogue avec les professionnels.
♦ Pour une véritable éducation professionnelle et citoyenne à la santé
Si l’on souhaite que l’ETP réalise ses objectifs et puisse venir « au
secours de la médecine » (Sandrin-Berthon, 2000) moins en assurant le renforcement de l’hégémonie du modèle médical du soin (Fox et coll., 2005), qu’en
participant à la transformation de son exercice à l’aune d’un partage des compétences, des attentes et des représentations, il convient de l’envisager à l’aune de
l’autonomie telle qu’elle était revendiquée par les usagers contemporains de la
santé, et non opérationnalisée par ses acteurs institutionnels. C’est à la lumière
d’une autonomie en santé d’ordre social et politique, où la demande d’autonomie (self-care) est indissociable d’une revendication de modification du système
sociopolitique du soin (self-help), que le praticien soucieux d’établir une véritable collaboration avec son patient doit l’appréhender et l’exercer.
Pour s’extraire des us et coutumes d’une instruction sanitaire datée et
enfin participer à la transformation des conditions d’exercice de la relation de
soin et des modèles de l’éducation en santé, l’ETP doit donc tout d’abord
retrouver sa dualité inhérente qui permet aux soignés de se former aux représentations, savoirs et techniques des soignants, mais aussi aux soignants d’apprendre à intégrer les représentations, savoirs et techniques de soignés à leur mode
de pensée comme à leur exercice quotidien. Car si les professionnels de santé
n’apprennent pas à prendre en compte la parole, mais aussi l’expérience et le
savoir du malade, ils ne pourront jamais adopter une posture pédagogique apte à
favoriser le développement de l’autonomie chez le soigné. L’évolution du soin
ne peut se faire qu’au moyen de l’échange et de la prise en compte, au même
niveau épistémologique, des connaissances et savoirs des différents acteurs. Les
expertises sont faites pour dialoguer et pour se mutualiser au profit d’un projet
commun supérieur aux enjeux particuliers, au risque de se voir sinon dépérir,
enfermées quelles seront dans leur seul carcan. Or, ce n’est en effet qu’autour
d’une exigence d’éducation réciproque, autrement dit de nécessaire collaboration, co-construction et co-formation, que les soignants et les soignés pourront
se retrouver en vue d’améliorer leurs pratiques, leurs exercices quotidiens, puis
le système de santé. Reste à savoir si l’ETP peut être cette opportunité, cet
espace de dialogue apte à mobiliser le changement.
53
Si de manière locale et individuelle, des initiatives d’ETP répondent
aujourd’hui à cette double exigence éthique de réciprocité et d’amélioration des
conditions des acteurs présents comme du système de soin, d’un point de vue
global (et théorique), il semble que l’ETP soit condamnée, pour relever ce défi,
à disparaître. En effet, l’éducation thérapeutique, en tant que dispositif pédagogique à l’attention d’un malade et de son soignant et visant avant tout à favoriser
le dialogue afin d’engager un apprentissage réciproque des normes de la santé,
n’a, épistémologiquement parlant, pas de sens à être un dispositif à part,
puisqu’elle n’est rien d’autre, ainsi définie, que le fondement, l’essence même
d’une relation de soin digne de ce nom19. Face à ces deux exigences, de réciprocité et de réforme, qui doivent lui assurer une dimension éthique, l’ETP, en tant
que projet global, tend irrémédiablement vers deux dispositifs éducatifs généraux, deux volets tout à la fois distincts et complémentaires d’une démarche
pédagogique générale en matière de santé. Elle induit en effet d’une part, l’existence d’une réelle éducation des soignants, autrement dit, un apprentissage des
métiers du soin qui ne consiste pas seulement en une acquisition de connaissances scientifiques et techniques propres à chaque domaine, mais aussi en une
formation pratique à la relation de soin et à ses ressorts éthiques, pédagogiques,
relationnels, communicationnels, etc. ; et d’autre part, le développement d’une
véritable éducation en santé, portée par des professionnels à part entière, destinée à l’ensemble des citoyens et ne se limitant pas à la seule prévention des
maladies, mais favorisant l’acquisition de connaissances scientifiques et techniques, la sensibilisation aux enjeux sociaux et politiques de la santé ainsi que
l’implication dans le déroulement et l’évolution du système de soin, au profit
d’une meilleure prise en charge individuelle et collective de la santé de tous
comme de chacun. Pour que les différents acteurs soient en mesure, lors de leur
rencontre, de mutualiser leur expertise au profit d’une amélioration du soin et de
la santé, ils doivent en effet être formés, être éduqués de manière différente,
mais cohérente, à prendre en compte l’autonomie, les demandes, les attentes, le
vécu, l’expérience et les représentations de l’autre. La combinaison de ces deux
dispositifs éducatifs, construits, pensés et pratiqués en vue d’être complémentaires, serait, théoriquement, à même de répondre à cette exigence de réciprocité
qui s’impose depuis plusieurs décennies maintenant dans le monde du soin. De
cette manière, en effet, l’autonomie professionnelle des soignants et l’autonomie
personnelle et sociale des usagers de la santé pourraient se maintenir, se renforcer, voire s’accroître l’une avec l’autre, et non simplement, comme ce fut le cas
19. De ce point de vue, l’existence même de l’ETP, en tant que dispositif à part entière, ne serait-elle pas le
signe d’une grande pauvreté de notre relation de soins contemporaine ?
54
jusqu’alors, l’une contre l’autre. Nous entrerions alors, avec une telle éducation
– professionnelle et citoyenne – à la santé, dans un nouveau paradigme du soin
où l’expertise pourrait enfin être collective et partagée, c’est-à-dire démocratique et proprement éthique. Reste à savoir si cette éducation globale à la santé
sera le premier moteur ou bien le premier résultat du nouveau paradigme tant
attendu, bref, reste à savoir par où (le local ou le global) le changement peut
maintenant s’engager.
REFERENCES
AKRICH, M., MEADEL, C., 2007, « De l’interaction à l’engagement : les collectifs électroniques, nouveaux militants dans le champ de la santé », Hermès, 47, p. 145-154.
BARBOT, J., 2002, Les malades en mouvements. La médecine et la science à l’épreuve du sida, Paris,
Balland.
BARBOT, J., 2006, « How to build an “Active Patient” ? The Work of AIDS Associations in France »,
Social science and medicine, 62(3), p. 538-551.
BARBOT, J., DODIER, N., 2000, « L’émergence d’un tiers public dans le rapport malade-médecin.
L’exemple de l’épidémie à VIH », Sciences Sociales et Santé, 18(1), p. 75-117.
BARRIER, P., 2014, Le patient autonome, Paris, PUF, coll. « Questions de soins ».
CLAVREUL, J., 1978, L’ordre médical, Paris, Seuil.
CFES, 1985, « Recherches en sciences humaines et éducation pour la santé », Actes du colloque de Dourdan, Cogito.
Collectif, 2010, « Le patient expert », Diabète et Obésité, Vol 5, n° 40, p. 194-208.
DECCACHE, A., LAVENDHOMME, E., Information et Éducation du Patient : des fondements aux
méthodes, De Boeck Université, Bruxelles, 1989.
DECCACHE, A., LAPERCHE, J., 2001, « Se soigner sans médecins ? Éducation du patient et pénurie
médicale », La revue du praticien – médecine générale, 15, n°553, p. 1945-1947.
DECCACHE A., BERREWAERTS J., LIBION F., BRESSON R., 2009, « Former les soignants à l’éducation thérapeutique des patients : que peut changer un programme ? », Education Therapeutique
du Patient/Therapeutic Patient Éducation, 1(1), p. 39-48.
D’IVERNOIS, J.-F., GAGNAYRE, R., 1995, Apprendre à éduquer le patient. Approche pédagogique,
Paris, Maloine, 2e édition, 2004.
ENGEL, G. L., 1980, « The clinical application of the biopsychosocial model », American Journal of Psychiatry, 137, p. 535-544.
EPSTEIN, STEVEN, 1992, « Une science démocratique ? Le mouvement AIDS et la construction contestée du savoir », Futur Antérieur 12-13, 1992/4-5, p. 245-273.
EPSTEIN, STEVEN, 1996, Impure Science. Aids, activism and the politics of knowledge, Berkeley and
Los Angeles, University of California Press, La grande révolte des malades. Histoire du sida 2,
Paris, Les empêcheurs de penser en rond/Seuil, 2001, trad. fr. F.-G. Lavacquerie.
FAGOT-LARGEAULT, A., 2011, « Préface », Hoerni, B., 2011, Être médecin de soi-même. Principes
pour que chacun prenne soin de sa santé, Paris, Éditions Glyphe, p. 9-12.
FAINZANG, S., 2010, « Qu’est-ce qu’un bon patient ? Un patient autonome, mais pas trop… », CrignonDe Oliveira, C., Gaille, M., (dir.), 2010, Qu’est-ce qu’un bon patient ? Qu’est-ce qu’un bon
médecin ?, Paris, Seli Arslan, p. 106-116.
FLORA L., 2010, « Le concept du patient formateur auprès des étudiants en médecine : un modèle
effectif », Revue générale de droit médical, 38, p. 115-135.
FLORA, L., 2012, Le patient formateur : élaboration théorique et pratique d’un nouveau métier de la
santé, Thèse de doctorat en sciences de l’éducation, Université Paris 8, non publié.
FORD, M. J., 1949, « Diabetic patient education », Public Health Nursing, 41(10), p. 527-530.
55
FOX N.J., WARD K.J., O’ROURKE A.J., 2005, « The “expert patient”: empowerment or medical dominance ? The case of weight loss, pharmaceutical drugs and the Internet », Social Science and
Medicine, 60(6), p. 1299-1309.
GAUDILLIERE, J.-P., 2006, « La culture scientifique et technique entre amateurs et experts profanes »,
Alliage, 59, p. 3-9.
Groupe Information Santé, 1974, La médecine désordonnée : D’une pratique de l’avortement à la lutte
pour la santé, Paris, Solin.
Groupe Information Santé, 1975a, La médecine désordonnée : Supprimer l’Ordre des médecins. Vers un
contrôle populaire sur la santé, Paris, Solin.
Groupe Information Santé, 1975b, La médecine désordonnée : À la recherche d’une nouvelle pratique
médicale, Paris, Solin.
GRIMALDI, A., 2010, « Les différents habits de l’“expert profane” », Les Tribunes de la santé, 27, p. 91100.
GUIMELCHAIN-BONNET, M., 2010, « Le patient expert, un partenaire pour le soignant », L’aide-soignante, 24(115), p. 9-10.
HAUG, M. R., WYKLE, M. L., NAMAZI, K. H., 1989, « Self-care among older adults », Social Science
and Medicine, 29(2), p. 171-183.
HAUTE AUTORITE DE SANTE, 2008, Cadre de coopération avec les associations de patients et d’usagers, [en ligne] http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_660855/cadre-de-cooperation-avec-lesassociations-de-patients-et-dusagers.
HERZLICH, C., 1969, Santé et maladie. Analyse d’une représentation sociale, Paris, Mouton-EHESS.
HERZLICH, C., PIERRET, J., 1984, Malades d’hier, malades d’aujourd’hui, Paris, Payot.
JAFFIOL, C., CORVOL, P., REACH, G., BASDEVANT, A., BERTIN, E., 2013, L’éducation thérapeutique du patient (ETP), une pièce maîtresse pour répondre aux nouveaux besoins de la médecine,
Rapport à l’Académie de médecine voté le 10 décembre 2013.
JOLIVET, A., VASQUEZ, C., 2011, « Reconfiguration de l’organisation : suivre à la trace les figures textualisées – le cas de la figure du patient », Études de communication, 36, p. 129-146.
KANT, E., 1784, « Was ist Aufklärung ? », Berlinische Monatschrift, vol. IV, p. 481-491 ; « Réponse à la
question “Qu’est-ce que les Lumières” », Kant, E., 1991, Qu’est-ce que les Lumières et autres
textes, Paris, Flammarion, trad. fr. J.-F. Poirier et F. Proust, p. 43-51.
KLEIN, A., 2012a, Du corps médical au corps du sujet. Étude historique et philosophique du problème de
la subjectivité dans la médecine française moderne et contemporaine, Thèse de doctorat en philosophie, Nancy, Université de Lorraine, décembre 2012, non publiée.
KLEIN, A., 2012b, « Contribution à l’histoire du « patient » contemporain. L’autonomie en santé : du selfcare au biohacking », Histoire, médecine et santé, 1, p. 115-128.
KLEIN, A., 2012c, « De l’éducation du corps à l’éducation au corps : genèse et critique de l’éducation en
santé », Carrefours de l’éducation, n°32, p. 31-47.
KLEIN, A., 2011a, « Approche philosophique de l’éthique en orthophonie. Plaidoyer pour une discipline
orthophonique », Rééducation orthophonique, n°247, p. 7-24.
KLEIN, A., 2011b, « Quel sujet pour l’éducation à la santé ? Les apports de Michel Foucault pour les
interventions éducatives en santé publique », Recherches & éducations, n° 3, p. 47-75.
LAGGER, G., 2010, Des liens entre apprendre et améliorer sa santé : application du modèle allostérique
d’apprentissage à l’éducation thérapeutique. Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2010, no. FPSE
464.
LECORPS, P., 2004, « Éducation du patient : penser le patient comme “sujet” éducable ? », Pédagogie
médicale, 5(2), p. 82-86.
LEVIN, L. S., 1977, « Self-care and health planning », Social Policy, 8 (3), p. 47-54.
LEVIN, L. S., KATZ, A. H., HOLST, E., 1976, Self-care. Lay initiatives in health, New-York, Prodist.
MEADEL, C., AKRICH, M., 2010, « Internet, tiers nébuleux de la relation patient-médecin », Les Tribunes de la santé, 29, p. 41-48.
MILLER, L. V., GOLDSTEIN, V., 1972, « More efficient care of diabetic patients in county-hospital setting », The New England Journal of Medicine, 286, p. 1388-1397.
56
MINISTERE DE LA SANTE, 2007, Plan pour l’amélioration de la qualité de vie des personnes atteintes
de maladies chroniques et des Solidarités (2007-2011). Avril 2007, [en ligne] www.sante-jeunesse-sports.gouv.fr/dossiers/sante/maladies-chroniques/plan-pour-amelioration-qualite-vie-personnesatteintes-maladies-chroniques-2007-2011.htm
NEWMAN, J., 1946, « An aid in patient education : a tuberculosis questionnaire », The Journal of Psychology, 21, p. 301-306.
OLLIVET-COURTOIS, F., OVERNOY, S., 2012, Un éléphant dans ma salle d’attente. Aventures d’une
vétérinaire, Paris, Belin.
OMS, 1998, Rapport technique – région Europe, Programme de formation continue pour les professionnels de soins dans le domaine de la prévention des maladies chroniques – Recommandations d’un
groupe de travail du bureau régional pour l’Europe (Copenhague) de l’Organisation Mondiale de
la Santé, 88p.
PARAYRE, S., KLEIN, A., (dir.), 2014, Éducation et santé. Des pratiques aux savoirs, Paris, L’Harmattan, coll. « Savoir et formation ».
PARSONS, T., 1955, « Structure sociale et processus dynamique : le cas de la pratique médicale
moderne », Éléments pour une sociologie de l’action, Paris, Plon, 1955, trad. fr. F. Bourricaud,
p. 197-238.
QUINCHE, F., 2008, « Sites internet santé : vecteurs de normes santé ou lieux de contestation ? », Philosophia Scientiae, Paris, Kimé, 12, (2), p. 75-91.
RENAHY, E., PARIZOT, I., LESIEUR, S., CHAUVIN, P., 2007, WHIST - Enquête web sur les habitudes
de recherche d’informations liées à la santé sur Internet, [en ligne]
http://www.inserm.fr/content/download/1423/13035/file/enquete_whist_2007.pdf.
ROLAND, J., 2007, « La nouvelle relation médecin-patient et l’avènement de l’autodiagnostic », Bulletin
de l’Académie Nationale de Médecine, 191 (8), p. 1491-1495.
SAILLANT, F., GAGNON, E., 1996, « Le self-care : de l’autonomie-libération à la gestion du soi : Le
soin comme objet problématique », Sciences sociales et santé, 14(3), p. 17-46.
SANDRIN-BERTHON, B., (dir.), 2000, L’éducation du patient au secours de la médecine, Paris, PUF.
SANGUIGNOL, F., LAGGER, G., GOLAY, A., 2009, « L'efficacité médico-économique de l'éducation
thérapeutique chez des patients obèses », Education Therapeutique du Patient/Therapeutic
Patient Éducation, 1(1), p. 57-62.
SAOUT, C., CHARBONNEL, B., BERTRAND, D., 2008, Pour une politique nationale d’éducation thérapeutique du patient. Rapport à l’attention de Mme la Ministre de la santé, de la jeunesse, des
sports et de la vie associative, [en ligne] http://www.sante.gouv.fr
SCHUMAKER, C. J. Jr., 1977, « The health services System : dilemmas and potential Solutions », SocialThought, 3(3), p. 19-30.
SCHÖN, D.A., 1994, Le praticien réflexif. À la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel,
Montréal, Les éditions logiques.
SHAW, J., BAKER, M., 2004, « Expert patient - dream or nightmare? », British Medical Journal, 328,
p. 723-724.
SOULEZ BARSELO, E., 2010, « Le patient expert, un nouveau partenaire », Pharmaceutiques, n° 180/9,
p. 134-136.
57
Interdisciplinarité autour du patient en éducation
thérapeutique : le point de vue de soignants
Sylvie Diancourt
Résumé
L'interdisciplinarité en éducation thérapeutique est un des critères de qualité de la
démarche. Elle doit être présente afin que la cohérence de soin soit assurée.
Interroger des professionnels de santé intégrés dans des structures éducatives est un
moyen d'identifier ce qui se passe réellement sur le terrain.
Vingt-trois professionnels de santé ont accepté des entretiens et ont répondu à nos questions concernant leur implication dans une équipe interdisciplinaire. Ils ont également
énoncé les facteurs limitants et favorisant le fonctionnement de l’équipe.
Suite aux entretiens, des éléments de synthèse discutés avec les professionnels rencontrés
sont proposés.
Mots clés : retour d’expérience, interdisciplinarité, rencontre, critère de qualité.
A multidisciplinary approach to therapeutic patient education :
a carer’s perspective
Abstract
The use of a multidisciplinary approach to therapeutic patient education (TPE) is one of the
positive criteria of TPE. Such an approach is required to insure coherent health care. One of
the ways to dentify what is truly taking place in the field is to interview health professionals
working in educational settings. Twenty-three professionals agreed to answer some questions regarding their involvement in a multidisciplinary team. They also listed limiting and
contributing factors to team work. On the basis of these interviews, we present a summary
of the points that were discussed with these health professionals.
Key Words : experience feedback, multidisciplinary approach, encounter, quality criteria.
Rééducation Orthophonique - N° 259 - septembre 2014
59
Sylvie DIANCOURT
Diététicienne
Formateur IPCEM (Institut de
Perfectionnement et Communication en
Education Médicale)
Centre Hospitalier de l'Agglomération de
Nevers (CHAN)
Adresse correspondance :
Boulevard de l’hôpital
58033 Nevers
Courriel : [email protected]
S
elon les recommandations et suite au rapport sur l'éducation thérapeutique
(ETP) de l'OMS publié en 1998, ainsi que les différents travaux effectués
par la Haute Autorité de Santé entre 2007 et 2010, l'éducation thérapeutique doit être réalisée par des professionnels formés exerçant dans un contexte
interdisciplinaire.
L'interdisciplinarité est un critère de qualité de la démarche éducative.
Ce travail interdisciplinaire est-il réel ?
Il semble inévitable et parfois difficile.
L'interdisciplinarité, selon Wikipédia, est l'art de faire travailler ensemble des
personnes issues de différentes disciplines scientifiques. L'intérêt est de parvenir
à un but commun en confrontant des approches différentes d'un même problème.
L'interdisciplinarité, selon Ph. Voyer (2000) vise à mettre en relation
d'échanges et de travail des personnes dont la formation professionnelle est différente, en vue d'offrir une complémentarité suffisante pour bien servir un projet.
L'éducation thérapeutique, selon J.F D'Ivernois et R.Gagnayre1, parce qu'elle
est structurée et repose sur un travail d'équipe est, aux dires des soignants, le
lieu où l'interdisciplinarité constitue une réalité concrète.
La mise en commun des savoirs, l'existence d'espaces de dialogue, d'échanges,
d'analyses, sont-ils des réalités de terrain ?
♦ Matériels et méthodes
Pour tenter de répondre à ces questions, j'ai interrogé des professionnels
de santé travaillant dans des structures éducatives de la région où j'exerce, ainsi
1. Professeurs en sciences de l'éducation ; Laboratoire de pédagogie de la santé EA 3412 université Paris 13.
60
que d'autres acteurs rencontrés durant des formations à l'éducation thérapeutique
organisées par l'IPCEM.
Je me suis intéressée à leur sentiment d'intégration dans les équipes et à
leur opinion concernant les éléments facilitant et limitant l'interdisciplinarité
dans leurs pratiques éducatives.
23 professionnels ont accepté les entretiens :
♦ Les entretiens comportaient :
Une question avec 4 niveaux de réponses (toujours, parfois, rarement, jamais)
- pensez vous que l'interdisciplinarité est présente dans votre organisation ?
Cinq affirmations avec 4 niveaux de réponses (totalement d'accord, partiellement d'accord, partiellement en désaccord, totalement en désaccord)
- je me sens totalement intégré à l'équipe interdisciplinaire
- l'avis de chacun est pris en compte durant les réunions
- je participe à l'élaboration des programmes
- je participe à l'élaboration des outils éducatifs
- les réunions interdisciplinaires m'aident à mieux identifier les besoins du
patient
Deux questions ouvertes sont ensuite proposées :
- quels sont les facteurs limitant le fonctionnement de l'équipe interdisciplinaire ?
- quels sont les facteurs facilitant le fonctionnement de l'équipe interdisciplinaire ?
♦ Résultats
- l'interdisciplinarité est présente dans notre organisation :
Toujours : 3 parfois : 9 rarement :10 jamais : 1
3 professionnels seulement travaillent en interdisciplinarité très régulièrement
(sous forme de réunions bilan et d'activités éducatives communes)
1 n'a jamais rencontré d'autres professionnels faisant partie de la même structure
éducative.
61
- je me sens totalement intégré à l'équipe interdisciplinaire : 60%
- l'avis de chacun est pris en compte durant les réunions : 68%
- je participe à l'élaboration des programmes : 54%
- je participe à l'élaboration des outils éducatifs : 61%
- les réunions interdisciplinaires m'aident à mieux identifier les besoins
du patient : 64%
Selon les personnes interrogées, quels sont les facteurs limitant le fonctionnement de l'équipe interdisciplinaire ?
- chaque professionnel reste centré sur sa spécialité
- chacun se fond dans un moule dicté par un coordinateur
- il existe des problèmes de communication ; on ne peut obliger des acteurs à
travailler ensemble
- on se sent incompris
- le manque de confiance en soi limite l'expression
- la présence des conflits humains, de pouvoir
- les croyances et les représentations personnelles qui influent les décisions
- un manque de rigueur pendant les réunions (ponctualité, temps de parole
non équitable)
- les discussions ne sont axées que sur les objectifs généraux et non sur les
besoins du patient
- les propositions ne sont pas discutées avec les patients
- des raisons éthiques
- les bilans ne correspondent qu'à des chiffres (nombre de patients vus)
Selon les personnes interrogées, quels sont les facteurs facilitant le fonctionnement de l'équipe interdisciplinaire ?
- chaque membre est jugé comme compétent
- il y a un fonctionnement décrit et accepté par tous
- chacun est convaincu que la collaboration est indispensable
- chacun est respecté, peut exprimer ses idées et son avis est pris en compte
- c'est un lieu de partage ; cela évite la vision fractionnée du patient
- les activités interdisciplinaires permettent d'être centré sur le patient (dans
sa globalité) et non seulement dans un domaine
- le travail sur des documents communs élaborés ensemble
- les outils pédagogiques sont présentés à l'équipe
- la connaissance des autres professionnels
- la participation à des activités éducatives communes
- la vision holistique du patient
- une meilleure connaissance du fonctionnement de l'humain
62
♦ Discussion
Ces entretiens montrent que les pratiques interdisciplinaires et les intégrations des professionnels de santé sont très variables d'un lieu d'exercice à un
autre.
Et pourtant tous disent qu'il faudrait que chacun amène sa pierre à l'édifice afin de proposer aux patients des activités éducatives élaborées en équipe.
Un peu plus de la moitié seulement des personnes interrogées se sentent intégrées à l'équipe interdisciplinaire.
Est-ce si difficile de prendre une place dans une équipe (parfois déjà
constituée), partager des informations utiles, pour mener au mieux des intentions pédagogiques communes pour le patient, qui sont d'améliorer ses compétences ?
Suite aux entretiens, nous avons dégagé des éléments de synthèse qui
avaient été discutés avec les professionnels rencontrés, points sur lesquels nous
devrions être vigilants afin de favoriser le bon fonctionnement de l'interdisciplinarité.
♦ Le désir de partage :
- partager des connaissances (tout en gardant son identité professionnelle),
partager des compétences, échanger des expériences, des pratiques et
expérimentations.
- partager des décisions : préférer des actions concertées pour la mise en
œuvre des activités.
Le partage ne doit pas être dirigé par un seul acteur en présence ; les propositions éducatives doivent émerger d'un mode collégial de fonctionnement. Chacun doit avoir la volonté de confronter des concepts, des méthodes, d'articuler
des activités.
Il est indispensable d'identifier au sein de l’équipe la contribution de chacun, les
compétences individuelles afin de programmer et de répartir les tâches.
La co-animation des séances éducatives doit favoriser la collaboration et intensifier la complémentarité des différents acteurs.
Dans un but : de mieux connaître et comprendre le patient dans toutes les
dimensions, de ne pas cloisonner les interventions éducatives, de proposer des
programmes cohérents et un meilleur suivi ; d'optimiser les intentions pédagogiques ainsi que les relations entre les différents intervenants.
63
Avec des conditions :
L'appui de l'institution quant à l'organisation semble indispensable (essentiellement pour les acteurs travaillant dans des services hospitaliers). Il faut donner la
possibilité aux éducateurs de se réunir (lieu et temps) ; l'éducation doit être intégrée aux soins (critère de qualité ). Le maintien d'une équipe stable et formée
semble incontournable pour mener à bien des actions. Les professionnels doivent être experts dans leur domaine et également formés à la pédagogie. Les
objectifs partagés vont permettre une meilleure compréhension des intentions
des différents acteurs ; il est important de s'accorder sur des actions communes.
Le respect et la confiance sont indispensables ; l'interdisciplinarité doit créer des
lieux d'échanges et d'expression. Elle pourrait aider à transformer ces zones où
parfois les professionnels s'affrontent (chevauchement de territoire) en zone de
rencontre. Il faut qu'elle induise une expertise collective.
L'interdisciplinarité est vraiment un atout qui permet de renforcer l'efficacité de
la cohésion ; elle permet pour la majorité des personnes interrogées un enrichissement de l'approche pédagogique ; les messages sont consensuels et les actions
sont organisées de façon collégiale.
