Pièges en sérologieinfectieuse

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mise au point
Pièges en sérologie infectieuse
L’importance de la sérologie pour le diagnostic des maladies
infectieuses est devenue évidente avec la description des infections virales comme le VIH et les hépatites. Mais elle joue déjà
depuis la fin du XIXe siècle un rôle en infection bactérienne,
fièvre typhoïde (Widal), brucellosis (Wright test), syphilis (VDRL,
Wassermann test), typhus (Weil-Felix test), etc. De la primoinfection à l’immunité, elle analyse la mémoire immunologique
du patient pour lutter contre les infections. L’information que
l’analyse sérologique nous donne dépend du pathogène, du site
infecté, de l’hôte et du stade de la maladie. Ensemble avec
les tests de mise en évidence directe des pathogènes, ils forment la base du diagnostic microbiologique. C’est pour mieux
comprendre la sérologie que nous allons la parcourir et évoquer ses pièges.
Rev Med Suisse 2011 ; 7 : 1964-7
R. Lienhard
Dr Reto Lienhard
ADMED Microbiologie
Boucle de Cydalise 16
2300 La Chaux-de-Fonds
[email protected]
Traps in infectious serology
The role of serology in infectious disease diag­
nosis is highlighted by HIV and viral hepatitis
diagnosis developed since the 80’s. However,
long before these recent developments serum reactivity played its role in diagnosing,
active or previous severe bacterial infection
in diseases such as typhoid fever (Widal), brucellosis (Wright test), syphilis (VDRL, Wassermann test), typhus (Weil-Felix test) etc. From
early infection to immunity, serology analyzes
the patient’s immunological memory enabling
the fight against infections. The resulting information depends on the type of pathogen,
the site of infection, the host and the stage of
disease. Together with the direct tests for the
detection of pathogens, serological tests form
the basis of microbiological diagnosis. To better understand the utility of serology, we will
provide an overview and show its pitfalls.
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sérologie infectieuse
La sérologie infectieuse a pour but l’identification de l’agent
infectieux par la mise en évidence des anticorps chez le patient.
La difficulté réside dans le choix des antigènes utilisés pour
détecter, à un moment donné, les IgM, IgA ou IgG éventuellement produites dans
le sérum. C’est au laboratoire de choisir le test approprié. Le prescripteur indiquera le contexte précis de sa demande pour obtenir une interprétation plus
complète. Les situations fréquemment rencontrées et les règles d’interprétation
vont être illustrées à l’aide d’exemples.
primo-infection
A ce stade, le diagnostic se résume à chercher les IgM. Ces molécules étant les
toutes premières produites par le système immunitaire, elles sont la cible de la plupart des stratégies sérologiques. Les IgM permettent un diagnostic précoce souvent
quelques jours avant l’apparition des IgG. Les meilleurs exemples sont ceux tirés
de la sérologie virale. En période d’épidémie de rougeole, la présence d’IgM seule
contre ce virus permet de donner une réponse rapide et suffisante pour compléter
un tableau clinique évocateur.1 Pour le virus de la méningo-encéphalite verno-estivale (MEVE ou FSME) transmis par les tiques, la mise en évidence d’IgM sérique est
hautement suspecte et généralement suffisante pour compléter le diagnostic.2
Toutefois, les IgM ne représentent jamais la preuve d’une infection, car elles
manquent foncièrement de spécificité. Les réactions croisées avec des IgM d’autres
agents infectieux, des facteurs rhumatoïdes, des autoanticorps et autres causes
doivent être exclues. La preuve sérologique est la séroconversion des IgG. Elle nécessite un deuxième prélèvement de sang quelques jours à plusieurs semaines
après les symptômes dépendant de l’agent infectieux. Ce délai de réponse est
souvent inadéquat pour une prise en charge optimale du patient. Il est alors utile
de considérer une technique directe permettant d’obtenir une réponse dans les
24-48 heures. Les recherches d’antigènes, rapides et peu coûteuses, peuvent être
préférées mais moins sensibles et spécifiques que les techniques génomiques
encore très coûteuses.
