En ce moys délicieux , de Jacques Arcadelt

publicité
EN CE MOY DELICIEUX
Jacques Arcadelt
Joachim du Bellay
Pauline LORIEUX
Hadjar HAFSAOUI
Hélène LAURENCEAU
En ce Moys Delicieux, Joachim Du
Bellay
I.
La poésie et sa place dans l’œuvre de DU BELLAY
En ce moys delicieux est un poème appartenant au recueil des Divers
jeux rustiques, et autres œuvres poëtiques que Du Bellay publie, après son voyage à Rome,
en 1558. Au même titre qu’une grande partie de son œuvre, comme l’Hymne au roy sur la
prise de calais, les Regrets et les Antiquités de Rome ; Divers jeux rustiques sera écrit et
inspiré par son séjour en Italie de 1553 à 1557. Là bas, Du Bellay est déçu du pays qu’il
découvre et se languit à Rome sans plaisir, attrapant des maladies qui l’ont rendu
partiellement sourd, sensible à l’extrême, inquiet et mélancolique. On trouve cependant,
dans ces œuvres, différents traits de caractère dans le style d’écriture.
Ainsi, si l’essentiel des 191 sonnets des Regrets, dont le plus fameux est Heureux qui comme
Ulysse où ce dernier cherche à revenir dans son pays natal, tournent autour de la mélancolie
née de l’éloignement ; Divers Jeux Rustiques s’apparente à ces folastries (poésies légères)
qu’écrit alors Ronsard ou aux passetemps de Baïf. Les sujets y sont plaisants, réalistes
(comme dans La vieille courtisane), rustiques. Tout en se démarquant de ses réalisations
antérieures, l’un des poèmes les plus célèbres de ces jeux est l’ode Contre les pétrarquistes,
dont l’attaque (“j’ai oublié l’art de pétrarquiser / Je veux d’amour franche deviser“) semble
vouloir en finir avec les métaphores fleuries du goût
italien, auxquelles il ne renonce pourtant pas dans les Regrets par exemple.
Divers Jeux Rustiques paraît d’ailleurs, à plus grande échelle, en contradiction avec la carrière
de Du Bellay. En effet, ce dernier, qui se définit comme un poète de la petite muse,
revendiquant sa position d’élite, est à l’origine, avec Pierre Ronsard, de la formation de la
pléiade en 1949. Au cours de cette même année, il publie un manifeste des idées du
groupe : la Deffence et illustration de la langue francoyse (texte de théorie littéraire). Leur
objectif est de créer des chefs d’œuvres en français aussi bons que ceux des latins et des
grecs. En guise d’exemple, il publie L’Olive entre 1549 et 1550, recueil d’inspiration italienne
par l’utilisation des sonnets et des blasons. Il y célèbre une maîtresse imaginaire en
s’inspirant de Pétrarque.
Les Regrets, publié la même année que Divers Jeux Rustiques, prend ses sources dans la
poésie italienne mais cela ne l’empêche pas, dans Divers Jeux Rustiques, d’aller jusqu’à railler
grandement les pétrarquistes dans la pièce Contre les Pétrarquistes. L’inspiration antipétrarquiste est en fait un leitmotiv unificateur dans la majeure partie du corps du recueil. Il
est exprimé comme dans le poème cité ci-dessus, directement par des attaques ouvertes
mais aussi indirectement par la parodie et l’ironie, une forme de satire plus sophistiquée.
C’est deux tendances ont leur origine dans la littérature italienne.
Aux vues de ses autres œuvres, on ne peut pas parler d’une conversion de Du Bellay à un
style tout autre, qui serait lié également à l’antiquité latine (avec Horace et ses odes, des
thèmes anacréontiques) mais plutôt d’une lame de fond qui remonte à la surface et
l’entraîne comme tous les poètes de cette époque (on citera Ronsard dont la position de
poète de cour est encore plus ambigüe). Les poèmes courts et “rustiques“ sont d’ailleurs peu
nombreux (au nombre de 14, principalement des traductions de Virgil et Navagero) et son
regroupés au début du recueil. Les autres pièces ont très peu à voir avec une inspiration
rustique.
II.
Une brève contextualisation historique
En ce moys délicieux a été écrit entre les années 1553 et 1557,
soit en plein règne de Henry II. Quelques dix années plus tôt, le roi de France était François
Ier. Ce dernier, qui règne une grande partie de la première moitié du siècle (1515 à 1547)
favorise grandement l’épanouissement de la renaissance française. Il fonde le collège royal
en 1530 et l’imprimerie royale en 1539. Il est également un grand mécène en protégeant les
savants, les écrivains (Marot, Rabelais), fait construire et modifier de nombreux châteaux
(Chambord, Louvre…) et attire en France d’illustres artistes italiens comme Léonard de Vinci.
