Travailler sans s`épuiser

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Actifs dirigeants ou employés, demandeurs d’emploi, salariés
ou indépendants, cet ouvrage s’adresse à tous car de nos jours
l’épuisement professionnel guette tous les travailleurs.
Il permettra à chacun de mieux comprendre les conditions
d’apparition de cette maladie et de ne pas se laisser emporter par la
spirale folle du « toujours plus », jusqu’au burn-out.
Le burn-out m’a terrassé, mais je l’ai dépassé et j’en
”ai été
transformé ! „
Pierre-éric Sutter
20 E
Studio Eyrolles © Éditions Eyrolles
© Shutterstock
G56515TravaillerSansSepuiser.indd 1
travailler
sans s’épuiser
Changer sa manière d’être
Prévenir le burn-out
Réinventer son travail
Code éditeur : G56515
ISBN : 978-2-212-56515-7
Psychologue du travail, psychothérapeute, directeur de l’Observatoire
de la vie au travail et dirigeant de mars-lab, cabinet d’optimisation
de la performance sociale et de prévention de la santé au travail,
Pierre-Éric SUTTER intervient depuis près de 25 ans auprès des salariés
et des organisations pour optimiser l’adéquation de l’homme et de son
environnement professionnel. Il est l’auteur d’ouvrages et de publications
relatifs à l’épanouissement au travail dont Réinventer le sens de son travail
aux éditions Odile Jacob.
Pierre-Éric Sutter
En s’appuyant sur de nombreux cas cliniques, Pierre-Éric Sutter
radiographie cette « maladie du sens » qui pousse le travailleur au
trop-plein de boulot, invitant à une « réflexion-action » approfondie
sur notre relation au travail.
travailler sans s’épuiser
Écrit par un psychologue, cet ouvrage montre qu’il est possible de
s’épanouir au travail grâce à une manière d’être et un état d’esprit
qui conduisent vers la sérénité.
Pierre-Éric Sutter
12/04/2016 12:25
Actifs dirigeants ou employés, demandeurs d’emploi, salariés
ou indépendants, cet ouvrage s’adresse à tous car de nos jours
l’épuisement professionnel guette tous les travailleurs.
Il permettra à chacun de mieux comprendre les conditions
d’apparition de cette maladie et de ne pas se laisser emporter par la
spirale folle du « toujours plus », jusqu’au burn-out.
Le burn-out m’a terrassé, mais je l’ai dépassé et j’en
”ai été
transformé ! „
Pierre-éric Sutter
Psychologue du travail, psychothérapeute, directeur de l’Observatoire
de la vie au travail et dirigeant de mars-lab, cabinet d’optimisation
de la performance sociale et de prévention de la santé au travail,
Pierre-Éric SUTTER intervient depuis près de 25 ans auprès des salariés
et des organisations pour optimiser l’adéquation de l’homme et de son
environnement professionnel. Il est l’auteur d’ouvrages et de publications
relatifs à l’épanouissement au travail dont Réinventer le sens de son travail
aux éditions Odile Jacob.
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Pierre-Éric Sutter
En s’appuyant sur de nombreux cas cliniques, Pierre-Éric Sutter
radiographie cette « maladie du sens » qui pousse le travailleur au
trop-plein de boulot, invitant à une « réflexion-action » approfondie
sur notre relation au travail.
travailler sans s’épuiser
Écrit par un psychologue, cet ouvrage montre qu’il est possible de
s’épanouir au travail grâce à une manière d’être et un état d’esprit
qui conduisent vers la sérénité.
Pierre-Éric Sutter
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sans s’épuiser
Changer sa manière d’être
Prévenir le burn-out
Réinventer son travail
12/04/2016 12:25
Travailler sans s'épuiser
Groupe Eyrolles
61, bd Saint-Germain
75240 Paris Cedex 05
www.editions-eyrolles.com
Du même auteur :
Pierre-Eric Sutter, Réinventer son travail, Odile Jacob, 2013
Mise en pages et maquette : Florian Hue
En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou
partiellement le présent ouvrage, sur quelque support que ce soit, sans autorisation de
l’éditeur ou du Centre français d’exploita­tion du droit de copie, 20, rue des GrandsAugustins, 75006 Paris.
