Quel avenir pour les traitements à visée immunitaire ?

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Quel avenir pour les traitements
à visée immunitaire ?
Jean-Pierre Routy
Université McGill (Montréal)
L’immunothérapie reste le parent
pauvre de notre arsenal thérapeutique pour lutter contre le VIH.
Face à ce constat, Anthony Fauci
a proposé à Mexico de nouvelles
directions de recherche, et quelques travaux ont apporté des
résultats encourageants.
Les thérapeutiques immunologiques incluent les vaccins préventifs et
l’immunothérapie visant à augmenter le
nombre de CD4 ou la réponse immunitaire spécifique chez des sujets déjà infectés, qui sont importantes à la fois pour
infléchir l’épidémie et pour envisager un
arrêt des antirétroviraux. Néanmoins,
aucune thérapeutique à visée immunologique n’a obtenu à ce jour une autorisation de mise sur le marché.
L’avancée de telles thérapeutiques marque
le pas, suite à l’échec de l’étude vaccinale
STEP (Merck et le National Institutes of
Health [NIH]) et à au récent arrêt par le
NIH de l’étude vaccinale PAVE. Cet essai
vient d’être arrêté dans son développement car le vecteur de type adénovirus utilisé pour induire la réponse T CD8 cytotoxique chez les sujets non-infectés était très
semblable à celui de l’étude STEP.
Quatre idées forces
C’est lors d’une présentation plénière fort
écoutée qu’Anthony Fauci, directeur du
programme VIH au NIH, a donné sa vision
sur le futur du développement des vaccins et de l’immunothérapie dans l’infection VIH1. On peut en retenir quatre idées
forces qui expliquent la mise en échec des
stratégies actuelles d’immunothérapie :
1. Le système immunitaire a une faible
possibilité d’éliminer le virus dès l’infection car ce dernier va en quelques jours
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s’établir dans des réservoirs et très vite
devenir latent, donc caché du système
immunitaire.
2. Le virus détruit les lymphocytes CD4, les
cellules même qui sont responsables de
la coordination du combat immunitaire
anti-VIH.
3. La variabilité extrême du virus et les
mutations lors des cycles de réplication
virale permettent au virus d’échapper à la
surveillance immunitaire.
4. Les parties constantes de l’enveloppe
virale, qui pourraient être de parfaites
cibles antigéniques, sont masquées par un
« bouclier de glycoprotéines » virales qui
va permettre d’échapper aux anticorps.
Le « plan de guerre » d’Anthony Fauci
Fort de ce constat, Fauci exhorte les chercheurs à suivre le « plan de guerre » suivant : il faut retourner au laboratoire et étudier de façon exhaustive la réponse
immunitaire innée et acquise qui implique
les cellules dendritiques, les cellules NK,
et les lymphocytes T et B. Cette réponse
immune intégrée doit être absolument
analysée dès la primo-infection avant que
les relations d’équilibre soient établies
entre l’hôte et le virus, pour en déterminer
les corrélats de protection immunitaire.
D’autre part, des idées nouvelles et audacieuses sont absolument nécessaires pour
faire avancer ce champ de recherche.
Enfin, il faut impérativement étudier cette
réponse immunitaire intégrée non seulement dans le sang périphérique mais
aussi au niveau des muqueuses digestives
et des ganglions lymphatiques.
Il semble bien évident que pour réussir une
telle entreprise, une collaboration encore
Mexico / numéro spécial ANRS – Transcriptases / automne 2008
jamais vue entre les patients, les mouvements associatifs, les cliniciens et tous les
chercheurs sera nécessaire. A partir de
ces nouvelles directions de recherche proposées par Fauci, nous avons retenu les
travaux les plus pertinents.
Les interactions hôte/virus
lors de la primo-infection
H. Streeck et M. Altfeld, de l’université
d’Harvard, ont présenté une très importante étude sur les facteurs associés à la
réponse CD8 cytotoxique lors de l’établissement du « set point » viral2. Il avait été
préalablement établi par ce même groupe
que la réponse spécifique CD8 observée en
primo-infection est directement responsable du contrôle de la réplication virale et
détermine le niveau du « set point » viral.