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Pour exemple, prenons les atteintes cutanées à virus
herpès simplex (HSV) et varicella-zona (VZV). Sur un frottis
de la lésion, la détection de leurs antigènes par test rapide
ou de manière plus fiable d’une partie de leur génome par
la PCR (Polymerase chain reaction) multiplex identifie rapidement l’agent étiologique. La sérologie est dans ce contexte
peu pertinente et souvent inutile.
primo-infection à igm et igg
Ce profil sérologique est fréquent et peut engendrer des
erreurs d’interprétation ; il est un défi non négligeable. Estce une primo-infection au moment de l’apparition des IgG ?
Est-ce la présence de réactions croisées non spécifiques
en IgM ? Ou alors une persistance des IgM ? La répétition
de la sérologie à plusieurs jours d’intervalle peut être utile
mais difficilement décisive ; la séroconversion des IgG est
déjà présente. Il est alors d’usage d’observer l’augmentation
de quatre titres des IgG spécifiques pour documenter la
primo-infection. En réalité, les résultats de sérologie sont
souvent rendus en unités arbitraires ne permettant pas de
mesurer la proportion de l’augmentation.
Prenons pour exemple une infection commune : la mononucléose infectieuse à EBV (Epstein–Barr virus). La présence
d’IgM anti-VCA avec les IgG anti-VCA correspond généralement à une infection récente, et l’apparition des IgG antiEBNA dans les quatre à dix semaines nous en donnera la
preuve. Si les IgM sont présentes avec les IgG anti-EBNA,
il devient par contre impossible de conclure à une primoinfection. Elle peut avoir eu lieu il y a quatre à huit semaines
ou encore plus avec une persistance anormale des IgM, mais
cela pourrait tout aussi bien être une ancienne infection
avec des IgM non spécifiques. Dans ce cas, la répétition de
la sérologie n’est pas utile car même la disparition des IgM
ne permet pas de dater l’infection. Il est par contre utile de
considérer les autres agents de la mononucléose infectieuse
dont le cytomégalovirus, la toxoplasmose, les VIH ou les
hépatites virales.
Comme autre exemple, la sérologie de la toxoplasmose
peut présenter une persistance des IgM sur plusieurs mois,
voire des années ; l’utilisation délibérée de tests de dépistage excessivement sensibles en est la cause. Il est alors
nécessaire de confirmer la spécificité des IgM, ou d’utiliser
un test d’avidité en IgG qui permet d’exclure une infection
durant les seize semaines avant la prise de sang, si sa valeur est élevée.
séronégativité
Rappeler qu’au stade très précoce de l’infection, la séronégativité n’exclut pas une primo-infection. La réponse humorale est toujours en décalage avec l’activité de l’agent
infectieux (figure 1). Elle dépend du pathogène, des symptômes, du site d’infection ou du système immunitaire de
l’hôte. Un patient se présentant au cabinet dès les premiers
symptômes n’aura pas obligatoirement d’anticorps ; c’est ce
que l’on appelle la fenêtre sérologique. Elle est de quelques
jours pour certains virus (par exemple : Chikungunya),3 mais
exclure une infection au virus de l’hépatite C (HCV) peut
nécessiter un contrôle sérologique plusieurs mois après le
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Symptômes
IgG
Pathogène
IgM
Contact
IgA
Jours
Semaines
IgA
Mois
Ans
Figure 1. Schéma chronologique de la réponse
humorale suite à une infection
Le contact correspond à la pénétration du pathogène, puis les pointillés en
rouge indique la multiplication du pathogène. Les courbes de présence d’immunoglobulines IgM, IgG et IgA ne tiennent pas compte de particularités.
contact à risque. On réduit ce délai par l’utilisation de test
direct comme la virémie.
infection du système nerveux
Le diagnostic sérologique se base sur l’analyse du sérum
pour certaines atteintes virales (MEVE). Pour la neuroborréliose, il est indiqué de rechercher une production intrathécale d’IgM et IgG spécifiques dans le liquide céphalorachidien (LCR) prélevé en même temps.4 Pour d’autres pathogènes, on utilise la culture (méningites bactériennes) ou les
méthodes d’amplifications génomiques (méningites et encé­
phalites virales) pour obtenir une réponse rapide et spécifique. Dans le cas de méningo-encéphalite herpétique, le
test de référence est une PCR en temps réel permettant la
détection de  50 copies HSV/ml de LCR. Elle est un outil
performant qui permet de docu­menter l’étiologie bactérienne aussi lorsque la culture est négative. Par contre,
pour le diagnostic d’une neuroborréliose, la PCR sur le LCR
est trop peu sensible ( 5-10%) et souvent inadéquate lors
d’atteintes exclusivement périphé­riques (nerfs crâniens).
