Dépression - Quel lien avec la neuroplasticité cérébrale ?

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PSYCHIATRIE
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Dépression
Quel lien avec la neuroplasticité cérébrale ?
I
l semble exister un cercle
vicieux par lequel les phénomènes de plasticité cérébrale
entraînent l’état dépressif et vice
versa, d’où un risque élevé de
rechutes et de récidives. Le cerveau se modifie tout au long de la
vie du fait de la capacité des neurones à se remodeler pour s’adapter à l'environnement en fonction
des expériences psychiques et
cognitives de l’individu. On peut
rappeler que la plasticité est la
capacité du cerveau à remodeler
les branchements entre ses neurones. Elle est à la base des processus de mémoire et d’apprentissage, mais intervient également
parfois pour compenser les effets
de lésions cérébrales en aménageant de nouveaux réseaux.
Des mécanismes biologiques
On sait maintenant que l’altération
de la neuroplasticité correspond à
des mécanismes biologiques et
qu’il est possible de la restaurer
par des traitements pharmacologiques ou non. Les progrès de la
neuro-imagerie ont permis de
mettre évidence, chez les patients
déprimés (et cela dès le premier
épisode dépressif), l’existence de
modifications structurales et fonctionnelles au niveau de trois
grandes structures cérébrales :
une diminution du volume de
l’hippocampe avec une diminution
de la neurogenèse dans la région
du gyrus dentelé (et ce d’autant
que les épisodes dépressifs ont
été longs et/ou nombreux), une
atrophie des neurones avec une
diminution des connexions neuronales dans le cortex préfrontal et
une hyperactivité de l’amygdale.
Par ailleurs, le PET scan a permis
de visualiser le retentissement
fonctionnel de ces altérations,
avec une diminution du métabolisme du glucose du réseau cérébral. Aux yeux du Dr H. Allain
(Rennes), les stress répétés tels
que les troubles de l’humeur
récurrents réduisent la “résilience
neuronale”, rendant ainsi certaines
structures cérébrales plus vulnérables à d’autres agressions (âge,
pathologies intercurrentes, difficultés socio-économiques).
Les données cliniques
Au niveau clinique, les données
vont dans le même sens : on
admet que la dépression est un
trouble récurrent ; en effet, après
un premier épisode, 80 % des
patients présenteront un nouvel
épisode dans les 10 ans. L’hypothèse du Kindling suggère qu’au fur
et à mesure que se succèdent les
épisodes dépressifs chez un même
patient, des événements de vie de
plus en plus minimes sont à même
de déclencher de nouveaux épisodes dépressifs. Les résultats
d’une vaste étude épidémiologique
transversale, ACTUEL 1, portant sur
13 000 patients déprimés en
France confortent cette hypothèse
et pourraient être rapprochés des
altérations de la plasticité neuronale. Les travaux expérimentaux
américains de Diamond et al. ont
démontré que la tianeptine bloque
les effets du stress au niveau de
l’hippocampe et du cortex préfrontal et rétablit le fonctionnement des
récepteurs aux acides aminés excitateurs, et, par là, la plasticité synaptique. Comme l’explique le
Dr Ph. Gorwood (Colombes) :
« Chez le patient déprimé, les
troubles marqués de la mémoire
et de la concentration témoignent
du retentissement fonctionnel des
altérations hippocampiques. Ce
qui incite à repérer ces altérations
dans la dépression en utilisant des
tests de mémoire spécifiques».
Puisque la dépression apparaît
comme le résultat d’une altération
de la neuroplasticité dans les structures impliquées dans le contrôle
de l’humeur et des émotions, on
comprend l’importance de relancer
la neurogenèse afin d’améliorer les
capacités adaptatives du cerveau.
De nombreux travaux suggèrent
que la neurogenèse est diminuée
par la dépression (et donc par des
thérapeutiques aggravant la dépression), les corticostéroïdes,
l’âge, l’abus de drogues. À l’inverse, elle est augmentée par un
environnement enrichissant, l’exercice, l’apprentissage, les facteurs
neurotrophiques, la psychothérapie et, semble-t-il aussi, par le
lithium et certains antidépresseurs.
Par exemple, des recherches concernant la tianeptine indiquent
que cette molécule permet de
prévenir la diminution du volume
de l’hippocampe et du cortex préfrontal. Cela amène à considérer
certains antidépresseurs comme
des moyens améliorant la résilience neuronale, exerçant, au-delà
de leurs effets sur les neurotransmetteurs aminergiques, un impact
bénéfique sur l’expression des différents facteurs neurotrophiques,
et donc sur la restauration de la
plasticité neuronale de certaines
structures cérébrales.
LC
>> DOSSIER
La dépression est-elle le résultat d’une altération de la neuroplasticité dans les structures cérébrales ? Étant donné que les facteurs de stress et les troubles de l’humeur
ont un rôle direct sur les phénomènes de plasticité cérébrale, l’altération de cette dernière serait à l’origine d’une vulnérabilité accrue des patients face aux nouveaux événements de vie.
3e Congrès de l’encéphale, Paris
Professions Santé Infirmier Infirmière N° 62 • mars-avril 2005
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