Toutefois, le nombre, le type d’épitopes
(parties du virus qui sont immunogènes)
qui sont impliqués dans le contrôle virologique sont peu connus car ceci nécessiterait l’étude de l’ensemble des 200 peptides viraux. De plus, cette réponse
cytotoxique étant modulée par les nombreux haplotypes des gènes HLA de
classe I, il faut donc un très grand nombre de sujets en primo-infection pour
répondre à ces questions.
La réponse CD8 spécifique a été mesurée
par ELIspot (INF-γ) chez 440 patients en
primo-infection. Il a donc fallu obtenir la
collaboration de chercheurs des EtatsUnis, du Canada, d’Australie et d’Allemagne
afin d’obtenir un nombre suffisant d’échantillons pour atteindre une puissance statistique suffisante.
La réponse T CD8+spécifique durant la
primo-infection ne porte en fait que sur un
< 4,5 log (90 % et
nombre très restreint d’épiUne collaboration encore
topes, et ce de façon hiérarjamais vue entre les patients, 44 % respectivechique et HLA-dépendante.
les mouvements associatifs, ment à la semaine
150). Les nombres
La fréquence de reconnaisles cliniciens et tous les
de CD4 ont augsance de cette réponse hiéchercheurs sera nécessaire.
menté de 51 dans le
rarchisée et sa persistance
groupe IL-2 et ont
en phase chronique sont
chuté de 64 dans le groupe contrôle (p
associées à un set point plus bas et à une
= < 0,001). La charge virale, elle, n’a pas
moindre chute des lymphocytes CD4 cirvarié dans les deux groupes, ce qui est très
culants.
rassurant (p = 0,93). L’IL-2 a permis de
Les patients ayant les haplotypes HLAretarder en moyenne de 92 semaines l’iniB57 et B27 obtiennent le meilleur contrôle
tiation des antirétroviraux. Il n’a pas été
viral et les clones cytotoxiques persistent.
noté de différence dans le nombre de cas
A l’inverse, les patients n’ayant pas ces
de sida ou décès dans les deux groupes et
haplotypes, contrôlent moins bien leur
les toxicités importantes de grade 3 ou 4
niveau de virémie, et les clones cytotoxiétaient similaires dans les deux groupes.
ques sont soit rapidement délétés par
En conclusion, l’IL-2 peut retarder l’initiaépuisement post-activation ou sont fonction des antirétroviraux surtout si la charge
tionnellement bloqués par un inhibiteur
virale est en dessous de 4,5 log. Une telle
réversible (PD-1).
approche thérapeutique semble intéresLes résultats de cette étude ont une imporsante pour les patients qui ne voudraient
tance immédiate pour le développement
pas prendre des antirétroviraux, toutefois
de vaccins visant à induire des réponses
la toxicité de l’IL-2 et le risque lié à l’abcytotoxiques.
sence de contrôle des complications noninfectieuses liées au VIH (cardiovasculaiProtéger la destruction des CD4
res et rénales) restent inconnues. Ce
Jean-Michel Molina (Hôpital Saint-Louis,
même groupe de chercheurs travaille aussi
Paris) et Yves Levy (Hôpital Henri-Mondor,
sur le rôle de l’interleukine-7, qui semble
Créteil) ont voulu montrer, avec l’étude
être bien mieux tolérée et serait associée
ANRS 119 Interstart, si l’interleukine-2
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à une augmentation plus importante des
pouvait retarder l’initiation des ARV . Ils
cellules CD4 naïves que l’IL-2.