Elle doit permettre au soignant de multiplier ses angles d'approche, ses points de
vue afin de tenir compte de tous les aspects de la vie du patient.
Elle ne doit pas seulement servir à la conception de programmes éducatifs en
associant différents professionnels qui ne travaillent pas avec les mêmes intentions, mais elle doit mutualiser tous les acteurs afin de coordonner la prise en
charge et favoriser l'approche centrée sur le patient.
Elle ne sera efficace que si chacun y croit et est convaincu que ce fonctionnement humain sera bénéfique pour le patient et son entourage.
♦ Conclusion
L'équipe interdisciplinaire est, selon Christian Carrier (2005)2, semblable à un
orchestre. Chacun des membres maîtrise son instrument et est seul à en jouer en
suivant sa partition. La mise en commun organise, dans l'harmonie de tous ces
efforts individuels, crée un tout plus grand que la somme de ses parties, voire
une symphonie. A nous de suivre le rythme des personnes atteintes et de nous
mettre au diapason pour que cessent les fausses notes trop souvent entendues.
2. hémato oncologue au CHTR (Québec) - direction de la lutte contre le cancer - comité de pilotage interdisciplinaire
64
Le travail en interdisciplinarité nécessite de la part du soignant des capacités
d'adaptation, de souplesse, d'acceptation de la dépendance des uns des autres ; il
doit apprendre à élaborer des compromis, à partager les tâches.
Il devrait également pouvoir, en ce lieu, exprimer ses difficultés, ses interrogations.
Ce travail interdisciplinaire doit améliorer la circulation d'informations, favoriser le plaisir de travailler ensemble.
Il doit être collégial, stimulant, enrichissant, motivant, créatif.
Le patient doit ressentir, grâce à cela, une réelle cohérence de soin.
REFERENCES
D'IVERNOIS J-F, GAGNAYRE R (2009). Programmes structurés d'éducation thérapeutiques, démarches
et méthodes. ADSP n°66
FORTIN B (2000) : l'interdisciplinarité du rêve à la réalité – Psychologie – Québec : Psychologie-Quebec
TRIBONNIERE X., GAGNAYRE R. (2013). L'interdisciplinarité en éducation thérapeutique : du concept
à une proposition de critères d'évaluations. ETP-TPE (SETE), volume 5 n°1
VOYER P. (2000) : l'interdisciplinarité, un défi à relever ; the canadian nurse ; volume 96 n°5
65
Education thérapeutique du patient aphasique et
son conjoint
Frédérique Brin-Henry
Résumé
Les conséquences de l’AVC sur la communication et la maîtrise de l’environnement sont largement dépendantes de la présence d’une aphasie. La rééducation orthophonique offre une
aide et un accompagnement aux patients comme à l’entourage. Cependant au cours du
temps la chronicisation des troubles a un impact sur la participation sociale du couple. Nous
nous sommes interrogée sur la pertinence d’un programme d’ETP dédié à la communication
au sein de la dyade et l’avons mis en place en 2012 au sein d’un service de Médecine Physique et de Réadaptation. Cet article présente rapidement ce programme en évoquant nos
ancrages éthiques.
Mots clés : aphasie, handicap, communication.
Therapeutic patient education of the aphasic patient and his/her spouse
Abstract
The consequences of a stroke on the way people communicate and interact with their environment largely depend on the presence of aphasia. Speech and language therapy provides
support and guidance to patients and their family. However, over time the chronic nature of
the disorder has a significant impact on the social participation of both spouses. In 2012, we
initiated a TPE programme on our hospital rehabilitation ward based on communication
within the family and explored the relevance of this approach. This article briefly summarizes the programme and reviews its main underlying ethical principles.
Key Words : aphasia, disability, communication.
Rééducation Orthophonique - N° 259 - septembre 2014
67
Frédérique BRIN-HENRY
Orthophoniste
Docteure en Sciences du Langage
Chef de projet chargée de mission
recherche
Centre Hospitalier Général
CS 10150
1, boulevard d'Argonne
55012 Bar-le-Duc Cedex
Courriel : [email protected]
Membre de l’ATILF
UMR 7118
Université de Lorraine-CNRS
Nancy (54)
Courriel : [email protected]
L
’aphasie est un trouble du langage acquis de sévérité variable, apparaissant
dans la plupart des cas dans les suites d’un accident vasculaire cérébral
(AVC) et tenant une part pronostique importante dans la récupération
(Ahlsiö et al 2011). Les compétences linguistiques et métalinguistiques sont
affectées mais les auteurs s’accordent généralement pour distinguer les capacités
d’expression et de compréhension orale de la performance en communication.
Ainsi M. AD, un patient avec une aphasie de Broca sévère mais des capacités
d’expression écrite a conservé et développé ses compétences de communication,
étant capable de sélectionner un mot clé pertinent et de signifier par écrit ou par
un geste le propos voulu.
Même si nous disposons d’une littérature plus riche en ce qui concerne
l’impact de l’AVC plutôt que de l’aphasie en tant que telle (Grawburg et al
2014, Dalemans et al 2011), l’ensemble des professionnels de rééducation est
conscient de l’impact de l’aphasie sur les modalités de communication recrutables dans ce contexte, même si les dites modalités sont parfois difficiles à
cerner 1 et à mettre en œuvre. L’impact de l’AVC sur l’entourage est également
exploré dans la littérature en démontrant à la fois son importance comme facteur
de récupération, et dans la façon dont il retentit sur la famille du patient aphasique, même si la mise en place d’actions en leur faveur est plus complexe qu’il
n’y paraît (Johansson et al 2011). Ainsi Grawburg et al (2014) introduisent le
1. Voir par exemple la liste des catégories de communicants élaborée par Beukelman et Mirenda
(http://aac.unl.edu/screen/aphasiachecklist.pdf)
68
concept de « third party disability » (CIF) : l’aphasie affecte la qualité de
l’échange au sein du couple, la participation sociale et la qualité de vie de la
personne avec aphasie (PAA) et de son conjoint.
C’est dans cet esprit que la rééducation orthophonique intègre depuis très
longtemps une action envers la famille, avec des axes complémentaires d’information sur l’aphasie, sur la communication avec la personne aphasique, et des
échanges sur les attentes et les besoins de la famille et du patient. Ce temps de
rééducation auprès du patient évolue au cours du temps en proposant des phases
de restitution, restauration, compensation (Holland 1986). Les approches ont
également évolué vers une prise en charge de plus en plus centrée vers le patient
(d’une prise en charge neurolinguistique vers une intervention écologique et
fondée sur les preuves). De plus des actions de formation/information des
aidants et des personnels soignants ont été organisées (Franzén-Dahlin 2008) et
en particulier en France dans le cadre du plan AVC depuis 2011 (action
CNSA/FNO).
Or nous observons toujours des insatisfactions et une impression que ces
actions, pourtant adaptées et réfléchies, sont insuffisantes sur le long terme
(Tomkins et al 2013). Les PAA et leurs conjoints ressentent de part et d’autre
une frustration, une sensation de perte d’autonomie, des sentiments de culpabilité dans l’accompagnement ou dans le fardeau qu’ils pensent représenter. Dans
notre expérience, ces termes sont utilisés par les PAA autant que par leur
conjoint.
Nous pouvons considérer la chronicité de l’aphasie comme un facteur
désagrégeant la participation sociale du patient et nécessitant une approche spécifique au sein de l’établissement de soins comme hors les murs (SimmonsMackie et al 2007). Sans focaliser sur l’aphasie elle-même, nous avons souhaité
considérer les ruptures de communication comme des réalisations d’une interaction nécessitant des ajustements particuliers. Ce sera le point de départ d’un programme d’ETP visant l’amélioration de la communication au sein de la dyade
PAA/conjoint. En effet l’ETP2 nous a paru un moyen adapté permettant de proposer, à distance de l’AVC, une mesure des besoins et une réponse structurée
sous forme d’un accompagnement dépourvu de jugement adapté à ces attentes
et au projet des familles. L’objectif reste l’amélioration de la qualité de vie en
lien avec une amélioration des échanges intrafamiliaux.
Nous souhaitons considérer cette étape comme un échange et amener
l’idée que cette adaptation nécessaire des partenaires de communication, tout en
2. A la suite de formations des orthophonistes par l’organisme IPCEM en 2009 et 2012.
69
étant spécifique aux ruptures de communication apparaissant dans l’aphasie et
selon chacune des PAA, reste fondamentalement tributaire de compétences de
communication individuelles et familiales susceptibles d’évoluer et d’être complétées par l’entraînement et la réflexion. Pour aller plus loin, nous proposons
de considérer les difficultés de communication consécutives à l’aphasie comme
une « anomalie » au sens de Canguilhem (1966), qui nécessite une adaptation et
un réajustement des partenaires de communication. Sans minimiser les difficultés rencontrées par ces patients et leurs familles, nous proposons de remodeler
le regard porté sur ces patients comme porteurs d’une particularité nécessitant
une prise en compte sans limitations dans la place qu’on leur accorde dans la
communication. L’histoire nous apprend ainsi que les classifications des étiquettes données à l’être humain ont évolué. L’exemple du DSM 5 nous montre
que certaines maladies passent alternativement dans la catégorie des pathologies
ou des anomalies (le syndrome d’Asperger très récemment, plus loin l’homosexualité, les troubles déficitaires de l’attention…).
♦ Un programme d’ETP spécifique
Le programme d’ETP proposé depuis 2012 au Centre Hospitalier de Bar-le-Duc
répond donc à ces objectifs :
• Proposer un temps commun d’échange entre PAA et leurs familles et les
accompagner dans leur projet
• Axer les temps d’acquisition des compétences d’auto-soins et des compétences d’adaptation sur une réflexion commune et l’acquisition de savoirfaire en communication
• Envisager les ruptures de communication chez l’aphasique comme une particularité et discuter de la place de la PAA dans la société.
Le déroulement du programme est en accord avec les recommandations
publiées par l’HAS. Le Diagnostic Educatif est proposé à la PAA et son
conjoint (voir l’article d’Estelle Bernard dans ce numéro). Il est suivi lorsque les
familles souhaitent s’engager par des ateliers collectifs regroupant 6 à 8 personnes (animation pluridisciplinaire par des orthophonistes, un psychologue et
une aide-soignante). Ces ateliers, destinés aux PAA et leurs conjoints, visent les
points suivants :
• Sélection des attitudes favorables pour chaque groupe (gestes, reformuler,
prendre le temps, faire répéter…)
• Entraînement à l’utilisation des attitudes (devinettes, donner une opinion,
négocier et prendre une décision commune) pour chaque binôme
• Ressenti : table ronde autour de la notion de handicap, la citoyenneté.
70
Une évaluation est proposée sous la forme suivante (voir l’article de Charline
César dans ce numéro) :
• questionnaire de satisfaction
• cible
• simulation avec évaluation conversationnelle.
Depuis 2012, quinze couples ont bénéficié de ce programme. Il a été proposé à des personnes ayant présenté une aphasie depuis plus d’un an, ayant
bénéficié d’une rééducation orthophonique au sein du service de MPR. Le degré
d’aphasie n’a pas été considéré comme discriminant dans la constitution et
l’animation des groupes. L’originalité d'intégrer complètement les aidants avec
les aphasiques a permis de mettre en avant la notion de couple de communication et de proposer une approche personnalisée pour chaque dyade, même si la
construction du groupe a encouragé la mise au point d’objectifs transversaux.
Chaque année a vu une refonte progressive de chacune des étapes : réécriture du diagnostic éducatif, création et enrichissement d’une banque d’outils
(iconiques et écrits), et nous a permis d’affiner nos perceptions et nos capacités
d’animation.
L’intégration d’un bénéficiaire-expert aphasique (qui s’exprime sur son
rôle dans l’article de « rencontre », et l’ouverture vers le grand public (conférences, diffusion de films) permet d’ouvrir le débat sur l’intégration des PAA et
le regard porté sur les difficultés de langage.
♦ Résultats
Les premiers résultats mesurés (détaillés ci-après) montrent une forte satisfaction des participants et des animateurs.
- En termes d’efficacité et de savoir-faire, les couples ont pu réaliser l’utilité
et découvrir des attitudes favorables à la réparation d’une rupture de communication. Ainsi l’utilisation renforcée de gestes, de la reformulation, ou
l’intérêt de pouvoir attendre la fin de la tentative de production de
l’énoncé ont été relevés comme pertinents. Plus étonnamment, plusieurs
couples ont précisé que le fait que le conjoint non aphasique fasse répéter
et corrige l’énoncé de son époux était ressenti comme aidant et témoignait
de la confiance accordée et souhaitée.
- L’amélioration de la communication est modérée (health literacy) : ce qui
nous semble important est le changement du regard porté sur la PAA (qui
devient plus positif), dans la gestion des ruptures ressenties comme moins
gênantes.
On observe une amélioration de la multimodalité des échanges, davantage
71
d’hypothèses sont relevées sur la signification des tentatives d’énoncés,
une augmentation du nombre de tours de parole.
Les participants mentionnent également une meilleure reprise d’activités
(chez l’aidant comme chez l’aphasique…), souvent un rééquilibrage de la
relation du couple-partenaire, une meilleure gestion de l’autonomie (la
PAA pouvant rester seule, pouvant mieux prendre des décisions).
- Sur le plan du ressenti, il faut noter notamment en 2014 une estimation
explicite par les participants du fait que la personne avec aphasie n’est pas
considérée comme handicapée, mais nécessitant des modalités de communication spécifiques. Ceci a été illustré dans le dernier atelier collectif par
la sélection d’activités sociales que les participants n’ont pas estimé
comme limitatives ou à exclure chez la PAA malgré les troubles mentionnés (fatigabilité, concentration…). Ainsi la participation sociale des PAA
doit être considérée comme possible a priori et se maintenir comme dans
par exemple la parution à un procès en tant que juré, la gestion d’une
plainte pour vol à un commissariat, la réaction d’appel en cas de danger
etc. L’adaptation de la communication doit selon ces participants, être
possible dans tous les cas de cette participation citoyenne.
Pour terminer, il convient de poser quelques remarques. Tout d’abord il faut garder en tête que les compétences en communication sont variables d’une personne à l’autre. Ainsi les compétences en communication des personnes avec
aphasie sont parfois supérieures à celles des conjoints dans ces circonstances
particulières. Ceci sous-entend une remise en cause de nos représentations des
compétences de communication des PAA. Nous l’avons vérifié à nouveau dans
ces ateliers : il n’existe pas de corrélation entre la sévérité de l’aphasie et le
niveau de compétences de communication, et il n’existe pas non plus de corrélation entre la sévérité de l’aphasie et le degré de participation sociale et l’autonomie (par exemple : répondre au téléphone, rester seul à la maison). Chaque individu met en œuvre ses propres aptitudes à réajuster son comportement de
communication en fonction de circonstances nouvelles, et ce pour peu que ses
objectifs d’adaptation soient viables et qu’on propose un accompagnement dans
la durée.
♦ Conclusion
Le bénéfice du programme dans cette phase de l’accompagnement est
mesurable et est source de satisfaction. Les compétences d’auto-soins et d’adaptation se développent de part et d’autres ; les animateurs, les personnes avec ou
sans aphasie se retrouvent autour d’une même réflexion sur la communication et
72
la place de l’aphasique. L’originalité du design de ce programme réside en une
intégration équivalente de la personne avec ou sans aphasie (présence mixte), et
l’accompagnement des ateliers par un patient-intervenant que nous considérons
comme expert. Il s’agit pour toute l’équipe, malgré le coût important en temps
de préparation et d’animation, d’une excellente expérience humaine. Enfin, il
faut insister sur le fait que nous considérons que ce type d’intervention ne doit
pas entrer en concurrence avec la guidance et l’accompagnement de l’entourage
au cours de la rééducation orthophonique.
REFERENCES
AHLSIÖ, B., BRITTON, M., MURRAY, V. & THERORELL, T. (2011). Disablement and quality of life
after stroke : Factors associated with quality of life in 7-year survivors of stroke. J Neurol Neurosurg Psychiatry 82 (12), 1365-1371.
BERNARD E. (2012). Communication de la personne cérébrolésée avec son entourage : élaboration d’un
Diagnostic Educatif, mémoire IPCEM [en ligne].
BRIN-HENRY F. (2014), Education Thérapeutique du Patient et Aphasie, in Mazaux JM., de Boissezon
X., Pradat-Dielh P, Brun V. Communiquer malgré l'aphasie. Montpellier : Sauramps Médical
César Ch. (2013). Impact d’un programme d’Education Thérapeutique du Patient sur la communication et la qualité de vie de personnes aphasiques et leurs aidants. Mémoire de recherche en
orthophonie, Université de Lorraine.
DALEMANS, R., de WITTE, L., WADE, D. & Van den HEUVEL, W. (2010). Social participation
through the eyes of people with aphasia. Int. J. Lang. Comm. Dis. 45 (5), 537–550.
FRANZÉN-DAHLIN Å., J. LARSON, J., MURRAY, V., WREDLING, R. & BILLING, E. (2008), A randomized controlled trial evaluating the effect of a support and education programme for spouses
of people affected by stroke, Clin Rehabil 22 (8), 722-730.
GRAWBURG M., HOWE T., WORRALL L., SCARINCI N. (2014 ahead of print). Describing the impact
of aphasia on close family members using the ICF framework, Disability and Rehabilitation.
JOHANSSON M., CARLSSON M.,SONNADER K. (2011). Working with families of persons with aphasia : a survey of Swedish speech and language pathologists. Disability and Rehabilitation, 33 (1)
: 51-62.
KAGAN A. (1998) Supported conversation for adults with aphasia : methods and resources for training
conversation partners, Aphasiology, 12:9, 816-830.
MALISANI, A & VALLA, E. (2012). Elaboration d'une action d'éducation thérapeutique sur la communication destinée à la personne aphasique et à son aidant familial principal : Etude pilote.
Mémoire de recherche en orthophonie. Université Claude Bernard Lyon 1.
PINEAU, S. (2012). Réalisation et mise à l'épreuve d'un diagnostic éducatif d'Éducation Thérapeutique
du Patient pour le patient aphasique chronique. Mémoire de recherche en orthophonie, Université de Lorraine.
SIMMONS-MACKIE N., KAGAN A., O’NEILL CHRISTIE C., HUIJBREGTS M., McEWEN S. &
WILLEMS J (2007). Communicative access and decision making for people with aphasia :
implementing sustainable healthcare systems change. Aphasiology, 21 (1): 39-66.
TOMKINS B , SIYAMBALAPITIYA S & WORRALL L. (2013), What do people with aphasia think
about their health care? Factors influencing satisfaction and dissatisfaction, Aphasiology ; 27:8,
972-91
73
Proposition d’un diagnostic éducatif dans le cadre
du programme « Communiquer malgré l’aphasie »
Estelle Bernard-Vallé
Résumé
L’Education Thérapeutique du Patient (ETP) est une approche nouvelle et complémentaire de
la rééducation orthophonique traditionnelle, notamment dans le cadre de l’aphasie. Dans un
courant socio-participatif, elle offre au patient un rôle d’acteur compétent, tout en intégrant
l’environnement dans la réflexion. Depuis 2011, l’unité d’orthophonie du Centre Hospitalier
de Bar-le-Duc propose un programme d’ETP spécifique à la communication entre une personne aphasique et son entourage. Dans un souci de proposer un programme à la fois
structuré et personnalisé, il est nécessaire d’évaluer les représentations du patient sur ses
difficultés, ses habitudes de vie, son vécu, ses besoins et attentes en termes de communication. C’est l’objectif du diagnostic éducatif présenté ici, outil à la fois diagnostique et
pédagogique.
Mots clés : Education Thérapeutique du Patient, diagnostic éducatif, aphasie, communication, aidant.
Implementation of an educational diagnosis within the framework of
the Program “Communicating in spite of aphasia”
Abstract
Therapeutic Patient Education (TPE) is a new and complementary approach to traditional
speech and language therapy (SLT), particularly in the case of aphasia. Using a social participation perspective, it places the patient in the role of a competent partner, while integrating his/her daily life into the management of communication. In 2011, the SLT department
of Bar-le-Duc hospital, a town in the East of France, implemented a TPE program dealing
specifically with communication between an aphasic person and his/her caregivers. In an
effort to provide a program that is both structured and individualized, we felt it was important to evaluate patients’ representations of their difficulties, their habits of daily living, their
experiences and their needs in term of communication. This is the objective of the educational diagnosis used in the program and presented in this article, a tool which involves both
diagnostic and educational components.
Key Words : Therapeutic Patient Education, educational diagnosis, aphasia, communication,
caregiver.
Rééducation Orthophonique - N° 259 - septembre 2014
75
Estelle BERNARD-VALLE
Orthophoniste
Centre Hospitalier - Service MPR
55000 Bar-le-Duc
Courriel : [email protected]
♦ Troubles de la communication chroniques et ETP
L
’aphasie n’est pas un trouble passager. Les troubles du langage dans les
atteintes neurologiques peuvent entraîner une modification des interactions sociales, et ce de façon chronique. Accompagner une personne aphasique, que ce soit en tant qu’orthophoniste, infirmier, médecin ou, peut-être
davantage encore en tant que famille, c’est admettre que l’on ne se situe probablement pas dans une perspective de guérison totale (SOFMER, 2011).
La prise en charge orthophonique des patients aphasiques implique
aujourd’hui davantage le contexte écologique du patient. Au delà d’un langage
altéré, c’est un véritable « handicap de communication » qui est pris en charge
dans une approche fonctionnelle et pragmatique, pour une meilleure efficacité
de la communication au quotidien.
Dans l’approche écosystémique, la personne aphasique est considérée
dans son environnement, notamment en lien avec son entourage, et non plus isolément. L’aidant principal, bien souvent le conjoint, est davantage investi dans la
rééducation-réadaptation. En tant qu’interlocuteur privilégié, il est par exemple
invité à tenir compte des capacités de communication de son proche afin de coconstruire efficacement l’échange.
C’est dans ce processus socio-participatif, de par la prise en compte des
aspects psycho-sociaux et environnementaux du patient, que l’éducation thérapeutique peut constituer une démarche complémentaire, voire indispensable, à
la rééducation orthophonique.
♦ Principes et objectifs d’un diagnostic éducatif
L’éducation thérapeutique est une démarche rigoureuse qui repose sur la
construction d’une réflexion commune autour de la maladie chronique. Véritables partenaires de soins, le patient et son entourage sont accompagnés et encouragés à trouver un nouvel équilibre dans leur vie quotidienne. Pour garantir la
qualité de cette démarche, il est nécessaire de proposer des activités d’éducation
personnalisées, en référence à une évaluation pédagogique. Cette démarche
76
d’éducation est dite « raisonnée », car dans une perspective de critique constructive, et débute par une rencontre avec le patient, le diagnostic éducatif.
Fondement de toute Education Thérapeutique, un diagnostic éducatif
repose sur l’expression du vécu de la maladie, la compréhension des comportements de santé, le recueil d’informations utiles, pour proposer une démarche
d’éducation et d’accompagnement qui ait du sens pour le patient (Traynard,
2010). Cette évaluation initiale constitue un temps pour proposer un suivi éducatif afin de maintenir, de renforcer et de modifier les compétences de santé du
patient (Gagnayre et Iguenane, 2004).
Encourager une relation de soin fondée sur la participation active du
patient, et négocier un projet éducatif adapté, prenant en compte les besoins et
les objectifs thérapeutiques (Nigoghossian, 2007), c’est considérer la personne
aphasique comme un partenaire à part entière dans le travail de réadaptation.
Au travers d’un entretien semi-dirigé, le diagnostic éducatif permet
d’aborder le « vivre avec » la maladie, en identifiant les connaissances que le
patient a de sa maladie, ses possibilités d’adaptations, ses besoins et attentes.
A l’issue du diagnostic éducatif, un programme personnalisé est défini :
thérapeute, patient et/ou aidants élaborent ensemble des objectifs d’ETP. Ceuxci sont priorisés et négociés et aboutissent à un accord sur les compétences à
acquérir par le patient et/ou les aidants au regard du contexte propre du patient
et de la stratégie thérapeutique (SOFMER, 2011). Un contrat d’éducation est
ainsi co-signé par les différents acteurs qui s’engagent à respecter les attentes et
objectifs de chacun. Cette contractualisation permet de définir avec le patient les
compétences à acquérir et constitue une des finalités du diagnostic éducatif.
♦ Diagnostic éducatif appliqué à l’orthophonie et aux troubles de la
communication
Plusieurs outils d’évaluation orthophonique permettent de rendre compte
des capacités de communication actuelles du patient dans son environnement.
L’Echelle de Communication Verbale de Bordeaux, ECVB (Darrigand, Mazaux,
2000), permet par exemple d’évaluer l’efficacité de la communication des sujets
aphasiques dans les situations de la vie quotidienne.
La place de l’aidant, comme interlocuteur principal, est également largement mise en avant dans des outils permettant d’obtenir son appréciation des
capacités de communication du proche. C’est le cas du Questionnaire de Communication aux Aidants, QCA (Cavrois, Rousseau, 2008), destiné aux proches
de patients atteints de la Maladie d’Alzheimer. Dans le Protocole Toulousain
77
d’Evaluation de la Communication du Couple Aphasique PTECCA (Iché et al.,
2012), les auteurs proposent une grille d’analyse conversationnelle permettant
d’étudier les comportements de communication du couple aphasique-aidant.
Dans le cadre d’un programme d’ETP spécifique au patient après AVC, le
diagnostic éducatif doit s’intéresser aux éléments spécifiques à la question de
l’aphasie (évaluation des capacités de communication au moyen d’outils étalonnés), tout en prenant en compte les dimensions cognitives, psycho-comportementales, biologiques et socio-professionnelle de l’individu et de son proche. La
SOFMER (2011) propose ainsi de réaliser un entretien semi-dirigé et personnalisé, permettant d’apprécier le degré de compréhension du patient et de la
famille sur le trouble, de préciser le mode de communication antérieur et actuel
du patient, de comprendre les répercussions sur l’environnement familial, social
et professionnel, d’appréhender leur manière de réagir à des situations difficiles
de communication.
Ce recueil a pour objectif final de définir les priorités d’apprentissage et
de les formuler avec le patient et l’entourage pour planifier la suite de l’éducation thérapeutique.
♦ Proposition d’un diagnostic éducatif spécifique à la communication
de la personne aphasique avec son entourage
Dans le cadre du programme d’ETP « Communiquer malgré l’aphasie »
(Brin-Henry, 2014), mis en place par l’unité d’orthophonie au sein du service de
MPR de Bar-le-Duc depuis 2012, une réflexion constructive a permis l’élaboration d’un diagnostic éducatif spécifique (Bernard, 2012) à la communication
entre la personne aphasique et son aidant.
Nous présentons ici le résultat de notre travail. Dans un premier temps,
nous aborderons la démarche réflexive qui a permis l’élaboration de ce diagnostic éducatif. Nous détaillerons ensuite les différentes parties constitutives de
l’évaluation, leur contenu, leurs objectifs. Enfin, nous détaillerons les outils privilégiés dans cette démarche d’éducation thérapeutique adaptée à la problématique de l’aphasie.