Dans ce cas, même la production intrathécale est rarement
mise en évidence, le diagnostic repose alors sur la seule
analyse des anticorps spécifiques du sérum.
infection chronique
Le meilleur exemple est la fièvre Q (Coxiella burnetii) qui
peut présenter une forme chronique grave. L’utilisation
d’antigènes différentiés (phase II maladie active, phase I
maladie chronique) pour la détection des IgM, IgA et IgG
spécifiques permet le diagnostic sérologique d’une forme
aiguë ou chronique là où aucun test direct n’est communément disponible (tableau 1).
Pour la borréliose, l’arthrite ou l’acrodermatite (ACA) est
assimilable à une infection chronique. A ce stade, les patients présentent toujours une forte réponse en IgG confirmée par immunoblot. Ici, un test sérologique négatif a une
valeur prédictive négative très élevée permettant d’exclure
une borréliose.
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Tableau 1. Tableau sérologique d’un patient présentant une fièvre Q chronique
C. burnettii
Limites
19.07.2007
30.07.2007
03.10.2007
IgM ph. II
20
640
5120
2560
IgA ph. II
20
 20
 20
IgG ph. II
20
20
5120
03.08.2008
29.09.2009
40
40
 20
 20
 20
1280
1280
320
IgM ph. I
20
 20
160
40
40
20
IgA ph. I
20
 20
 20
 20
 20
 20
IgG ph. I
20
 20
 20
160
2560
640
réactivation
La présence des IgA documente sérologiquement la réactivation. Dans cette phase, la présence d’IgM est très irrégulière et peu utilisée. Les herpesviridæ se manifestent par
des infections suite à la réactivation comme pour le VZV. La
mise en évidence d’IgA peut être utile lors d’un zona, mais
elle est pratiquement supplantée par la PCR sur les frottis
de lésions.
suivi du traitement
La sérologie apporte peu de solutions quant à la documentation de l’efficacité du traitement anti-infectieux. Les
IgM ne persistent pas après une phase aiguë et les IgG apparaissent malgré le traitement. Toutefois, l’utilisation d’antigènes spécifiques pour la coxiellose permet de documenter le succès du traitement par l’absence d’anticorps de
phase chronique. Pour l’hépatite B, la présence des anticorps anti-HBs est un indicateur de guérison. L’efficacité de
l’antibiothérapie de la syphilis est suivie par la diminution
et la disparition des titres en RPR/VDRL.5 Il existe encore
peu de tests quantitatifs permettant de suivre de manière
significative la diminution des IgG. Les suivis régulièrement utilisés sont ceux de la virémie (VIH, HCV, HBV) qui
analysent directement l’activité du virus.
infection passée présentant actuellement des séquelles
(cytomégalovirus congénital) ou attester l’immunité du patient. Les IgG peuvent être quantifiées suite à une vaccination comme pour les anti-HBs contre le virus de l’hépatite B.
Grâce aux unités internationales, il est possible de classer les
patients en non, mauvais ou bon répondeurs avec les valeurs
respectives de  10 UI/ml, 10-100 UI/ml et  100 UI/ml.6 Le
piège ici consiste à tenir compte des IgG maternelles du
nouveau-né ou des immunoglobulines injectées lors d’une
immunisation passive ; dans les deux cas, ces anticorps iatrogènes pourraient induire une mauvaise interprétation.
effet de la prévalence
La valeur prédictive d’un test est une notion utile dans
la pratique. Quelle est la probabilité qu’un test positif ou
négatif soit réellement positif, ou réciproquement négatif ?
