S. Bourdreux – Initiation à l’astronomie La spectroscopie Partie 1 : Un peu d’histoire En 1801, le physicien Thomas Young démontre clairement que la lumière se propage comme une onde, c'est-à-dire un peu comme une succession de vagues et de creux à la surface de l'eau. L'idée n'est pourtant pas nouvelle puisque le physicien hollandais Christiaan Huygens l'avait proposée à l'époque de Newton (1678). Cependant, Young observe les motifs créés par le passage d'un faisceau lumineux à travers des fentes et, grâce à cette expérience, il parvient à convaincre la communauté scientifique de son époque de la nature ondulatoire de la lumière. Fait étonnant, Young arrive même à estimer la longueur d'onde des lumières rouge et violette, c'est-à-dire la distance entre deux crêtes ou deux creux de vagues successifs. Pour la lumière rouge, il obtient 7 millièmes de millimètres et pour la violette, 4 millièmes de millimètres. De ces mesures et à la lueur des travaux de Newton, il apparaît donc que la lumière de grande longueur d'onde est moins déviée que celle de courte longueur d'onde. À la même époque, vers 1802, le chimiste britannique William Hyde Wollaston remarque un fait surprenant : le spectre de la lumière solaire n'est pas continu. En effet, de nombreuses raies noires entrecoupent les couleurs du spectre. Malheureusement, il n'y porte pas une grande attention et aucune tentative n'est avancée pour expliquer leur présence. Quelques années plus tard, en 1814, l'opticien allemand Josef von Fraunhofer remarque les mêmes raies noires dans le spectre de la lumière solaire. Ignorant leur signification, il se met quant même à mesurer leurs positions et en catalogue 324. En 1859, le chimiste allemand Robert Wilhelm Bunsen (qui améliora et popularisa le brûleur qui porte son nom) utilise un moyen d'analyse plutôt original : il introduit des sels minéraux dans la flamme de son S. Bourdreux – Initiation à l’astronomie 2 brûleur et observe les couleurs générées par le gaz produit. Il parvient ainsi à déduire si un constituant est présent ou non dans un minéral en observant la couleur qui, selon lui, le caractérise. Gustav Robert Kirchhoff, un physicien allemand et ami de Bunsen, propose plutôt de disperser la lumière produite par le gaz avec un prisme de façon à générer un spectre. Les deux chercheurs font alors une découverte majeure : ils constatent que chaque élément chimique génère une série de raies spectrales qui le caractérise de façon unique, comme une empreinte digitale. Une nouvelle technique analytique, la spectroscopie, vient ainsi d'être inventée et, grâce à elle, plusieurs nouveaux éléments chimiques sont découverts dans les années qui suivent. S'intéressant alors au spectre de la lumière solaire, Kirchhoff constate que les raies noires de Fraunhofer correspondent exactement à des raies brillantes émises par certains éléments chimiques. Il comprend alors que la lumière blanche produite depuis la surface chaude du Soleil est en partie absorbée par certains éléments chimiques présents dans son atmosphère qui elle, est plus froide, ce qui génère les raies noires. Poussant plus loin ses recherches, Kirchhoff déduit qu'il existe trois types de spectres : Le spectre continu, produit par un solide ou un gaz chaud et opaque ; c'est un spectre composé d'un étalement de couleur continu allant du rouge au violet. C'est le cas d'un fer chauffé à blanc ou de la surface d'étoiles ayant très peu ou pas d'atmosphère, comme certaines naines blanches ou les restes de supernovae (pulsars). Le spectre d'émission, produit par tout gaz chaud et transparent ; c'est un spectre composé de raies étroites et brillantes de lumière sur un fond noir, lesquelles sont caractéristiques des éléments chimiques contenus dans le gaz. C'est le cas d'un gaz produit par un brûleur ou d'une nébuleuse, par exemple. Une nébuleuse n'est en effet rien de moins qu'un nuage plus ou moins chaud de gaz et de poussières. S. Bourdreux – Initiation à l’astronomie 3 On distingue toutefois les nébuleuses diffuses (ou régions HII, poches de gaz contenant principalement de l’hydrogène ionisé) et les nébuleuses planétaires (issues de la fin de vie d’une étoile) Messier 42, la célèbre nébuleuse diffuse de la constellation d’Orion Messier 