• Processus d’élaboration
L’élaboration de notre diagnostic éducatif s’est déroulée sur plusieurs
étapes, avec la participation de différents intervenants (orthophonistes, étudiantes en orthophonie, psychologue, aide-soignante) et une réflexion constante
au cours des différentes sessions du programme (trois sessions proposées depuis
2012, soit une par an).
78
Un premier diagnostic éducatif a été élaboré en 2012 dans le cadre d’un
mémoire de recherche en orthophonie (Pineau, 2012). Au travers d’un entretien
semi-dirigé, des échelles d’auto-évaluation et hétéro-évaluation permettaient
d’évaluer les habitudes de vie du couple, les difficultés cognitives et langagières
de la personne aphasique, ainsi que le vécu des troubles depuis l’AVC. Cette
première version a ensuite été remaniée afin d’affiner la réflexion et de répondre
davantage aux objectifs de notre programme. En effet, il est apparu que la
réflexion sur l’aphasie en tant que déficience ne répondait pas suffisamment aux
attentes éducatives des participants. Nous avons choisi de réorienter le diagnostic sur la question du handicap de communication, expression fonctionnelle de
la maladie, et d’évaluer le désavantage en tant qu’expression sociale de la maladie. Notre réflexion s’est alors portée spécifiquement sur les conséquences de
l’aphasie en termes de trouble chronique de la communication et de retentissement sur la qualité de vie.
Dans le cadre de la validation du cycle de formation pédagogique à l’Education Thérapeutique du Patient (IPCEM, 2012), nous avons rédigé un rapport
d’innovation pédagogique portant sur l’élaboration de ce nouveau diagnostic
éducatif (Bernard, 2012). La validation de notre travail lors d’une soutenance
orale nous a permis de bénéficier de l’expertise de formateurs en ETP et d’affiner
cet outil à présent en usage dans le programme actuel mis en place à Bar-le-Duc.
Dans ce programme, nous proposons des séances collectives à des
binômes personne aphasique/aidant naturel, articulées autour de trois thèmes qui
répondent aux compétences d’adaptation décrites en éducation thérapeutique
(savoir, savoir-faire, savoir-être).
Une première séance permet d’identifier et d’échanger sur les ruptures de
communication, d’évaluer l’efficacité de certaines stratégies de réparation/renforcement de l’échange, et de sélectionner pour chaque couple celles qui pourraient permettre une meilleure efficacité de la communication.
La deuxième séance, sous forme de deux ateliers distincts, permet de
mettre en pratique les stratégies présentées dans le premier atelier, d’une part en
travaillant spécifiquement chaque proposition (utilisation de gestes, reformulation, questionnement…), d’autre part en les utilisant dans des situations fonctionnelles (négocier, donner son avis…).
La troisième séance est co-animée avec un psychologue et permet d’aborder le vécu et le ressenti des difficultés de communication. Au travers d’une
table ronde, nous abordons des thèmes spécifiques tels que la place de l’aphasique dans la société, le rôle de l’aidant, la notion de handicap et de dépendance.
79
A l’issue de ces ateliers, une évaluation thérapeutique est proposée. Elle
s’inspire des travaux de recherche effectués au sein de notre programme d’ETP
lors d’un mémoire d’orthophonie (Cesar, 2013). Une synthèse de ce travail est
proposée dans cet ouvrage.
Cette évaluation pédagogique permet d’évaluer les compétences travaillées dans les ateliers (grille d’observation), d’apprécier la satisfaction des participants quant au programme proposé et d’estimer l’évolution de leur qualité de
vie en termes de réponse ou non aux objectifs fixés dans le contrat d’éducation
thérapeutique.
Pour répondre à ces critères d’évaluation, il est donc nécessaire de bénéficier d’éléments concrets concernant les représentations initiales, les habitudes
de communication, le vécu des difficultés et les besoins spécifiques des participants avant le programme d’ETP. Le diagnostic éducatif est donc l’évaluation
initiale nécessaire qui permet de dégager le profil des participants en termes de
communication et de définir avec eux des objectifs d’éducation en réponse à
leurs besoins.
• Un contenu organisé
Le dossier d’ETP (Annexe 1) comporte différents éléments, consultables à
tout moment par l’équipe éducative et le patient lui-même, détaillés ci-dessous :
Bilan de langage préliminaire au programme d’ETP
Dans son guide pour l’élaboration d’un programme d’ETP spécifique au
patient après AVC, la SOFMER (2011) préconise un bilan de langage récent.
Dans notre programme, nous nous appuyons sur un bilan orthophonique de
moins de 3 mois afin d’apprécier au mieux les capacités langagières du patient
au moment du diagnostic éducatif. Cette évaluation nous permet d’estimer les
éventuelles difficultés à prendre en compte dans le programme d’ETP et de réajuster les besoins et attentes en fonction des possibilités réelles de chacun. Une
synthèse de ce bilan est rédigée et annexée au diagnostic.
Formulaire d’information et de consentement
Dans le cadre d’une réflexion menée par le Cercle d’Education Thérapeutique du Centre Hospitalier de Bar-le-Duc qui s’est constitué en 2009, un formulaire d’information et de consentement a été rédigé. Ce courrier explicatif de
la démarche d’ETP informe le patient des éléments constitutifs du programme
et de ses droits (confidentialité, participation volontaire).
Le diagnostic éducatif fait partie intégrante du dossier d’ETP. Principale
source d’information sur le patient et son fonctionnement dans la communica-
80
tion avec son entourage, il doit être structuré afin de guider l’élaboration du programme d’ETP.
Fiche aidant et échelle de Zarit (fardeau de l’aidant)
Un questionnaire spécifiquement destiné à l’aidant (Annexe 2) complète
le diagnostic éducatif proposé à la personne aphasique. Il évalue son appréciation de la communication de son proche, son vécu face aux difficultés de communication dans le couple, ses besoins en terme de qualité de vie et de projet
éducatif autour de la communication.
Une échelle standardisée de qualité de vie, l’Echelle de pénibilité de Zarit
(2001), est proposée en complément et aborde des questions plus larges en
termes de handicap.
Diagnostic éducatif de la personne aphasique (Annexe 3)
Les compétences d’adaptation de la personne aphasique à ses difficultés
de communication sont explorées au travers des différents aspects décrits par
Iguenane et Gagnayre (2004) :
L’aspect bioclinique récapitule les données médicales relatives à l’AVC, les
signes associés à la pathologie, les prises en charge éventuelles (orthophonie,
kinésithérapie, psychologie…) et les conditions de vie (environnement, loisirs…)
de la personne aphasique. C’est une synthèse des données essentielles pour apprécier le retentissement fonctionnel de l’aphasie dans la vie quotidienne.
L’aspect cognitif évalue les connaissances et représentations de la personne sur l’aphasie et la communication. Une décontextualisation est ici proposée afin d’inciter le patient à se positionner en tant qu’individu et à réfléchir
d’un point de vue extérieur sur les questions de l’aphasie (ex : est-ce une maladie ?) et de la communication (ex : peut-on communiquer par le regard ?).
L’aspect psycho-social (ou psycho-comportemental), recontextualise le
patient dans son environnement en l’interrogeant sur ses habitudes de communication. Il lui est d’une part demandé d’estimer la fréquence de ses activités de
communication comparativement à avant l’AVC (ex : discussion avec des
proches, conversation téléphonique), d’autre part de se situer sur un profil d’habitudes de communication en évaluant ses actes de langage (ex : je pose des
questions, je donne mon avis), et enfin de réfléchir à l’utilisation de stratégies de
réparation en cas d’éventuelles ruptures de communication (ex : je fais répéter,
je reformule ma question).
L’aspect psycho-affectif porte sur le vécu des difficultés de communication. Le patient est invité à donner son ressenti quant à des sentiments auxquels
81
il peut éventuellement faire face depuis sa pathologie (ex : je me sens différent,
je me sens moins compétent). Le patient est également interrogé sur les activités
sociales qu’il a pu délaisser (ex : sorties, téléphone) et sur les besoins qu’il
estime avoir en terme de communication (ex : prendre davantage la parole).
Enfin, il peut donner son avis quant à la proposition d’un projet éducatif spécifique à la communication avec son aidant. C’est un moyen d’évaluer son positionnement, sa volonté d’engagement dans un éventuel changement de ses habitudes de communication.
Le tableau ci-dessous synthétise les domaines de compétences explorés
au travers du diagnostic éducatif, les objectifs diagnostiques qui en découlent,
les critères évalués, ainsi que les outils utilisés (détaillés dans le prochain paragraphe).
Tableau 1: Synthèse des domaines de compétences explorés
82
Synthèse du diagnostic éducatif
Au terme de l’entretien avec le patient, l’éducateur devrait pouvoir en
partie répondre aux questions suivantes : quel est le projet du patient susceptible
de le motiver à s’investir dans un programme d’ETP ? Quels sont les facteurs
d’appui et les obstacles éventuels, c'est-à-dire quelles sont ses potentialités à
mettre en œuvre les compétences définies dans les objectifs ? Que doit apprendre le patient pour répondre à ses besoins spécifiques et réaliser son projet ?
(IPCEM, 2012).
Suite à l’évaluation, une synthèse des différentes compétences explorées
est proposée. Elle permet de dresser un profil de compétences de communication et d’aborder ensemble le projet éducatif.
Contrat d’ETP
Le diagnostic s’achève par la proposition d’objectifs éducatifs. Présentés
et expliqués au patient et à son aidant, ils sont définis conjointement pour respecter au mieux les attentes de chacun et répondre aux besoins définis dans
l’évaluation.
Un contrat d’éducation est une entente entre le patient et l’équipe soignante qui indique les objectifs pédagogiques et par conséquent les compétences que doit atteindre le patient au cours de son éducation (IPCEM, 2012). Il
permet de motiver le patient, de le rendre acteur de son éducation, de créer un
climat positif d’éducation (Nigoghossian, 2007).
Les résultats de l’évaluation peuvent être situés dans une dynamique
contextuelle et projective (Gagnayre et Ignenane, 2004). La définition d’objectifs d’éducation n’a alors de sens que dans un contexte donné et dans leur utilisation par le patient pour un devenir (ex : connaître et sélectionner des stratégies
de réparation/renforcement de la communication, utiliser davantage le téléphone, diminuer l’anxiété lors de la prise de parole, gérer la frustration en cas de
rupture de communication).
Dans notre programme, nous proposons trois objectifs-clés répondant aux
capacités d’adaptation déclinées dans le diagnostic. Ils sont proposés sous forme
de compétences spécifiques que l’on propose d’explorer au sein des ateliers
d’ETP (Tableau 2). Le patient et son aidant peuvent choisir un ou plusieurs
objectifs. Ils peuvent également, à l’issue de cette rencontre, choisir de ne pas
participer au programme. Le diagnostic aura alors permis de faire un point sur
leurs compétences de communication, éventuellement de rassurer le couple
quant à l’efficacité de leurs échanges malgré les difficultés liées à l’aphasie.
83
Tableau 2 : Objectifs et compétences d’adaptation
Des outils d’évaluation adaptés à l’éducation thérapeutique
A la différence d’un bilan orthophonique standard, le diagnostic éducatif
proposé dans le cadre de notre programme d’ETP n’a pas pour objectif principal
l’évaluation formelle des déficiences (trouble du langage), mais permet la
réflexion sur les conséquences de l’aphasie sur le plan fonctionnel et social. En
tenant compte du vécu du patient concernant ses difficultés langagières, il permet ainsi d’adapter l’évaluation traditionnelle et normative à la spécificité du
sujet (Nigoghossian, 2007). En outre, nous avons choisi de proposer ce programme à des personnes ayant présenté un AVC datant de plus d’un an, pour
lesquelles les difficultés de communication sont chroniques.
Pour garantir l’efficacité de cette démarche, il est nécessaire de proposer
des outils pédagogiques répondant aux objectifs de l’évaluation (compétences à
évaluer) et adaptés à la population. La question de l’aphasie, du type de troubles
et de leur sévérité a en effet un impact sur les conditions de proposition de
l’évaluation puis de participation au programme. Cependant il n’existe pas de
parallèle en intensité entre le degré de sévérité de l’aphasie et le handicap de
communication ressenti par la personne et son aidant et/ou mis en évidence dans
les bilans.
Différentes formes d’évaluation
Le questionnement est un préalable à la dynamique de changement du
patient (Nigoghossian, 2007). Il permet d’associer le patient à sa propre évaluation, de connaître son interprétation mais aussi ses possibilités d’évolution.
84
L’auto-évaluation a donc été adoptée comme un outil éducatif privilégié
dans notre diagnostic, car elle fait appel à des compétences métacognitives qui
permettent à la personne de porter un jugement sur ses représentations, ses compétences, ses limites dans la gestion de la maladie (IPCEM, 2012). Elle donne
une place d’acteur compétent à la personne. Ainsi, dès le diagnostic éducatif, la
personne aphasique est amenée à entamer un processus de réflexion sur son propre fonctionnement de communication.
D’autre part, l’un des fondements de notre démarche d’éducation thérapeutique étant d’inclure l’aidant de la personne aphasique dans la réflexion, des
outils d’hétéro-évaluation sont proposés à l’aidant. L’utilisation de questionnaires d’hétéro-évaluation permet ainsi d’enrichir le diagnostic par l’appréciation de l’entourage sur la communication de la personne aphasique.
Différents outils
Certains aspects du diagnostic éducatif sont évalués au préalable sur un
mode de questionnement ouvert afin d’apprécier la représentation spontanée de
l’individu (ex : comment pourriez-vous définir votre trouble du langage ?).
Afin de limiter les difficultés liées à l’aphasie, tant sur le plan expressif
que réceptif, nous avons ensuite choisi de privilégier des échelles numériques
avec association d’un critère verbal. Ces échelles verbales simples (EVS), utilisées notamment dans l’évaluation de la douleur, sont reconnues pour leur facilité d’utilisation dans le cas de troubles cognitifs et/ou langagiers.
Dans un souhait de jugement constructif de la part du patient et de son
aidant, l’utilisation d’échelles de Likert (IPCEM, 2012) s’est par conséquent
révélée judicieuse. Elles permettent d’obtenir une appréciation simple et globale
des critères à évaluer, tout en évitant le choix d’une réponse neutre. Ainsi, une
échelle dont les valeurs numériques vont de 0 à 4 (position neutre évitée) permet
à la personne de se positionner véritablement quant aux compétences évaluées.
L’évaluation quantitative (figure 1) propose d’estimer la fréquence de
survenue d’un évènement (ex : je fais répéter mon interlocuteur). Elle est utilisée notamment dans l’évaluation des habitudes de communication, pour lesquelles une estimation chiffrée permet d’en apprécier l’utilisation.
Figure 1 : Echelle d’évaluation quantitative
85
L’échelle qualitative (figure 2) permet de se positionner quant au sentiment de véracité de l’item (ex : je me sens dépendant de mon conjoint), ou du
degré de certitude d’une proposition (ex : le trouble du langage est une maladie). Elle a un intérêt dans l’évaluation cognitive et psycho-affective, grâce à
l’appréciation d’un jugement personnel.
Figure 2 : Echelle d’évaluation qualitative
Les résultats chiffrés obtenus au travers de ces différents outils nous permettent de dresser le profil communicatif du sujet aphasique. Les profils peuvent ensuite être comparés lors d’évaluations pédagogiques d’évolution proposées tout au long du programme, ce qui permet de réajuster les objectifs
d’éducation.
Une adaptation nécessaire au sujet aphasique
Toute interaction avec des sujets présentant des difficultés d’expression,
qu’elles soient de type réduction (mutisme, manque du mot) ou altération (jargon, paraphasies…), nécessite le recours à des outils adaptés. Il est alors important dans ce diagnostic éducatif de permettre au patient aphasique de s’exprimer
spontanément (questions ouvertes) mais aussi de façon plus dirigée (choix multiple) afin de faciliter l’expression des réponses.
Le diagnostic est proposé sur un mode d’entrée oral afin d’éviter le surcoût cognitif éventuel de la lecture mais certains items peuvent être lus par le
patient à sa demande.
D’autre part, les questions se sont voulues claires et concises afin de limiter les troubles de la compréhension. Au cours des différentes sessions et de
l’analyse de nos pratiques, certains items ont été reformulés. Nous avons par
exemple privilégié des structures syntaxiques simples, en évitant les doubles
négations.
L’évaluation de l’expression n’étant pas l’objectif principal du diagnostic
éducatif, les réponses peuvent être données en s’appuyant sur l’échelle numérique présentée au patient. Le but n’étant pas non plus de tester la compréhension de façon formelle, mais bien d’offrir une possibilité d’échange sur le vécu
fonctionnel du trouble, chaque item est expliqué au patient et peut être reformulé.
86
♦ Conclusion
Par la prise en compte des connaissances et représentations, du vécu et
des besoins en termes de communication, le diagnostic éducatif offre à la personne aphasique et à son entourage l’opportunité d’une réflexion construite et
accompagnée. Dans le programme d’ETP « Communiquer malgré l’aphasie »,
mis en place par l’unité d’orthophonie au sein du service de MPR de l’hôpital
de Bar-le-Duc, le diagnostic éducatif se veut être un outil à la fois diagnostique
et pédagogique. Plus qu’une évaluation fonctionnelle de la communication,
c’est un véritable support de réflexion pour la mise en place d’un projet éducatif
co-construit, personnalisé et adapté à la personne aphasique et à son entourage.
L’élaboration de cet outil a été pour nous l’occasion de réfléchir à notre
pratique professionnelle. Nous avons pu aborder la relation thérapeutique
comme une réflexion commune avec le patient et son entourage, pour un projet
thérapeutique défini conjointement. Les représentations de chacun sur la question du handicap de communication, le rôle de l’aidant dans l’accompagnement
des difficultés de communication, le vécu des difficultés et les besoins en termes
de qualité de vie sont explorés au travers d’outils pédagogiques spécifiques et
adaptés à la question de l’aphasie.
Ainsi, dans le cadre des troubles de la communication chroniques, l’exploration des compétences d’adaptation et la contractualisation d’objectifs
d’éducation conjoints permettent un accompagnement personnalisé et complémentaire de la rééducation orthophonique traditionnelle.
REFERENCES
BERNARD E. (2012), Rapport d’innovation pédagogique en ETP : Elaboration d’un diagnostic éducatif
spécifique à la communication de la personne aphasique avec son entourage, Mémoire IPCEM.
BRIN-HENRY F. (2014), Education Thérapeutique du Patient et Aphasie, in de Boissezon X., Brun V.,
Mazaux JM. et Pradat-Dielh P. Communiquer Malgré l'Aphasie. Montpellier : Sauramps Médical.
CAVROIS A., ROUSSEAU T (2008), Création d’un questionnaire dans le cadre de l’approche écosystémique. Comment l’aidant principal apprécie-t-il les capacités communicationnelles de son proche
atteint de Maladie d’Alzheimer, Glossa n° 105, p 18-34.
87
CESAR C. (2013), Elaboration et mise en application d’une évaluation de l’impact d’un programme
d’ETP sur la communication et la qualité de vie d’une personne aphasique et de son aidant.
Mémoire pour l’obtention du Certificat de Capacité d’Orthophonie, Nancy.
GAGNAYRE R., IGUENANE J. (2004), L’éducation thérapeutique du patient : le diagnostic éducatif,
Kinésithérapie, les cahiers, N° 29-30, p 58-64.
ICHE A. et al. (2012), Un bilan orthophonique d’approche écosystémique de la problématique aphasique :
le PTECCA, Les entretiens de Bichat 2012, p 81-94.
IPCEM (2012), Education thérapeutique du patient, support de formation.
NIGOGHOSSIAN (2007), Q.A.L.A. : Questionnaire d’Autoévaluation du Langage Aphasie, Tests et
matériels en Orthophonie, éditions Solal.
PINEAU S. (2012), Réalisation et mise à l’épreuve d’un diagnostic éducatif d’Education Thérapeutique
du Patient pour le patient aphasique chronique. Mémoire pour l’obtention du Certificat de Capacité d’Orthophonie, Nancy.
SOFMER (2011), Eléments pour l’élaboration d’un programme d’éducation thérapeutique spécifique au
patient après AVC : « Le patient aphasique et son entourage ».
TRAYNARD P.-Y. (2010), Le diagnostic éducatif : une bonne idée pour évoluer, Médecine des maladies
métaboliques, Vol. 4 – N°1, p 1-7.
ZARIT, échelle de pénibilité (version française, 2001), La revue de Gériatrie, Tome 26, N°4, avril 2001.
88
89
90
91
92
93
94
95
96
97
98
99
100
101
102
103
104
105
Impact d’un Programme d’Education Thérapeutique du Patient (ETP) pour des personnes aphasiques et leurs aidants
Charline César, Frédérique Brin-Henry, Estelle Bernard
Résumé
Le nombre de personnes porteuses d'une maladie chronique est en constante augmentation. L’aphasie a des répercussions sur la qualité de vie du patient et de son entourage
proche. Face à cette évolution et dans un souci de santé publique, les acteurs de la Santé
ont décidé d'adopter l'Education Thérapeutique du Patient (ETP) comme outil complémentaire. Ce mode d'intervention a pour but de permettre aux participants de développer des
compétences qui leur permettront de mieux vivre avec la maladie.
Ce travail de recherche étudie ainsi l'impact des ateliers d'ETP proposés au Centre Hospitalier de Bar-le-Duc sur la communication et la qualité de vie des participants. Notre
démarche s'intègre au programme mis en place depuis 2011 et proposé aux personnes
aphasiques et à leurs aidants. Pour ce faire, nous avons élaboré une évaluation thérapeutique. Elle comportait une épreuve de simulation, un questionnaire de qualité de vie et une
enquête de satisfaction. L'évaluation a été proposée à 2 binômes (deux aidants et deux personnes aphasiques). Les résultats obtenus nous ont permis de mettre en évidence un
impact partiel sur la communication et un impact sur deux aspects de la qualité de vie des
participants (les relations sociales et le vécu). Même si un certain nombre de limites et de
biais nous ont contraintes à nuancer ces observations, le bénéfice global apporté aux participants nous conforte dans le fait que l'ETP reste une orientation thérapeutique qui mérite
d'être approfondie et plus largement développée en orthophonie.
Mots clés : évaluation, Education Thérapeutique du Patient (ETP), aphasie, communication,
qualité de vie, aidant.
Rééducation Orthophonique - N° 259 - septembre 2014
107
Impact of a Therapeutic Patient Education program designed for aphasic patients and their caregivers
Abstract
The number of people with chronic diseases is steadily increasing. Aphasia has a major
impact on the quality of life of these persons and on their immediate environment. Under the
pressure of these developments and in the interest of public health, healthcare providers
decided to adopt Therapeutic Patient Education (TPE) programs as a complementary tool.
This innovative form of intervention is designed to enable participants to develop skills that
will help them live better with their disease.
This study reports on the impact of TPE on participants’ communication skills and quality of
life. It is built on the TPE program of Bar-le-Duc which is offered to aphasic patients and
their caregivers. In order to achieve this goal, we developed a therapeutic assessment tool
involving a test of simulation, a questionnaire about quality of life and a satisfaction survey.
This evaluation package was administered to four individuals (two caregivers and two aphasic patients). The results revealed a small positive impact on communication and a positive
impact on two aspects of the participants’ quality of life: social relationships and experiences. Although a number of biases and limitations led us to view these results as only
tentative, the overall beneficial effect on participants showed that TPE deserves further examination and should be more widely developed in speech and language therapy.
Key Words : assessment, Therapeutic Patient Education, aphasia, communication, quality of
life, caregiver.
108
Charline CÉSAR
Orthophoniste
Paris
Courriel : [email protected]
Frédérique BRIN-HENRY
Estelle BERNARD
Orthophonistes
Service MPR
Centre Hospitalier Général
CS 10150
1 boulevard d'Argonne
55012 Bar-le-Duc Cedex
Courriels : [email protected]
[email protected]
S
elon l'HAS, les maladies chroniques touchent environ le quart de la population française, soit 15 millions de personnes atteintes à des degrés plus ou
moins sévères. Si l'on tient compte du vieillissement de la population, qui
accentue les facteurs de risque, il est probable que ces chiffres iront en augmentant. Le terme de maladie chronique est défini dans le plan 2007-2011 du
Ministère de la Santé, de la Jeunesse, des Sports et de la vie associative comme
étant « une maladie de longue durée, évolutive, souvent associée à une invalidité
et à la menace de complications graves ». Ainsi, les personnes atteintes de maladies chroniques ont besoin d'un accompagnement de longue durée. Parallèlement
à cela, la Haute Autorité de Santé a constaté un épuisement des aidants (HAS
2010). Face à la dépendance physique, financière ou psychologique de la personne atteinte, les aidants voient leur vie complètement transformée. Ils se
retrouvent la plupart du temps isolés socialement ce qui les fragilise et peut
même les mener à la dépression (Michallet & Lefebvre 2005).
Face à ces phénomènes et dans un objectif de santé publique, les acteurs
de Santé se sont orientés vers l'Education Thérapeutique du Patient (ETP). Ce
type d'intervention fait partie intégrante de la prise en charge du patient atteint
d'une maladie chronique. Le thérapeute et le patient vont réfléchir ensemble sur
le fonctionnement de la maladie pour la gérer au mieux. Ils vont ainsi prendre
appui sur leurs connaissances actuelles, tenter de les approfondir dans un
échange partagé et dans le but de co-construire des compétences utiles et appli-
109
cables au quotidien (INPES 2005). L'ETP se fonde sur un certain nombre de
principes qui lui sont propres, tels que la modification de la relation patient-professionnel ou encore la participation de l'aidant familial (Lacroix et Lassal
2011). Le Dorze (2012) répond à la question de la participation de l’aidant en
affirmant que « l’aphasie touche les proches, ils sont vulnérables sur un plan
sanitaire et social (isolement), les rééducations prenant en compte uniquement
le patient ne sont pas suffisantes ». Ce sont ces principes fondateurs qui rendent
ainsi l'ETP novatrice.
Bien que cette dynamique de prise en charge ait fait ses preuves dans le
cadre de maladies chroniques, tels que la mucoviscidose ou encore le diabète,
cette approche est encore peu appliquée en orthophonie, et en particulier dans le
domaine de l’aphasie.
Cette étude a ainsi pour objectif de mettre en évidence l'efficacité du
contenu d’ateliers collectifs proposés dans un programme d'ETP proposé à des
personnes aphasiques et à leur aidant majoritairement familial. Elle s’inscrit
dans la continuité d'un premier travail de mémoire centré sur le diagnostic éducatif (Pineau 2012), mais aussi dans la réflexion menée au sein du service du
Centre Hospitalier de Bar-le-Duc (55) depuis plusieurs années sur l’ETP et sur
l’orthophonie.
♦ Problématique
Le parcours de soin du sujet aphasique comporte plusieurs phases institutionnelles où il est entouré par une équipe pluridisciplinaire (structure hospitalière ou centre de rééducation et de réadaptation). Ce n'est qu'une fois sorti de
l'établissement, qu'il est confronté, au même titre que son entourage, aux difficultés séquellaires et à cette « nouvelle vie ». En fonction de l'importance de ses
troubles, il peut passer du statut de patient à celui de personne porteuse de handicap. N'y étant pas préparés, le sujet aphasique et sa famille peuvent se sentir
démunis face à cette situation, voire en détresse.