Cette valeur doit être calculée dans le contexte précis de
la prévalence de la maladie. La figure 2 illustre l’exemple
d’un test avec une sensibilité de 100% et une spécificité de
99,8%. Elle montre la grande variabilité de la valeur prédictive positive (VPP) dans des situations épidémiologiques
différentes. On peut observer que la VPP diminue rapidement lorsque le test est pratiqué dans une population où
le risque est faible. En Suisse, le taux de séropositifs VIH
est de 0,4%, ce qui donne environ 25% de faux positifs avec
activité de la maladie
En sérologie, l’activité d’un agent pathogène est mise en
évidence lors de la primo-infection. Passé ce stade présentant une cinétique dynamique des anticorps, l’activité peut
être suivie par l’apparition de nouvelles bandes réactives
en immunoblot. Toutefois, elle se mesure plus généralement
par des tests directs appropriés : la culture bactérienne sur
les sites d’infection (par exemple : brucellose), la microscopique (par exemple : schistosomes dans les selles ou urines),
la présence d’antigène dans le sérum (HBV) ou la détection
d’éléments génomiques.
la latence, l’ancienne infection
et l’immunité
La seule manière de mettre en évidence la latence, l’ancienne fonction et l’immunité est la détection des IgG spécifiques. La présence de ces immunoglobulines suggère
une infection suscitant un diagnostic plus complet (leishmaniose). Elle permet de détecter rétrospectivement une
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100
29%
90
80
70
60
50
40
30
20
10
0
1
0,1
0,01
0,001
0,0001
Figure 2. Histogramme de la valeur prédictive positive (axe y) d’un test sérologique présentant une
sensibilité de 100% et une spécificité de 99,8% en
fonction de certaines valeurs de prévalence (axe x)
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cet excellent test. Les recommandations de l‘Office fédéral
de la santé publique exigent un deuxième prélèvement
pour confirmer la spécificité du premier résultat par immunoblots et par la virémie.7
Pratiquant ce même type de test pour un autre pathogène sur une population à très faible risque (0,01%), le taux
de faux positifs devient même plus grand que les vrais positifs. Il est important de rappeler que d’utiliser un test sans
une approche diagnostique pertinente, comme de multiplier les tests, augmente le risque d’obtenir des résultats
faussement positifs.
ties commence par la description clinique et la motivation
de la demande qui doit améliorer la qualité de la réponse
du laboratoire et donc de la compréhension de l’interprétation des résultats.
Implications pratiques
> La présence d’IgM spécifiques contre un pathogène n’implique
pas obligatoirement une infection récente, aiguë ou active
> La séroconversion en IgG spécifiques détectée en début
d’une infection est la seule preuve sérologique d’un contact
récent avec le pathogène
conclusion
La sérologie infectieuse est un outil de diagnostic indispensable qu’il convient d’utiliser de manière appropriée.
De simplicité technique, la rapidité de son résultat peut
être de très grande utilité pour la gestion des maladies infectieuses. Son interprétation peut par contre amener le
prescripteur à de fausses conclusions. Il existe des règles
générales d’interprétation que l’on doit acquérir. Il peut être
nécessaire de prendre contact avec le laboratoire pour obtenir les précisions manquant à une meilleure compréhension d’un cas infectieux. La discussion entre les deux par-
> Il est souvent préférable de rechercher le pathogène par un
test direct à partir d’un prélèvement adéquat plutôt que de
rechercher les anticorps indirectement produits par un test
sérologique
> Le diagnostic microbiologique est composé de techniques
très variées qui doivent être utilisées dans un cadre clairement
défini en fonction du contexte clinique. La pertinence et la
précision de l’interprétation dépendent de la probabilité prétest, des renseignements cliniques et de la discussion du cas
entamée entre le laboratoire et le médecin
Bibliographie
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son virus. Virologie 2011;15:6-22.
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pallidum serologic tests : A paradigm shift in syphilis
screening for the 21st century. Clin Infect Dis 2010;51:
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6 ** Recommandations pour la vaccination contre
l’hépatite B. OFSP, Commission suisse pour la vaccination et Groupe suisse d’experts pour l’hépatite virale.
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 12 octobre 2011
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Bulletin de l’OSFP 1997;1-13.
7 ** Recommandations sérologie VIH. Mise à jour
du concept de laboratoire VIH. Bulletin de l’OFSP 2010;
35:791.
* à lire
** à lire absolument
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