En effet, pendant que la France et l’Angleterre se ruinent par la guerre de cent ans (de 1337
à 1453), les villes italiennes du XIVème au XVIème siècle, s’enrichissent par le commerce et
la banque. A la renaissance, de très grands artistes y vivent (architectes, sculpteurs,
écrivains, peintres, musiciens). A la fin du XVème et au début du XVIème, les rois de France
veulent conquérir cette puissance. Charles VIII, Louis XII, puis François Ier conduisent des
expéditions, ils sont tantôt victorieux (Marignan, 1515) tantôt vaincus (Pavie, 1525).
Finalement, la seule chose qu’ils ramènent d’Italie, c’est l’émerveillement devant la
renaissance italienne qu’ils veulent aussitôt imiter. Ce contexte favorise bien sûr l’admiration
de Du Bellay pour la poésie italienne. En même temps, au XVIème siècle, les artistes et
intellectuels redécouvrent l’antiquité grecque et romaine et s’enthousiasment pour l’art, les
lettres et les idées gréco-romaines. Ce sera particulièrement notoire en 1570 avec la
fondation de l’académie de musique et de poésie par Baïf et Courville qui introduisent la
musique mesurée à l’antique et une poésie régie par des longues et des brèves.
Mais la deuxième moitié du XVIème siècle est aussi marquée par huit guerres de religion,
véritables formes de guerre civile qui peuvent durer de quelques mois à quelques années et
troublent les conditions de vie, l’édition et la production musicale.
III.
Analyse du poème
Comme l’indique le titre qui précède le poème (voir ci-dessous), En
ce moys délicieux est une villanelle, c'est-à-dire un poème à forme fixe composé de tercets,
alternant avec un refrain de deux vers. Le poème assez court est écrit en octosyllabes. Il
rappelle une odelette (poème chanté) de Ronsard :
“En mon cœur n’est point escrite
La rose, ni autre fleur,
C’est toy, blanche Marguerite,
Pour qui j’ay ceste couleur. “
Ronsard
“Mais d’une rigueur despite
Me faict pleurer mon malheur,
Belle et franche Marguerite,
Pour vous j’ay ceste douleur...“
Du Bellay
²
En pleine pléiade, et malgré le renouvellement complet des formes littéraires, subsiste ainsi
la tradition ancienne de la chanson toute simple et unie.
En ce moys délicieux, dans un charme mélancolique, évoque la tristesse d’un homme trop
vieux pour conquérir le cœur d’une jeune demoiselle, nommée ici sous la métaphore d’une
“belle et franche Marguerite “.
Les rimes alternent entre rimes croisées et plates (ABABBCBC) et restent pendant tout le
poème en “-eux“, “-ite“ et “-eur“. L’organisation générale du poème est une alternance de
deux tercets et d’un refrain écrit ci-dessous :
“Belle et franche Marguerite
Pour vous j’ay ceste douleur“
L’utilisation d’un refrain et la répétition d’un même vers au sixième tercet (écrit ci-dessous)
“Je m’en iray en hermite
Je m’en iray en hemite “
peuvent être des outils pour montrer la détermination et la souffrance du vieil homme mais
montre aussi que ce poème est destiné à la chanson qui se chargera d’apporter une touche
expressive supplémentaire au texte. En ce moys délicieux a notamment était mis en musique
par Jacques Arcadelt et Pierre Certon.
Sources
• Dictionnaire Hachette encyclopédique, édition 2001
• Wikipédia (page sur Du Bellay)
• Découvrir, Comparer, Connaître, Histoire, cours moyen,
édition fernand nathan
• Livre de Michel-E. Slatkine
• Le catalogue de la chanson française à la renaissance (en
ligne)
• Anti-Petrarchism in Joachim du Bellay's "Divers Jeux
Rustiques" , Yvonne Hoggan The modern Language Review,
Vol. 74, No. 4(Oct., 1979)
Portrait de Joachim Du Bellay
(Pauline LORIEUX)
En ce moy délicieux,
Jacques Arcadelt
Jacques Arcadelt (ou Jacob Arcadelt)
flamand
1500 – 1568 compositeur franco-
Comme pour nombre de ses contemporains, il est difficile de retracer la vie de Jacob
ARCADELT (Jacques ARCADELT). Mais heureusement pour nous, ses œuvres ont, pour leur
part, été bien conservées. Il fut connu et reconnu, même après sa mort, pour ces 3 Messes,
20 motets, 120 chansons et 200 madrigaux dans le style italien, considérés comme les
pièces maîtresses de sa production.