© Groupe Eyrolles, 2016
ISBN : 978-2-212-56515-7
Pierre-Éric Sutter
Travailler
sans s'épuiser
Changer sa manière d’être
Prévenir le burn-out
Réinventer son travail
Sommaire
Avant-propos...................................................................................................11
Introduction..................................................................................................15
« Accaparement » au XIIe siècle et « burn-out » au XXIe siècle :
même combat........................................................................................................ 15
La modernité de Saint Bernard : un mix d’existentialisme,
de pragmatisme et de prévention.................................................................... 18
L’équation du travail en France :
idéalisation + insatisfaction = frustration........................................................ 20
Les Français désespérément accrochés à leur travail................................ 22
Le travail comme possibilité de se transcender........................................... 24
1
Burn-out : attention aux idées reçues.................27
Quand un trouble mental au travail tue 149 personnes............................. 29
Le terme « burn-out » employé à tort et à travers....................................... 32
Quand la « consumation intérieure » se propage vers l’extérieur............ 34
© Groupe Eyrolles
Comment définir le burn-out ?........................................................................................ 36
Est-ce un processus conduisant à un état d’épuisement ?...................... 37
Est-ce un syndrome d’épuisement tridimensionnel ?................................ 37
Est-ce une crise de foi professionnelle ?......................................................... 40
C’est une crise de foi existentielle !................................................................... 44
5
Travailler sans s'épuiser
Burn-out : ce qu’il n’est pas.............................................................................................47
Ne pas confondre burn-out et surmenage................................................... 48
Ne pas confondre burn-out et stress.............................................................. 49
Ne pas confondre burn-out et boulomanie................................................... 50
Ne pas confondre burn-out et dépression.................................................... 52
Ne pas confondre burn-out et trouble de stress post-traumatique..... 53
Différencier le burn-out des autres pathologies.......................................... 54
Burn-out : ce qu’il est........................................................................................................56
La complexité d’être à la fois un processus et un état................................ 57
Du mot burn-out aux maux du burn-out : les symptômes....................... 61
Burn-out : ce qu’il fait....................................................................................................... 63
Les signes avant-coureurs à détecter............................................................. 63
La représentation que l’on a de soi influe sur le processus
du burn-out............................................................................................................. 64
L’image de soi : les dégâts d’un jugement de soi négatif........................... 65
Quand la dynamique négative de soi mène au burn-out.......................... 69
Burn-out : ce qui le cause.................................................................................................73
© Groupe Eyrolles
Les exigences organisationnelles..................................................................... 74
Les exigences interindividuelles........................................................................ 75
Les exigences intra-individuelles...................................................................... 76
Englober ces « exigences » qui se combinent entre elles.......................... 78
6
Sommaire
2
Pourquoi nous sommes tous menacés.................... 83
L’envahissement du technocapitalisme,
au risque de la déshumanisation....................................................................... 86
Les contradictions du travail.........................................................................................90
La souffrance est-elle désormais le sens du travail ?.................................. 92
La perte du travail lui donne tout son sens..................................................... 94
Quand l’organisation du travail est à l’origine de la perte de sens........... 95
Les mirages de l’excellence................................................................................................96
Des contraintes qui s’accumulent.................................................................... 97
Les dangers de la performance......................................................................... 99
Le « coût de l’excellence ».................................................................................101
Des salariés à bout de souffle ?.......................................................................106
Faut-il travailler pour vivre ou vivre pour travailler ?................................. 107
Hypothèse 1 : le travail, une aliénation librement consentie...................110
Hypothèse 2 : le travail, une possession qui nous dépossède
et une dépossession qui nous possède.......................................................113
Hypothèse 3 : le travail, une mise sous contrainte,
clé du sens de l’existence..................................................................................117
© Groupe Eyrolles
Le besoin d’action de l’être humain..............................................................................124
Du sens que chacun trouve dans son travail...............................................126
Les désordres et déséquilibres de l’action...................................................130
Le travailleur contre son travail (car il l’insatisfait),
tout contre (car il l’idéalise)................................................................................136
7
Travailler sans s'épuiser
Croyances, mythes et visions du monde capitaliste............................................138
Au commencement était l’homo œconomicus..........................................140
Quand l’excès de rationalité confine à l’irrationalité...................................142
3
Conduire la transformation de soi....................... 145
Du travailleur « pensé » au travailleur « penseur »...................................... 147
Retrouver son authenticité...............................................................................148
Penser différemment son travail.....................................................................151
Être soi au travail, c’est tout un travail sur soi !.............................................153
