PSYCHIATRIE 33 Dépression Quel lien avec la neuroplasticité cérébrale ? I l semble exister un cercle vicieux par lequel les phénomènes de plasticité cérébrale entraînent l’état dépressif et vice versa, d’où un risque élevé de rechutes et de récidives. Le cerveau se modifie tout au long de la vie du fait de la capacité des neurones à se remodeler pour s’adapter à l'environnement en fonction des expériences psychiques et cognitives de l’individu. On peut rappeler que la plasticité est la capacité du cerveau à remodeler les branchements entre ses neurones. Elle est à la base des processus de mémoire et d’apprentissage, mais intervient également parfois pour compenser les effets de lésions cérébrales en aménageant de nouveaux réseaux. Des mécanismes biologiques On sait maintenant que l’altération de la neuroplasticité correspond à des mécanismes biologiques et qu’il est possible de la restaurer par des traitements pharmacologiques ou non. Les progrès de la neuro-imagerie ont permis de mettre évidence, chez les patients déprimés (et cela dès le premier épisode dépressif), l’existence de modifications structurales et fonctionnelles au niveau de trois grandes structures cérébrales : une diminution du volume de l’hippocampe avec une diminution de la neurogenèse dans la région du gyrus dentelé (et ce d’autant que les épisodes dépressifs ont été longs et/ou nombreux), une atrophie des neurones avec une diminution des connexions neuronales dans le cortex préfrontal et une hyperactivité de l’amygdale. Par ailleurs, le PET scan a permis de visualiser le retentissement fonctionnel de ces altérations, avec une diminution du métabolisme du glucose du réseau cérébral. Aux yeux du Dr H. Allain (Rennes), les stress répétés tels que les troubles de l’humeur récurrents réduisent la “résilience neuronale”, rendant ainsi certaines structures cérébrales plus vulnérables à d’autres agressions (âge, pathologies intercurrentes, difficultés socio-économiques). Les données cliniques Au niveau clinique, les données vont dans le même sens : on admet que la dépression est un trouble récurrent ; en effet, après un premier épisode, 80 % des patients présenteront un nouvel épisode dans les 10 ans. L’hypothèse du Kindling suggère qu’au fur et à mesure que se succèdent les épisodes dépressifs chez un même patient, des événements de vie de plus en plus minimes sont à même de déclencher de nouveaux épisodes dépressifs. Les résultats d’une vaste étude épidémiologique transversale, ACTUEL 1, portant sur 13 000 patients déprimés en France confortent cette hypothèse et pourraient être rapprochés des altérations de la plasticité neuronale. Les travaux expérimentaux américains de Diamond et al. ont démontré que la tianeptine bloque les effets du stress au niveau de l’hippocampe et du cortex préfrontal et rétablit le fonctionnement des récepteurs aux acides aminés excitateurs, et, par là, la plasticité synaptique. Comme l’explique le Dr Ph. Gorwood (Colombes) : « Chez le patient déprimé, les troubles marqués de la mémoire et de la concentration témoignent du retentissement fonctionnel des altérations hippocampiques. Ce qui incite à repérer ces altérations dans la dépression en utilisant des tests de mémoire spécifiques». Puisque la dépression apparaît comme le résultat d’une altération de la neuroplasticité dans les structures impliquées dans le contrôle de l’humeur et des émotions, on comprend l’importance de relancer la neurogenèse afin d’améliorer les capacités adaptatives du cerveau. De nombreux travaux suggèrent que la neurogenèse est diminuée par la dépression (et donc par des thérapeutiques aggravant la dépression), les corticostéroïdes, l’âge, l’abus de drogues. À l’inverse, elle est augmentée par un environnement enrichissant, l’exercice, l’apprentissage, les facteurs neurotrophiques, la psychothérapie et, semble-t-il aussi, par le lithium et certains antidépresseurs. Par exemple, des recherches concernant la tianeptine indiquent que cette molécule permet de prévenir la diminution du volume de l’hippocampe et du cortex préfrontal. Cela amène à considérer certains antidépresseurs comme des moyens améliorant la résilience neuronale, exerçant, au-delà de leurs effets sur les neurotransmetteurs aminergiques, un impact bénéfique sur l’expression des différents facteurs neurotrophiques, et donc sur la restauration de la plasticité neuronale de certaines structures cérébrales. LC >> DOSSIER La dépression est-elle le résultat d’une altération de la neuroplasticité dans les structures cérébrales ? Étant donné que les facteurs de stress et les troubles de l’humeur ont un rôle direct sur les phénomènes de plasticité cérébrale, l’altération de cette dernière serait à l’origine d’une vulnérabilité accrue des patients face aux nouveaux événements de vie. 3e Congrès de l’encéphale, Paris Professions Santé Infirmier Infirmière N° 62 • mars-avril 2005