De nombreux chercheurs et spécialistes tentent de détailler sa vie, tel que Paul Moret, dans
son excellent article Jacques Arcadelt , musicien Namurois (1507-1568). Mais malgré les
efforts de reconstitution, on remarque que même sa date de naissance sème le trouble
auprès des spécialistes; certains disent 1500, d’autres 1504 ou encore 1505. D’après Paul
Moret, Jacques Arcadelt fut baptisé en 1507 à Namur, ville dans laquelle est établie sa
famille depuis le XVe siècle. La famille Arche d’Elte est une famille influente, de grand
bourgeois, des maîtres de forges. Il débute son apprentissage musical tout d’abord par le
chant, instruit par Alexandre de Clèves à la Collégiale Saint-Pierre au château. Il est ensuite
enfants de chœur « vicariots » de la Collégiale St Aubin chez le maitre Lambert Masson en
1519 puis auprès de Charles de Niquet, durant 4 ans à partir de 1522. On sait par les
multiples documents mis à la disposition des chercheurs qu’il a été présent à la cour des
Médicis à Florence vers 1530. En effet sa famille, notamment son père avait de bonnes
relations et entretenait de grandes affaires avec des banquiers et notables de la ville des
Médicis. On suppose que c’est pendant cette période qu’il s’est inspiré de l’esthétique
musicale italienne si présente dans son œuvre.
En 1538 il publie son premier recueil de madrigaux à Venise, chez Antoine Gardane Il primo
libro di madrigali d’Archadelt a quatro. Même il est difficile de savoir si Jacques Arcadelt a
séjourné a Venise, ou y a seulement édité son recueil. Grâce aux bonnes relations qu’il
entretient avec son éditeur, il a le privilège de pouvoir rééditer ce recueil, alors considéré
comme le recueil de madrigaux italiens le plus édité (ironique puisque Arcadelt est Belge).
Cet important succès lui permet de s’imposer en tant que grand compositeur en Italie. Dans
chaque édition de ces pièces, Jacques était aussi nommé « L’execellent et divin Arcadelt ».
Après la cours des Médicis, il part à Rome, et prend un poste de chanteur et de compositeur
à la chapelle Pontificale de Rome (Magister puerorum à Rome en 1539) sous Paul III. Il
décide de rentrer en France en 1546 pour gérer de hautes affaires familiales, et revient à
Rome l’année suivante. Mais c’est en 1555 qu’il rentre définitivement en France. Il rentre au
service du Cardinal de Lorraine à Paris, où il créa une bonne partie de sa production de
musique sacrée. On sait qu’il débuta son poste de musicien du roi « Regis Musicus » en 1557,
comme nous l’informe l’édition d’une de ces pièces par Attaignant
Jacques Arcadelt est mort le 14 Octobre 1568 à Paris. Il laissa une empreinte très marquée
dans le patrimoine musical Français, mais aussi Italien et Européen, notamment au XVIIe et
XVIIIe siècles. On le considère alors comme l’un des pionniers du madrigal italien, dans le
sillon de Cyprien de Rore. Il a malgré tout su perpétuer l’héritage de la polyphonie FrancoFlamande.
Jacques Arcadelt, son style et son esthétique.
Comme dit précédemment dans la biographie du compositeur, Jacques Arcadelt su imposer
son style et son esthétique dans toute l’Europe notamment en Italie et en France. A l’écoute
de sa production, très variée, plusieurs éléments esthétiques semblent récurent. Tout
d’abord la simplicité de son écriture, a laquelle est adjoint une certaine pureté et une
élégance de la mélodie. Tout cela explique le succès qu’avait ce grand musicien, et la
dimension « populaire » de sa musique. Mais l’élément le plus remarquable dans son œuvre
est qu’il a su marier avec talent l’esthétique à l’Italienne avec l’écriture et la sophistication
de la musique Franco-Flamande, et la grande tradition polyphonique.
La production de Jacques Arcadelt débuta comme nombreux de ces contemporains par de la
musique sacrée, plus précisément des motets. Motets qu’il composa dans sa période
Florentine et Romaine, en poste à la cour des Médicis ou a la Chapelle Papale de Rome (on
citera Deh dimmi amor sur un texte Michelangelo). Mais la musique sacrée n’était pas le
domaine de prédilexion de ce compositeur. Son intérêt premier était porté pour la musique
dite profane, notamment ces chansons, et ces nombreux madrigaux. C’est surtout comme
madrigaliste et auteur de chansons qu’il fut le plus reconnu. Il composa environ 200
madrigaux entre 1539 et 1544, et plus de 120 chansons, dont il débuta la composition a
partir de 1537.