Viser l’authenticité............................................................................................................ 155
Nos angoisses existentielles : quelles sont-elles ?.....................................157
Faire face aux angoisses existentielles liées au travail..............................160
Le retour de la méditation en Occident........................................................163
Les effets bénéfiques des pratiques méditatives.....................................165
De la méditation exotique à la méditation philosophique.......................167
Penser sa vie et vivre sa pensée......................................................................168
Des exercices spirituels aux exercices existentiels...................................170
Exercices existentiels : quid est ?.....................................................................177
Travail et soin de l’âme........................................................................................179
La nécessité de l’ascèse philosophique........................................................180
Opérer une conversion radicale : de soi à l’ouvrage à l’œuvre de soi....183
8
© Groupe Eyrolles
Méditer sur son existence : la philosophie pratique comme solution...........163
Sommaire
Pratiquer des exercices existentiels..........................................................................185
Faire le bilan de soi...............................................................................................187
Les deux voies de la méditation......................................................................188
La préméditation..................................................................................................192
Quand et comment méditer ? Formes et activités méditatives......................... 197
Faire un examen de conscience......................................................................198
Profiter de la vie mondaine pour méditer au quotidien............................199
Lire pour méditer..................................................................................................200
Écrire : les hypomnemata et les kephalaia....................................................201
Méditer philosophiquement au quotidien, par soi et pour soi................203
4
Réinventer son travail, c’est possible !............. 205
Faire du numérique une opportunité..........................................................................209
L’épopée du numérique au service du « devenir soi »...............................210
Le progrès subtil (propre à chacun) asservi par le progrès utile
(celui de la technologie)......................................................................................214
Rééquilibrer progrès subtil et progrès utile...................................................219
© Groupe Eyrolles
S’autodéterminer au travail, jusqu’à devenir entrepreneur de soi............ 223
Le travailleur, responsable de sa réalisation professionnelle..................225
Devenir entrepreneur de soi.............................................................................226
Monter en performance....................................................................................231
Les ressorts de l’autodétermination au travail............................................233
La performance au service du « devenir soi », pas l’inverse....................236
9
Travailler sans s'épuiser
Le travailleur du futur....................................................................................................238
Révolution : ce qui a déjà changé.....................................................................239
L’artisanat entrepreneurial, alternative au salariat capitaliste................241
Le coût marginal zéro : l’abondance au moindre coût,
grâce au numérique............................................................................................243
Les communaux collaboratifs, alternative au lien de subordination
employé-employeur...........................................................................................247
Le travailleur, concepteur de son outil de production
et promoteur de sa production.......................................................................249
Une société post-salariale est-elle possible ?.....................................................253
Comment le numérique chamboule la donne
en matière d’emploi salarié...............................................................................254
Numérique et salariat : compatibles à long terme ?..................................257
Conclusion....................................................................................................263
Bibliographie................................................................................................ 267
© Groupe Eyrolles
Index.............................................................................................................. 269
10
Avant-propos
Il me faut avouer l’inavouable : je suis psychologue, pourtant
j’ai fait un burn-out ! Il n’y a rien d’original à cela : l’« inventeur1 » du burn-out lui-même, Herbert Freudenberger, était
également psychologue, pourtant, lui aussi a fait un burnout. Nombre de psys, exposés aux violences sociales et psychiatriques quotidiennes dans leur travail, font un burn-out :
ainsi, 43,9 % des psychiatres hospitaliers seraient en situation
d’épuisement professionnel2. Les cordonniers seraient-ils les
plus mal chaussés ? Non, parce que certains apprennent par la
pratique – et non dans les livres seuls – ce qui doit être évité à
leurs patients, au risque d’en souffrir eux-mêmes.
© Groupe Eyrolles
Cette révélation d’une partie intime de ma vie personnelle n’est
donc aucunement le prétexte pour flirter avec le pathos d’un
storytelling racoleur. Il n’est d’ailleurs pas mon intention de la
raconter par le menu détail, à l’instar d’une autopsie. Je laisserai amplement la place à d’autres cas que le mien : ceux
de personnes rencontrées durant ma vie professionnelle ou de
1. L’article “Staff burnout” de Herbert Freudenberger, psychologue américain, a été publié
en 1974. Il est considéré comme la première tentative scientifique de description du
syndrome.
2. Selon l’enquête SESMAT effectuée en 2011, publiée dans l’Information psychiatrique,
2011/2, volume 87, pp. 95-117.
11
Travailler sans s'épuiser
patients accompagnés dans mon cabinet de psychothérapeute.
Si j’ai décidé de révéler, près de vingt ans après, cet événement
de ma vie personnelle, c’est pour témoigner « de l’intérieur »,
en émaillant les lignes de cet ouvrage d’extraits de mon vécu :
les épreuves, les combats, les doutes, les réflexions, les choix
de vie.
Mais c’est aussi pour délivrer ce message d’espoir, voire d’espérance : le burn-out m’a terrassé, mais je l’ai dépassé et
j’en ai été transformé ! Loin d’être un livre de recettes toutes
faites, le présent ouvrage est l’une des preuves vivantes que
le burn-out, loin d’être destructeur, peut être transformateur.