Naturellement, ils vont mettre en place des stratégies et des adaptations
pour faciliter la communication et leur quotidien, et bénéficient parfois d’un
accompagnement spécifique le concernant (orthophoniste, psychologue, assistante sociale, associations de patients…). Toutefois, à distance de l’AVC, il peut
subsister une incompréhension et une frustration face à cette communication
rendue difficile. Ce qui peut conduire à plus long terme, à des interactions
conflictuelles, une souffrance, un repli ou encore un isolement social (Ponzio et
al 1991).
110
L'Education Thérapeutique du Patient a pour objectif de les aider à gérer
au mieux la maladie chronique au quotidien, en les rendant acteurs de ce changement. Pour ce faire, le programme d’ETP débute par un diagnostic éducatif,
qui permet de cibler les attentes et objectifs des bénéficiaires. A l’issue du DE,
une synthèse est formulée et le contenu des ateliers thérapeutiques découle de
cette première étape (Pineau, 2012). Face à cette population bien spécifique, les
ateliers proposés (au cas par cas) ont pour cible la communication en tant que
telle, ainsi que la qualité de vie. Cette intervention se charge de répondre aux
besoins propres à chaque participant, de lui offrir un lieu de partage d'expériences et de mise en place de stratégies compensatoires, mais également un lieu
de rencontre et d'échange sur le vécu qu'il en a. Le programme dans lequel nous
nous inscrivons cherche à agir sur cette communication altérée, voire rompue
dans les binômes (patient et aidant), à distance de la phase de rééducation proprement dite, et dans le but d’aider les participants à améliorer leur qualité de
vie en gérant mieux les ruptures de communication.
Au travers de cette étude, nous avons tenté de vérifier si les ateliers mis
en place dans le cadre de l'intervention d'ETP proposée au Centre Hospitalier de
Bar-le-Duc permettent de se rapprocher ou d'atteindre les objectifs fixés pour
cette population. Cette démarche d'évaluation thérapeutique a également pour
but de déterminer si l'intervention répond aux besoins et aux attentes propres à
chaque participant. L'intérêt de cette réflexion serait d'ajuster, si nécessaire, l'organisation et le contenu des ateliers futurs, en fonction des observations et des
résultats obtenus au cours de cette étude.
♦ Hypothèses
L'objet de l’étude a été de démontrer l'impact du programme d'Education
Thérapeutique du Patient proposé à Bar-le-Duc. Pour ce faire, nous avons émis
l'hypothèse suivante : le programme d'ETP a un impact bénéfique sur la
communication et la qualité de vie des personnes aphasiques et de leurs
aidants.
De cette hypothèse générale, ont découlé plusieurs hypothèses secondaires :
Pour pouvoir analyser l'impact du programme sur la communication, il nous
faut mettre en évidence dans un premier temps, le développement d’un savoirfaire et dans un second temps, le développement des compétences psychosociales (application des stratégies au quotidien et augmentation de fréquence
des activités de communication).
Nous avons également formulé comme hypothèse un impact des ateliers thérapeutiques proposés sur la qualité de vie des participants.
111
Enfin, nous avons émis l’hypothèse que les ateliers répondent aux besoins des
participants. Pour ce faire, nous évaluerons s’ils sont satisfaits du déroulement
et du contenu du programme, si celui-ci répond aux attentes fixées au cours du
diagnostic éducatif et pour finir, si les objectifs fixés au préalable ont pu être
atteints.
Nous allons désormais aborder l'élaboration de l'évaluation thérapeutique
mise en place dans l'objectif de valider ou non les hypothèses précédentes.
♦ Méthodologie
Critères d’inclusion
L’évaluation thérapeutique est proposée aux bénéficiaires du programme
d’ETP de Bar-le-Duc. Ainsi, les critères d’inclusion font écho à ceux qui ont
permis de déterminer la population participant au diagnostic éducatif et aux 3
ateliers thérapeutiques :
- le patient qui fait partie du couple participant présente des séquelles d'aphasie
- la personne aphasique a été confrontée aux nouvelles difficultés de la vie
quotidienne suite à un retour à domicile
- la personne aphasique est consciente de ses troubles (exclusion des patients
anosognosiques), doit avoir une bonne capacité de compréhension et ne pas
présenter d'atteinte cognitive (démence, troubles psychiatriques...)
- la participation se fait à une distance de l'accident (AVC, TC..) supérieure à
1 an
- le sujet aphasique a bénéficié au préalable de séances d’orthophonie
- le patient a été hospitalisé au Centre Hospitalier de Bar-le-Duc
- les personnes aphasiques et leurs aidants ont rencontré des professionnels
dans le cadre du diagnostic éducatif et participé à au moins un des ateliers
thérapeutiques proposés
- l'âge des participants n'entre pas en compte.
Rappel de l’étude
Certains ouvrages détaillent le contenu des informations théoriques à
aborder au cours du programme d’Education Thérapeutique du Patient, telles
que les généralités sur l’AVC, le fonctionnement cérébral du langage ou encore
les troubles phasiques (SOFMER, 2011). Néanmoins, le contenu des ateliers
découle des attentes mises en évidence au cours du diagnostic éducatif proposé
au préalable aux bénéficiaires. Or, les besoins portaient davantage sur les techniques et méthodes facilitant la communication au sein du binôme que sur les
apports théoriques (recherche d’apports concrets). C’est pourquoi aucune théo-
112
rie n’a été abordée au cours du programme. D’autres études menées ces dernières années ont également fait ce constat (Barutel J. et Rousseau C., 2013).
Les ateliers thérapeutiques propres au programme d’ETP de Bar-le-Duc
ont été décrits succinctement dans le tableau suivant :
Tableau 1: résumé des ateliers du programme
113
A la suite de ces ateliers, une évaluation en 3 temps a été proposée aux
différents bénéficiaires.
Elaboration et déroulement de l’évaluation thérapeutique
L'évaluation thérapeutique cible l’acquisition du savoir-faire, l'impact sur
les aspects psycho-affectifs et la mesure de la satisfaction des participants. Pour
ce faire, nous avons choisi d'utiliser des méthodes propres et adaptées à chacun
de ces 3 objets d'observation.
Evaluation du savoir-faire
Il nous a semblé essentiel de mettre en place une épreuve « active », car
notre objectif est d'évaluer la mobilisation des connaissances et la mise en pratique des stratégies au cours d'un échange, autrement dit la « capacité à contrôler et planifier ses processus cognitifs en vue de la réalisation d'un objectif
déterminé à l'avance » (Machy 2009). Seule la mise en action permet cette
observation. Afin d’éviter le plus possible de dénaturer l'échange, nous nous
sommes tournées vers la simulation d'une situation de communication entre la
personne aphasique et son aidant. Au cours de cette recherche d'outil, notre
choix s'est porté sur le protocole d'évaluation écosystémique de la communication du couple aphasique (PTECCA) auquel nous avons apporté quelques
modifications (diminution du nombre d’items, thème plus proche de la vie quotidienne, utilisation de stratégies compensatoires sans dénomination du mot
cible...). Ce test permet d’évaluer qualitativement les comportements de communication du couple aphasique et ainsi de faire émerger des « axes de prise en
charge […] permettant ainsi de les former à une communication plus efficace
et adaptée aux déficits spécifiques de chaque aphasique » (Iché, Rives et al
2012).
Concernant le contenu de la grille d'observation, nous nous sommes
appuyées sur les récits de De Partz concernant l'analyse conversationnelle
(2008), en prenant bien soin de ne sélectionner que les thèmes évoqués au
cours des ateliers (prise de contact, respect des tours de parole, clôture,
maintien de l'échange) et sur le contenu des ateliers (stratégies évoquées).
La grille s'est voulue plus simple d'accès et d'utilisation pour faciliter l'observation.
Enquête de satisfaction
« La satisfaction des patients vis-à-vis de l'éducation reçue ne prouve pas
que celle-ci ait été pertinente et efficace. Mais à l'inverse, on peut douter qu'une
formation réellement pertinente et efficace soit vécue de façon insatisfaisante
pour les patients » (D'Ivernois et Gagnayre 2011).
114
L'enquête de satisfaction auprès des bénéficiaires est alors nécessaire
mais ne suffit pas pour évaluer l'impact d'un programme. C'est pourquoi
l'épreuve doit être courte et concise.
Pour ce faire, nous avons employé la technique de la cible décrite par les
auteurs précités (ibid, 2011). Cet outil a l'avantage de pouvoir aborder 9 à 12
items, tout en étant succinct. Il permet également de proposer une épreuve qui
favorise la compréhension à l'aide de plusieurs indices visuels : le principe de la
cible, les couleurs standardisées (du rouge au vert) ou encore les pourcentages.
Nous y avons associé une échelle de Likert qui permet de rendre le test plus sensible et plus juste qu'un questionnaire d'approbation binaire type oui/non. Volontairement, nous n'avons pas proposé d'item « sans opinion » dans le but de pousser les participants à se positionner dans un sens ou dans l'autre (accord ou
désaccord).
Etant donné le nombre limité d'items, une question ouverte est proposée
aux bénéficiaires pour toute remarque complémentaire.
Le fait de rendre anonyme l'enquête de satisfaction nous a fortement
questionnées. En effet, un questionnaire anonyme facilite l'expression des
réponses. Il nous a toutefois semblé qu'une cible nominative permettrait une
meilleure analyse : cela nous offre la possibilité de voir s'il y a une corrélation
entre la satisfaction, le développement (ou non) d'un savoir-faire et l'amélioration (ou non) de la qualité de vie.
Le contenu et les thèmes abordés dans la cible sont issus des recommandations de l'HAS (2012) et de l'auteur Cambon (2009). Voici les différents
points cités et utilisés dans l'élaboration de notre cible :
- Satisfaction globale
- Organisation des ateliers (durée, nombre, programmation)
- Contenu des ateliers (thèmes abordés, utilité des informations au quotidien, réponse aux besoins)
- Relation avec les autres participants (nombre, convivialité)
- Qualité des méthodes pédagogiques
- Relation avec les intervenants (disponibilité, pluralité).
Evaluation de l'aspect psycho-affectif
Cette troisième et dernière épreuve vise à évaluer l'impact du programme
sur les aspects psycho-affectifs et sur la qualité de vie des participants, définie
par l'OMS (1996) comme « un état de bien-être physique, mental et social »
(cité dans REQUA 2011). Afin de favoriser une meilleure sensibilité du test, il
sera proposé aux participants un questionnaire basé sur une échelle de Likert.
115
Elle favorisera également la compréhension de la personne aphasique : couleurs,
pourcentage, degrés différents (« pas du tout d'accord », « peu d'accord »,
« d'accord » et « tout à fait d'accord »).
Le tableau suivant est un récapitulatif du contenu du questionnaire psychoaffectif :
Tableau 2 : contenu du questionnaire psycho-affectif
Protocole de passation
Ce tableau récapitulatif permet de synthétiser le protocole expérimental de l'évaluation des effets proposée dans le cadre de l’étude que nous avons menée.
116
Description des deux binômes participants
Le premier binôme est constitué de Mme A1 (80 ans) qui présente une
aphasie motrice de sévérité moyenne (BDAE) et de sa fille Mme A2. Mme A1
vit avec son époux et est relativement indépendante. Son AVC date d'1 an et
demi. Le bilan de langage qui date de février 2013, met en évidence une compréhension orale très satisfaisante en situation. Concernant sa communication
orale, elle juxtapose des substantifs pour se faire comprendre, et peut construire
des phrases courtes sur incitation (S-V-C). Au cours du diagnostic éducatif, elle
participe à la conversation et exprime ses idées. Elle est très motivée et effectue
des exercices quotidiens dans l'optique de poursuivre sa progression. Le diagnostic éducatif démontre une réelle implication et motivation de la part de
Mme A2 et de Mme A1. Elles ont une bonne connaissance des difficultés de
communication et des stratégies de compensation. Leur ressenti n'est pas particulièrement négatif. Mme A1 avance comme explication le fait qu'elles n'habitent pas ensemble et qu'elles ne se côtoient pas quotidiennement. Les problèmes
de communication ne sont pas une grande gêne entre la mère et ses enfants, ils
le sont toutefois entre Mme A1 et son conjoint, qui par ailleurs a une atteinte
auditive. La participation aux ateliers vise dans ce cas, à acquérir puis à transmettre de nouvelles stratégies à celui-ci afin d'améliorer et de faciliter la communication entre eux. Elles sont ainsi en attente d'échanges et de conseils.
Mr B1 (56 ans) et Mme B2 son épouse forment le second binôme. Son
AVC a eu lieu il y a un peu plus d'un an, il suit une rééducation orthophonique
depuis lors. Le bilan de langage de février 2013 a révélé une expression très
réduite, ainsi que des écholalies et des stéréotypies (mots isolés) qu'il parvient à
compenser par l'utilisation de gestes et d'onomatopées. La compréhension orale
en situation est mieux conservée, ce que nous confirmera son épouse au cours
du diagnostic éducatif : à la maison, il « comprend 95% des informations proposées ». Son aphasie est toutefois caractérisée comme étant sévère par l'échelle
du BDAE. Le diagnostic éducatif quant à lui, nous permet de mettre en avant
les éléments suivants : tous deux ressentent des difficultés au quotidien (dépendance, gêne, incompréhension d'autrui, stress, besoin d'en parler..). Mr B1 se
retrouve bien souvent dans des situations de frustration lorsqu'il n'arrive pas à
transmettre son idée, et ce, bien qu'ils aient développé un certain nombre de
stratégies de compensation. Ils nous ont fait part de leur souhait de participer
aux ateliers pour découvrir des nouvelles stratégies de communication. Leur
objectif à long terme serait de retrouver une dynamique dans leurs activités
sociales (sortir et voir plus souvent leurs amis, aller au cinéma, partir en
vacances..). Au vu de ces besoins, ils ont ainsi choisi de participer aux 3 ateliers.
117
♦ Résultats de l'étude
Dans un souci de clarté, nous aborderons les résultats de l’étude parallèlement aux hypothèses formulées au préalable.
Impact des ateliers sur la communication
- Les résultats nous indiquent que le premier binôme (Mme B2 et Mr B1) a
acquis un savoir-faire : variété de stratégies de la part de l'aidant (différentes stratégies verbales), utilisation de nouvelles stratégies de l'aidant
(utilisation du geste et de la reformulation) et de la personne aphasique
(utilisation du geste) et une meilleure compréhension.
En revanche, les ateliers n'ont pas eu d'impact sur la communication du
second binôme (Mme A1 et Mme A2) : la variété d'utilisation des stratégies,
déjà mise en place avant la participation aux ateliers, est plutôt faible ; il n'y a
pas eu d'acquisition nouvelle de techniques communicationnelles et enfin la
compréhension n'a pas évolué.
- L'évaluation thérapeutique (questionnaire de qualité de vie) a permis de
mettre en évidence un impact des ateliers sur une partie des compétences
psycho-sociales du premier binôme : application de nouvelles stratégies
par les deux membres du binôme, augmentation de la fréquence des activités de communication de Mr B1, ainsi que la reprise de certaines activités sociales délaissées par Mr B1. Ils n’ont pas formulé de nouveaux projets.
Concernant le second binôme, l'évaluation n'a pas révélé d'impact : pas d’application de nouvelles stratégies par Mme A1, ni par Mme A2 ; une légère augmentation de la fréquence des activités de communication de Mme A1, ce qui
n’est pas le cas pour Mme A2, pas de reprise d'activité délaissée, et enfin, pas de
formulation de nouveaux projets.
L’évaluation thérapeutique ne nous permet pas de mettre en évidence
une amélioration des compétences psycho-sociales des bénéficiaires. Il
nous est toutefois possible d’observer un impact des ateliers sur le
savoir-faire de deux participants sur quatre.
Impact des ateliers sur la qualité de vie des participants
Les résultats mettent en lumière l’amélioration de certains aspects de la qualité
de vie des participants :
- les relations sociales " (34, 0022, ") QUOTATION MARK tous les
participants ont été satisfaits de pouvoir rencontrer d'autres personnes ;
trois d'entre eux se sentent plus soutenus (Mme A2, Mme B2 et Mr B1).
118
Ce bénéfice est confirmé par la volonté d'intégrer une association pour
Mme B2, Mme A1 et Mme A2. Enfin, le premier binôme souhaite approfondir ses connaissances par le biais d'une participation à un nouveau programme d'ETP. Ils ressentent ainsi un « soutien social concret » (partage
d'informations).
- le domaine psychologique " Mme B2 et son époux se disent plus détendus ; Mme B2 se sent plus en forme et « boostée » par les ateliers. Les
quatre participants affirment parler davantage et ressentir moins de difficultés à communiquer avec leur proche ; Mme A2, Mme B2 et son époux
disent prendre plus d'initiatives et affirmer plus souvent leurs idées. Une
amélioration des sentiments positifs (détendu, en forme, moins de difficultés à communiquer avec son proche) et un impact sur la confiance en soi
(prise d'initiatives accrue et affirmation plus soutenue des idées) ont pu
être mis en évidence.
Ainsi, les ateliers thérapeutiques ont un impact sur deux aspects de la
qualité de vie (relations sociales et domaine psychologique).
- le niveau d'indépendance " seule Mme A2 signale une meilleure indépendance.
Réponse aux besoins des participants
- Globalement, les participants sont satisfaits du programme (voire très
satisfaits pour les aidants). Deux profils bien distincts se sont dessinés :
Mr B1 et Mme B2 ont été satisfaits de l'organisation (programmation des ateliers dans le temps, méthodes pédagogiques, disponibilité et pluralité des intervenants). Concernant le contenu, ils ont reconnu l'utilité des informations communiquées et la qualité de l'échange. Ils auraient cependant préféré des ateliers
plus nombreux et plus longs pour pouvoir approfondir les compétences développées autour des stratégies compensatoires (peu satisfaits).
Mme A2 et Mme A1 ont été très satisfaites de l'organisation et satisfaites du
contenu des ateliers (nombre, durée, contenu). Elles n'ont toutefois pas trouvé
les informations utiles pour le quotidien.
- L'évaluation thérapeutique a permis de mettre en évidence une réponse
aux attentes qui reste mitigée. Les ateliers n’ont pas eu d’apport concret
au quotidien pour Mme A1 et Mme A2, elles considèrent ainsi que ce programme n'a pas répondu à leurs attentes. Mme B2 et Mr B1 sont quant à
eux satisfaits car il a répondu à leurs besoins évoqués au cours du diagnostic éducatif.
119
- Les objectifs de deux participants ont pu être atteints : Mme B2 et son
mari sont partis en vacances ; Mme A1 va dans les petits magasins, téléphone plus et est allée à la messe de Pâques (trois objectifs fixés au préalable) ; en revanche, parmi les objectifs choisis par Mme A2, nous avions
celui d'améliorer la communication au sein du couple (Mme A1 et son
époux). Celui-ci n'a pas été atteint. Ainsi, deux participants sur quatre ont
pu atteindre certains de leurs objectifs fixés.
Les ateliers thérapeutiques proposés ont répondu partiellement aux attentes
des participants : les bénéficiaires sont globalement satisfaits. Ils n’ont néanmoins pas répondu aux attentes de tous, et n’ont pas permis d’atteindre la
totalité des objectifs fixés.
♦ Discussion des résultats
Limites de l’étude
Un certain nombre de remarques et de critiques ont été soulevées au cours
de la passation de l'évaluation thérapeutique. Nous aborderons uniquement les
critiques globales de cette étude :
- le biais principal : parmi nos critères d'inclusion, il y avait la prise en
charge orthophonique (« le sujet aphasique doit avoir suivi une prise en
charge orthophonique au préalable »). Il n'était toutefois pas précisé si
celle-ci pouvait être poursuivie en parallèle ou si elle devait être nécessairement achevée. En effet, au cours de cette étude, il nous est apparu difficile d'affirmer que l'amélioration de la communication est uniquement liée
au bénéfice des ateliers thérapeutiques. Pour chaque analyse, il nous a été
impossible d'attribuer les améliorations au seul fait du programme.
- la limitation du nombre de participants : elle ne nous permet pas d'extraire une généralité. Nous avons pu extraire 2 profils bien différents, ainsi
faudrait-il poursuivre cette étude auprès d'une population plus importante.
- la compréhension altérée et l'expression réduite : au cours de l'analyse,
nous nous sommes imposé de nuancer certains résultats au vu des troubles
de compréhension orale de Mr B1 (résultat du bilan langagier précédant le
programme, reformulations nombreuses au cours de l'évaluation..). De
plus, l'aphasie non fluente rend l'analyse qualitative compliquée. Les participants ont rencontré des difficultés lorsqu'ils souhaitaient expliquer
leurs réponses et y apporter des précisions. En d'autres termes, l'aphasie
en elle-même a constitué une limite dans la justesse des résultats obtenus
au cours de l'évaluation.
120
Remarques relatives aux ateliers
L'analyse découlant de l'évaluation thérapeutique nous permet également
d'émettre un certain nombre de remarques concernant le programme d'Education Thérapeutique proposé au Centre Hospitalier de Bar-le-Duc.
- Les ateliers
Le programme comportait 3 ateliers, dont un ciblé sur la mise en pratique.
L'évaluation a permis de mettre en évidence un impact sur le savoir-faire, et non
sur les compétences psycho-sociales. Nous pouvons ainsi supposer qu'un nombre plus important d'ateliers proposant une mise en pratique des stratégies compensatoires, offrirait un entraînement plus soutenu et ainsi une meilleure appropriation de celles-ci. Le programme a été ainsi amendé en 2014 pour proposer
des ateliers supplémentaires avec ces mêmes objectifs.
Le second élément soulevé par cette étude est le manque de connaissances des aidants concernant l'adaptation du discours. En effet, pour faciliter la
compréhension, il est conseillé de mettre en place des adaptations linguistiques :
ne pas utiliser de double négative, préférer des phrases courtes avec une structure morphosyntaxique simple ou encore éviter d'utiliser des adverbes, qui sont
plus difficiles à comprendre. Ces particularités linguistiques pourraient être
abordées durant les ateliers thérapeutiques avec pour visée une meilleure
connaissance des aidants des structures linguistiques à adopter (renforcement de
l’atelier savoir : connaître et identifier les types d’énoncés). En 2014, un renforcement de la mise en pratique concrète de ces procédures a pu être proposé afin
d’amplifier dans les séances la mise en évidence et l’acquisition des compétences métalinguistiques nécessaire à une communication efficace. Nous avons
d’ailleurs observé que cette acquisition doit se faire chez tous les participants
suite au constat commun que la qualité de « bon communicant » n’est pas liée à
la qualité de « locuteur fluent ».
- Le diagnostic éducatif
Le diagnostic éducatif joue un rôle déterminant dans le programme d'ETP. En
effet, il permet de vérifier si les attentes des participants correspondent aux
objectifs du programme. Dans le cas de Mme A2, nous nous sommes rendu
compte que ses objectifs n'étaient pas corrélés avec le contenu des ateliers : ils
concernaient le langage écrit, l'autonomie et la mobilité de sa mère. Ainsi, le
programme n’a pas permis de faire évoluer sa représentation des possibilités
d’évolution et ses objectifs personnels. En revanche, elle souhaitait une amélioration de la communication entre ses parents. Il aurait peut-être été préférable
que l'époux de Mme A1 participe aux ateliers thérapeutiques, mais sa surdité
importante non appareillée lui semblait un obstacle trop important pour une par-
121
ticipation à des séances collectives. Il nous est alors apparu que la participation
d'une tierce personne, indirectement concernée par l'objectif d'amélioration de la
communication, pourrait avoir moins d'impact sur les résultats.
Au cours de l'analyse des résultats, nous avons pu constater que la communication entre Mme A2 et sa mère est efficace. Les informations développées
au cours des ateliers ne leur ont pas été utiles au quotidien. Néanmoins, Mme
A1 a beaucoup apprécié la rencontre avec d'autres personnes confrontées aux
mêmes difficultés. Pour cette participante, le besoin d'échanger prédomine sur
celui d'acquérir des compétences communicationnelles. Par conséquent, l'association peut être une réponse à ses besoins. Il est alors intéressant d'établir une
distinction dès le diagnostic éducatif, entre les personnes qui souhaitent développer des stratégies compensatoires, et celles qui ont essentiellement besoin
d'échanger avec d'autres personnes. Ce point pourrait être ainsi plus approfondi
au cours de l'entretien.
♦ Conclusion
L’évaluation thérapeutique proposée nous a permis de démontrer l’acquisition d’un savoir-faire pour deux participants et l’amélioration de deux aspects
de la qualité de vie (relations sociales, domaine psychologique) chez tous les
bénéficiaires. Enfin, les ateliers thérapeutiques ont répondu en partie à leurs
attentes et ont offert la possibilité d’atteindre plusieurs de leurs objectifs fixés
au préalable. Ainsi, en dépit des limites évoquées un peu plus haut, l’étude permet de mettre en lumière l’impact de l’action d’Education Thérapeutique du
Patient proposé au Centre Hospitalier de Bar-Le-Duc sur la communication et
sur la qualité de vie de certains participants. Enfin l’évaluation (annuelle et quadriennale dans le cadre du processus de labellisation par l’ARS) fait partie intégrante des programmes d’ETP. Elle permet de faire évoluer le design et les
contenus du programme, des ateliers. Nous pensons que l’étape d’évaluation
permet de donner du temps au coordinateur et aux animateurs de revenir sur les
résultats obtenus, et d’enrichir régulièrement les programmes.
La loi « Hôpital Patients Santé et Territoires (HPST) » et ses décrets d'application d'août 2010 ont définitivement inscrit l'ETP dans le parcours de soin
des patients atteints de maladie chronique, tout en veillant à y impliquer leurs
partenaires de communication privilégiés et éviter ainsi l’épuisement des aidants
(Code de la Santé Publique, 2014). L’Education Thérapeutique du Patient
occupe une place prépondérante dans le Plan d’Action National « accidents vasculaires cérébraux 2012-2014 ». Son développement vise l’amélioration de la
122
santé et de la qualité de vie des personnes à risque ou post AVC ainsi que la prévention (récidive de l’AVC). La « formation des aidants familiaux à l’accompagnement du handicap » en fait partie intégrante (Ministère de la Santé et des
Sports, 2010).
En effet, cette approche thérapeutique a la faculté d’être flexible et de se
modeler en fonction du cadre de vie, des expériences et du vécu qu’ont les participants de l’aphasie : les ateliers ont été construits à partir de leurs connaissances et de leurs besoins (diagnostic éducatif), ce qui permet d’offrir une
réponse plus juste. Deux conditions sont néanmoins nécessaires pour permettre
à l’action thérapeutique de s’adapter et de se réajuster continuellement : l’outil
formateur qu’est l’évaluation thérapeutique, qui consiste à « accepter de se
poser les bonnes questions, accepter de remettre en cause sa pratique » (Allart
C., Sudry Le Du C. ; 2003) ; le positionnement du thérapeute, qui place les
savoirs issus des expériences propres des patients sur un même pied d’égalité
que ses apports théoriques et professionnels, rendant ainsi possible la « nécessaire articulation théorie-pratique » (INPES 2005).
