Classification des écoulements – modèles mathématiques – Année 2009/2010 Daniel Huilier Nombres caractéristiques du mouvement d’un fluide Nous abordons ici une démarche largement répandue en physique et en mécanique des fluides en particulier visant à simplifier les modèles en ne retenant que les termes essentiels dans les équations de base. L‘idée est de rendre les termes sans dimension en travaillant sur des grandeurs adimensionnelles, ceci dégageant des nombres caractéristiques issus de groupements sans dimension, ceci permettant de cataloguer des types d’écoulement différents selon le poids relatif des termes dans les équations de base. Les termes sans dimension sont définis en référence à des échelles caractérisant la physique des variables (tableau ci-dessous). Ecriture adimensionnelle des équations locales Grandeur Echelle Longueur L Vitesse U∞ P∞ Θ Grandeur adimensionnelle associée x = xi / L U = Ui / U∞ P = P / P∞ T =T /Θ * i * i Pression * Température * Concernant le temps, on note qu’aucune grandeur spécifique n’est introduite : l’échelle de temps est en fait liée aux échelles de longueur et de vitesse L et U ∞ par t * = tU ∞ / L . Equation de continuité (de conservation de la masse) En introduisant les grandeurs sans dimension, il vient que : ∂ρ ∂ρU i + =0 ∂t ∂ xi Soit U ∂ρ U ∂ρU i* ∂ρ ∂ρU i* 0 , + =0 + = L ∂t * L ∂ xi* ∂t * ∂ xi* Ainsi, à une référence de masse volumique près, l’équation adimensionnelle de continuité est identique à sa formulation dimensionnelle de base. Equation de la dynamique (de quantité de mouvement) On peut appliquer le même traitement à l’équation de conservation de quantité de mouvement ; il vient alors que : ρU ∞2 ⎛⎜ ∂U i* L ⎜⎝ ∂t * * ∂U i* ⎞⎟ P∞ ∂P U +U = ρ gi − + μ 2∞ * ⎟ * L ∂ xi ∂ xj ⎠ L * j ⎛ ∂ 2U i* 1 ∂ ⎛ ∂U k* ⎞ ⎞⎟ ⎜ ⎜ ⎟ + ⎜ ∂ x*∂ x* 3 ∂ x* ⎜ ∂ x* ⎟ ⎟ i ⎝ k ⎠⎠ ⎝ j j Soit encore en divisant par L / ρU ∞2 et en faisant apparaître la norme g du vecteur accélération de la pesanteur : *⎤ ⎡ ∂U i* P Lg ⎡ g ⎤ * ∂U i + = 2 ⎢ i ⎥ − ∞2 U ⎢ * j * ⎥ ∂ x j ⎥⎦ U ∞ ⎣ g ⎦ ρU ∞ ⎢⎣ ∂ t ⎡ ∂P * ⎤ μ / ρ ⎡ ∂ 2U i* 1 ∂ ⎛ ∂U k* ⎞⎤ ⎜ * ⎟⎟⎥ + + ⎢ *⎥ ⎢ * * * ⎜ ⎢⎣ ∂ xi ⎥⎦ U ∞ L ⎢⎣ ∂ x j ∂ x j 3 ∂ xi ⎝ ∂ x k ⎠⎥⎦ Les termes entre crochets sont sans dimension, il en est de même des coefficients multiplicatifs, et ceci conduit à des nombres sans dimension importants en mécanique des fluides : 1 Classification des écoulements – modèles mathématiques – Année 2009/2010 Daniel Huilier U ∞2 Nombre de Froude : Fr = Lg P Eu = ∞ 2 Nombre d’Euler : ρU ∞ U L Nombre de Reynolds : Re = ∞ ν *⎤ ⎡ ∂P * ⎤ 1 ⎡ ∂ 2U i* ⎡ ∂U i* 1 ⎡ gi ⎤ 1 ∂ ⎛ ∂U k* ⎞⎤ * ∂U i + + + = − ⎢ * Uj ⎢ g ⎥ Eu ⎢ ∂ * ⎥ Re ⎢ ∂ * ∂ * 3 ∂ * ⎜⎜ ∂ * ⎟⎟⎥ * ⎥ Fr ∂ ∂ t x xi ⎝ x k ⎠⎦⎥ ⎣ ⎦ ⎥ j ⎦ ⎣⎢ ⎣⎢ x j x j ⎣⎢ xi ⎦⎥ Equation de l’énergie Le bilan enthalpique de l’équation de la chaleur donne : ρ CPΘ U∞ L * ⎞ ⎛ ∂T * U P * ∂T ⎟ ⎜ + = ∞ ∞ U j * ⎟ ⎜ ∂t * L ∂ xj ⎠ ⎝ ⎛ dP * ⎞ U2 λΘ ⎛ ∂ 2T * ⎞ ⎜⎜ * ⎟⎟ + μ 2∞ Φ *D + 2 ⎜ * * ⎟ L L ⎜⎝ ∂ x j ∂ x j ⎟⎠ ⎝ dt ⎠ Soit encore après division membre à membre par ρ C P Θ U∞ : L *⎤ ⎡ ∂T * P∞ ⎡ dP * ⎤ μ U∞ * λ 1 ⎡ ∂ 2T * ⎤ * ∂T + = + Φ + U ⎢ * ⎥ ⎢ ⎥ j D ⎢ ⎥ ρ C P U ∞ L ⎢⎣ ∂ x *j ∂ x *j ⎥⎦ ∂ x *j ⎥⎦ ρ C P Θ ⎣ dt * ⎦ ρ C P Θ L ⎢⎣ ∂t Les coefficients multiplicatifs des termes entre crochets sont sans dimension et peuvent s’expliciter à partir de nombres consacrés : Nombre de Prandtl : Pr = μC P λ Nombre d’Eckert : EC = ρU ∞2 U2 = ∞ ρ CP Θ CP Θ On vérifiera aisément que l’équation de l’énergie se met sous la forme : *⎤ ⎡ ∂T * ⎡ dP * ⎤ EC * 1 ⎡ ∂ 2T * ⎤ * ∂T U E E . = + Φ + + ⎥ ⎥ ⎢ ⎢ * j U C⎢ D * ⎥ Pr . Re ⎢⎣ ∂ x *j ∂ x *j ⎥⎦ ∂ x *j ⎥⎦ ⎢⎣ ∂t ⎣ dt ⎦ Re 2 Classification des écoulements – modèles mathématiques – Année 2009/2010 Daniel Huilier Quelques nombres caractéristiques en physique Nombre Expression Interprétation Forces d’inertie / Forces de viscosité ρU / L 2 ∞ Re U ∞ / L2 P∞ 1 / 2.