Invitant à une « réflexion-action » approfondie, une méditation
philosophique sur notre relation au travail, il est le témoignage
qu’il est possible de lutter contre les pathos1 au travail – les
multiples manifestations de la souffrance, morales, mentales,
psychiques ou physiques, à laquelle chaque travailleur est tôt
ou tard confronté – par un ethos2 approprié – un mode d’être
au travail, un état d’esprit qui conduit vers la sérénité, plutôt
que vers l’épuisement.
1. « Pathos » signifie en grec « souffrance ». Le pathos, tel qu’entendu et développé dans ce
livre, dépasse la simple douleur physique. Il se caractérise par son surgissement invasif et
involontaire dans les champs de conscience, comme l’indique Paul Ricœur in Philosophie
de la volonté – Le volontaire et l’involontaire, tome I, Aubier, 1950.
2. Cette notion de (philosophie comme) « mode de vie » est développée par Pierre Hadot
dans son ouvrage Qu’est-ce que la philosophie antique ?, Gallimard, coll. Folio Essais, 1995.
Nous allons l’aborder en détail dans le chapitre 3.
12
© Groupe Eyrolles
Le burn-out n’est pas une malédiction inéluctable, il peut
être un moteur puissant du changement, et même d’une
Avant-propos
conversion radicale vis-à-vis du travail et de la souffrance qui
lui est souvent associée. C’est la souffrance qui génère le travail, pas l’inverse. Mais pas n’importe quel type de travail :
celui que l’on effectue sur soi grâce à sa vie professionnelle,
car soi au travail, c’est tout un travail sur soi1 !
Le phénomène du burn-out met en abyme l’étrange paradoxe
qu’est le travail : à la fois aliénation ET libération, et non
pas l’un OU l’autre. Le travail sur soi offre de déjouer tant les
soi-disant pièges de l’aliénation professionnelle que les illusions de l’injonction du « bonheur au travail »2. Le travail est
une mise sous contrainte qui suppose l’effort, certes, mais, fort
heureusement, il ne mène pas systématiquement à la souffrance ; il est possible pour chacun de s’y épanouir, voire de
se réaliser grâce à lui, sans sombrer dans le pathos, grâce à un
ethos approprié, une manière d’exister sereine.
© Groupe Eyrolles
En ce sens, cet ouvrage s’adresse à tous les travailleurs, qu’ils
soient demandeurs d’emploi, actifs dirigeants ou employés,
salariés ou indépendants ; il n’est pas réservé qu’à ceux qui
seraient en situation de travail excessif ou compulsif, voire au
bord du burn-out : dans un monde où la machine capitaliste
s’est emballée en demandant à chacun d’en faire toujours plus,
le dégoût du travail et l’épuisement professionnel guettent
1. Comme j’ai tenté de le montrer dans Réinventer le sens de son travail, Odile Jacob, 2013.
2. Injonction qui s’apparente au « devoir de bonheur » dénoncé par Pascal Bruckner
dans L’Euphorie perpétuelle, Grasset, 2002. Il est abusif de parler de bonheur au travail,
dès lors qu’existe une asymétrie de pouvoir entre les parties (comme c’est le cas pour un
employeur avec ses employés), sans risquer que l’une n’impose sa vision à l’autre ou ne
l’instrumentalise.
13
Travailler sans s'épuiser
tous les travailleurs, qu’ils soient dirigeants, managers ou collaborateurs. Mais, par-delà, le burn-out renvoie au dégoût de
soi, celui d’avoir consenti à la servitude, volontairement ;
d’en avoir fait toujours plus, au détriment de soi : de son
temps personnel et familial, de sa santé, de ses rêves d’antan...
© Groupe Eyrolles
Il est urgent que l’on passe de l’ère du « travailleur-pensé »,
initiée par le taylorisme, à celle du « travailleur-penseur », que
le numérique contribue à révéler ; il faut prendre le temps de
s’interroger sur ce qui fait qu’au travail l’on peut se laisser piéger par la mécanique sournoise du burn-out, avant qu’il ne soit
trop tard, quand bien même on aime son travail. C’est l’une
des ambitions de cet ouvrage : aider chacun à (re)penser son
rapport au travail – plutôt que de laisser cela à autrui – pour
ne pas se laisser emporter par la spirale folle du « toujours
plus » du capitalisme consumériste et se prémunir concrètement contre l’épuisement qui peut en résulter.
14

Introduction
« Accaparement » au XIIe siècle et « burn-out »
au XXIe siècle : même combat
© Groupe Eyrolles
En ces temps dits « modernes », où nous semblons découvrir les bienfaits de la prévention de la santé au travail, il est
étonnant de constater qu’il y a près de neuf siècles déjà, Saint
Bernard (le Bernard de Clairvaux de la seconde croisade)
prodiguait des conseils à son ancien disciple Eugène III, élu
pape quelques années auparavant, pour lui éviter le principal piège lié aux « exigences1 » de sa fonction : l’« accaparement », causé par un « affairement permanent » (ce qui, en
langage moderne, peut se traduire par « surcharge de travail
chronique » ou « surengagement »). Le dessein de Bernard,
consigné dans un traité dénommé De consideratione2 (De la
considération), consiste à mettre en garde le pape (et le lecteur)
sur ce risque d’« accaparement » que suscite toute « charge »
prestigieuse, quand bien même elle a été acceptée de plein gré.