Sa production de chansons débuta dans une tradition de l’écriture et de l’esthétique FrancoFlamande. En effet ces premières chansons suivent les conventions et les règles de l’école
qui l’a tant influencée. On retrouve une écriture très syllabique, qui donne cette grande
pureté à sa musique, ainsi que les cadences typiques des chansons franco-flamandes,
cadences qui suivent la construction poétique. Cette façon de faire est le reflet même de
l’influence qu’a pu avoir Josquin Des Près (1440-1521) (considéré comme le maitre de
Jacques Arcadelt), sur l’esthétique de son élève. On remarque la dominance des styles et
contrepoints imitatif, qui donnent cet esprit de canon, si présent chez Josquin. Il semble
vouloir assembler dans ces chansons le style imitatif et homorythmique, créant cet
important contraste dans ces chansons (on le remarquera lors de l’analyse de la chanson En
ce moy délicieux).
Il tenta de cultiver l’esprit de l’héritage Franco-Flamand sans jamais se rapprocher de l’esprit
léger, humoristique voire grivois de la chanson Parisienne, et du leadershiep de Sermisy
Claude (1490-1562) et Jannequin Clément (1485-1558), tout en intégrant l’élégance du
grand style parisien. Toutes ces chansons sont très sentimentale, de part le texte mis en
musique (une grande collaboration avec deux des plus grands poètes de l’époque que sont
Clément Marot (1496-1544), et Joachim du Bellay (1522-1560)), mais aussi sentimentalité de
son écriture. Sa musique et ses mélodies sont très harmonieuses et sentimentales même
lorsqu’il aborde des sujets plus légers et moqueurs comme la fameuse chanson Margot,
Labourez les vignes.
Arcadelt ne semble jamais avoir été influencé par les divers modes et esthétiques de ces
contemporains, même s’il en avait conscience. Au travers de son œuvre toute entière, mais
surtout ces chansons, on comprend qu’il souhaitait respecter et perpétuer le style, les
preceptes et les exemples de son maitre, Josquin des Près, et de l’esthétique FrancoFlamande qui l’a tant influencée.
Contexte historique En ce moy délicieux de Jacques Arcadelt sur un poème de
Joachim du Bellay.
Cette chanson de Jacques Arcadelt date de 1665, c'est-à-dire 3 ans avant la mort du
compositeur. On peut considérer En ce moy délicieux comme étant une œuvre de maturité.
Elle est éditée par les éditeurs Parisiens, Le Roy et Ballard.
Le Roy et Ballard sont des éditeurs importants à Paris, à partir de la seconde moitié du
XVIème siècle. C’est en 1551 que Robert Ballard créa son atelier d’imprimerie, en s’associant
avec le luthiste Adrian Le Roy. Ils reçoivent le privilège du roi de l’époque, Henri II (règne de
1547 à 1559). Privilège qui sera reconfirmé par Charles IX (règne e 1560 à 1574). C’est a
partir de cette date de création que ce distingue la famille d’éditeur et d’imprimeur Ballard,
ainsi de père en fils, jusqu’au XIXème siècle.
En ce moy délicieux de Jacques Arcadelt éditée par Le Roy et Ballard en 1565 a donc été
composée sous le règne de Charles IX. Comme dit précédemment, cette chanson est
composée sur un texte du grand poète de l’époque, Joachim du Bellay, qui composa ce
poème entre 1553 et 1557, environ plus de dix ans avant que Arcadelt ne le mette en
musique. Malgré une période très rude dut aux multiples guerres de religions et d’instabilité
politique, on remarque l’épanouissement de la Renaissance Française, spécialement de la
musique et de la poésie, qui débuta sous le règne de François Ier. Celle-ci semble s’être
perpétuée malgré toutes les difficultés qui s’abattent sur le royaume de France. En effet,
cinq ans plus tard, Jean Antoine De Baif (1532-1589) et Joachim Thilbault de Courville ( ?1581) créent sous l’impulsion de nombreux artistes l’Académie de musique et de poésie.