De plus, l’Education Thérapeutique du Patient offre à ses participants (y
compris les animateurs) la possibilité d'effectuer une démarche réflexive, en
s'appuyant sur leurs expériences vécues et leur ressenti. Cette approche permet
alors une appropriation des nouvelles compétences et vise la mobilisation de
celles-ci au quotidien. Dans le cadre de cette étude, l’évaluation thérapeutique a
permis de révéler un impact sur la vie quotidienne de ses participants : amélioration de la communication au sein du binôme et avec ses pairs, amélioration de
la qualité de vie de la personne aphasique et de son aidant, atteinte de certains
objectifs concrets et formulation de nouveaux buts. En allant au plus près de
leur vécu, les patients se sentent plus investis et acteurs de leur prise en charge
« dans le but de les aider à maintenir et améliorer leur qualité de vie » (OMS
1996). Cette démarche thérapeutique a ainsi l’avantage d’avoir un effet concret.
Il serait toutefois intéressant de voir l’impact d’un tel programme d’ETP sur le
long terme car de nombreux auteurs déplorent le fait que les connaissances et
compétences acquises s'amenuisent avec le temps (Lacroix A. et Lassal J.-P
2011).
L’Education Thérapeutique du Patient est une orientation thérapeutique,
qui mérite d’être plus largement développée en orthophonie. C’est un outil formateur et riche pour les personnes aphasiques et leurs aidants, mais également
pour les professionnels qui acceptent de remettre en question leur pratique et
leurs représentations. Cela permet de bouleverser le rapport patient/soignant,
délaisser une relation asymétrique pour une relation de partenariat entre un édu-
123
cateur en santé et un sujet. Au cours de cet échange entre les deux partenaires, il
faut « l'écouter vraiment, prendre en compte ce qu'il nous dit puis tricoter avec
lui quelque chose qui ait du sens pour lui et pour nous » (Dr C. Zimmermann,
2009).
REFERENCES
ALLART C. et SUDRY Le DU C. (2003) L'évaluation de l'éducation thérapeutique du patient. Actes de la
XIIIème Journée de l'IPCEM, texte des communications. Disponible sur http://ipcem.org
BARUTEL J. et ROUSSEAU C. (2013) L’ETP destinée au couple aphasique : grille d’aide à l’élaboration du diagnostic éducatif. Mémoire pour l’obtention du certificat de capacité d’orthophoniste,
Nancy : Université de Lorraine
CAMBON, L. (2009) Formation en éducation pour le santé. Repères méthodologiques et pratiques. Evaluation de la formation. Dossiers Santé en action, 102 p. Disponible sur :
http://www.inpes.sante.fr/CFESBases/catalogue/pdf/1263.pdf
Code de la Santé Publique (2014). Loi n°2005-370 du 22 avril 2005, article L 1111-6.
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000020879475&
categorieLien=id
De PARTZ, M-P. (2008) « L'aphasie au quotidien : du déficit au handicap ». Neuropsychologie de la vie
quotidienne, Solal. Coordonné par A.-C. Juillerat Van Der Linden, Aubin G, Le Gall D. et Van
Der Linden M. Paris : Solal, 170 p.
D'IVERNOIS, J-F. & GAGNAYRE, R. (2011) Apprendre à éduquer le patient (4ème édition) Paris :
Maloine, coll. Education du patient, 160 p.
Dr C. ZIMMERMANN, SIMON D., TRAYNARD P.-Y., BOURDILLON F., GAGNAYRE R., GRIMALDI A. (2009) Education thérapeutique. Prévention et maladies chroniques (2ème édition)
Paris : Masson, 307 p.
HAUTE AUTORITE DE SANTE. (2012) Auto-évaluation annuelle d'un programme d'ETP. Guide pour
les coordonnateurs et les équipes. Consulté le 15 février 2013 de :
http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2012-04/etp_auto-evaluationprogramme_2012-04-02_16-39-56_681.pdf
HAS (2010) Programme d'éducation thérapeutique du patient. Disponible sur :
http://www.hassante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/201010/etp_grille_aide_evaluation_au
torisation_programme_ars_web.pdf
ICHE, A., RIVES, C., JOYEUX, N. (2012) Un bilan orthophonique d’approche écosystémique de la problématique aphasique : le PTECCA. Les entretiens de Bichat 2012, 81-94.
INPES et UIPES (2005) Evaluation, mode d'emploi. Dossier documentaire, 96p. Disponible sur :
http://www.iuhpe.org/uploaded/Publications/Books_Reports/eval_inpes.pdf
IPCEM (2003) L'évaluation de l'éducation thérapeutique du patient. Actes de la XIIIème Journée de l'IPCEM, texte des communications. Disponible sur http://ipcem.org
LACROIX A., LASSAL J.-P. (2011) L'éducation thérapeutique des patients. Accompagner les patients
avec une maladie chronique : nouvelles approches (3ème édition) Paris : Maloine, 220 p.
Le DORZE, G. (2012) Obstacles et facilitateurs à la réinsertion sociale après un accident cérébral-vasculaire selon le point de vue des proches et des personnes atteintes d’aphasie. In 2èmes rencontres
scientifiques de la CNSA pour l’autonomie. Paris.
MACHY J. (2009) Maladie d'Alzheimer et métacognition : élaboration d'un questionnaire d'autoévaluation des fonctions cognitives. Mémoire d'orthophonie, faculté de Médecine de Paris, 105 p.
MICHALLET, B. & LEFEBVRE, H. (2005). Recherche interdisciplinaire en réadaptation et traumatisme
craniocérébral, nouvelles perspectives théoriques et cliniques. Montréal : Les Publications du
CRIR.
124
Ministère de la Santé, de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative. « Améliorer la qualité de vie des
personnes atteintes de maladies chroniques 2007-2011 ». Disponible sur :
http://www.sante.gouv.fr/texte-fondateur.html
Ministère de la Santé et des Sports. Ministère du Travail, de la Solidarité et de la Fonction Publique.
Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (2010). Plan d’action national « accidents vasculaires cérébraux 2010-2014 ». Disponible sur :
http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/plan_actions_AVC-17avr2010.pdf
OMS Disponible sur : http://www.who.int/fr/
OMS (1996) Therapeutic Patient Education - Continuing Education Programmes for Health Care Providers in the field of Chronic Disease. Disponible sur : http://www.who.int/fr/
PINEAU, S. (2012). Réalisation et mise à l’épreuve d’un diagnostic éducatif d’Education Thérapeutique
du Patient pour le patient aphasique chronique. Mémoire pour l’obtention du certificat de capacité d’orthophoniste, Nancy : Université de Lorraine
PONZIO J., LAFOND D., DEGIOVANI R., JOANETTE Y. (1991) L'aphasique. Saint-Hyacinthe, Edisem,
284 p.
REQUA (2011) L'éducation thérapeutique du patient. Guide d'aide à la formalisation et/ou au développement de l'ETP. Disponible sur :
http://www.requa.fr/documents/projets/guide-etp-juin-2011 —1315316813.pdf
SOFMER (2011) Eléments pour l’élaboration d’un programme d’Education Thérapeutique spécifique au
patient après AVC « Le patient aphasique et son entourage ». Disponible sur :
http://www.sofmer.com/download/sofmer/ETP_AVC_aphasie.pdf
125
L’implication des aidants dans les programmes
d’éducation thérapeutique
Nathaly Joyeux
Résumé
L’implication des aidants dans les programmes d’éducation thérapeutique permet au proche
du patient de construire et de faire reconnaitre progressivement une nouvelle identité en
tant qu’aidant même si ce terme leur semble très inapproprié. Quelle que soit la forme de la
formation (aide aux aidants ou ETP) l’engagement en formation des aidants est une stratégie qui permet de résoudre les tensions identitaires liées à l’annonce du diagnostic.
Mots clés : aidants, ETP, engagement en formation, identité.
Involving caregivers in therapeutic education programs
Abstract
The involvement of carers in therapeutic education programs helps the patient’s family to
develop a new identity as caregiver and to be gradually recognized as such, although this
term may seem quite inappropriate to them. Regardless of the form of training (guidance to
caregivers or TPE), involvement in caregiver training is a strategy that resolves identity tensions related to the diagnosis.
Key Words : caregivers, TPE, engagement in training, identity.
Rééducation Orthophonique - N° 259 - septembre 2014
127
Nathaly JOYEUX
Master Santé « ETP »
Lurco Eru40
42 boulevard Raspail
84000 Avignon
Courriel : [email protected]
S
i l’éducation thérapeutique confère au malade autonomie et empowerment,
les proches du patient développent également au fil du temps une expertise
dont les soignants doivent tenir compte.
Définis de nos jours par le législateur comme des aidants, les proches du
patient ne se reconnaissent pourtant pas spontanément dans cette dénomination.
Leur engagement en formation sous la forme d’aide aux aidants ou de leur participation à des programmes d’ETP aux côtés du patient est de nature à participer
à la résolution de ce problème identitaire. En orthophonie, l’implication des
aidants dans l’éducation thérapeutique y est tout à fait singulière dès lors que le
programme porte sur la communication.
♦ Aidant : une notion paradoxale
En 2014, quels termes utilise-t-on en France, et dans quel contexte, pour
nommer celui que le dictionnaire Larousse, à l’entrée « aidant » définit comme
« la personne qui s’occupe d’une personne dépendante (âgée, malade ou handicapée) » ?
Selon la Coface (2009) qui œuvre pour sa reconnaissance :
[L’aidant] est la personne non professionnelle qui vient en aide à titre
principal, pour partie ou totalement, à une personne dépendante de son
entourage, pour les activités de la vie quotidienne. Cette aide régulière
peut être prodiguée de façon permanente ou non et peut prendre plusieurs
formes, notamment : nursing, soins, accompagnement à l’éducation et à
la vie sociale, démarches administratives, coordination, vigilance permanente, soutien psychologique, communication, activités domestiques, etc.
De son côté, le législateur propose le terme d’aidant familial dans la loi
n°2003-289 du 31 mars 2003 relative à la prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées et à l’allocation personnalisée d’autonomie (APA).
L’APA donne alors la possibilité au patient de salarier un aidant familial qui ne
doit être ni son conjoint, ni son concubin.
128
Puis les politiques de la dépendance successives permettent de faire
reconnaitre au niveau économique et social ce qu’on appelle désormais le travail
des aidants (Trabut & Weber, 2009). Ainsi la loi du 11 février 2005, sur l’égalité
des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, concerne entre autres l’accompagnement et le soutien des familles et des
proches ainsi que les modalités de formation qui peuvent être dispensés aux
aidants familiaux. La loi du 21 décembre 2006 permet à l’aidant familial salarié
d’obtenir un congé de soutien familial de 3 mois renouvelable dans le cas où
l’un de ses proches présente une perte d’autonomie ou un handicap d’une gravité importante.
Enfin au niveau institutionnel, le guide de l’aidant familial (2009, p11)
reprend, pour définir l’aidant familial, la proposition exacte de la Coface.
La littérature francophone des 20 dernières années propose couramment
les termes d’aidant, aidant familial, aidant naturel ou proche aidant comme au
Canada. Cependant, si on interroge les principaux intéressés, à savoir les aidants
eux-mêmes, ceux-ci rejettent vigoureusement cette dénomination au profit de :
parents, conjoints, enfants, etc. (Joyeux, 2014a). Ils se reconnaissent plus volontiers dans une relation d’accompagnement (Paul, 2004) et revendiquent l’aspect
« naturel » de leur rôle.
Dire qu’aider le membre de sa famille est naturel, ne signifie pas pour
autant que l’aide apportée n’est pas source d’épuisement, de solitude ou de sentiment de manque d’efficacité. Ainsi dans la maladie d’Alzheimer par exemple,
le conjoint se « glisse progressivement dans l’aide absolue et totale » (Ostrowski
& Mietkiewicz, 2013). De son côté, le conjoint de la personne aphasique ressent
fréquemment un sentiment de culpabilité, « se blâmant de ne pas avoir prévu
l’attaque et s’accusant même de négligence pour ne pas l’avoir empêchée. Le
conjoint croit qu’il ne fait pas tout ce qu’il devrait faire pour soulager l’aphasique » (Ponzio, & al.). La rareté du soutien psychologique que ce soit à la
phase aigüe ou à la phase chronique, amène souvent détresse et attitude de déni.
L’aidant estime que la personne aphasique va récupérer sa parole petit à petit et
qu’elle pourra reprendre ses activités habituelles (Joyeux, 2014c).
Il y a donc un enjeu en termes de santé publique à proposer des aides aux
proches des malades. Ainsi, dans le cas de la maladie d’Alzheimer, la HAS
(Haute Autorité de Santé) (2010) propose une psycho-éducation individuelle ou
en groupe, des groupes de soutien avec d’autres aidants, adaptés à leurs besoins,
dépendant entre autres de la sévérité de la maladie d’Alzheimer ou apparentée,
un support téléphonique ou par Internet, des cours de formation sur la maladie
d’Alzheimer ou apparentée, les services, la communication et la résolution des
129
problèmes, une psychothérapie individuelle ou familiale. En effet, malgré le
manque de littérature, une méta-analyse de Brodaty et al. (2003) montre que des
interventions psychosociales intensives prenant en compte la dyade aidant/aidé
permettent de retarder l’entrée du malade neurodégénératif en institution et de
réduire la dépression des aidants (Bloch, 2012).
Selon les maladies chroniques concernées, les aides apportées aux
proches peuvent prendre d’autres formes diverses comme l’aide aux aidants ou
l’éducation thérapeutique par exemple.
♦ L’aide aux aidants
L’aide aux aidants a été facilitée dans le cadre de la loi HPST (2009)
(Hôpital Patients Santé Territoires) depuis qu’est inscrite explicitement dans les
missions de la CNSA (Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie), la formation des aidants familiaux. Cette forme de soutien apportée aux proches des
personnes en situation de handicap ou de perte d’autonomie est en effet financée
dans le cadre de la section IV de son budget. La CNSA a ainsi apporté son soutien à l’association France Alzheimer dans le cadre de deux conventions successives, ainsi qu’à la FNAF (Fédération nationale des aphasiques de France). Un
projet dans le cadre du plan Autisme 2013-2017 est en cours.
En ce qui concerne l’aphasie, le soutien de la CNSA à la FNAF a pris la
forme d’un vaste programme d’information et de formation des aidants en partenariat avec le Collège Français des Orthophonistes (CFO) et la Société Française de Psychologie (SFP) de 2010 à 2011. Celui-ci était décliné en sessions de
sensibilisation (type conférence en soirée) puis en 2 sessions de formation d’une
journée chacune à 3 mois de distance environ. Les premières abordaient les
répercussions du handicap de communication puis les suivantes approfondissaient les problématiques spécifiques des aphasiques en termes de handicap de
communication partagé et de qualité de vie. L’évaluation de cette action s’est
appuyée sur un ensemble de questionnaires sur les connaissances et attentes des
aidants (adaptation pour la circonstance d’un travail antérieur) et d’échelles de
qualité de vie et de communication. Les temps d’administration étaient à chaque
session soit : sensibilisation, jour 1 et jour 2 de formation, à distance : 2 à 3
mois post formation.
L’étude d’impact sur 1500 questionnaires auto-administrés lors de sessions de sensibilisation montre une demande majoritaire (60%) pour des informations sur l’aphasie et le handicap de communication. Le profil moyen de l’aidant est alors celui d’une femme, conjoint de la personne aphasique, âgée de 50
à 70 ans tandis que celui de la personne aphasique est un homme, âgé de plus de
130
60 ans, aphasique depuis 1 à 5 ans. Lors des sessions de formation des questionnaires de connaissances et d’attentes des participants sont soumis aux participants soit 250 lors de la 1ère session, 150 lors de la 2ème session et 75 à distance
soit 3 mois. Ils comportent 30 questions dont 29 fermées. Elles permettent de
recueillir des informations personnelles sur l’aidant et la personne aphasique,
les connaissances théoriques sur l’aphasie, les connaissances théoriques sur la
communication, d’analyser la communication avec la personne aphasique,
d’avoir des notions sur le ressenti puis les attentes et satisfaction par rapport à la
formation. Les participants sondés améliorent leurs connaissances théoriques
sur l’aphasie (60% à J1 puis 95% à distance de la formation), leurs connaissances théoriques sur la communication restent stables (80 à 85%). On met en
évidence une amélioration du ressenti de l’aidant qui se sent plus à l’aise dans la
communication et globalement plus efficace (50 à 75%). La formation semble
avoir répondu aux attentes des participants qui demeurent intéressés par toute
information sur l’aphasie et la communication (50 à 70 %). Dans le même
temps on observe une diminution des demandes d’ « acquisition de techniques
de communication » (70 à 50 %), des demandes d’ « amélioration de la communication avec la personne aphasique » (85 à 30%), des demandes pour « se sentir plus à l’aise et moins épuisé en tant qu’aidant » (50 à 30%) (Joyeux et al.,
2012).
Dans le cas de la maladie d’Alzheimer, un programme de formation a été
expérimenté auprès de 30 aidants familiaux de la région de Montpellier (Coste
& Perrier, 2013). Il s’agissait d’en mesurer l’impact sur la communication, les
connaissances sur la maladie ainsi que le ressenti des aidants. Le protocole de
l’expérimentation proposait un entretien préalable individuel auprès de chaque
dyade aidant/malade afin de recueillir des données initiales sur les connaissances de la maladie, l’évaluation de la communication du malade et de son
comportement, l’évaluation de qualité de vie de l’aidant. Puis deux sessions de
formation de groupe étaient organisées, suivies d’un entretien final individuel à
l’identique de la phase initiale afin d’évaluer l’impact de la formation. L’analyse
statistique des données avant/après, recueillies auprès des couples
aidants/malade, mettait en évidence une amélioration significative de la qualité
de l’analyse de l’aidant par rapport à sa communication avec le malade Alzheimer, ainsi que celle des connaissances des aidants sur la communication. En
revanche, aucun effet positif n’était noté concernant la qualité de vie de l’aidant
et de la personne malade. Par ailleurs, le taux de satisfaction était significatif.
L’amélioration significative des connaissances des aidants et, partiellement, leur
analyse de la communication, le fort taux de satisfaction ont suggéré de développer les actions d’information et de formation des aidants des malades Alzhei-
131
mer sur la communication et l’approche écosystémique (Rousseau, 2011). Les
auteurs concluent que leur recherche, dans une démarche novatrice, visait à
impliquer et rendre expert l’entourage. Il leur apparaissait donc envisageable
d’étendre la formation à la personne malade elle-même dans un projet d’éducation thérapeutique.
♦ La place des aidants dans les programmes d’éducation thérapeutique
Selon les guides de recommandation de la HAS parus en 2007, les proches des
patients sont des partenaires possibles des programmes d’ETP. Ainsi :
« Les proches (parents d’enfants ayant une maladie chronique, conjoint ou
compagnon, fratrie, enfants de parents malades, personne de confiance,
etc.) peuvent être associés à la démarche d’ETP, s’ils le souhaitent.
Ils peuvent être concernés par l’acquisition de compétences d’autosoins
et d’adaptation, si le patient souhaite les impliquer dans l’aide à la gestion de sa maladie. Ils peuvent avoir besoin d’être soutenus dans l’acquisition de compétences et dans leur motivation.
Sont concernés également les professionnels et les aidants qui prennent
soin des personnes âgées et dépendantes ou en situation de handicap
moteur, sensoriel ou mental, dans les établissements médico-sociaux ou à
domicile.
A la demande des parents, les compétences acquises dans le cadre de
l’ETP par l’enfant peuvent être portées à la connaissance des enseignants, et écrites dans un projet d’accueil individualisé (PAI). Il en est de
même pour les personnels d’encadrement du temps périscolaire et de la
restauration scolaire » (HAS, 2007, p12).
Plus loin, au moment de décrire leur rôle, la HAS reconnait une expertise aux
patients et aux associations :
« Les patients individuellement ou leurs associations, sont sollicitées
dans les phases de conception, de mise en œuvre et d’évaluation d’un
programme d’ETP spécifique à une ou des pathologies chroniques.
L’intervention de patients dans les séances collectives d’éducation thérapeutique peut être complémentaire de l’intervention des professionnels de
santé. Elle contribue à la démarche éducative par :
- Un partage d’expérience de la maladie ou des traitements
- Un relais des messages délivrés par les professionnels de santé
- Un échange sur les préoccupations quotidiennes, la résolution de
problèmes et les ressources disponibles.
132
Les associations de patients peuvent participer activement à l’ETP, afin
d’informer, d’orienter, d’aider, de soutenir le patient et ses proches »
(HAS, 2007, p17).
C’est dans ce cadre, impliquant le proche de la personne aphasique, qu’a
été expérimentée à Avignon, en 2011-2012, une action d’éducation thérapeutique
dite « hors les murs » (Malisani & Valla, 2012) sur la communication à destination des personnes devenues aphasiques après un AVC et de leurs aidants.
L’éducation thérapeutique permet au patient d’acquérir des connaissances
sur sa maladie mais aussi un certain nombre de savoir-faire (ou techniques dites
d’autosoins) et de connaissances de soi en tant que malade chronique. Elle comporte des « actions d’accompagnement […] [ayant] pour objet d’apporter une
assistance et un soutien aux malades, ou à leur entourage», les amenant ainsi à
devenir « experts de leur maladie » (Lacroix & Assal, 2013). En effet l’expérience du vécu de la maladie par le patient lui confère une expertise propre dont
la reconnaissance s’exerce en particulier lors de la diffusion de « savoirs autodirigés » (Flora, 2013) (Jouet et al, 2010).
Le programme d’ETP a été conçu par l’équipe du Lurco-Eru40 comme la
poursuite de l’action de formation des aidants des personnes aphasiques, proposée dans le cadre du plan gouvernemental sur l’AVC, par la FNAF, le CFO (Collège Français d’Orthophonie) et la SFP (Société Française de Psychologie). Les
thématiques développées lors de ces journées de formation concernaient l’aphasie et la notion de handicap de communication partagé (Le Dorze & Brassard,
1995). L’étude d’impact réalisée avait montré l’intérêt de s’adresser également à
la personne aphasique (Joyeux et al, 2012).
Elaboré selon les recommandations de la HAS (2007) et celle de la SOFMER (2011), le programme a été porté par l’association des aphasiques de Vaucluse en s’adressant à la dyade personne aphasique/aidant (condition d’inclusion). En effet conformément aux recommandations de la SOFMER, les
objectifs recherchés étaient : la diminution du handicap de communication,
l’amélioration de la communication de la personne aphasique et de son aidant,
l’allègement du fardeau de l’aidant familial et l’amélioration de la qualité de vie
de la personne aphasique.
Une réunion publique de l’association des aphasiques de Vaucluse permit
de présenter le projet. Celui-ci fut également diffusé par les orthophonistes du
département. Ainsi dix dyades (aphasique/conjoint) furent incluses à partir d’un
entretien initial comprenant le diagnostic éducatif. Les objectifs et les attentes
de chaque participant furent précisés lors d’un entretien libre complété de questionnaires de communication et de qualité de vie ainsi que d’un repérage des
133
connaissances sur l’aphasie et la communication. Une analyse objective de la
communication fut pratiquée à l’aide du PTECCA (Protocole toulousain d'évaluation de la communication du couple aphasique).
Afin de compléter le tableau de compétences/objectifs des recommandations de la SOFMER (2011), les compétences d’adaptation requises pour l’ETP
en général et décrites par D’Ivernois et Gagnayre (2011) ont été adaptées dans
le tableau suivant :
Tableau 1 : Compétences spécifiques à l’ETP pour l’aphasie (Malisani & Valla,
2012)
134
Par la suite six sessions d’éducation furent proposées, d’une durée de 2
heures environ espacées de 2 à 3 semaines. De nombreux documents explicatifs
sur l’aphasie et la communication furent présentés puis remis aux participants
en particulier le DVD « Je reparlerai ». Le matériel pédagogique et d’animation
fut construit de façon spécifique afin de soutenir l’entrainement de la communication et son observation.
Au cours du déroulement de l’action, des questionnaires de satisfaction
systématiques à chaque session ont permis de réajuster les propos et le matériel
destiné à chaque participant.
Enfin un entretien post-formation permit d’évaluer l’impact de la formation en termes d’amélioration des connaissances, d’amélioration de l’efficience
de la communication et de qualité de vie.
Les sessions d’éducation abordaient les thèmes suivants :
- Session 1 : notions sur l’aphasie, le langage, la communication et handicap partagé
- Session 2 (avec un psychologue) : notions de fardeau pour les aidants
familiaux et de qualité de vie pour les aphasiques
- Sessions 3 et 4 : aides et stratégies pour améliorer la communication en
alternant théorie et mises en situation
- Session 5 : associations d’aphasiques, législation et première synthèse de
l'action
- Session 6 (suivi) : observation de situations de communication et synthèse
définitive.
Se distinguant de la rééducation orthophonique, la formation proposée à
ce groupe de 20 personnes (aidants et aphasiques) visait à leur faire acquérir des
notions nouvelles et supposait un contrôle de leurs acquisitions. Alternant présentations théoriques et mises en situation en groupe, le programme d’éducation
thérapeutique rencontra un grand intérêt auprès des participants qui en soulignèrent l’importance des échanges et des changements comportementaux induits.
En effet l’action d’éducation thérapeutique proposée aux dyades aphasique/
conjoint leur a permis de mieux appréhender la communication et de trouver des
solutions pour diminuer le handicap de communication partagé.
On observa alors une amélioration de l’efficacité de la communication de
l’aphasique avec une augmentation du recours aux différents canaux de communication (gestes, etc.), une augmentation du nombre d’actes de communication
appropriés et une amélioration de la communication au sein de la dyade en
général.
135
♦ L’engagement en formation des aidants
Deux ans après l’expérience d’Avignon, quatre conjoints ont été enquêtés
afin de comprendre l’impact de leur participation et d’analyser leur engagement
en formation (Joyeux, 2014b).
Les éléments narratifs de leurs récits de vie mettent en évidence que l’engagement en formation, ici une expérimentation de programme d’éducation thérapeutique, leur a permis de résoudre des tensions identitaires liées au nouveau
rôle qui leur est dévolu après l’annonce du diagnostic. Ainsi l’éducation thérapeutique, pratiquée en groupe conjoint/aphasique, leur a permis de se resocialiser quand l’aphasie et le handicap de communication qui en résulte les en avait
empêché.
La particularité de l’éducation thérapeutique pour les aphasiques est de porter
sur la communication. L’aidant partenaire de la communication de l’aphasique
est tout autant handicapé que l’aphasique lui-même. L’éducation thérapeutique
s’adresse donc également à l’aidant et celui-ci est destinataire de la formation de
la même façon que le malade.
L’analyse des récits des aidants et le recours à un modèle des composantes de la dynamique identitaire (Kaddouri, 2006) montrent que leur engagement en formation peut être en lien avec des motifs identitaires variables.
Tableau 2 : Schéma opérationnel de la dynamique identitaire des participants
136
Ainsi, dans le cas d’une des participantes les plus jeunes de l’enquête,
toujours en activité professionnelle, celle-ci pense que la formation va lui permettre d’améliorer son aide, de mieux définir l’aide qu’elle apporte au malade
aphasique et ainsi la faire reconnaître en tant qu’aidante d’une personne aphasique. Elle s’engage donc avec un « projet de soi vers soi ».