17, la nébuleuse diffuse Oméga dans la constellation du Sagittaire NGC 7293, la nébuleuse Helix, est une magnifique nébuleuse planétaire à 650 a.l. de nous (c’est la plus proche), dans la constellation zodiacale du Verseau. Le spectre d'absorption, où un gaz froid et transparent absorbe une partie de la lumière émise par une source chaude émettant un spectre continu, ce qui produit dans ce dernier une série de raies noires caractéristiques des éléments chimiques présents dans le gaz froid. Certaines nébuleuses, dites à absorption, présentent ce type de spectre. C’est le cas de Barnard 33, la nébuleuse de la Tête de Cheval, dans la constellation d’Orion. S. Bourdreux – Initiation à l’astronomie 4 La nébuleuse obscure de la Tête de Cheval est constituée d’une poche de gaz qui absorbe l’essentiel du rayonnement d’une nébuleuse en émission, rougeâtre, située en arrière-plan (nébuleuse IC434). Grâce à ces découvertes, Kirchhoff ouvre toutes grandes les portes de la spectroscopie à l'astronomie. Pour leur plus grand bonheur, les astronomes sont désormais capables de connaître la composition chimique des étoiles et des nébuleuses et même, en mesurant l'intensité des différentes raies spectrales et en employant quelques notions de physique, d'en déterminer la température, la distance, la vitesse et l'âge. Ainsi, la lumière nous permet donc en quelque sorte de « toucher aux étoiles », chose que plusieurs pensaient impossible compte tenu des distances qui nous en séparent. Un problème demeure cependant sans réponse pour Kirchhoff : il n'arrive pas à expliquer comment la matière peut émettre ou absorber de la lumière. D'autres chercheurs parviendront à résoudre l'énigme une cinquantaine d'années plus tard. Partie 2 : Quand la matière produit de la lumière Tout matériau, lorsqu'il est chaud, a tendance à émettre de la lumière. On peut facilement s'en rendre compte de nos jours avec l'élément d'une cuisinière, le filament de métal d'une ampoule électrique ou le Soleil, par exemple. Spectre d’un ampoule à filament de tungstène (ampoule à incandescence) Spectre d’une ampoule à économie d’énergie… A quoi correspondent ces zones sombres ? Plus le corps est chauffé, et plus le spectre obtenu s’enrichit de couleurs violettes. température croissante À la fin des années 1800, les scientifiques observent également le phénomène en chauffant des substances dans leurs laboratoires, mais ignorent comment l'expliquer. Ils savent néanmoins décomposer la lumière émise par un gaz en un spectre dont les raies sont caractéristiques des éléments chimiques qu'il contient. En 1859, le physicien allemand Gustav Robert Kirchhoff baptise d'ailleurs ce type de spectre, « spectre d'émission ». S. Bourdreux – Initiation à l’astronomie 5 Plusieurs chercheurs vont tenter d'expliquer comment de la matière peut générer un spectre d'émission mais sans succès. C'est en 1900 que le physicien allemand Max Planck va fournir une partie de la réponse. Planck constate d'abord qu'en utilisant la physique de l'époque, il est impossible de venir à bout du problème. Il élabore alors une théorie révolutionnaire qui va marquer rien de moins que le début de la physique moderne et la fin de la physique qui l'a jusqu'alors précédée. Dans sa théorie, Planck affirme que la lumière ne peut être émise que par petits paquets d'énergie qu'il nomme « quanta » et qu'on rebaptisera un peu plus tard « photons ». Une telle proposition est contraire à tout ce que l'on sait de la lumière à l'époque. En effet, la lumière est alors considérée comme une forme d'énergie continue qui se propage sous l'apparence d'une onde électromagnétique et non comme une forme d'énergie discontinue, telle que le suppose l'existence des photons (qui sont des particules). Entre alors en scène le physicien allemand Albert Einstein ; nous sommes en 1905. Non seulement donne-t-il raison à Planck, mais il va plus loin : il propose qu'en plus de se comporter à l'occasion comme une particule (un photon), la lumière garde un caractère ondulatoire et qu'il faut véritablement la considérer à la fois comme une particule et comme une onde. De plus, Einstein établit que l'énergie d'un photon est reliée à la longueur d'onde de sa radiation. Ainsi, selon lui, les ondes ayant de