Commentaire formel et analytique de la chanson En ce moy délicieux 1565
Jacques Arcadelt
Pour ce faire, nous avons deux documents à l’appui. La partition en édition moderne de
cette chanson :
CORPV MENSVRABILIS MVSICAE/JACOBI ARCADELT/OPERA OMNIA/Edidit/Albertus
Seay/IX/Chansons II/AMERICAN INSTITUTE OF MUSICOLOGY/In collaboration with the
American musicological society/1968.
Il s’agit d’une édition moderne faite par l’institut Américain de Musicologie en 1968 (que
vous trouverez en annexe de ce dossier).
Nous nous aiderons d’un enregistrement de cette chanson, que l’on peut trouver en écoute
gratuite sur la plateforme d’écoute musicale en ligne Spotify. Il s’agit d’un enregistrement
du groupe de musique ancienne The Scholars of London, dans un disque dédié à la musique
Française de la seconde moitié du XVIe siècle French Chansons qui date de 1998. C’est l’un
des rares enregistrements de bonne qualité que l’on trouve en ligne.
Ces deux éléments de source, la partition et l’enregistrement, sont indispensables pour
mener à bien notre analyse.
A la première écoute, la pièce nous apparait très simple, ce qui est fréquent dans l’œuvre de
Jacques Arcadelt. Il s’agit d’une chanson à 4 voix mixte (Soprano-Alto-Tenor-Basse) [S-A-T-B],
d’une durée de 2m43. Elle est très contrastée et variée, tant d’un point de vue de l’écriture
que de son atmosphère. D’un point de vue formel, cette chanson est construite en deux
parties bien distinctes, figurées par un repos entre les deux. Ce dernier étant indiqué sur la
partition par une double barre de mesure. Cette chanson suit plus ou moins la construction
du poème éponyme de Joachim du Bellay, c'est-à-dire la présence d’un refrain de 2 vers qui
fait suite à 6 vers que l’on considérera comme des couplets. Il ne s’agit pas là d’une mise en
musique du poème en intégralité, mais seulement des 16 premiers vers. Ces 16 vers sont
alors découpés, en deux couplets, de chacun 6 vers, alternant au refrain, qui apparait deux
fois, quand a lui construit en deux vers qui sont « Belle et franche Marguerite, Pour vous
j’aye ceste douleur ». Cette musique nous semble aussi très répétitive. Cette vision de
répétition nous apparait d’un point de vue macroscopique dans la construction de la pièce.
En effet, la forme de chanson couplet/refrain, impose une certaine dynamique répétitive.
Mais aussi d’un point de vue microscopique, l’utilisation récurrente d’un style d’écriture
imitatif (répétition très rapproché de même thème/sujets).
Précédemment nous avons évoqué la dimension de diversité dans cette chanson de Jacques
Arcadelt. Il semblerait que celle-ci soit du à la mixité des styles d’écritures utilisés. En effet,
on observe un important travail appliqué à l’écriture polyphonique, influence de l’école
Franco-Flamande. Le contrepoint est subtilement travaillé pour figurer au mieux le texte, et
ainsi favoriser sa compréhension. Mais l’utilisation subtile du contrepoint n’est pas l’unique
caractéristique qui permet de figurer aussi bien le poème de Joachim Du Bellay.
On note un important travail harmonique (dissonance et consonance) pour figurer les
différentes émotions qui transcendent le narrateur. Le figuralisme le plus remarquable est
celui utilisé sur le deuxième vers du refrain « Pour vous j’aye ceste douleur ». Arcadelt
semble vouloir exprimer la douleur d’un point de vue harmonique, comme on le remarque
mesure 33. On observe, de la mesure 30 à la cadence finale, que toutes les voix sont écrites
en mouvement descendant. De plus, harmoniquement, apparait une dissonance à la voix de
basse, par l’apparition d’un mib en ficta. D’un point de vue plus général, on remarque
d’autres éléments de figuralisme. Dans le premier vers, l’évocation du mois délicieux est
figuré musicalement par un mouvement mélodique ascendant à toutes les voix. Ou encore
dans le traitement du cinquième vers « Mais une rigueur despite » l’idée de rigueur évoquée
textuellement, est figurée par la rigueur du contrepoint utilisé. Il s’agit d’un contrepoint
homorythmique, reprit par la suite en style imitatif, en valeurs relativement courtes, avec un
accent tonique placé sur le mot « Despite ». La consone S (sifflante) impose aussi un esprit
de rigueur. L’évocation de l’amour et de la douceur, dans la première partie de la chanson
sont, quant à elles, figurées musicalement par plus d’ornementation à la voix de soprano
(mesure 5-6 pour Amour, et mesure 10 à 13 pour douceur).