ρU ∞2 2 Eu (Euler) Pression statique / Pression dynamique Forces d’inertie / Forces de pesanteur ρU ∞2 / L ρg ρgβΘ ρ U ∞2 / L Fr (Froude) Gr (Grashof)/Re2 Forces d’Archimède / Forces d’inertie ρ C P ΘU ∞ / L λΘ / L2 ρU ∞2 / 2 ρ CP Θ Pe (Péclet) Ec (Eckert)/2 Transport convectif de chaleur / Transfert diffusif de chaleur Energie cinétique/ Enthalpie μ (U / L )2 λΘ / L2 Br (Brinkman) Dissipation mécanique / Diffusion de chaleur On pourra remarquer que les regroupements adimensionnels sont multiples et de ce fait les nombres adimensionnels ne sont pas uniques ; pour exemple, une certaine redondance est de mise : Nombre de Brinkman : Br = Pr.Ec Nombre de Péclet : Pe = Pr.Re En présence des forces de flottabilité par dilatation thermique (bouyancy forces), on peut introduire le : Nombre de Grashof : Gr = gαΘL3 / v 2 Gr où α désigne le coefficient de dilatation thermique du milieu. Traitement adimensionnel Le traitement adimensionnel des équations locales du mouvement d’un fluide peut avoir plusieurs prolongements : a) similitude entre écoulements : si deux fluides différents sont mis en mouvement dans des conditions définies par des échelles différentes mais telles que les nombres caractéristiques des deux situations soient identiques, alors ces écoulements sont régis par les mêmes équations adimensionnelles. Dès lors, si les conditions initiales et aux limites sont les mêmes, les solutions des équations sont identiques. C’est sur ce principe que reposent toutes les études sur modèles ‘réduits’ / maquettes, tant en hydraulique qu’en aérodynamique. La mise en œuvre pratique de ce principe pose en général des problèmes cat l’égalité de tous les nombres caractéristiques entre modèle et réalité n’est souvent pas possible. Il y a lieu de sélectionner les nombres dont les effets sont prépondérants. b) simplification du modèle général : dans de nombreuses applications les effets présents ne sont pas d’égale importance. Dès lors, le traitement adimensionnel permet de définir une 3 Classification des écoulements – modèles mathématiques – Année 2009/2010 Daniel Huilier simplification adaptée à chaque configuration d’écoulement en ne retenant que les termes prépondérants des équations, id est ceux qui rendent compte des effets majeurs de chaque situation d’écoulement. C’est sur la base d’une telle analyse que peuvent être définis de nouveaux modèles d’écoulement correspondant à un même type d’équilibre entre forces et transfert d’énergie. Modèles incompressibles En écoulement incompressible, les problèmes dynamique et thermique sont en général couplés ; on peut être intéressé dans un premier temps à la seule équation de bilan de quantité de mouvement pour des problèmes isothermes, et envisager des simplifications en fonction des poids relatifs des forces (ou termes) d’inertie et de viscosité. Ceci revient à considérer une classification en fonction du nombre de Reynolds local de l’écoulement étudié. Sous l’hypothèse d’incompressibilité, les équations de Navier-Stokes se réduisent sans dimension aux équations faisant intervenir les nombres d’Euler Eu, de Froude Fr et de Reynolds Re: *⎤ ⎡ ∂P * ⎤ 1 ⎡ ∂ 2U i* ⎤ ⎡ ∂U i* 1 ⎡ gi ⎤ * ∂U i − Eu ⎢ * ⎥ + +U j ⎢ * *⎥ ⎥= ⎢ ∂x *j ⎥⎦ Fr ⎢⎣ g ⎥⎦ ⎣⎢ ∂t ⎣⎢ ∂xi ⎦⎥ Re ⎢⎣ ∂x j ∂x j ⎥⎦ Dans ce cas tous les termes entre crochet sont du même ordre de grandeur (à condition que l’adimensionnalisation soit bien effectuée). Dès lors, tous les termes effectifs auront le même poids si Fr ~ Eu ~ Re ~ 1, le terme d’inertie (de gauche) étant pris comme référence. Ecoulement rampant (modèles de Stokes – creeping flow) Ce premier modèle s’applique aux écoulements visqueux dont le nombre de Reynolds caractéristique est très faible (asymptotiquement nul) ; cette situation correspond à des régimes de vitesse très faible et une viscosité du fluide élevée. Dans ces conditions, le nombre d’Euler est élevé et le nombre de Froude très faible. En tenant compte de ces trois conditions (Re << 1, Fr << 1, Eu >> 1), on constate que les termes d’inertie (non linéaires) sont négligeables par rapport aux autres termes de l’équation adimensionnelle qui se simplifie : ⎡ ∂P * ⎤ 1 ⎡ ∂ 2U i* ⎤ ⎡ gi ⎤ ⎢ g ⎥ − Eu ⎢ ∂x * ⎥ + Re ⎢ ∂x *∂x * ⎥ = 0 ⎢⎣ j j ⎦⎥ ⎣ ⎦ ⎣⎢ i ⎦⎥ 2 ∂ Ui ∂P ρ gi − +μ =0 ∂xi ∂x j ∂x j 1 Fr Le modèle présenté est connu sous le modèle de Stokes et s’applique aux écoulements dits ‘rampants’, de type cellule de Hele-Shaw, palier hydraulique de lubrification, écoulement autour d’une sphère à nombre de Reynolds très faible….. Ecoulement à nombre de Reynolds élevé : modèle d’Euler On peut envisager un deuxième cas limite où Re → ∞ . Si l’on admet que l’échelle caractéristiques des forces de pression est régie par une pression dynamique définie à partir de l’échelle de référence de la vitesse ( P ≈ ρU ∞2 ), on a alors Eu ~ 1 ;par ailleurs Re >> 1 et Fr >> 1. Dans ce cas l’équation de la dynamique se réduit à : ∂U i ∂U i ∂U i ∂U i ∂P ∂P , voire +U j =− +U j = ρ gi − ∂xi ∂t ∂x j ∂xi ∂t ∂x j 4 Classification des écoulements – modèles mathématiques – Année 2009/2010 Daniel Huilier On reconnait le modèle d’Euler qui caractérise le mouvement d’un fluide non visqueux incompressible. Ecoulement laminaire à grand nombre de Reynolds : Modèle de Prandtl Lorsque le nombre de Reynolds est grand mais non infini, le modèle précédent conduit à un certain nombre de paradoxes, notamment pour des écoulements autour de corps animés d’une vitesse relative par rapport au fluide. Il n’est plus légitime en pareil cas de négliger les effets de viscosité et donc la diffusion par agitation moléculaire, dans le champ complet de l’écoulement. Si l’échelle de temps caractéristique des transferts diffusifs est du même ordre de grandeur que celle du transport advectif, il est légitime de limiter l’influence de la viscosité à une zone de l’écoulement appelé couche limite (exemple zones de proche paroi autour d’obstacles). Le mouvement y est régi par un modèle d’équations dites de Prandtl. L’une des caractéristiques majeures des mouvements de couche limite est l’existence d’une direction d’advection privilégiée, propriété physique qui se traduit mathématiquement par un système d’équations aux dérivées partielles de type parabolique par rapport aux variables d’espace. Remarque : La notion de modèle est étroitement liée aux propriétés physiques de l’écoulement et aux caractéristiques mathématiques des équations qui en gouvernent l’évolution, et donc aux techniques de résolution numériques . Sources : Chassaing Patrick, Mécanique des Fluides – chapitre 4 : modèles mathématiques du mouvement de fluides pp. 111-133 Cepaduès - Editions 5