Dans les trois autres cas c’est la personne aphasique qui va s’engager en
formation et se fera accompagner par l’aidant. Il peut y avoir alors plusieurs cas
de figures :
- Dans un premier cas, l’aidant adhère totalement au projet et s’y implique
également. Dans ce cas le type d’engagement est plutôt de l’ordre du
« projet de soi à destination d’autrui ». L’aidant modifie ce qu’il est afin
de répondre à la sollicitation du malade. Il se peut que cela soit facilité par
le fait que la thématique de l’aide en général soit déjà dans ses ressources
identitaires.
- Dans un second cas de figure, l’aidant y consent malgré lui mais en fonction de ce qu’il se représente du projet d’autrui sur lui. Dans notre échantillon, cela est facilité par le fait que la thématique de l’aide était déjà présente chez le malade et qu’elle a été adoptée en miroir par l’aidant.
En effet, l’un des étonnements de cette étude est la présence de la thématique de l’aide dans le parcours de vie de l’aidant ou de la personne aidée.
Cette dimension du « care » parait devoir être prise en compte lorsqu’une
proposition d’éducation thérapeutique est proposée au patient et à son aidant.
On suppose même que la repérer lors de la phase du bilan éducatif partagé permettrait de s’assurer que la proposition d’ETP est bien formulée à la bonne personne aidé et/ou aidant et en garantirait l’efficacité lors de l’évaluation finale.
♦ Conclusion
Afin de répondre à la demande légitime des patients d’une plus grande
autonomie, de nouvelles solidarités familiales se mettent en place, sollicitant
l’aide du conjoint (AVC), des enfants (maladie d’Alzheimer) ou des grands
parents (diabète des petits-enfants).
Les programmes d’éducation thérapeutique proposés doivent être adaptés
non seulement au patient, à ses symptômes, à son état cognitif, mais aussi aux
aidants, particulièrement impliqués dans la gestion des séquelles et dans le
maintien à domicile (Daviet et al., 2012). De manière innovante, ils doivent
tenir compte aussi bien de l’expertise du patient que de celle de l’aidant (Boudier, 2013).
137
Souhaitons que la dixième préconisation du Conseil de la CNSA trouve
une large audience et soit la source de nombreuses publications, à ce jour trop
rares : « Donner la parole aux aidants, reconnaître leur « expertise de l’expérience » et faire d’eux des partenaires des professionnels ».
REFERENCES
BLOCH, M.A. (2012). Les aidants et l'émergence d'un nouveau champ de recherche interdisciplinaire. Vie
sociale, 4, 11-29.
BOUDIER, F. (2013). L'émergence du patient-expert : une perturbation innovante. Innovations, 39, 3, 13-25.
BRODATY, H., GREEN, A., KOSCHERA, A. (2003). Meta-analysis of psychosocial interventions for
caregivers of people with dementia. Journal of the American Geriatrics Society, 51, 5, 657-64.
COFACE-Handicap. Charte européenne de l’aidant familial. 2009. Repéré à http://www.cofaceeu.org/fr/Publications/Charte-Aidant-familial.
COSTE, S., PERRIER, N. (2013). Elaboration d’un programme de formation des aidants familiaux sur
les troubles de communication dans la maladie d’Alzheimer. Mémoire pour l’obtention du certificat de capacité d’orthophoniste non publié, Montpellier : Université Montpellier 1.
DAVIET, J.-C., BONAN, I., CAIRE, J.M., COLLE, F., DAMAMME, L., FROGER, J., LEBLOND, C.,
LEGER, A., MULLER, F., SIMON, O., THIEBAUT, M., YELNICK, A. (2012). Therapeutic
patient education for strock survivors : Non-pharmacological management. A literature review.
Annals of Physical and Rehabilitation Medicine, 55, 641-656.
D'IVERNOIS, J.-F., GAGNAYRE, R., groupe de travail IPCEM (2011). Compétences d’adaptation à la
maladie du patient : une proposition. Educ Ther Patient/Ther Patient Educ 3(2), S201-S205.
FLORA, L. (2013). Savoirs expérientiels des malades, pratiques collaboratives avec les professionnels de
santé : état des lieux. Education Permanente, 2, 195,59-72.
HAUTE AUTORITE DE SANTE (2010). Maladie d’Alzheimer et maladies apparentées : suivi médical
des aidants naturels. Saint-Denis-La-Plaine : HAS.
HAUTE AUTORITE DE SANTE (2007a). Structuration d’un programme d’éducation thérapeutique du
patient dans le champ des maladies chroniques. Saint-Denis-La-Plaine : HAS.
JOUET, E., FLORA, L., Las VERGNAS, O. (2010). Construction et reconnaissance des savoirs expérientiels des patients. Note de synthèse. Pratiques de formation-analyses, 58-59, 13-94.
JOYEUX, N. (2014a). Petites scènes capitales de l’engagement en formation : le cas du conjoint de
l’aphasique. Mémoire pour l’obtention du Master Santé « Education thérapeutique du patient »
non publié, Paris : Université Pierre et Marie Curie.
JOYEUX, N. (2014b). L’engagement en formation des aidants des personnes aphasiques. Annals of Physical and Rehabilitation Medicine, 57, S1, e64.
JOYEUX, N. (2014c). L’aide aux aidants auprès des personnes aphasiques. Dans : Mazaux, J.M, de Boissezon, X., Pradat-Diehl, P., Brun, V., dir. Communiquer malgré l’aphasie (pp167-173). Montpellier : Sauramps-Médical.
JOYEUX, N., RIVES, C., KERLAN, M. (2012). Étude d’impact d’un programme de formation sur la
communication auprès des aidants familiaux des personnes aphasiques (résultats), Annals of physical and rehabilitation medicine,54, e212-3.
KADDOURI, M. (2006). Dynamiques identitaires et rapports à la formation. Dans J.M. Barbier, E. Bourgeois, G. de Villers et M. Kaddouri (dir.), Constructions identitaires et mobilisation des sujets en
formation (p. 121-146). Paris : L’Harmattan.
LACROIX, A., ASSAL, J.P. (2013). Entretien : L’éducation thérapeutique : il fallait bien commencer…
Education Permanente, 2, 195,11-24.
138
Le DORZE, G., BRASSARD, C. (1995). A description of the consequences of aphasia on aphasic persons
and relatives and friends, based on the WHO model of chronic diseases. Aphasiology, 9, 239-55.
MALISANI, A., VALLA, E. (2012). Elaboration d’une action d’éducation thérapeutique sur la communication destinée à la personne aphasique et à son aidant familial principal : étude pilote.
Mémoire pour l’obtention du certificat de capacité d’orthophoniste non publié, Lyon : Université
Claude Bernard Lyon 1.
Ministère du Travail, des Relations sociales, de la Famille, de la Solidarité et de la Ville (2009). Guide de
l’aidant familial (2ème édition). Paris : La Documentation française.
OSTROWSKI, M., MIETKIEWICZ, M.C. (2013). Du conjoint à l'aidant : l'accompagnement dans la
maladie d'Alzheimer, Bulletin de psychologie, 525, 195-207. URL : www.cairn.info/revue-bulletin-de-psychologie-2013-3-page-195.htm. DOI : 10.3917/bupsy.525.0195
PAUL, M. (2004). L’accompagnement : une posture professionnelle spécifique. Paris : L’Harmattan.
PONZIO, J., LAFOND, D., DEGIOVANI, R., JOANETTE, Y. (1991). L’aphasique. St-Hyacinthe : Edisem.
SOFMER (2011). Eléments pour l’élaboration d’un programme d’éducation thérapeutique spécifique au
patient après AVC. « Le patient aphasique et son entourage ». SOFMER (Société Française de
Médecine Physique et de Réadaptation) et SFNV (Société Française Neuro-Vasculaire).
ROUSSEAU, T. (2011). Maladie d’Alzheimer et troubles de la communication. Issy-les-Moulineaux :
Elsevier Masson.
TRABUT, L., WEBER, F. (2009). Comment rendre visible le travail des aidants ? Le cas des politiques de
la dépendance en France. Idées économiques et sociales, 158, 13-22.
139
Éducation Thérapeutique du Patient
dysphagique : état des lieux et propositions
Ariane Létumier, Caroline Helly
Résumé
Dans le cadre d'une formation universitaire (Diplôme Inter-Universitaire Déglutition), nous
nous sommes intéressées à l'éducation thérapeutique du patient dysphagique. Les troubles
de la déglutition représentent en effet une séquelle invalidante de pathologies neurologiques
aigües ou chroniques, telles que les accidents vasculaires cérébraux et les maladies neurodégénératives. Notre pratique nous a conduit à nous intéresser plus particulièrement à la
patientèle que nous suivons, adulte et gériatrique.
L’Éducation Thérapeutique du Patient dysphagique apparaît comme complémentaire de la
rééducation orthophonique habituelle, en plaçant le patient au cœur de sa prise en charge,
en le responsabilisant, en lui proposant des outils éducatifs spécifiques et en validant ses
acquis de façon écologique. En approfondissant nos recherches et en contactant les professionnels utilisant déjà cette pratique, nous avons élaboré un programme d'ETP susceptible
d’être proposé aux patients dysphagiques dans nos services de MPR, SSR et gériatrie.
Mots clés : Éducation Thérapeutique du Patient, maladie chronique, trouble de déglutition,
dysphagie, ressources éducatives, pédagogie active.
Therapeutic Education of Patients with swallowing disorders: state of
the art and suggestions
Abstract
As part of a University-based Professional Training Program on swallowing disorders, we
became interested in the therapeutic education of individuals suffering from dysphagia.
Swallowing disorders are indeed very disabling sequelae that result from acute or chronic
neurological diseases such as strokes and neurodegenerative diseases. Our practice led us
to develop a specific focus on adult and geriatric patients.
Therapeutic Education with patients suffering from dysphagia appears to complement traditional speech therapy by placing patients at the heart of their management process, making
them more responsible for their care, offering them specific educational tools and assessing
their gains in an ecological manner. By expanding our research and contacting professionals
already using TPE, we developed a program specifically designed for patients with dysphagia.
Key Words : Therapeutic Patient Education, chronic disease, swallowing disorders, dysphagia, educational resources, active education.
Rééducation Orthophonique - N° 259 - septembre 2014
141
Ariane LÉTUMIER
Orthophoniste
92160 Antony
Courriel : [email protected]
Caroline HELLY
Orthophoniste
MPR - L’hôpital du Gier et SSR - Centre
Hospitalier Givors
Correspondance : Hôpital du Gier
Service de Médecine Physique et
Réadaptation
62 rue Léon Marrel
42800 Rive de Gier
Courriel : [email protected]
A
fin de parfaire nos connaissances dans la prise en charge de patients dysphagiques, nous avons participé à la formation « Diplôme Inter
Universitaire - déglutition » proposée conjointement par les universités
de Montpellier et Toulouse en 20131.
C’est dans ce cadre que nous avons découvert l’Éducation Thérapeutique
du Patient (ETP) et choisi de nous intéresser plus particulièrement aux programmes dédiés au sujet dysphagique.
Dans notre pratique quotidienne, nous nous trouvons souvent confrontées
aux limites du suivi orthophonique. Parmi celles-ci, citons notamment : l’aspect
artificiel des séances de rééducation, l’implication délicate de l’entourage, la
non-identification des besoins propres du patient au moment de l’hospitalisation.
L’émergence de groupes à visée éducative (« école du dos », « comment
vivre avec une prothèse de hanche, de genou »), les mises en situation (par
exemple, la cuisine thérapeutique) ainsi que l’éducation des aidants (apprentissage des transferts) illustrent ce développement de la pédagogie active et de
l’auto-soin.
Les bénéfices sont immédiats : l'évaluation devient plus fonctionnelle, la
prise de conscience du handicap permet une adaptation écologique ainsi qu’un
ajustement constructif de la rééducation.
1. http://du.med.univ-montp1.fr/fmc/diu-deglutition-40.html
142
L’éducation, apprentissage premier, s’envisage désormais à visée thérapeutique. En effet, L’ETP vient valider et si besoin compléter les apprentissages
premiers fournis par la rééducation orthophonique préalable. En faisant suite à
celle-ci, elle permet de juger de l’imprégnation du sujet.
L’ETP est une démarche pédagogique complémentaire de la rééducation
orthophonique sans se substituer à elle. Il s'agit de partir des propres représentations du patient des difficultés qu'il présente concernant son alimentation et l'environnement de ses repas, et de proposer des ajustements en lien avec son projet
de vie, selon des modalités pédagogiques particulières.
Nos recherches ont ciblé les étiologies neurologiques chez l’adulte et les
personnes âgées (patientèle que nous avons en charge).
Les troubles de la déglutition représentent en effet une des séquelles fortement invalidantes de ces pathologies chroniques ou aiguës (accident vasculaire
cérébral, sclérose en plaques, sclérose latérale amyotrophique, maladie de Parkinson) et représentent un risque vital : pneumopathies d'inhalation, obstruction
des voies aéro-digestives, dénutrition. D’autres conséquences psychologiques et
sociales sont moins « visibles » (repli sur soi, isolement lors des repas).
♦ L'Education Thérapeutique du Patient Dysphagique : notre programme
Dans l'optique de pouvoir prochainement intégrer l'ETP dans notre pratique, nous travaillons à la mise en place d'un programme destiné aux patients
dysphagiques chroniques.
Précisons que notre projet ETP nécessite une intervention pluridisciplinaire (médecin, orthophoniste, ergothérapeute, diététicien, kinésithérapeute,
aide-soignant, etc) autour du patient.
L'objectif sera d'identifier les besoins éducatifs du patient, de définir ses
compétences d'auto-soins, et de valider les acquis au fur et à mesure du Programme Personnalisé, par le biais de questionnaires d'auto-évaluation. Le principe même de l'ETP repose en effet sur ce principe de pédagogie constructive
dans laquelle il est question d'évaluation et d'auto-évaluation constante.
Ce programme se déroulerait suivant les étapes détaillées ci-dessous :
- Le Diagnostic Educatif (DE) s’élabore en présence du patient, du médecin et
de l’orthophoniste, ou d'un autre professionnel de santé, lors d’un entretien individuel. L'aidant naturel peut être sollicité si le patient n'est pas en mesure de
participer activement au programme (notamment dans le cadre de démence
avancée et/ou de difficultés de parole/langage).
143
Ainsi, nous pensons retravailler à partir d'un diagnostic éducatif (DE)
déjà proposé en service de Médecine Physique et Réadaptation à Bar-le-Duc
(Brin-Henry, 2009), dans lequel il s’agit de partir des connaissances et représentations du patient. Ce DE, intitulé « Bien avaler », s'intéresse aux conditions de
vie du patient, à la définition propre de ses difficultés et de ses stratégies
d’adaptation. « Comment mangez-vous ? » et « Comment les troubles de la
déglutition modifient-ils votre vie ? ».
La visite à domicile apparaît comme une étape-clé de ce diagnostic éducatif, dans lequel seront identifiés les besoins éducatifs du patient. Il s'agit de
définir les bénéfices acquis de sa rééducation, mais également de déterminer les
contraintes, si elles existent, auxquelles il se trouve confronté.
Cette visite permet à l'orthophoniste d'assister aux repas du patient dans
des conditions réelles, afin de vérifier la validation des connaissances et le cas
échéant de mieux cerner les besoins.
Le patient est amené à formuler où se trouvent ses limitations et quels
sont ses projets.
Citons l’exemple de M. X, victime d’un AVC du tronc cérébral, qui
retourne à domicile après un séjour de 6 mois en service MPR. La reprise alimentaire reste perturbée et les risques, compte tenu de la mauvaise progression
du bol alimentaire (perte de motricité pharyngée) sont importants. Une double
déglutition et un hemmage systématique sont nécessaires, ce qui le met souvent
mal à l’aise face au regard des autres convives.
Les objectifs qu’il définit lors de son PP sont une optimisation de son
confort et de son plaisir lors de ses sorties (dîner chez des amis, barbecue, restaurant…). Ses besoins relèvent de la réactivation de connaissances (choix des
textures adaptées) et de savoir-faire (posture, préparation des repas…).
- A l'issue de cette première étape, s'élabore le programme personnalisé (PP),
qui cible les objectifs en fonction des besoins du patient mais aussi de ses possibilités éducatives.
Le patient est invité à participer aux ateliers choisis en fonction des objectifs fixés par le DE. Le conjoint ou l’aidant est sollicité pour y assister également.
Les séances collectives permettront à chacun de cibler ses difficultés propres, mais aussi d'échanger avec les autres participants et de mettre en commun
les compétences acquises et les situations auxquelles ils sont confrontés.
Selon les besoins, une formation individuelle peut être proposée au cours
de laquelle les spécificités personnelles sont travaillées. Par exemple, dans les
144
cas de paralysies faciales massives ou de SLA, il est souvent plus facile de travailler de façon individuelle en raison des spécificités de chaque participant et
de la fatigabilité inhérente à la maladie.
L’agenda est planifié en spécifiant les dates d'intervention, de réunions,
les lieux (à l'hôpital, à domicile, en accueil de jour, …) et les intervenants.
Nous envisageons 3 types d’ateliers :
1- « Et si on mangeait ? » :
Autour d’une table ronde, chaque participant est invité à décrire ses difficultés avec ses propres mots : blocage, fuite, gêne…puis à commenter des
planches d’anatomie simplifiées ou encore des vidéoradioscopies.
Les patients peuvent décrire les fausses routes, les imiter. Cet atelier
est aussi l'occasion pour les patients de montrer leurs compétences acquises
pour les gestes d’urgence et les gestes techniques. Il s'agit ici d'effectuer la
manœuvre de Heimlich, et/ou de montrer le protocole à suivre en cas d'alimentation entérale par exemple. Ainsi, des rectifications peuvent être apportées si nécessaire.
2- « Mettons la table » :
Dans une pièce disposant de tout le matériel nécessaire, les patients sont
amenés à choisir leurs propres outils et à s’installer de la façon la plus adaptée.
Chacun doit expliciter ses choix.
Il s’agit de valider des savoir-faire ou bien de corriger des utilisations
erronées, par exemple la préparation de la boisson épaissie, la bonne tenue du
verre tronqué...
3- « A table ! » :
Les patients sont invités à choisir les aliments dans un frigo et à expliciter
leurs choix; puis ils passent à table.
Il s’agit ici de valider l'appropriation de données permettant au patient
d'améliorer sa qualité de vie.
Tous les éléments évoqués sont consignés dans une fiche synthétique personnalisée, actualisée au fur et à mesure de l’avancée du programme. Il s’agit
d’un outil propre à chaque patient, qui lui permet, ainsi qu'à son entourage, de
voir l'évolution de ses compétences d'auto-soins (procédure obligatoire dans le
cadre de l'ETP et faisant partie intégrante du dossier du patient).
- Enfin, la dernière étape de ce programme réside dans l'évaluation
finale des connaissances et des compétences acquises et se fait à l’aide d’un
questionnaire d’auto-évaluation.
145
Il est question ici du regard du patient sur ses propres capacités, ses compétences d'auto-soins, son autonomie.
En fonction des résultats de cette évaluation, une nouvelle session d'ETP
pourra éventuellement être proposée si les objectifs n’ont pas été atteints.
♦ Conclusion
L'ETP est un outil méthodologique et pédagogique bien adapté aux personnes présentant des dysphagies chroniques.
Bien que coûteux en termes d’organisation et d'investissement des professionnels de santé, du patient et de son entourage, les bénéfices semblent tels
qu’il apparaît comme un virage incontournable dans la prise en charge des troubles de déglutition, en complément de la prise en charge orthophonique habituelle.
En effet, l'ETP permet la responsabilisation du patient face à ses troubles
au quotidien par une imprégnation pratique, la validation des acquis et également l'implication de l’aidant.
REFERENCES
BRIN-HENRY F. (IPCEM 2009) Éducation thérapeutique du patient et troubles de la déglutition en service MPR, janvier-août 2009. Rapport d’expérience professionnelle
Coll. SOFMER (Mars 2011) Eléments pour l’élaboration d’un programme d’Education Thérapeutique
spécifique au patient après AVC - « Troubles de la déglutition »
SCHWEIZER V. (2010), Revue Médicale Suisse, Troubles de la déglutition de la personne âgée
ALLEPAERTS S., DELCOURT S., PETERMANS J. (2008), Revue Médicale de Liège, Les troubles de la
déglutition du sujet âgé : un problème trop souvent sous-estimé
WOISARD V., SORIANO G. (Mars 2012) De la théorie à la pratique : Education thérapeutique et troubles
de la déglutition, Santé Education
SOINS (2012), L'Education Thérapeutique du Patient, Elsevier Masson
146
De la conception à la labellisation d’ateliers thérapeutiques pour adolescents dyslexiques
Françoise Garcia
Résumé
L’intervention orthophonique auprès d’adolescents dyslexiques est parfois complexe du fait
des particularités liées à leur âge, à leur investissement et à leur besoin d’autonomie. Il est
alors nécessaire que nous leur proposions des modalités d’intervention orthophonique innovantes, répondant à leurs attentes. La loi Hôpital, Patient, Santé et Territoire (2009) en donnant un cadre législatif à l’Education Thérapeutique du Patient (ETP) permet aux professionnels de santé de proposer des programmes adaptés aux besoins de leurs patients. C’est
ainsi qu’il nous est apparu intéressant d’élaborer un programme d’ETP destiné aux adolescents dyslexiques en nous appuyant sur un réseau de coordinations de soins, le réseau NormanDys et sur le département d’orthophonie de Caen pour en étudier certains aspects.
Mots clés : dyslexie, adolescents, éducation thérapeutique, compréhension de consignes
scolaires, autonomie, savoir-faire.
From the conceptualization to the certification of therapeutic workshops for dyslexic adolescents
Abstract
Speech and Language therapy (SLT) for adolescents with dyslexia is sometimes complicated
by specific features related to their age, their motivation and need for more autonomy. It is
therefore necessary to introduce innovative SLT methods in accordance with adolescents’
expectations. The French law HPST (“Hospital, Patient, Health and Territory”, 2009) provided
a legal framework for Therapeutic Patient Education (TPE) programmes, enabling health professionals to design programmes that are adapted to their patients’ needs. This encouraged
us to develop a TPE program designed for dyslexic adolescents, with the help and support of
the NormanDys network and the SLT training centre (Caen University) for the study of some
of its aspects.
Key Words : dyslexia, adolescents, therapeutic patient education, classroom instructions,
autonomy, know-how.
Rééducation Orthophonique - N° 259 - septembre 2014
147
Françoise GARCIA
Orthophoniste
Présidente de l'Association Normande pour
la Prévention en Orthophonie
Vice-Présidente Prévention FNO
12 rue Henri Besnard
61300 L'Aigle
Courriel : [email protected]
♦ L’intervention orthophonique dans le cadre des troubles spécifiques
du langage écrit
L
orsqu’au terme d’une démarche d’évaluation orthophonique, nous restituons à l’enfant et à sa famille le résultat de nos observations ainsi que les
étapes de notre projet thérapeutique, nous savons que bon nombre des
informations données n’entraîne pas toute la compréhension que nous aimerions
transmettre. Il est régulièrement souhaitable d’échanger avec l’enfant et sa
famille pour ajuster, non seulement les axes de notre intervention, mais surtout
les représentations des compétences et des difficultés que nous évoquons.
Chacun d’entre nous choisit, à sa façon, d’illustrer son propos de schémas, cartes
heuristiques, croquis ou métaphores qui ponctueront les termes scientifiques et le
langage professionnel utilisés. Néanmoins, alors même que cette démarche d’information est inscrite dans notre décret de compétences1: « la rééducation orthophonique s’accompagne tant que de besoin de conseils à la famille », nous rencontrons régulièrement des questionnements auxquels nous pensions avoir donné
des réponses et le besoin d’information est une des demandes principales des
familles dans le cadre des Troubles Spécifiques du Langage et des
Apprentissages (TSLA).
Parallèlement, nous savons les bienfaits de la bonne connaissance des
fonctionnements cognitifs de l’enfant par lui-même et son entourage dans
l’adaptation des attitudes d’aide et la compréhension de ses réussites ou erreurs.
Nous connaissons également l’influence environnementale et les modifications
liées à l’évolution personnelle.
C’est ainsi qu’il nous a semblé pertinent de nous intéresser à l’adolescent
dyslexique dont la pensée évolue, qui peut raisonner de façon déductive, en
posant des hypothèses et en raisonnant dans l'abstrait. Cet adolescent qui se
1. Décret N°2002-721 du 2 mai 2002 relatif aux actes professionnels et à l’exercice de la profession d’orthophoniste
148
modifie sur le plan psychologique avec, sur le plan de l’affirmation de soi, le
besoin d’identification à ses pairs, tout en revendiquant ses particularités, dans
cette ambivalence d’être « parmi » et « en dehors », en même temps.
Qu’en est-il de l’intervention orthophonique à cet âge où elle se poursuit
parfois depuis plusieurs années ? Qu’en est-il des modalités de cette prise en
charge ? Comment en envisager l’arrêt, sur quels critères ?
Toutes ces questions n’attendent bien évidemment pas une réponse
unique et uniforme et celle que nous allons illustrer dans ce propos a émergé
d’observations cliniques, d’opportunités variées et surtout, de la prise en charge
orthophonique de 6 adolescents dyslexiques, au sein d’un groupe proposé de
façon bimensuelle. Les séances qui leur étaient proposées se déroulaient en
débutant par un recueil de dires, destiné à évaluer leur connaissance de leurs
fonctionnements sur le plan des apprentissages et leur permettre d’échanger sur
les moments où ils avaient pu mettre en œuvre les contenus travaillés en groupe.
Au cours de ces séances, il paraissait évident que les adolescents se questionnaient au-delà du simple cadre orthophonique. Ils semblaient en attente de
réponses plurielles.
♦ Un contexte régional
Créée en 1997, l’Association Normande pour la Prévention en Orthophonie développe régulièrement des actions d’information, de sensibilisation ou
de formation des orthophonistes, des professionnels de la petite enfance, des
enseignants ou bien encore des parents sur les 5 départements normands.
En 2004, elle s’est associée au CHU de Caen pour créer le Réseau NormanDys,
un véritable réseau ville-hôpital, réseau bas-normand des professionnels des
secteurs sanitaire, social et éducatif qui interviennent autour de l’enfant présentant des troubles spécifiques du langage et des apprentissages.
En 2006, ce réseau a commencé à inclure des enfants adressés par les professionnels adhérents et leur propose, depuis cette date, une coordination des soins.
Le réseau NormanDys, au-delà de proposer cette coordination, a également pour objectif le renforcement de la coopération entre les professionnels et
il organise, pour cela, des groupes de travail thématiques. C’est ainsi que le projet d’éducation thérapeutique à destination de l’adolescent dyslexique a pu faire
l’objet d’une réflexion pluri professionnelle qui devrait lui permettre, au cours
du dernier trimestre 2014, d’être déposé, auprès de l’Agence Régionale de Santé
de Basse-Normandie (ARS), pour validation.