Jacques Arcadelt est un compositeur qui souhaite mettre sa musique au service du poème.
Pour cela, il utilise subtilement le contrepoint, les mouvements mélodique, mais il joue
également sur les sonorités du texte, et l’évocation de chaque mot, ainsi que sur les affects
du narrateur.
(Hadjar HAFSAOUI)
LEXIQUE par ordre d’apparition dans le dossier
 Motets : pièce musicale qui apparu au XIIè siècle. Polyphonie a capella ou
accompagnée, elle peut être profane ou sacrée.
 Madrigaux : pièce musicale polyphonique (entre 2 et 6 voix), qui connu un
grand succès à la Renaissance, notamment en Italie. Ecrite sur des poèmes de
qualité, on citera ceux du Tasse ou de Guarini.
 Cours des Médicis (~1530) : C’est la grande famille des Médicis qui dirige
Florence dans les années 1530, en effet ils deviennent duc de Florence. Grande
famille qui encourage le développement de l’art, et de la Renaissance Italienne.
 Esthétique Musicale Italienne (à la Renaissance) : L’esthétique Italienne
de la Renaissance est dominée par deux idées. Renouer avec l’antiquité perdue,
notamment d’un point de vue poétique, en mettant Platon et ces contemporains
sur un pied d’éstalle. Mais aussi l’importance donnée à la voix humaine, et par
conséquent au chant, qui est à cette époque, considéré comme au centre de la
musique et de l’art.
 Ecole (polyphonie) Franco-Flamande : Il s’agit d’un des mouvements
musical les plus importants de la Renaissance, qui débuta au XVe siècle. On
considère que se sont les compositeurs Franco-Flamand qui mettent en place les
bases de la polyphonie dite « moderne ». Grace au développement de
l’imprimerie aux alentours des années 1538, cette esthétique a put se
développer, et ainsi s’imposer, dans toute l’Europe.
 La chanson Parisienne : Le grand maître de la chanson Parisienne est Clément
Jannequin. La chanson Parisienne se veut très « libérée, tant d’un point de vue
formel que dans son interprétation. Les sujets en sont beaucoup plus léger
(amoureux, humour, grivois). On remarque aussi l’importance du figuralisme
dans ces chansons. Comme on le remarque dans l’une des fresques les plus
connues de Clément Jannequin qu’est La guerre.
 L’académie de musique et Poésie : Dans le sillon de la Pléiade, De Baif ainsi
que de Courville décident de créer une Académie de musique et de poésie. Cette
académie est un moyen de rassembler poètes et musiciens, pour qu’ils travaillent
ensemble, afin développer l’art poétique et Musical en France à la deuxième
moitié du XVIe siècle.
 Figuralisme : ou Madrigalisme. C’est un terme musical expliquant la démarche
du compositeur de vouloir exprimer voire décrire une émotion, un affect, ou un
événement évoqué dans le texte qui accompagne la musique. Comme évoqué
dans notre analyse, le figuralisme de la douleur. Arcadelt crée une dissonance
pour montrer cette sensation.
Hadjar HAFSAOUI
Très bel enregistrement du SCHOLARS OF LONDON
Bibliographie
 Dictionnaire biographique des musiciens. Théodore Baker & Nicolas Slominsky.
Edition Robert Laffont.
 The Now Grove dictionary of music and musicians. Edited by Stanley Sadie. (Arcadelt)
 La Musique de la Renaissance . Philippe Vendrix. Edition Puf.
 Encyclopédie Universalis en ligne.
 Edition Moderne de la Chanson En ce moy délicieux American institute of Musicoly.
1968
 Enregistrement de En ce moy délicieux, par Le Scholars of London extrait de French
Chansons.
En ce Moys délicieux, de Joachim Du
Bellay
Les relations entre Arcadelt et Du Bellay
Jacques Arcadelt et Joachim Du Bellay sont deux artistes du XVIème siècle. Le
premier est né vers 1505 et mort en 1568, et le deuxième est né vers 1522 et mort en 1560.
Arcadelt, bien que franco-flamand, passe le plus clair de sa vie en Italie. En effet, au
début de sa vie il part à Florence, mais revient s’exiler à Lyon, ville des artistes et de
l’imprimerie, pour échapper aux troubles florentins. Puis en 1547, il retourne à Rome.
Les parents de Du Bellay meurent lorsque celui-ci n’a que dix ans. C’est pourquoi en 1553, il
quitte la France pour accompagner le cardinal Jean Du Bellay, un cousin de son père, à
Rome. Là, il fréquente la Cour pontificale. A cette époque déjà, Arcadelt s’est créé une sorte
de notoriété, notamment à Rome. Il est surnommé « le plus excellent divin » Arcadelt. C’est
ainsi que Du Bellay commence à entendre parler d’Arcadelt.