ont réalisé une étude ouverte à allocation
aléatoire. Le premier groupe recevait de
Variabilité du virus et immunothérapie
l’IL-2 (n = 66) soit 4 cycles de 4,5 MUI s/c
Pour surmonter la variabilité du virus et
deux fois par jour durant cinq jours toupour augmenter la présentation antigénites les huit semaines et comparé à un
que du VIH aux cellules CD8 cytotoxigroupe contrôle (n = 64). Les patients
ques, notre groupe à Montréal a réalisé
devaient présenter à l’inclusion des chifune étude utilisant le virus et les cellules
fres de CD4 compris entre 500 et 350.
dendritiques de chaque patient4,5. Cette
Le critère de jugement principal était la
proportion de patients ayant des CD4 < 300
étude pilote nécessite d’avoir conservé
à la semaine 96 et à la semaine 150. Les cridu plasma collecté juste avant l’initiation
tères secondaires étaient la proportion de
du premier traitement antirétroviral de
patients initiant les antirétroviraux, ou qui
façon à pouvoir amplifier l’ARN viral. Les
développent le sida, ou qui décèdent. Les
cellules dendritiques sont dérivées à par2 groupes avaient des CD4 et une charge
tir des monocytes du sang du patient colvirale comparables au début de l’étude.
lecté par cytaphérèse. Ces cellules sont
La proportion de patients ayant des CD4
maturés avec des cytokines, puis transfec< 300 à la semaine 96 était de 35 % pour
tées par quatre gènes viraux de chaque
le groupe IL-2 contre 59 % pour le groupe
patient et avec du CD40L qui va rendre
contrôle (p = 0,008). La réponse de l’ILplus forte la liaison entre les cellules den2 était encore meilleure si l’on ne prenait
dritiques et les CD8.
que les sujets avec une charge virale
L’administration des ces cellules dendri-
tiques a été réalisée quatre fois à un mois
d’intervalle. Ce traitement a été très bien
toléré, sans induire de changement dans
les nombres de CD4, ni de la charge virale.
Les études d’immunogénicité ont démontré par méthode de dilution de CFSE l’augmentation de la réponse cytotoxique chez
huit des neuf patients.
Cette réponse encourageante et la bonne
tolérance clinique de ce traitement nous
ont permis de mettre en place une étude
multicentrique dans 11 centres au Canada.
Dans cette phase II, après immunisation,
les patients vont arrêter leur traitement
antirétroviral pour évaluer le niveau de
contrôle virologique induit par les cellules
CD8 cytotoxiques.
Les anticorps bloquants
Ces anticorps qui devraient limiter l’infection ont été surtout étudiés au laboratoire.
Aucune présentation n’a porté sur les stratégies dirigées pour lever le « bouclier de
glyco-protéine » qui rend le virus toujours
invisible aux yeux du système immunitaire.
Certes, le travail reste immense avant que
nous ayons un vaccin et des thérapeutiques à visée immunitaire accessibles à tous.
Pour être mises au point, ces thérapies vont
demander une exploration à un niveau non
encore envisagé du système immunitaire.
Rappelons-nous les moments difficiles du
développement des thérapeutiques antirétrovirales, ils doivent nous servir de guide
pour le développement de l’immunothérapie basée sur la physiopathologie du VIH.
1 - Fauci A, « The future of AIDS research », WESS0101
2 - Streeck H, « Inter-epitope interference modulate
HIV-1-specific CD8+ T cell immunodominance
patterns in primary infection », MOAX0306
3 - Molina JM, « Interleukine2 (IL-2) herapy to prevent
CD4 T-cell loss and defer HAART in antiretroviral
naive HIV-1 infected patients – Interstart ANRS 119
trial », TUPDA105
4 - Routy JP, « Autologous dentritic cells immunotherapeutic (Arcelis) : Tolerability and immunogenicity
in HIV-1 infected subjects treated with ART », TUPDA101
5 - Yegorov O, « The co-transfection of monocyt derived
dendritic cells by different combinations of HIV antigen
RNA and molecular adjuvant RNA enhanced the
response of HIV-specific CD8+ T cells », TUPDA 102
Mexico / numéro spécial ANRS – Transcriptases / automne 2008
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