149
♦ Une opportunité régionale
Ouvertes début avril 2010, les ARS doivent, selon la nouvelle organisation prévue par la Loi « Hôpital Patients Santé Territoires » du 21 juillet 2009,
mettre en œuvre la politique régionale de santé, en coordination avec les partenaires et en tenant compte des spécificités de la région et de ses territoires.
Leurs compétences vont du champ de la santé dans sa globalité, de la prévention
aux soins, à l’accompagnement médico-social. Elles sont également compétentes au niveau de la santé-environnement (qualité de l’eau, de l’air, de l’habitat…) et en matière de veille sanitaire. Dans le cadre de la mise en place de ces
Agences Régionales de Santé, les représentantes de l’ANPO ont sollicité une
rencontre avec le directeur de l’ARS de Basse-Normandie afin de lui présenter
les actions de Prévention en orthophonie menées sur les 3 départements basnormands.
A l’issue de cette rencontre, le directeur de l’ARS a conseillé aux orthophonistes de participer aux réunions de concertation organisées par les Pays à la
demande de l’ARS ; ces réunions étant destinées à contribuer à l’analyse des
besoins de santé (analyse devant déboucher sur la fixation des objectifs et priorités pluriannuels du Plan Stratégique de l’ARS).
♦ Une mobilisation réussie
Les consultations ont donc été organisées par les Pays auprès des « usagers », des associations de service à domicile, des structures d’accueil, des établissements scolaires mais également auprès des élus et surtout, auprès des
socio-professionnels, médecins généralistes, spécialistes, secteur para-médical,
réseaux de prévention pour contribuer à définir 5 priorités pour la Région.
Les orthophonistes, acteurs de Santé, voulant être une force de proposition et voulant faire reconnaître leurs compétences en matière de soins et de
Prévention ont donc choisi de participer aux réunions de concertation et ont
exposé leurs priorités : prévention de l'illettrisme, coordination autour des
prises en charge des enfants TSLA (DYS,….), lutte contre l’isolement des personnes âgées, prévention des troubles de la déglutition chez la personne âgée,
prévention du développement déficitaire du langage dans les milieux dits vulnérables.
Parmi celles présentées par les autres professionnels de Santé, beaucoup
avaient un rapport avec l’isolement des personnes âgées et les situations de malêtre des enfants et des adolescents mais, à chaque fois qu’étaient abordés les
troubles du langage, le propos recueillait un écho favorable de la part des participants.
150
Elles ont, au final, permis de définir les priorités de santé, en Basse-Normandie, parmi lesquelles le développement et les troubles du langage des
enfants.
LE LANGAGE DES ENFANTS, priorité de santé régionale ! C’était
non seulement une chance pour les enfants mais également une force mobilisée
au service de la reconnaissance des actions de prévention puisque les ARS mettent en œuvre un schéma régional de prévention. De plus, les programmes
d’éducation thérapeutique ne concernent, outre les Affections de Longue Durée
(ALD), que les problèmes de santé considérés comme prioritaires au niveau
régional. Ainsi, notre souhait de proposer une intervention orthophonique innovante pouvait se concrétiser au sein de l’ETP.
♦ La loi HPST et l’ETP
L’inscription de l’éducation thérapeutique du patient dans la loi permet
aux professionnels de santé de formaliser des actions auprès des patients, actions
mises en œuvre depuis fort longtemps certes mais souvent sans aucune visibilité.
Ces actions, au-delà de l’autonomie qu’elles peuvent apporter au patient, ont à
cœur de le rendre sujet et acteur de sa prise en charge. Notre système de santé
encore très tourné vers le tout curatif s’oriente alors encore plus vers la prévention dont l’éducation thérapeutique du patient est un moyen d’action.
Le mot « éducation » donne sa force au concept d’ETP car éduquer c’est
transmettre pour que l’autre s’approprie des compétences, éduquer c’est donc
penser que le patient, acteur, a les capacités de ces compétences futures et ainsi
le considérer comme sujet.
À Vichy, en 2010, lorsqu’il est intervenu lors du congrès fédéral des
orthophonistes, le professeur San Marco, premier président de l’institut national
de prévention et d’éducation pour la santé (INPES), affirmait : « il faudra bien
qu’on utilise le gisement de puissance que représente l’éducation ». Cette idée
noble qu’il défend s’oppose, selon lui, à une conception exclusivement curative.
Il poursuivait en affirmant que « le monde des orthophonistes est un monde de
soignants qui sont d’abord des éducateurs, leur action passant toujours par la
formation du sujet pris en charge ».
Les orthophonistes ont, depuis toujours, à cœur la formation des patients
et de leur entourage, qu’il soit familial ou professionnel, et l’éducation thérapeutique du patient ne peut que trouver une place naturelle dans le continuum
de leur intervention.
151
♦ Les premiers pas
Imaginer un programme d’éducation thérapeutique destiné à l’adolescent
dyslexique a, comme nous l’avons évoqué plus haut, germé grâce aux adolescents dyslexiques eux-mêmes. À nous qui les rencontrons au quotidien, ils
savent dire leur paradoxe : devenir indépendant ou moins dépendant de l’orthophonie mais en même temps y avoir recours, au long cours. Ainsi, ils sont à
l’initiative de ce projet rendu possible par de bons concours de circonstances.
Des patients motivés, des priorités de santé régionale parmi lesquelles les troubles du langage et des apprentissages sont nommés, un réseau de coordination
de soins organisant la rencontre de professionnels intéressés par le sujet et, au
sein du CHU, un département d’orthophonie permettant la recherche. Tous les
ingrédients étaient en place…
Bien que la tâche puisse paraître colossale, ce projet a pu s’articuler sur trois axes :
1. Au travers d’une expérimentation menée auprès des adolescents dyslexiques, suivis en libéral, au sein d’un groupe thérapeutique
2. Par le biais des travaux de recherche proposés aux étudiants en orthophonie
3. Grâce à un groupe de travail pluri professionnel constitué au sein du réseau
de coordination des soins, NormanDys. Orthophonistes, psychomotriciennes, ergothérapeutes, infirmières de santé scolaire, psychologues,
médecin et représentants des parents d’enfants Dys se sont réunis, régulièrement depuis quatre ans, afin d’élaborer tous les axes de ce programme
d’éducation thérapeutique.
Le premier mémoire, proposé aux étudiants du département d’orthophonie de Caen, s’est intitulé « Programme d’Education Thérapeutique pour le
Patient dyslexique : étude préliminaire ».
Lorsqu’en 2010 nous avons commencé, avec Delphine Gokelaere-Tornier, alors étudiante en orthophonie, à réfléchir sur l’étude qu’elle s’apprêtait à
mener dans le cadre de son mémoire, nous n’avions pas imaginé que son travail
serait suivi de deux autres mémoires qui permettraient d’avancer sur un programme d’éducation thérapeutique destiné à l’adolescent dyslexique. Bien que
nous sachions à l’époque que cette étude préliminaire représentait bien plus
qu’une formalité, nous avons été surpris par la richesse des informations récoltées auprès des adolescents et de leur famille.
♦ Les premiers résultats
Ainsi, cette étude s’est attachée à recueillir les dires des adolescents dyslexiques et ceux de leurs parents avec, en filigrane, un questionnement sur leurs
connaissances et leurs attentes, dans le cadre de l’intervention orthophonique.
152
• Au travers des questionnaires qu’ils ont remplis, les parents et les adolescents dyslexiques ont mis en avant le besoin qu’ils avaient d’être informés, de façon très précise, tout au long du parcours de soins :
L’importance de la répétition des informations sur le développement du
langage et sur les apprentissages, informations générales et particulières,
doit être prise en compte par les orthophonistes car c’est une des clés de la
réussite de notre accompagnement.
Les résultats de cette étude préliminaire ont permis également de déterminer des attentes très importantes, tant de la part des parents que des adolescents, sur le plan de la connaissance des troubles liés à la dyslexie.
Ainsi, nous devons être vigilants à dispenser ces informations, au plus
près des besoins de nos patients et de leur famille, en les ajustant au fur et
à mesure de la progression de notre intervention.
Les parents de l’étude ont, en effet, un faible niveau de connaissances sur
la dyslexie (70 % d’entre eux ne donnent qu’un seul critère de définition)
alors que ces informations leur ont été données, au moment du diagnostic,
et qu’ils utilisent le terme « dyslexie » pour qualifier les difficultés de leur
enfant. Ce faible niveau de connaissances se retrouve également chez les
adolescents dyslexiques.
Figure 1: connaissances de la dyslexie par les patients
Au-delà de la possibilité de définir ce qu’est la dyslexie, les adolescents
et leurs parents semblent également en difficulté pour en expliquer les retentissements, alors même que leur quotidien est fortement impacté par les conséquences directes des troubles du langage écrit, lors des devoirs à la maison.
153
Figure 2: appréciation de l'ambiance lors des apprentissages scolaires
Par ailleurs, devant le poids que représentent ces apprentissages scolaires,
on pourrait s’attendre à ce que parents et enfants tentent, chacun à leur manière,
d’élaborer des stratégies visant à alléger ces devoirs. Pourtant, ils sont peu à
oser le faire, tant cela leur semblerait être un avantage non légitime : en effet, les
parents sont marqués par le principe d’équité, revendiqué à l’école, et ils craignent que l’aide qu’ils apportent à leur enfant soit considérée comme « trop
importante », injuste vis-à-vis des autres élèves.
Figure 3: fréquence d'utilisation des stratégies de compensation
154
Parallèlement à ces observations, les adolescents ont exprimé une envie
très forte d’autonomie lors du temps des leçons, alors même que presque la moitié d’entre eux était totalement dépendante de leurs parents. Il est, effectivement,
complexe, pour un adolescent dyslexique de devoir « faire ses leçons » avec ses
parents à l’âge où ses camarades travaillent, casque sur les oreilles en regardant
l’ordinateur…
Figure 4 : degré d'autonomie du patient
Ainsi, au travers de ce mémoire, nous avons pu dresser un état des lieux
concernant les représentations des patients et de leur famille sur ce trouble des
apprentissages et nous avons pu nous intéresser à une double problématique
pour les adolescents : le besoin d’être accompagnés pendant le temps de leurs
leçons et l’envie d’être autonomes durant cette période. Cette observation nous a
conduit à réfléchir à une intervention orthophonique « éco-systémique » qui partirait d’un recueil de dires sur ce qui se passe sur le temps des leçons tout en étudiant les outils et les supports utilisés en ces circonstances.
C’était là la première étape de notre programme d’éducation thérapeutique à destination des adolescents dyslexiques : le diagnostic éducatif, préalable
à la proposition de participation à ce programme, devait comporter, outre des
éléments sur les savoirs et les savoir-faire, une évaluation de l’autonomie attendue par les adolescents, pendant le temps des leçons.
Il est évident que cette situation particulière de soins est tout à fait différente d’une aide aux devoirs ; elle se situe réellement dans le champ de notre
projet thérapeutique qui vise à améliorer les compétences de nos patients sur le
plan fonctionnel.
155
♦ Trame des ateliers
Au sein du groupe de travail organisé par le réseau Normandys, partant
des résultats obtenus par D. Gokelaere-Tornier (2011), nous avons constitué la
trame des ateliers qui pourraient être proposés dans le cadre de ce projet d’ETP :
il semblait, en effet, important de s’attacher à la compréhension des modalités
nécessaires à apprendre (apprendre à apprendre) en même temps qu’il était souhaitable de proposer aux adolescents des moyens informatiques destinés à les
soulager de la phase de reconnaissance des mots (outils informatiques) tout en
leur permettant d’accéder à une métacognition de la compréhension (stratégies
et énoncés des consignes).
Une réflexion s’est engagée entre les professionnels, organisés en groupes
thématiques, afin d’élaborer les contours de ces futurs ateliers. Notre propos à
s’intéresser, plus particulièrement, à l’atelier « stratégies et énoncés des
consignes » qui a fait l’objet d’un mémoire de recherche en orthophonie, menée
par Solène Meheust (2012), intitulé « Vers un programme d'Education Thérapeutique pour adolescents dyslexiques : Identifier des stratégies efficaces de
compréhension des consignes »
Ce deuxième mémoire d’orthophonie a donc étudié et comparé les stratégies de compréhension des consignes scolaires, stratégies utilisées par les adolescents ne présentant pas de dyslexie et par des adolescents dyslexiques. L’analyse des stratégies, outils et méthodes mobilisés pendant le temps des leçons
nous a permis de mettre en avant un critère qu’il semblait pertinent de développer ; en effet, l’autonomie revendiquée par les adolescents ne semblait pas possible du fait de la difficulté, très largement exprimée, de compréhension des
énoncés donnés pour les leçons, en lien, non seulement avec un déchiffrement
peu efficace, mais, également, avec un accès limité aux processus de décryptage
du lexique et de la syntaxe utilisés.
En effet, la consigne scolaire, énoncé injonctif à visée pragmatique dont
le guidage et l'implication directe sont variables, comporte des informations à la
fois de surface et sémantiques. Solène Meheust explique dans son mémoire
qu’il faut différencier deux parties dans la consigne dont la séparation peut être
nette ou implicite : les données informatives et la consigne "réelle". Il est donc
nécessaire d’opérer un double traitement des informations contenues dans cet
énoncé, une première étape de décodage suivie d’une mise en relation des éléments de langage, qu’ils soient explicites ou pas.
Ainsi, en observant les démarches de compréhension exprimées par les
adolescents qui ne présentent pas de troubles du langage écrit, nous pouvons
voir qu’ils en utilisent plusieurs mais qu’ils restent attachés à leur démarche de
156
prédilection, d’autant plus qu’elle s’avère efficace, tandis que les adolescents
dyslexiques ont recours à de nombreuses stratégies qu’ils avouent ne pas être
efficaces. Les adolescents dyslexiques utilisent, tout comme leurs pairs, la relecture des énoncés, en premier lieu, mais ils ne sélectionnent pas les éléments
utiles ni ne font référence aux modèles d’exercices faits en classe. Ils essaient,
par contre, de segmenter les énoncés pour les traiter par petites unités.
Tableau 1 : procédures de compréhension des consignes scolaires utilisées
Au-delà de la fréquence d’utilisation des stratégies de compréhension des
consignes scolaires, nous avons observé le sentiment d’efficacité de ces stratégies :
Tableau 2 : efficacité ressentie des stratégies de compréhension
des consignes scolaires
On voit ainsi que, pour les adolescents non dyslexiques, le repérage des
verbes apparaît essentielle dans la compréhension des énoncés de consignes. Par
contre, les adolescents dyslexiques privilégient la relecture par un tiers, parfois
à plusieurs reprises, mais n’en tirent pas de grands bénéfices tant l’étape de calcul syntaxique n’est pas organisée pour eux.
Cette observation va, en premier lieu, dans le sens d’un entraînement, dès
la pose du diagnostic, à l’écoute et à la compréhension orale des énoncés écrits,
lus par un tiers, parent ou logiciel de synthèse vocale. Dans un second temps, il
s’agit, en plus de soulager les enfants dyslexiques de la surcharge cognitive
générée par l’identification des mots, de leur permettre d’accéder à la compréhension du langage écrit, cette compréhension étant un processus actif qui s’acquiert, au fur et à mesure, de la confrontation avec l’écrit.
Pour ce faire, il nous a semblé intéressant de nous appuyer sur les stratégies de compréhension du langage écrit utilisées par les adolescents non dyslexiques qui ajustent les stratégies qu’ils utilisent aux formes des énoncés qu’ils
157
ont à traiter ; s’agissant des consignes scolaires, ils privilégient, à juste titre
l’identification des verbes de l’énoncé qui leur permet de savoir « quoi faire ».
C’est ainsi qu’est apparue la nécessité d’entraîner les adolescents dyslexiques à utiliser la stratégie d’identification des verbes dans les consignes scolaires dans le but de comprendre ces énoncés pour réaliser les tâches attendues
pendant le temps des leçons et ainsi, accéder à l’autonomie qu’ils revendiquent.
♦ La compréhension de consignes
Un troisième mémoire de recherche en orthophonie a été proposé et Adeline Péan a ainsi élaboré en 2012 un programme d’entraînement autour des
verbes utilisés dans les consignes scolaires : « Mise en place d’un protocole original d’entraînement au traitement du verbe dans la consigne écrite : perspective d’Education Thérapeutique de l’adolescent dyslexique ». Ce programme,
conçu d’après la technique des lignes de base afin de pouvoir en mesurer l’efficacité, a été expérimenté auprès de 13 adolescents dyslexiques.
Il est constitué de trois épreuves d’évaluation des compétences des adolescents proposées avant et après thérapie ; la première, composée des items travaillés en thérapie, consiste en l’appariement d’un verbe avec sa signification et
dans une seconde phase, de l’indiçage selon leur catégorie grammaticale, des
verbes correspondant à ceux qui seront travaillés en thérapie; la deuxième, destinée à vérifier une généralisation, évalue le savoir-faire des adolescents dans la
réalisation d’une consigne et la troisième, sans rapport avec l’entraînement spécifique, consiste en l’indiçage des noms.
Les tâches d’entraînement, proposées sur support informatique, sont graduelles et se déclinent sur 6 séances, prolongées par une tâche intermédiaire :
Identification de verbes dans des consignes scolaires, évoluant par leur
complexité, la déclinaison des verbes (impératif, infinitif, indicatif ou gérondif)
placés en position différente selon les énoncés. Pour chaque réponse fournie par
l’adolescent une justification est demandée quant à la stratégie de reconnaissance utilisée.
Chronologie des verbes dans les consignes où l’adolescent doit choisir
l’ordre selon lequel les actions doivent être effectuées ; les énoncés évoluent,
par le nombre de verbes présentés, la hiérarchie positionnelle égale ou inverse à
l’ordre des actions, la présence d’inférences.
Lecture de consignes et désignation de la réponse conforme à l’énoncé.
L’adolescent doit identifier la matière scolaire évoquée et justifier son choix tout
en expliquant ce qui lui a permis d’éliminer les mauvaises réponses.
158
Formulation de consignes où l’adolescent doit, en observant un exercice
scolaire, imaginer les consignes qui pourraient être proposées.
Réalisation d’une tâche relevant de consignes multiples dont l’une d’entre elles n’est réalisable qu’avec un retour en arrière.
Tableau 3 : tâches proposées dans le programme d'ETP
♦ L’ETP à destination de l’adolescent dyslexique
Les objectifs de ce programme qui correspond à l’une des priorités de
santé bas-normandes sont pluriels : il s’agit de proposer aux adolescents dyslexiques de mieux comprendre leurs troubles, d’accéder à une meilleure évaluation de leurs compétences et de leur fonctionnement cognitif, de rencontrer leurs
pairs pour échanger avec eux, d’améliorer l’estime qu’ils ont d’eux-mêmes et,
surtout, d’accéder à l’autonomie lors des temps de leçons, à la maison, autonomie qu’ils revendiquent tout en la redoutant.
159
Ce programme se décline, après un diagnostic éducatif basé sur un questionnaire d’estime de soi et un recueil de dires interrogeant la connaissance des
troubles, le rapport au temps et au corps ainsi que le rapport aux autres, en ateliers :
• Aide aux devoirs/ stratégies d’apprentissage
• Compréhension des consignes
• Outils informatiques
• Connaissance du trouble
• Gestion du stress et estime de soi
Un atelier supplémentaire sera destiné aux parents afin de les informer
sur les troubles spécifiques du langage écrit, leur rôle d’aidant et leur permettre
d’évoquer l’épuisement qui peut être le leur, dans l’accompagnement de leurs
enfants.
L’atelier « compréhension des consignes » s’appuiera sur les travaux de
recherche effectués dans le cadre de son mémoire d’orthophonie par Adeline
Péan (2013), faisant suite aux mémoires pré-cités.
Ce programme, porté par le réseau Normandys, sera donc proposé à
l’ARS de Basse-Normandie et, s’il est validé et financé, sera expérimenté sur les
3 départements bas-normands auprès d’adolescents dyslexiques, sur prescription
médicale, comme l’exigent les textes règlementaires.
♦ Conclusion
L’élaboration de ce projet a permis de fédérer des professionnels, investis
individuellement auprès d’adolescents dyslexiques. L’Education Thérapeutique
du Patient semble être une réponse aux attentes des adolescents, tant sur le plan
des savoirs que sur celui des savoir-faire et une possibilité de modifier l’intervention directe tout en poursuivant l’intervention indirecte en ciblant les besoins
« éco-systémiques » de l’adolescent...
REFERENCES
BALCOU-DEBUSSCH M. et FOUCAUD J. (2008). Résultats d'études et de recherches en prévention et
en éducation pour la santé. Quelles compétences en éducation thérapeutique du patient ?
Evolutions, n°16.
BILLARD C., TOUZIN M. (2009). Prise en charge de l'enfant et de l'adolescent dyslexiques. Anae,
n°103.
BOIMARE S. (2000) - La peur d’apprendre - Dunod
BOSSE ML. (2004) - Activités et adaptations pédagogiques pour la prévention et la prise en compte de la
dyslexie à l’école. In S. VALDOIS, P. COLE & D. DAVID (Eds). Apprentissage de la lecture et
dyslexies développementales : de la théorie à la pratique - Solal.
160
COLE P. et MARTIN J. (2009). La dyslexie à l'âge adulte. Anae, n°103.
DEHAENE S. (2007) - Les neurones de la lecture. Paris : Odile Jacob.
DUPONT AC. (2010) - L’éducation thérapeutique du Patient. L’orthophoniste, n°298.
FAYOL M. (2004). La lecture et son apprentissage. In Observatoire National de la Lecture (Ed.), L’évolution de l’enseignement de la lecture en France, depuis dix ans. Paris : ONL.
FLORIN A. (2003) - Introduction à la psychologie du développement, enfance et adolescence - Dunod ;
Paris.
GIASSON J. (1990). La compréhension en lecture. Ilée. Gaëtan Morin éditeur.
GOKELAERE-TORNIER D. (2011). Programme d'Education Thérapeutique pour le Patient dyslexique :
étude préliminaire. Mémoire d'orthophonie. Université de Caen.
HAS (2007) - Education Thérapeutique du Patient – Définition, finalités et organisation.[en ligne]
www.has-sante.fr
INPES (2009) - l’INPES, acteur et soutien du développement de l’éducation thérapeutique du patient.
Dossier de presse, 30 janvier 2009.
JO n° 167 du 22 juillet 2009. Loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires n° 2009-879 du 21 juillet 2009.
JO n°0178 du 4 août 2010. Décret n° 2010-906 du 2 août 2010 relatif aux compétences requises pour dispenser l'éducation thérapeutique du patient.
JO n°0178 du 4 août 2010. Décret n° 2010-904 du 2 août 2010 relatif aux conditions d'autorisation des
programmes d'éducation thérapeutique du patient.
JO n°0178 du 4 août 2010. Arrêté du 2 août 2010 relatif au cahier des charges des programmes d'éducation thérapeutique du patient et à la composition du dossier de demande de leur autorisation.
JO n°0178 du 4 août 2010. Arrêté du 2 août 2010 relatif aux compétences requises pour dispenser l’éducation thérapeutique du patient.
JO n°0178 du 4 août 2010. Décret n° 2010-906. Article D. 1161-2 relatif aux compétences requises pour
dispenser l’éducation thérapeutique du patient.
LAMBERT V., COLE P., REY V. (2006). Prise en charge des dyslexies : influence des représentations
familiales. Pratiques psychologiques, vol 12.
LIEURY A (2003)- Mémoire et réussite scolaire - Paris ; Dunod.
MEHEUST S. (2012). Vers un programme d’éducation thérapeutique pour adolescents dyslexiques : identifier des stratégies efficaces de compréhension des consignes. Mémoire d’orthophonie. Université de Caen Basse-Normandie.
MESSERSCHMITT P., Gely V. (2004). Dyslexie et pénibilité des apprentissages : les points de vue du
pédiatre, du psychiatre et de l’orthophoniste : répondre aux besoins des élèves présentant des
troubles spécifiques du langage écrit. A.N.A.E., 80.
PEAN A. (2013). Mise en place d’un protocole original d’entraînement au traitement du verbe dans la
consigne écrite : perspective d’Education Thérapeutique de l’adolescent dyslexique. Mémoire
d’orthophonie. Université de Caen Basse-Normandie.
PLAZA M., DANIEL A., HUBERT D., CHAUVIN D., GAZZANO O., RIGOARD M.T. (2006). Mécanismes d'identification des mots et compréhension de l'écrit : étude développementale et clinique.
Glossa. n°95.
SAN MARCO JL, VAILLANT C. (2010). Education à la santé et éducation thérapeutique, organisation et
financement. Table ronde n° 5. Congrès FNO 2010. Vichy.
SPERANZA M. (2006) - Troubles de la scolarité et enjeux développementaux à l’adolescence, Entretiens
de Bichat, expansion scientifique, Paris.
SPRENGER-CHAROLLES L., BOGLIOTTI C., PIQUARD-KIPFFER A., LELOUP G. (2009) - Stabilité
dans le temps des déficits en et hors lecture chez des adolescents dyslexiques (données longitudinales). ANAE 21 n°103.
ZAKHARTCHOUK J.M. (1987). Lecture d'énoncés et de consignes. Académie d'Amiens : CRAP Cahiers
pédagogiques.
ZAKHARTCHOUK J.M. (2000). Les consignes au cœur de la classe : geste pédagogique et geste didactique. Repères, 22.
161
Le réseau dans l’éducation thérapeutique : intérêt
pour l’orthophoniste et le médecin coordinateur.
Expérience du réseau de l’Espace Régional
d’Education Thérapeutique de Basse-Normandie
et du réseau Normandys
Audrey Armand
Résumé
L’éducation thérapeutique du patient est déjà largement développée en milieu hospitalier,
mais l’ERET–BN (Espace Régional d’Education Thérapeutique de Basse-Normandie) souhaite surtout faire émerger des programmes d’ETP à proximité des patients et professionnels de santé libéraux en ambulatoire. Cette approche se diffuse également auprès des
orthophonistes qui ont souhaité développer un programme sur la dyslexie, par l’intermédiaire du réseau régional Normandys. Ce travail pluridisciplinaire est en cours de réflexion et
les professionnels de santé concernés se forment afin de répondre aux besoins des patients
concernés.
Mots clés : éducation thérapeutique du patient, pluridisciplinarité, orthophonie, dyslexie.
The Therapeutic Education network: its value for speech and language
therapists and coordinating physicians.
Experience from the Normandy Therapeutic Education and the
Normandys networks
Abstract
Therapeutic Patient Education is already well-developed in hospital settings, but the regional
network for TPE in Lower-Normandy (ERET–BN) is primarily interested in the promotion of
TPE programmes that can be used on an outpatient basis by professionals in private practice. This approach is also in the process of being disseminated to speech therapists who
want to develop a programme on dyslexia through the Normandys regional network. This
multidisciplinary approach is currently being considered and the health professionals involved are being trained in order to address these patients’ needs.
Key Words : therapeutic patient education, multidisciplinary approach, speech and language
therapy, dyslexia.