1. Nous verrons dans le chapitre 1 que cette notion d’exigence est fondamentale pour
comprendre les causes du burn-out au travail.
2. Bernard de Clairvaux, De consideratione (1149-1152), trad. P. Dalloz, Saint Bernard – De
la considération, Cerf, 1986.
15
Travailler sans s'épuiser
Il convient de pratiquer la considération de soi, explique-t-il
dans ce traité. Qu’est-ce que la considération pour Bernard ?
Il s’agit des bienfaits qu’apporte la philosophie pour faire face
au trop-plein de travail. Il tire ce terme de Cicéron qui, dans
son De officiis2, affirme que la philosophie est « un effort vers la
sagesse ». Il réaffirme en ce sens la vision de Platon qui estimait
que la philosophie est un intermédiaire entre l’ignorance et
la sagesse (comme nous l’approfondirons dans le chapitre 3).
La considération ne concerne pas un savoir en dehors de soi,
mais désigne un acte de l’esprit, une règle à suivre, une tâche
à accomplir. Ainsi, Bernard conseille à Eugène d’éviter d’être
conduit par ses occupations. À ne gérer que des urgences « tu
perds ton temps ! », dit-il au pape. Il met le doigt sur ce grand
dilemme devenu si prégnant à notre époque : chercher en
permanence à gagner du temps pour travailler plus. Bernard
estime qu’il faut arrêter de perdre son temps à cela. Si nous
nous laissons réduire à nos obligations, cela mène à l’« endurcissement du cœur », nous devenons inhumains vis-à-vis de
l’humain. En bref, nous perdons notre sens de l’empathie,
notre compassion vis-à-vis de nous-même et d’autrui.
1. Étienne de la Boétie, Discours de la servitude volontaire, Flammarion, 1993.
2. Cicéron, Traité des devoirs, traduit par A. Lorquet, 1864. En ligne sur Remacle.org.
16
© Groupe Eyrolles
Il pointe ici la « double contrainte », si souvent présente dans
les cas de burn-out, qui mène à la « servitude volontaire1 » :
la personne est accaparée par son travail parce qu’elle est pleinement engagée dans son travail qui la motive, d’autant plus
lorsque, comme pour Eugène, cela résulte d’une promotion.
Introduction
Quel remède Bernard propose-t-il pour éviter d’avoir le cœur
endurci jusqu’à « l’abrutissement de soi » ? Il faut absolument
qu’Eugène (tout comme chaque lecteur) s’octroie un temps dédié
à la « considération de soi ». Loin d’opposer théologie et philosophie, il propose une démarche, une méthode consistant à se
ménager au travail. Véritable méthode de philosophie pratique
qui n’a rien à envier aux recettes actuelles du développement
personnel, la considération de soi suppose une connaissance
préalable de soi et, par-delà, de la condition humaine. La considération de soi démarre par une prise de conscience ; celle, pour
Eugène, du piège de la fonction acceptée de plein gré et celle de
l’opportunité de contrebalancer la vie active avec la vie contemplative. La vie contemplative permet l’examen de soi régulier par
la méditation1. Cette méditation, philosophique, offre de faire le
vide en soi ; elle favorise une réflexion appropriée vis-à-vis de
soi-même : éviter d’être injuste avec soi en se sacrifiant pour les
autres ou pour Dieu (toujours pour Eugène), éviter, à l’inverse,
de s’autocentrer, ce qui est présomptueux et dangereux, car cela
enfle l’ego et conduit à l’abrutissement de soi.
© Groupe Eyrolles
Rien ne sert de se perdre dans des théories ineptes, il faut pratiquer des exercices concrets, c’est le sens même de la notion
de vie active2 : pratiquer la prudence, reine des vertus selon
1. Rappelons que nous sommes au XIIe siècle, bien avant l’engouement des techniques de
méditation orientales du XXIe siècle !
2. À ne pas confondre avec le sens que ce terme a pris aujourd’hui. La vie pratique,
complément de la vie contemplative, suppose ici la mise en pratique au quotidien de la
méditation conduite sur la vie de tous les jours, comme nous le verrons au chapitre 3.