Arcadelt est obligé de fuir Florence du fait de la diaspora. Celle-ci à lieu durant les
deux passages où florence a tenté de devenir une République. Les communautés florentines
vont alors à Venise, mais aussi à Rome ou à Lyon, centre culturel français, là où fuit Arcadelt.
Du Bellay parle de ces exils de peuples italiens dans Les Regrets.
Comme Arcadelt a passé une bonne partie de sa vie en Italie, son œuvre est en
grande partie d’inspiration italienne, notamment florentine. Notamment, il prit pour point
de départ la « frottola » et la chanson populaire italienne pour donner sa forme classique au
madrigal à trois ou quatre voix, dans lequel on peut ressentir toute la simplicité du modèle
italien.
Du Bellay également a passé environ quatre années de sa vie en Italie, à Rome puis à
Florence. Sa poésie est donc également d’inspiration italienne, romaine et florentine en
même temps.
En effet, certain de ses poèmes possèdent des caractéristiques romaine, comme son
poème Antiquités de Rome, ou Regrets.
Dans Les Regrets, un recueil de poème qu’il écrit durant son voyage à Rome (1553 à
1557) et publié lors de son retour en 1558, il critique la vie romaine et montre qu’il souhaite
rentrer dans sa ville natale en France. Il fut en effet très déçu de la vie italienne en arrivant à
Rome. Il pensait trouver une ville aux accents antique et se retrouve seulement dans les
complots de la vie à la Cour du Pape, c’est ainsi qu’il écrivit Antiquités de Rome (édité
également à son retour en 1558).
Autres de ses poèmes possèdent des caractéristiques florentines, comme le
Pétrarquisme, notamment dans l’Olive, qui raconte l’histoire d’une maîtresse imaginaire.
Pétrarque (1304-1374), contrairement à Du Bellay, idolâtrait Rome où il avait été
couronné. Ce dernier s’inspire de son style typiquement italien dans son œuvre Olive. A
l’origine, le Canzionere de Pétrarque était utilisé pour louer son amour pour Laure. Composé
de sonnets, le recueil devient ensuite un genre pour chanter les beautés de sa dame,
l’amour, ou l’amour à sens unique. Il est caractérisé par des métaphores amoureuses,
pratiquement toujours utilisées de la même façon.
On pense maintenant que Du Bellay fut un élément majeur de la liaison culturelle et
artistique entre la France et l’Italie au XVIème siècle. Il importa le Pétrarquisme en France, et
son « italianisme français » fut très apprécié, et recherché par les princes. Arcadelt lui-même
se trouvait déjà au service de ces princes.
Arcadelt donc était employé de Charles de Guise, cardinal de Lorraine. Il était son
maître de Chapelle. Vers 1557 il lui consacra un livre de messes.
Un autre artiste du XVIème siècle peut être un point commun entre Du Bellay et
Arcadelt. Il s’agit de Pietro Bembo (1470-1547). Ce cardinal en effet avait, un peu comme Du
Bellay, encouragé la langue italienne aux compositeurs pour mettre en musique les textes de
Pétrarque. Du Bellay également utilise le style de Pétrarque. C’est donc un précurseur de Du
Bellay.
En effet, Joachim Du Bellay est l’auteur d’un manifeste dans sa Défense et Illustration
de la langue française qui préconise l’usage du français au lieu du latin, manifeste très
célèbre au XVIème siècle. Tous les autres membres de la Pléiade donnaient leur approbation
sur ce point, c’est l’un des manifestes les plus importants de leur groupe.
Pietro Bembo encourageait les musiciens à composer sur des poèmes italiens plutôt
que sur des poèmes latins car ainsi l’attention portée au sens du texte est différente. Du
Bellay lui étant français continua cette théorie en France, pensant que du coup les musiques
françaises seraient plus représentatives du poème utilisé. Bembo était un cardinal très
influent avec un fort pouvoir de persuasion.
Il écrit La prose della Volgar lingua, théorie du langage parut en 1525 à Venise qui
débat sur la valeur de l’italien comme langue littéraire. Il prouve l’aptitude de l’italien
comme langue sophistiquée. C’est un hymne de la poésie en « langue vulgaire ». A partir de
ce moment-là, bon nombre de compositeurs se mirent à s’éloigner du latin pour composer
sur des poèmes de langues plus « parlées ». Le Pétrarquisme fut alors une très bonne source
pour mettre en pratique cette théorie.