grandes longueurs d'onde (comme la lumière rouge) transportent peu d'énergie, tandis que celles qui ont de courtes longueurs d'onde (comme la lumière violette) véhiculent plus d'énergie. En 1913, le physicien danois Niels Henrik David Bohr intègre les avancées de Planck et Einstein à son nouveau modèle de l'atome et explique comment la matière peut émettre de la lumière sous forme de particules. Selon Bohr, l'atome est fait d'électrons chargés négativement qui orbitent autour d'un noyau chargé positivement. Cependant, les orbitales des électrons sont situées à des distances bien spécifiques du noyau. L'électron se trouvant sur une orbite proche du noyau a relativement peu d'énergie; il est en effet solidement retenu par le noyau positif qui l'attire. On devra donc lui fournir beaucoup d'énergie pour le faire passer à une orbitale supérieure. L'électron qui occupe une position éloignée a quant à lui beaucoup d'énergie car, pour demeurer en orbite, il doit compenser pour la grande distance le séparant du noyau qui cherche à exercer sur lui sa force d'attraction. On devra donc lui fournir peu d'énergie pour le faire passer à une orbitale supérieure. D'après Bohr, lorsqu'un corps est chauffé, certains de ses électrons absorbent de l'énergie et ont tendance à passer rapidement d'une orbitale rapprochée à une orbitale plus éloignée du noyau atomique. Chaque électron revient ensuite de lui-même à son orbitale d'origine, située proche du noyau, en réduisant son contenu en énergie de façon à le faire correspondre exactement à celui de son orbitale d'origine. S. Bourdreux – Initiation à l’astronomie 6 Bohr propose que c'est sous la forme de petits « paquets d'énergie » tels que décrits par Planck et Einstein, c'est-à-dire sous la forme de photons et donc de lumière, qu'un électron se débarrasse de son surplus d'énergie. Comme chaque élément chimique possède un noyau atomique de charge positive distincte, les orbitales de ses électrons ont par conséquent toutes des contenus énergiques différents. En passant d'une orbitale éloignée à une orbitale plus rapprochée, l'électron d'un élément chimique donné émet un photon qui lui est caractéristique et dont l'énergie correspond à la longueur d'onde de la lumière observée dans son spectre d'émission. Compte tenu du fait que plusieurs sauts d'orbitales sont possibles au sein d'un atome, chaque élément chimique possède son propre spectre de raies d'émission qui lui est unique. La figure suivante montre le spectre d'émission de quelques éléments chimiques. Il est facile de constater que tous ont des raies d'émission qui leur sont caractéristiques, comme un code-barre ou une empreinte digitale. Partie 3 : Quand la matière absorbe de la lumière La matière peut émettre de la lumière. Le contraire est également vrai : la matière peut absorber de la lumière. En astronomie, c'est souvent le cas lorsque de la lumière blanche, peu importe sa source (ce peut être la surface du Soleil ou d'une étoile quelconque), traverse un mince nuage de gaz ou de poussière. Ainsi, au lieu de voir un spectre continu allant du rouge au violet, les astronomes observent un spectre auquel il manque plusieurs raies de couleur ; des raies sombres prenant leurs places. C'est vers 1802 que le chimiste britannique William Hyde Wollaston remarque pour la première fois que le Soleil est dans cette situation. Le spectre solaire est, en effet, discontinu et de nombreuses raies noires entrecoupent l'étalement de ses couleurs. Wollaston ignore cependant pourquoi il en est ainsi. S. Bourdreux – Initiation à l’astronomie 7 En 1814, l'opticien allemand Josef von Fraunhofer remarque aussi les mêmes raies noires dans le spectre de la lumière solaire. Ignorant leur signification, il se met quand même à mesurer leurs positions et en catalogue 324. Ce n'est qu'en 1859 que le physicien allemand Gustav Robert Kirchhoff comprend que les raies noires de Fraunhofer correspondent exactement à des raies brillantes émises par certains éléments chimiques. Selon lui, les raies noires sont dues à des éléments chimiques spécifiques qui, présents dans l'atmosphère du Soleil, absorbent certaines raies spectrales émises depuis sa surface. Kirchhoff appelle ce genre de spectre un « spectre d'absorption ». Malheureusement, il ne comprend pas comment la matière peut absorber de telles raies spectrales. En 1860, l'astronome italien Giovanni Battista Donati a l'idée de coupler un spectroscope à son télescope. Il étudie les spectres d'une quinzaine d'étoiles et publie ses résultats en 1863. Il est suivi en 1862 par l'astronome amateur britannique William Huggins, l'astronome américain Lewis Morris Rutherfurd et l'astronome italien Angelo Secchi qui travaillent indépendamment sur le Soleil, les planètes, la Lune et les étoiles. Ces chercheurs sont les premiers à extraire de l'information à partir de la lumière émise depuis des étoiles, ce qui constitue une révolution en soi. Ils sont rapidement suivis par d'autres astronomes et l'étude des spectres d'émission devient la branche d'étude principale de l'astronomie. Malgré ces progrès, l'explication de l'absorption de lumière par la matière est toujours manquante. La réponse nous parvient en 1913 du physicien danois Niels Henrik David Bohr. Bohr crée un nouveau modèle atomique dans lequel l'atome est fait d'électrons négatifs qui occupent des orbitales bien spécifiques autour d'un noyau positif. Selon lui, au fur et à mesure qu'un électron occupe des orbitales de plus en plus éloignées du noyau, son contenu en énergie devient de plus en plus élevé car, pour demeurer en orbite, il doit compenser pour la distance de plus en plus grande le séparant du noyau qui l'attire. Ainsi, lorsqu'un corps froid est chauffé, certains de ses électrons ont tendance à passer d'une orbitale rapprochée du noyau (et peu énergétique) à une orbitale plus éloignée (et plus énergétique). Pour y arriver, chaque électron doit augmenter son contenu en énergie de façon à le faire correspondre exactement à celui de l'orbitale qu'il va occuper. S. Bourdreux – Initiation à l’astronomie 8 Bohr propose que c'est sous la forme de petits « paquets d'énergie » tels que décrits par Planck et Einstein, c'est-à-dire sous la forme de photons et donc de particules de lumière, qu'un électron absorbe son surplus d'énergie. Une telle situation se rencontre dans l'espace lorsque la lumière émise depuis la surface d'une étoile (comme le Soleil) traverse les gaz de l'atmosphère plus froide qui la surplombe. L'atmosphère absorbe en effet une partie de la lumière blanche émise depuis l'étoile, ce qui produit un spectre de couleurs marqué de raies noires ou d'absorption, qui sont caractéristiques des éléments chimiques présents dans les gaz. L'étude du spectre d'une étoile nous renseigne donc sur la composition chimique de son atmosphère… Partie 4 : Application à l’astrophysique L’étude du spectre des étoiles permet donc d’obtenir des informations précieuses sur la température et la composition de leur photosphère (couches externes traversées par le rayonnement de cœur). Les diverses populations stellaires peuvent être rassemblées en groupes ou types spectraux par l’analyse de leur spectre. type spectral étoile Classe température couleur raies d'absorption O > 25 000 K bleue B 10 000 - 25 000 K bleue-blanche A 7 500 - 10 000 K blanche F 6 000 - 7 500 K jaune-blanche G 5 000 - 6 000 K jaune K 3 500 - 5 000 K jaune-orange métaux et oxyde de titane M < 3 500 K rouge métaux et oxyde de titane azote, carbone, hélium et oxygène hélium, hydrogène hydrogène métaux: fer, titane, calcium, strontium et magnésium calcium, hélium, hydrogène et métaux S. Bourdreux – Initiation à l’astronomie 9 On ajoute à cette classification (dite classification de Harvard) un chiffre indiquant la température de l’étoile dans la classe (0 pour les moins chaudes à 9 pour les plus chaudes), ainsi qu’un chiffre romain pour indiquer le stade de l’évolution stellaire. Le Soleil est une étoile de type G2-V : c’est une étoile naine jaune située sur la séquence principale du diagramme de Hertzsprung-Russel. Spectre du Soleil dans le domaine visible Le diagramme de Hertzsprung-Russel (HR) recense les étoiles en fonction de leur magnitude absolue visible MV (magnitude apparente de l’objet s’il était placé à 10 parsecs) et de leur indice de couleur B-V (différence de magnitude apparente entre la bande spectrale Bleue-436 nm et Visible545 nm). Sur ce diagramme apparaît également la classification de Harvard de façon assez naturelle.