17
Travailler sans s'épuiser
Aristote, qui aiguise l’intelligence ; pratiquer la sagesse qui
accroît la capacité à discerner l’essentiel de l’accessoire. Ces
exercices – que nous allons qualifier plus loin d’« existentiels »
parce qu’ils permettent d’aborder avec plus de sérénité tant
l’existence que les caractéristiques universelles de la condition
humaine – ont un pouvoir purificateur car ils permettent de
rectifier l’ego, d’ajuster l’esprit et le corps à la situation, et de
tendre vers l’ataraxie1. Ainsi, le « pathos » des situations stressantes est évité par un « ethos » approprié, un mode de vie
adapté : la considération de soi.
La modernité de Saint Bernard : un mix d’existentialisme,
de pragmatisme et de prévention
◗◗ Existentialiste : l’existentialisme, courant philosophique
et littéraire, postule que l’être humain contribue à
1. L’ataraxie, qui signifie « absence de troubles » et, par extension, « paix de l’âme, sérénité
de l’esprit », a été visée par les écoles de pensée philosophique épicurienne et stoïcienne.
18
© Groupe Eyrolles
Cette philosophie pratique, remise au goût du jour par
Bernard – proche des règles de vie monastiques –, a ceci de
moderne qu’elle est connotée de tonalités existentialistes,
pragmatiques et préventives. Ainsi, non seulement elle répond
aux problématiques de la condition humaine, mais elle éclaire
aussi les fondements de la pathologie du burn-out, ainsi que
les théories et pratiques pour la résoudre avec plus d’efficacité.
Précisons ces trois aspects :
Introduction
l’essence de sa vie par ses propres actions, celles-ci n’étant
pas prédéterminées par des doctrines théologiques, philosophiques ou morales. Chaque personne est un être
unique, maître de ses actes, de son destin et des valeurs
qu’il décide d’adopter. On l’a vu à travers la « considération de soi », Bernard s’inscrit dans ce principe.
◗◗ Pragmatique : le pragmatiste est proche du concret ; il se
défie des idées abstraites de l’intellectualisme, il s’attache
à savoir pratiquement quels effets une théorie produira
dans l’expérience. Le pragmatisme n’est pas un ensemble
de dogmes, mais une attitude philosophique. La vérité
n’existe pas a priori, elle se révèle progressivement par
l’expérience. La considération bernardienne est pragmatique, parce qu’elle s’attache à décliner dans l’action une
pensée qui ne vaut que par sa mise en pratique.
© Groupe Eyrolles
◗◗ Préventif : la prévention est une attitude consistant à
prendre un ensemble de mesures afin d’éviter qu’une
situation ne se dégrade, par exemple qu’un accident ou
une maladie ne surviennent. Il s’agit de limiter le risque
qu’un danger se manifeste, d’atténuer l’étendue ou la gravité de ses conséquences. La prévention vise également à
augmenter la résilience des personnes ou des ressources
menacées. Dans son traité, Bernard n’entrevoit que trop
bien, pour les avoir connues, les conséquences d’un tropplein de travail et du manque de temps pour soi. Pour
éviter d’atteindre cet état fatal, il préconise des mesures
adaptées. Grâce à la méthode de la considération de soi,
19
Travailler sans s'épuiser
véritable entraînement fait d’exercices pratiqués au quotidien, l’adepte renforce sa capacité de résistance et sa
résilience.
Voyons maintenant en quoi le propos de Bernard renvoie avec
acuité aux préoccupations actuelles des travailleurs français,
plus particulièrement celles concernant le burn-out.
L’équation du travail en France :
idéalisation + insatisfaction = frustration
1. Comme le montre Pascal Chabot dans Global burn-out, PUF, 2013.
2. Si l’on en croit l’étude Technologia, cabinet en évaluation des risques professionnels,
parue en mai 2014 et comme confirmé par Philippe Zawieja dans le « Que-sais-je ? »
dédié au burn-out, PUF, 2015.
20
© Groupe Eyrolles
Si, à l’époque de Bernard, l’accaparement ne paraît toucher
que l’élite religieuse et intellectuelle, le burn-out semble devenir, de nos jours, une « maladie de civilisation1 ». Bien que
cette pathologie n’ait été identifiée que depuis quatre décennies à peine, et bien qu’aucune étude épidémiologique ne
fasse encore en France actuellement autorité, les experts estiment à environ trois millions les actifs qui pourraient basculer,
à court ou moyen terme, vers un état d’épuisement professionnel (soit 12,6 % de travailleurs français, toutes catégories confondues)2. Ce chiffre est, hélas, amené à croître car le
burn-out menace de plus en plus de Français. Il progresse du
fait que, depuis quelques décennies, le travail est devenu une
valeur sociale centrale en France. Jadis cantonnée aux métiers
Introduction
« vocationnels1 », cette pathologie frappe, en effet, ceux pour
qui le travail est le pilier central de leur identité. Alors que,
jadis, le travail était plutôt perçu comme une malédiction ou
une aliénation2, il est progressivement devenu facteur d’épanouissement3, du fait de l’évolution des valeurs et des attentes
des Français.