Rééducation Orthophonique - N° 259 - septembre 2014
163
Audrey ARMAND
Médecin généraliste et médecin coordinateur
du réseau de l’ERET de Basse Normandie
Espace Régional d’Education
Thérapeutique Basse-Normandie
3 place de l’Europe
14200 Hérouville Saint-Clair
Courriel : [email protected]
♦ Ma formation vers l’éducation thérapeutique
J
eune diplômée et thésée en médecine générale depuis octobre 2010, j’ai rapidement eu l’opportunité d’être sensibilisée à l’éducation thérapeutique pendant mon internat, notamment dans le service de diabétologie du CHU de
Caen. J’ai voulu approfondir cette démarche en réalisant un diplôme universitaire
d’éducation thérapeutique en 2011 au sein de la Faculté de médecine de Caen.
Cette formation a bouleversé les prérequis enseignés lors de mes études de médecine et notamment la place du soignant et celle du patient atteint de maladie
chronique ; les objectifs que nous fixons pour les patients, sans même penser à
leurs besoins, leurs représentations et croyances. Cette formation permet d’acquérir des techniques de communication avec les patients, de changer notre
approche parfois peu adaptée avec les patients, et notamment par l’entretien
motivationnel favorisant les possibles changements de comportements de nos
patients sur leurs habitudes de vie.
Médecin généraliste collaborateur dans un cabinet de groupe depuis janvier 2011, je suis également salariée en tant que médecin coordinateur dans une
nouvelle association sur la région bas-normande dénommée « l’Espace Régionale d’Education Thérapeutique » ou « ERET ». Nous proposons aux patients
adultes obèses, diabétiques et atteints de pathologies cardiovasculaires des programmes d’ETP en ambulatoire ou en lien avec les programmes proposés avec
les centres hospitaliers. L’objectif de ces programmes est de contribuer à l’amélioration de la qualité de vie de ces patients mais aussi d’acquérir une certaine
autonomie vis-à-vis de leur pathologie. L’objectif de notre association est aussi
de promouvoir et accompagner les éducateurs thérapeutiques de terrain (libéraux et hospitaliers) dans la mise en œuvre des programmes d’éducation thérapeutique.
Concernant les relations professionnelles entre orthophonistes et médecins généralistes, elles semblent peu exploitées et la communication reste peu
importante (prescriptions succinctes de bilan puis rééducation orthophonique, et
164
peu de compte rendus en retour). Notre formation de médecin ne nous permet
pas d’appréhender toutes les compétences des orthophonistes par méconnaissance des interventions spécifiques pratiquées ; ce qui se retrouve moins en
milieu hospitalier où les équipes de soins d’un même service ont des projets
spécifiques et permettent d’échanger sur les domaines de compétences de
chaque profession. Les maisons et pôles de santé ambulatoires qui se développent sur notre territoire devraient permettre ces échanges et améliorer la qualité
de soins de nos patients en proximité de leurs lieux de vie.
♦ Le projet avec le réseau Normandys
Le réseau Normandys1 est un réseau crée depuis 2005 et financé par
l’Agence Régionale de Santé (ARS) de Basse-Normandie par des Fonds d’indemnisations Régionaux (FIR). Il prend en charge des patients de 0 à 18 ans,
atteints de troubles spécifiques du langage et des apprentissages sur la région
(dysphasies, dyslexies-dysorthographies, dyspraxies, troubles du raisonnement
logico-mathématiques,…).
La dyslexie est une maladie chronique du fait de sa durabilité, de l’absence de guérison. L’apport de connaissances et de moyens, notamment par l’intermédiaire de stratégie de compensation pourraient procurer un mieux-être des
jeunes patients à leur domicile, lors des apprentissages scolaires et augmenter
l’estime de soi du patient. On remarque un manque d’autonomie des patients
lors des apprentissages scolaires, par la relative absence de transfert de savoirs
entre patients et parents mais aussi parce que les parents sont en attente de
moyens leur permettant d’aider au mieux leurs enfants2.
L’éducation thérapeutique n’étant que peu développée dans le domaine de
l’orthophonie sur notre région, ce réseau m’a donc contacté en tant que médecin
formé en éducation thérapeutique mais également pour avoir mon point de vue
de médecin généraliste, dans l’objectif de construire un programme d’éducation
thérapeutique pour les jeunes collégiens souffrant de dyslexie. Un groupe de travail pluridisciplinaire s’est créé au sein de l’association. Cette approche novatrice a permis la concertation entre les orthophonistes, psychomotriciennes,
infirmières et neuropsychologue du réseau. La priorité était de définir les objectifs prioritaires du programme : la population à inclure, les besoins et attentes
des patients cibles et les objectifs généraux. Nous avons rapidement évoqué les
besoins de former un maximum de professionnels du réseau en éducation théra2. Matthieu Nathalie, Mémoire d’orthophonie : Orthophonistes et dyslexies : quelle place pour les parents ?
Juin 2011.
165
peutique afin de pouvoir assurer les séances de groupe ou individuelles d’un tel
programme (la loi demandant une formation minimum de 40 h en ETP pour la
pratiquer3). L’animation en binôme de ces ateliers semble une nécessité, mais
pas toujours réalisable sur le terrain, surtout en ambulatoire (manque de disponibilité, manque de financement…).
Après avoir établi les axes prioritaires du programme (travail sur l’estime
de soi, sur la mémoire et sur les outils de compensation), le groupe continue à
élaborer des ateliers spécifiques et à créer des outils notamment pour le diagnos-
tic éducatif initial, des outils de suivi et d’évaluation des compétences du patient
(je ne suis intervenue que dans la mise en place du groupe de travail). Le programme est toujours en construction et en cours de finalisation.
D’autres projets en ETP se développent dans la région faisant intervenir
des orthophonistes, notamment un programme sur les troubles de la déglutition
et l’aphasie en post-AVC dans les centres de rééducation de notre région. Le
programme devrait bientôt être déposé. Rapidement, les groupes de travail sur
ces thèmes ont vu la nécessité d’une formation spécifique et du besoin d’échanger entre professionnels de santé des services concernés notamment diététiciennes, ergothérapeutes, kinésithérapeutes, médecins rééducateurs et psychologues, mais également avec les professionnels de santé libéraux des patients
concernés.
3. Loi HPST : Arrêté du 31 mai 2013 modifiant l’arrêté du 2 août 2010 relatif aux compétences requises pour
dispenser l’éducation thérapeutique du patient.
166
♦ L’apport de l’éducation thérapeutique du patient (ETP) dans l’approche des maladies chroniques
L’éducation thérapeutique du patient est définie par l’Organisation mondiale de la santé4 comme un processus continu d’activités, intégré dans les soins
et centré sur le patient. Ces activités regroupent des démarches de sensibilisation, d’information, d’apprentissage et d’accompagnement psychosocial concernant la maladie, le traitement prescrit et les soins délivrés. Elle concerne la
médecine hospitalière et libérale. La finalité est de favoriser l’autonomie du
patient en l’aidant ainsi que ses proches à comprendre la maladie et le traitement, à mieux coopérer avec les soignants et à maintenir ou à améliorer sa qualité de vie.
L’éducation thérapeutique n’a plus besoin de faire ses preuves tant les
résultats qu’elle peut apporter à tous les patients atteints de maladie chronique,
sont considérables. Elle participe à l’amélioration de la qualité de vie des
patients vis-à-vis de leur maladie (même si beaucoup d’autres facteurs peuvent
perturber cet équilibre), elle amène une plus grande autonomie et responsabilisation du patient à sa maladie.
L’éducation thérapeutique, c’est pour le patient :
• Être autonome ;
• Être acteur de sa santé ;
• Partager des informations et ses expériences avec les soignants, mieux
connaître sa maladie pour mieux la gérer (mieux connaître ses besoins,
améliorer sa qualité de vie, éviter des complications des maladies cardiovasculaires) ;
• Diminuer les hospitalisations ;
• Diminuer les épisodes aigus et les symptômes.
Les programmes d’ETP doivent être coordonnés dans un projet global de
soins autour du patient. Cette coordination permet également un accompagnement personnalisé approfondi et contribue à un soutien moral important du
public concerné.
Dans le domaine de l’orthophonie, la difficulté est peut-être de différencier l’information, de la rééducation et de l’éducation thérapeutique. La réédu-
4. Organisation Mondiale de la Santé. Recommandations sur l’éducation thérapeutique du patient ; programme de formation continue pour les soignants dans le domaine de la prévention des maladies chroniques, Bureau régional pour l’Europe, Copenhague 1999;88.
167
cation orthophonique comprend habituellement des objectifs de restitution des
capacités ou de compétences, des phases d’adaptation ou de compensation des
incapacités et des désavantages. L’éducation thérapeutique est un outil complémentaire permettant la mise en place de programmes centrés autour des besoins
et des projets des personnes rencontrées et de leur entourage.
♦ Intérêt des réseaux d’ETP vis-à-vis des besoins et attentes des
patients et professionnels de santé
Les réseaux de santé ont pour vocation de faciliter la coordination entre
les différents intervenants autour des patients dont la situation médicale et
sociale est complexe.
Le développement de l’ETP par les réseaux permet de toucher une population de patients plus importante et de considérer leurs habitudes de vie (difficile en milieu hospitalier). Les difficultés rencontrées sont principalement le
manque de temps des professionnels de santé libéraux, le peu de rencontres pluridisciplinaires, le manque de formation et de reconnaissance (financements précaires).
Les réseaux d’ETP développent des programmes et des outils validés par
un comité scientifique mis à disposition des professionnels de santé et assure la
coordination (mise en place des ateliers, recherche de salles à proximité des
patients, gestion des paiements,…).
L’ERET propose depuis 2013 une formation de 49 heures théorique et
pratique en éducation thérapeutique. Elle a déjà permis le maillage et le développement de réseaux sur le territoire et d’initier le développement de dynamiques locales et l’écriture de nouveaux programmes sur le secteur. 3 orthophonistes ont déjà été formées en 2 sessions.
Ces formations longues ou soirées d’information permettent de créer du
lien entre les professionnels de santé qui forment ensuite des « équipes d’ETP »
auprès des patients sur un territoire géographique bien défini.
La difficulté de financement pérenne n’encourage pas les libéraux à s’impliquer ; par ailleurs, le volet psycho-social qui est peut valorisé dans les
réseaux de santé actuellement, est parfois insuffisamment pris en compte.
♦ Conclusion
L’éducation thérapeutique du patient se développe de façon importante en
Basse-Normandie et des programmes se mettent en place dans les pathologies
168
impliquant les orthophonistes. Le réseau Normandys a pu débuter un travail pluridisciplinaire au sein de son association pour rédiger un programme d’ETP spécifique pour de jeunes patients atteints de dyslexie. D’autres projets sur les troubles de déglutition ou dysphasie en post-AVC sont en cours dans des centres de
rééducation neurologique. La formation de ces professionnels de santé reste primordiale et un objectif prioritaire afin de permettre un maillage important au
plus près des patients.
169
La Fédération Nationale des Aphasiques
de France et l’ETP
Jean-Dominique Journet
Résumé
La Fédération Nationale des Aphasiques de France (FNAF) est une association reconnue,
gérée par des aphasiques. Son intérêt pour l’implication des aidants et la vraie reconnaissance des personnes aphasiques comme partenaire dans les processus des soins est
ancien. C’est un partenaire incontournable dans la conception, la réalisation et la participation dans les programmes d’Education Thérapeutique du Patient.
Mots clés : association, aphasique, formation.
The French National Federation of Aphasic Patients (FNAF) and TPE
Abstract
The FNAF is a recognised non-profit organization run by aphasic patients. It has long been
interested in involving family members and carers as partners in the healthcare process. It is
a key partner in the conceptualization and implementation of, and participation in, Therapeutic Education Patient programs.
Key Words : non-profit organization, aphasic person, training.
Rééducation Orthophonique - N° 259 - septembre 2014
171
Jean-Dominique JOURNET
Président de la FNAF
Fédération Nationale des Aphasiques de
France
24 rue Peyret Lallier
42100 Saint-Etienne
Courriel : [email protected]
L
a Fédération Nationale des Aphasiques de France (FNAF) a été créée en
1985, elle regroupe des personnes atteintes d’un trouble de la communication plus ou moins sévère, consécutif à une aphasie suite à une lésion cérébrale. Elle est gérée par des aphasiques et son président doit être obligatoirement
aphasique.
Ses objectifs sont :
- Mettre en œuvre tous les moyens pour aider les aphasiques à sortir de leur
isolement en concourant à leur réinsertion et à leur réadaptation sociale,
- Développer l’amitié et la solidarité entre les aphasiques et leurs familles,
- Créer et aider à la création de nouveaux espaces de stimulation à la communication,
- Défendre les droits moraux et matériels des aphasiques et de leurs
familles, soit collectivement, soit individuellement, en ce qui concerne
leur handicap et leur réinsertion sociale,
- Faire connaître l’Aphasie et la faire reconnaître, en tant que fait social, par
l’ensemble de l'opinion publique,
- Promouvoir et soutenir toutes recherches et études médicales et sociales
sur l’Aphasie et les Aphasiques.
La FNAF, qui est une union d’associations, a pour objectif de représenter les
aphasiques au niveau national, international, auprès des Pouvoirs Publics, des
médias et du grand public.
Son Conseil National Scientifique et Social réunit des spécialistes de l'aphasie.
La FNAF est membre de l’Association Internationale Aphasie (A.I.A
www.aphasia-international.com).
♦ Qualité de vie des aphasiques
Son rôle, dès sa création, fut en priorité de s’intéresser aux aphasiques
eux-mêmes, et de déclencher des actions en leur faveur. Leurs familles cependant n’étaient pas oubliées car on sait que l’aphasie est un handicap, avec un
172
fort retentissement social et familial, mais leurs besoins n’étaient pas réellement
évalués.
L’existence des groupes, les rencontres et les échanges lors des Congrès
de la FNAF ont permis de mieux connaître la vie quotidienne des aphasiques, de
leur famille, et de réaliser l’importance de la souffrance, du désarroi ressentis
par l’entourage. Celui-ci se trouve désemparé par l’apparition le plus souvent
brutale des difficultés de communication et relationnelles avec la personne
aphasique. Les conséquences néfastes de ce handicap retentissent sur la qualité
de vie de l’aphasique et aussi sur celle des aidants familiaux. Les problèmes
pour se comprendre, la raréfaction du dialogue, l’existence de troubles cognitifs
font que, finalement, l’aidant se sent lui aussi "seul" à la maison. Il vit donc,
comme l’aphasique, un isolement personnel et un isolement sociétal puisque la
maladie, le handicap entrainent une restriction des sorties, des contacts avec
l’extérieur pour toute la famille.
La FNAF consciente de cette détresse des aidants, de leur épuisement, a
initié et mis en place, avec le Plan Aphasie 2010-2011, des actions pour informer, soutenir les aidants familiaux et les aidants professionnels, afin de leur permettre de mieux réagir devant ce handicap. Ce Plan Aphasie fut réalisé sous
l’égide de l’Etat, avec l'aide de la Caisse Nationale de la Solidarité pour l'Autonomie (CNSA) et grâce à la collaboration de différents organismes et des sociétés savantes.
Au cours de l’année 2013, la FNAF et ses partenaires du Plan Aphasie
2010-2011, rejoints par la Société Neuropsychologue de Langue Française, prenant pour référence les résultats du Plan Aphasie 2010-2011, ont décidé de travailler pour mettre en route une nouvelle action de formation. Cette action
adressée aux Aidants Familiaux des personnes aphasiques sera importante
puisque des formations sont prévues sur l’ensemble du territoire français. La
réalisation de cette action reste subordonnée à l’accord de la CNSA dont le soutien financier a été sollicité, et est indispensable.
Nous espérons qu'un accord définitif pourra avoir lieu au cours du troisième trimestre 2014.
♦ Vers une formation à l’ETP
A la suite des recommandations de la SOFMER (2011) pour la conception de programmes d’ETP à destination de l’aphasique et de son entourage, la
FNAF a entamé une réflexion afin de faire de nouvelles propositions.
Ainsi selon nous, l’équipe de formation devrait être composée non seulement
173
des soignants habituels, mais aussi des associations et des patients experts susceptibles de contribuer à faciliter les échanges notamment sur le ressenti et les
représentations des personnes aphasiques et de leur entourage.
A l’issue d’un premier entretien ou bilan éducatif partagé, une proposition de séances éducatives individuelles et collectives selon les besoins des
patients et de leur entourage pourrait être faite. En particulier, les expériences du
patient, ses connaissances et ses attentes seront explorées.
Les thèmes abordés pendant les séances éducatives pourraient s’articuler autour de :
- organiser mon quotidien et améliorer ma qualité de vie
- comprendre mon handicap, l'aphasie
- parler de mon handicap
- tirer profit des différents soins.
♦ Conclusion
Nous pensons qu’il est important d’avoir une réflexion en amont avec
les services hospitaliers de neurologie et de médecine rééducative mais aussi
les URPS (Unions Régionale des Professionnels de Santé) afin de pouvoir
toucher les soignants de l’ambulatoire (médecins, infirmiers, orthophonistes,
kinésithérapeutes, pharmaciens, dentistes, orthoptistes, podologues, …). Les
programmes d’ETP déjà expérimentés ou déclarés auprès des ARS (Malisani
& Valla 2012, Joyeux 2013, Brin-Henry 2014) pourraient alors constituer une
base de données utile.
De même une réflexion sur la formation du patient expert, sur son implication et son rôle est actuellement menée par la FNAF. En effet l’expérience du
vécu de la maladie par le patient lui confère une expertise propre dont la reconnaissance s’exerce en particulier lors de la diffusion de « savoirs autodirigés »
(Flora, 2013).
♦ Dernière minute
La semaine nationale de l’aphasie se déroulera du 20 au 25 octobre 2014.
Le programme est disponible sur le site de la FNAF : www.aphasie.fr
174
REFERENCES
BRIN-HENRY F. (2014), Education Thérapeutique du Patient et Aphasie, in Mazaux JM., de Boissezon
X., Pradat-Dielh P, Brun V. Communiquer malgré l'aphasie. Montpellier : Sauramps Médical.
FLORA, L. (2013). Savoirs expérientiels des malades, pratiques collaboratives avec les professionnels de
santé : état des lieux. Education Permanente, 2, 195,59-72.
JOYEUX, N. (2013). Education thérapeutique du patient. In T., Rousseau, P., Gatignol, S., Topouzkhanian
(Eds), Les approches thérapeutiques en orthophonie, tome 4, 3ième édition (pp. 199-221).
Isbergues : Ortho-Edition.
JOURNET, JD., PICANO CH., RETOURNE M. (2014). Du plan aphasie : l'importance de la formation
des aidants. In Mazaux JM., de Boissezon X., Pradat-Diehl P., Brun V. Communiquer malgré
l'aphasie. Montpellier : Sauramps Médical, 174-179.
MALISANI, A., VALLA, E. (2012). Elaboration d’une action d’éducation thérapeutique sur la communication destinée à la personne aphasique et à son aidant familial principal : étude pilote.
Mémoire pour l’obtention du certificat de capacité d’orthophoniste non publié, Lyon : Université
Claude Bernard Lyon 1.
SOFMER (2011). Eléments pour l’élaboration d’un programme d’éducation thérapeutique spécifique au
patient après AVC. « Le patient aphasique et son entourage ». SOFMER (Société Française de
Médecine Physique et de Réadaptation) et SFNV (Société Française Neuro-Vasculaire).
175
Aucun article ou résumé publié dans cette revue ne peut être reproduit sous forme d’imprimé, photocopie, microfilm ou par tout autre procédé sans l’autorisation expresse des auteurs et de l’éditeur.
176
Revue créée par l’A.R.P.L.O.E.V.
Paris
DERNIERS NUMÉROS PARUS
76, rue Jean Jaurès, 62330 ISBERGUES
Directeur de la publication : la Présidente de la F.N.O. :
— Tél. : 03 21 61 94 96 —
— Fax : 03 21 61 94 95 —
e-mail : [email protected]
Anne Dehêtre
N° 257 : RECHERCHE EN ORTHOPHONIE-LOGOPÉDIE ET IDENTITÉ PROFESSIONNELLE Editorial : Recherche en orthophonie-logopédie et identité professionnelle (Agnès WITKO) — Recherche
en orthophonie-logopédie et identité professionnelle : Un témoignage… Au restaurant chinois, (Pierre
FERRAND) - Intérêt de la recherche pour la clinique et vice versa : Clinique → Recherche → Clinique
→Recherche… Symptômes →Modélisations →Symptômes →Modélisations…, (Jean-Luc NESPOULOUS) Recherche et pratique professionnelle de l’orthophonie, (Marc MONFORT, Adoración JÚAREZ SÁNCHEZ,
Isabelle MONFORT JÚAREZ) - La question des apprentissages : Une ardente obligation, (Michel
FAYOL) — Eléments de cadre sur la recherche : Formats de la recherche en orthophonie, (Thierry
ROUSSEAU, Peggy GATIGNOL, Sylvia TOPOUZKHANIAN) - L’evidence-based practice à portée des
orthophonistes : intérêt des recommandations pour la pratique clinique, (Christelle MAILLART, Nancy
DURIEUX) - Sciences infirmières : disciplinarisation et interdisciplinarité, (Monique ROTHAN, Chantal
EYMARD) - L’analyse de la littérature biomédicale pour identifier les preuves et prendre des décisions,
(Hervé MAISONNEUVE) - Recherche et formation initiale des orthophonistes - Un compte rendu d’expérience en contexte universitaire français, (Agnès WITKO) — Liens entre clinique et recherche : Recherche
et pratique clinique en orthophonie : du transfert à l’échange de connaissances, (Yves JOANETTE, Perrine
FERRÉ) - Démarche de validation d’une approche réadaptative de la communication dans l’aphasie sévère :
phrc aphacom (Isabelle GONZALEZ, Sarah MARCHETTI, Hervé PETIT, Nelly MUNIER, Pierre-Alain
JOSEPH) - Comment analyser la voix humaine dans la parole et dans le chant ? Les outils scientifiques et
méthodes de la recherche fondamentale à disposition de la recherche clinique sur la voix et leurs implications
en orthophonie, (Nathalie HENRICH BERNARDONI, Audrey ACHER) - Construction d’une base de données de voix : intérêt pour la recherche en orthophonie et le partage de pratiques, (Etienne SICARD, Anne
MENIN-SICARD, Stéphanie PERRIÈRE) - Recherche clinique en orthophonie : comment la clinique des
troubles du langage écrit vient bousculer les modèles théoriques, (Sylvie RAYNAUD) - Apports et limites de
la recherche scientifique au traitement de la dyslexie en pratique clinique, (Gilles LELOUP) — Profession :
ouvertures et perspectives : L’orthophonie et la recherche, (Marine VERDURAND, Anne SICCARDI) - De
la pratique orthophonique à la naissance d’une discipline de recherche. Enjeux et conflits en recherche clinique, (Laura ALARIA, Jean-Laurent ASTIER) - Se dire pour se faire : évolution et enjeux des discours professionnels dans la construction du champ orthophonique, (Marie SAUTIER, Renaud PERDRIX, Nicolas
GUILHOT)
Revue éditée par la Fédération
Nationale
des
Orthophonistes
Rédaction
-
Administration
:
Abonnement normal : 104 euros
Abonnement réduit : 81 euros
réservé aux adhérents F.N.O.,
ou d’une association européenne
membre du CPLOL
Abonnement étudiant : 54 euros
(joindre copie de la carte)
Abonnement étudiant étranger : 58 euros
(joindre copie de la carte d’étudiant)
Abonnement étranger : 114 euros
Vente au numéro disponible
sur le site www.orthoedition.com
Membres fondateurs du comité de lecture :
Pr ALLIERES
G.
• A. APPAIX
DECROIX
•
R.
•
S.
DIATKINE
BOREL-MAISONNY
•
H.
DUCHÊNE
M. DUGAS • J. FAVEZ-BOUTONNIER • J. GERAUD
R. GRIMAUD • L. HUSSON • Cl. KOHLER • Cl. LAUNAY
F.
LHERMITTE
•
L.
MICHAUX
•
P.
PETIT
G. PORTMANN • M. PORTMANN • B. VALLANCIEN.
Comité scientifique
Aline d’ALBOY
Dr Guy CORNUT
Ghislaine COUTURE
Dominique CRUNELLE
Pierre FERRAND
Lya GACHES
Olivier HERAL
Jany LAMBERT
Frédéric MARTIN
Alain MENISSIER
Pr Marie-Christine MOUREN-SIMEONI
Bernard ROUBEAU
Anne-Marie SIMON
Monique TOUZIN
N° 258 : DENISE SADEK-KHALIL ET SON ŒUVRE – HOMMAGES ET TÉMOIGNAGES - Editorial :
(Dominique MARTINAND-FLESCH) — Introduction : Denise Sadek-Khalil, le langage oral au carrefour
de la linguistique et de la clinique, (Marie-Pierre THIBAULT) — Apports de ses travaux : Un itinéraire
improbable, (Ronald LOWE) - Sur les pas de Denise Sadek-Khalil. Rigueur, Liberté et Interaction dans la
prise en charge orthophonique, (Shirley VINTER) - Donner libre(s) cours à la recherche du langage : l’enseignement de Denise Sadek, (Elisabeth MANTEAU-SÉPULCHRE) - Denise Sadek-Khalil, Gustave
Guillaume : psycho-pédagogie et psychomécanique du langage, (Philippe SÉRO-GUILLAUME) - Denise
Sadek-Khalil : de la théorie à la réalité du langage, (Guy CORNILLAC) - Prendre, apprendre et comprendre, (Denise SADEK-KHALIL) — Compagnonnage : Une pionnière en orthophonie : Denise Sadek-Khalil,
(Anne-Marie WEIL-LEVEN, Simone TERRIER) - Gustave Guillaume et Denise Sadek-Khalil : la philosophie du langage (Colette SIRAT) - Rencontres et Privilèges, (Mireille COHEN-MASSOUDA) - Denise
Sadek... l'art de transmettre la langue dans un plaisir mutuel - Témoignages du CEOP, (Marie-Claude
CAUVIN-GARRITY, Marie-Christine CHAPERON, Christine ROMAND, Michel MAULET, Martial
FRANZONI) - A propos de « 7 Leçons de 1980 à 1984 » par Mme Sadek à une fillette sourde, (Francine
JALABERT) - Voir, savoir, faire savoir : en suivant les traces de SADEK sur les sentiers de la langue,
(Martine MIR) - Denise Sadek-Khalil, maître de stage et penseur de l’orthophonie (Mireille KERLAN) - Un
incontournable pour l’orthophonie de demain : l’approche de Denise Sadek-Khalil sur les traces de Gustave
Guillaume, (Patricia MALQUARTI) — Rencontre et hommage : Grandeur et simplicité, (Monique et JeanMarie DUCROS, Pascale DUCROS) - Témoignages (Claire DEMATEÏS-KOPPEL, Frédéric DEMATEÏS) Introduction à l’hommage rendu à Denise Sadek-Khalil lors de son inhumation le 20 avril 2012 (Nadine
SERVAJEAN)
Rédacteur en chef
Jacques ROUSTIT
Secrétariat de rédaction
Marie-Dominique LASSERRE
Abonnements
Sylvie TRIPENNE
Commission paritaire : 1110 G 82026
Réalisation TORI
01 43 46 92 92
Impression : CIA Bourgogne
Téléchargement