Pour Arcadelt, Pietro Bembo est l’un des poètes qu’il a le plus mis en musique, avec
Pétrarque (que Du Bellay utilise également), Sannazar, Michel-Ange…
Arcadelt met donc en musique les poèmes de Bembo car celui-ci insiste sur la
sonorité et la place des mots dans les vers, sur le raffinement du texte qui doit avoir des
sujets sérieux mais avec une forme libre. Il publie son premier livre de madrigaux à Venise en
1539. Il deviendra célèbre et sera imprimer longtemps dans toute l’Europe. Sa musique,
contrairement à Du Bellay, est plus proche de la chanson française que de la frottola
italienne. Il sera cependant comme Du Bellay sensible aux théories de Bembo sur l’attention
portée au sens du texte. Cela en deviendra donc une musique descriptive.
Arcadelt a mis en musique une œuvre de du Bellay. Il s’agit d’un des Jeux rustiques
(1568). Il illustre la théorie de la Pléiade concernant l’union de la poésie et de la musique, et
fut très connu par les musiciens et poètes du XVIème siècle. C’est l’un des grands recueils
qu’il a écrit durant son voyage à Rome.
Celui-ci s’inspire d’un style anacréontique, issu de l’Antiquité latine. En effet, le poète
Anacréon (seconde moitié du VIème siècle avant J.-C.) inventa un système de déterminisme
des sons. A l’aide de symboles, il distinguait les différentes sortes de syllabes. Les thèmes
abordés sont alors la volupté, la légèreté, les plaisirs éphémères…
Arcadelt respecte donc cette métrique lorsqu’il met en musique les vers de du Bellay.
Comme point commun, Pétrarque était également célèbre dans ce style. Il permet de bien
distinguer et comprendre ce que le poète a voulu mettre en avant, ce à quoi il pensait
lorsqu’il a écrit son poème, comment il veut qu’il « sonne ». il est courant dans la poésie
amoureuse du XVIème siècle.
Du Bellay s’inspire donc d’Anacréon, mais comme figure Antique il s’inspire
également d’Horace pour ses odes. En effet, lorsqu’il entame une satire de Rome ont il a été
déçu, il utilise les procédés d’Horace, avec une poésie proche de la prose. Il sort du langage
noble pour exprimer son mécontentement. Il se réfère aux codes de la satire latine. Il
dénonce implicitement, mais comme pour Horace, la société sait qui sont les personnes
qu’ils visent. Les satires sont des poèmes assez longs, d’inspiration morale.
Arcadelt lui a mis en musique les Vers lascifs d’Horace, il a donc comme Du Bellay un
rapport d’étude avec lui.
D’autre part, Du Bellay suit également les procédés de Martial (vers 40- vers 104), car
ensuite ses satires se raccourcissent considérablement, pour se rapprocher plus de
l’épigramme, comme Martial le fait. Martial est également un poète latin, il est surtout
connu pour ses épigrammes, qu’il écrit en général de manière flatteuse pour s’attirer de
bonnes grâces. Il s’attaque également ainsi à tous les bords de la société romaine, comme
Du Bellay le fera plus tard qui est déçu de Rome. Alors les épigrammes de Martial prennent
une tournure grivoise et critique, comme le fait parfois Du Bellay. Celui-ci utilise donc ce
procédé d’épigramme, procédé très bref mais accusateur ou flatteur.
En conclusion, on peut dire qu’Arcadelt a suivi le modèle franco-flamand d’aller en
Italie, région riche culturellement, et y a vécu une grande partie de sa vie. Du Bellay lui est
un français qui a suivi sa famille en Italie, avec les rêves de ce qu’il s’imaginait être Rome.
Arcadelt revient de Rome avant Du Bellay, mais tous deux ont vécu longtemps en Italie en
même temps, ils ont donc tous deux connus la même chose. Ils furent très influents en Italie
notamment dans le madrigalisme, et ont connu un succès considérable après leur mort.
Jacques Arcadelt
Joachim Du Bellay
Couverture de Joachim du Bellay
Sources
•
•
http://michelinewalker.com/tag/joachim-du-bellay/
•
Wikipédia
http://www.scribd.com/doc/35425904/Du-Bellay-Defence
•
http://philo-lettres.pagesperso-orange.fr/regrets.htm
•
http://www.lettres.ac-versailles.fr/spip.php?article603
•
http://www.cosmovisions.com/textAnacreontique.htm
(Hélène Laurenceau)
Téléchargement