© Groupe Eyrolles
La façon dont est vécu le travail ne doit jamais être analysée
de façon binaire, mais toujours de façon subtile ; il ne faut
pas confondre le « Tout » avec l’une de ses « Parties », par
exemple en affirmant que le travail, c’est la souffrance, exclusivement, quand bien même le sien fait souffrir ; ce serait une
contre-vérité amputant la teneur du vécu général au travail.
Les Français vivent dans leur esprit, et parfois même dans leur
chair, cet apparent paradoxe qui oppose le travail en théorie
comme étant idéalisé et le travail en pratique comme étant
insatisfaisant. En valeur absolue et en théorie, le travail donne
du sens à leur vie mais, dans le même temps, en valeur relative
et en pratique, leur travail leur paraît tellement plein de nonsens dans la façon dont il est orchestré par leur employeur
qu’il en devient absurde. Ce qui saute aux yeux dans l’analyse
de ce paradoxe du travail en France, c’est bien le manque de
congruence entre le travail en théorie, fortement idéalisé, et
1. Les métiers vocationnels ont une forte dimension de sens du fait de valeurs sousjacentes à l’activité comme les métiers de la santé dans lesquels la relation d’aide à autrui
ou le fait de sauver des vies sont prégnants.
2. Pierre-Éric Sutter, Réinventer le sens de son travail, op. cit.
3. Dominique Méda, Patricia Vendramin, Réinventer le travail, PUF, coll. Le Lien social,
2013.
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Travailler sans s'épuiser
son travail en pratique, fortement insatisfaisant. Ainsi, on peut
énoncer l’équation du paradoxe du travail en France : idéalisation + insatisfaction = frustration. C’est cette frustration,
stressante, qui, lorsqu’elle devient chronique et intense, peut
déboucher vers le « mot burn-out » (la rumeur sociale1 qui
nomme « burn-out » ce qui n’en est pas) pour les uns, ou
vers les « maux burn-out » (la pathologie véritable) pour les
autres, selon son intensité. Comment expliquer alors, s’il est
frustrant et potentiellement destructeur, que le travail soit si
central dans la vie des Français ?
L’être humain ne tend pas spontanément vers plus de souffrance, bien au contraire. Le travail représente un moyen de
lutter contre les souffrances de l’existence humaine. Le travail sur l’environnement naturel permet d’assouvir les besoins
primaires (se nourrir, se vêtir) en atténuant ou supprimant
les tensions qui peuvent en résulter (avoir faim, avoir froid).
Comme n’importe quel organisme vivant, l’être humain travaille d’abord pour assurer sa survie. En ce sens, plus qu’une
source de souffrance, le travail est une mise sous contrainte
qui optimise l’effort pour faire face aux spécificités de la condition humaine, matérielles comme immatérielles.
1. Au sens où les sociologues l’entendent et pour faire référence à l’ouvrage princeps sur
le sujet d’Edgar Morin La Rumeur d’Orléans, Seuil, coll. L’histoire immédiate, 1969 qui en
décortique le phénomène.
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Les Français désespérément accrochés à leur travail
Introduction
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C’est pourquoi le travail est à la fois incontournable et insatisfaisant. Incontournable, parce qu’il est vital pour satisfaire nos
besoins humains et central dans nos sociétés capitalistes qui
l’ont divisé, standardisé, organisé. Insatisfaisant, parce que la
manière dont il comble les besoins humains et la façon dont il
est divisé, standardisé, organisé ne vont pas de soi par rapport
à l’idée que chacun s’en fait. Son travail n’est pas le travail, et
le travail n’est pas son travail. Bien qu’il les insatisfasse et qu’il
puisse parfois nuire gravement à leur santé, les Français s’accrochent néanmoins à leur travail, de toutes leurs forces. Les
statistiques de l’INSEE1 montrent qu’ils font partie des salariés
les moins mobiles d’Europe. Il faut dire que le spectre du chômage les hante, la France étant l’un des pays européens dont
le taux de demandeurs d’emploi est des plus élevés.
De fait, et c’est l’une des spécificités culturelles en France, les
salariés français ont un rapport de plus en plus passionnel avec
le travail : ils l’adorent et l’abhorrent dans le même temps. Ils
l’adorent, parce qu’il leur offre d’assouvir leurs besoins d’être
humain, de lutter contre certaines souffrances de l’existence et
il les préserve du néant du chômage. Ils l’abhorrent, parce qu’il
les confronte à l’anéantissement possible de leur individualité
face à des exigences de plus en plus stressantes. Ils sont donc
prêts à tous les sacrifices pour lui : nous sommes vraiment loin
de la considération de soi prônée par Saint Bernard !
1. www.insee.fr
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Travailler sans s'épuiser
Le travail comme possibilité de se transcender
1. La phénoménologie est la science des phénomènes. Un phénomène est, au sens kantien du terme, la manifestation d’un objet du réel, par opposition au noumène, qui est
l’être, l’essence dudit objet. Pour Husserl, chef de file de la phénoménologie, il n’y a pas
d’autre possibilité d’accéder à l’être, à l’essence d’un objet qu’en passant par son apparaître, qui surgit et fait sens dans la conscience du sujet. La conscience est ainsi liée à
la notion d’intentionnalité car, pour Husserl « toute conscience est conscience de quelque
chose ». Il s’agit de décrire l’être de l’objet tel qu’il apparaît au sujet, car être et apparaître
sont indissociables tout comme l’objet et le sujet, distincts, mais en relation par ce trait
d’union de conscience qu’est l’intentionnalité.
2. Hegel, La Phénoménologie de l’esprit, Vrin, 2006.
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Travailler, toutefois, ce n’est pas seulement avoir un emploi,
exécuter des tâches, toucher un salaire et tenir son rôle de
consommateur dans la société. Travailler, c’est aussi manifester son être singulier dans le réel, c’est pouvoir vivre une
véritable expérience phénoménologique1 de « soi au monde »
qui confine, pour certains, à une vocation quasi mystique,
celle de la poursuite d’un idéal qui transcende la vie quotidienne en permettant de se dépasser et de dépasser les limites
de la condition humaine. Le travail confronte, en effet, l’être
humain à la dialectique de la matière et de l’esprit, du tangible
et de l’intangible. Le travail, « matière de son agir » comme le
disait Hegel2, offre de concrétiser les abstractions de l’esprit
en agissant sur la matière. Dit autrement, le travail renvoie
l’être humain à la conjonction de sa dimension sensible (qui
lui fait éprouver concrètement satisfaction ou insatisfaction au
travail) et de sa dimension intelligible (qui lui fait contempler
l’idéal que représente le travail). On ne doit pas, là encore,
Introduction
réduire le Tout-travailleur à l’une des Parties sensible ou intelligible ; il est un être qui ressent les choses – et donc qui peut
en souffrir –, mais il peut tout autant les penser – donc les
idéaliser positivement.
L’expérience phénoménologique qu’est le travail impacte
l’existence de chacun, différemment. Il renvoie l’être humain
aux conditions de son existence, et donc à un certain nombre
d’angoisses existentielles, tantôt en les atténuant, tantôt en les
accentuant, comme à son extrême dans les cas de burn-out.
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Nous verrons, dans le premier chapitre, qu’effectivement le
burn-out, maladie du sens par excellence, interpelle le travailleur – mais aussi tous les experts, qu’ils soient théoriciens ou
praticiens – sur le plan des questions existentielles, qui, bien
qu’insuffisamment prises en compte, jouent un rôle important dans sa genèse et sa dynamique. Ce chapitre sera l’occasion de préciser ce qu’est le burn-out et ce qu’il n’est pas,
en l’état actuel des connaissances. Ce sera l’opportunité de
pousser la réflexion sur son concept et les paradigmes pour
l’appréhender.
Le deuxième chapitre permettra d’approfondir l’analyse sur
la nature du lien qu’entretient le travailleur avec le travail, en
théorie, et son travail, en pratique, pour comprendre en quoi
cela l’empêche de se réaliser et peut mener au pathos, au
burn-out. Ce chapitre proposera des pistes de réflexion pour
identifier, expliquer et éviter les impasses du pathos au travail.
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Travailler sans s'épuiser
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Le troisième chapitre, quant à lui, abordera concrètement la
démarche à suivre (la méditation philosophique) et les exercices à pratiquer (les exercices existentiels) pour conduire
le travail sur soi. Le travail sur soi permet de se départir du
pathos au travail et de construire son ethos professionnel,
traduisant la transformation de soi. En évitant de s’épuiser au
travail, cette transformation doit permettre d’en finir avec le
burn-out et tout pathos professionnel.
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Enfin, le quatrième chapitre sera l’occasion d’explorer les axes
d’application concrète de ce travail sur soi pour être soi au
travail. Être authentiquement soi au travail, c’est la possibilité effective de se réinventer dans son travail actuel, voire
d’inventer son travail, grâce aux formidables potentialités
du numérique. Envisagées comme étant au service de l’être
humain et non l’inverse, elles peuvent offrir au travailleur de
passer de soi à l’ouvrage à l’œuvre de soi.
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