LES GRANDES HEURES DU 24ème CONCOURS INTERNATIONAL DE PIANO PAR P.J. Le 24ème Concours International de Piano d'Epinal (CIPE) vient de trouver sa conclusion, au soir du dimanche des Rameaux. En guise de Rameaux jonchés sous les pas des futurs apôtres du piano international, ce sont des palmes printanières qui ont décoré l'autoroute de la gloire promise à un couple inattendu : l'Arménien Ashot KHACHATOURIAN et la Coréenne Yedam KIM. Car ce 24ème Concours aura surtout été la consécration de la "parité", selon le "new deal" franco-gaulois du moment. Parité au sein du jury, puis, en finale : deux concerti, deux CHOPIN, deux SAINT-SAËNS et au palmarès, un second prix à partager entre un homme et une femme. Outre cet aspect statistique du binôme, ce Concours aura connu un beau succès d'affluence. Affluence chez les prétendants au titre : 83 candidats au clavier et aux trois pédales du grand-queue FAZIOLI... Presque un record ! (en 1987, l'autoroute s'est trouvée bouchée avec 125 présents, d'où la pose d'un garde-fou, c'est-à-dire d'un "numerus clausus" fixé à 100). Mais aussi affluence, nombreuse et régulière, au Théâtre municipal, tout au long de la semaine, des familles hébergeantes ou prêteuses de pianos, accourues pour supporter leurs protégés. Félicitations et remerciements aux sept jurés qui ont carburé, physiquement et cérébralement, pour écluser 83 esquifs sur les flots de la Moselle. Aux commandes: le Président Josep COLOM, grand prix du CIPE en 1977, Catalan aimable, discret, mais rigoureux, à l'écoute de ses confrères et consœurs : Dana CIOCARLIE (Roumanie), Eliane REYES (Belgique), Elena ROZANOVA (France-Russie) Maurizio BAGLINI (Italie), Alexander GHINDIN (Russie), Thierry HUILLET (France), après la défection de deux femmes: Momo KODAMA et Vanessa WAGNER. QUAND DEUX CHOPIN RENCONTRENT DEUX SAINT-SAËNS En ce frisquet dimanche, l'auditorium de La Louvière a fait quasiment le plein. L'Orchestre National de Lorraine, sous la direction de Jacques MERCIER ; qui avait assuré les répétitions à Metz avec les quatre finalistes, était à nouveau à la tâche. A chaque candidat, son style, son tempo, son expérience de l'orchestre. Première à affronter les sunlights et l'acoustique de l'auditorium : la Japonaise Mélissa GORE, repérée à son premier passage pour son "Feu d'artifice" de DEBUSSY. Elle s'attaquait au 2ème Concerto en sol mineur de SAINT-SAËNS ; Une fille volontaire, assurée, à l'aise avec la masse orchestrale, dès les premiers tutti, écrits "maestoso" mais empoignés "pomposo"! Une belle sonorité conquérante, mais une prise de risque en entrainant l’orchestre dans un tempo fulgurant, plus prestissimo que presto ! Dangereux ! même si le public se laisse emporter par le souffle de SAINTSAËNS. On attendait beaucoup de Ashot KHACHATOURIAN. Il avait ébloui, par deux fois, lors des préliminaires, avec une volcanique "Toccata" de PROKOFIEV. Dans le premier Concerto en mi mineur de CHOPIN, il a semblé moins à l'aise. Après la longue introduction orchestrale, il a paru fébrile, puis il s'est repris pour donner un CHOPIN plus retenu, plus confidentiel, avec une belle ligne mélodique dans la romance-larghetto. Mais n'a-t-il pas perdu un peu de son panache ? C'est avec infiniment de concentration qu’Arseni SADYKAW (Belarus) a abordé son SAINT-SAËNS. On l'avait repéré pour sa bravoure dans son "Mazeppa" du premier tour, puis dans les sonates décibelliques de PROKOFIEV et de RACHMANINOV. Il s'est un peu assagi avec SAINT-SAËNS encore que, dans l'allegro scherzando, il ait emballé l'orchestre dans un élan de cavalier seul. Restait à comparer le Concerto numéro Un de CHOPIN sous les doigts de la Coréenne Yedam KIM. Le doigté coréen est-il compatible avec CHOPIN ? Certes, KIM est aussi une Parisienne qui s'est frottée à plusieurs styles d'écoles. Mais c'est surtout son agilité digitale, sa manière d'attaquer la note comme s'il s'agissait d'une sonate de SCARLATTI, qui fait l'admiration des uns et qui interroge les autres, c'est-à-dire les inconditionnels d'un CHOPIN nimbé d'une auréole romantique scotchée à la tradition. A chacun ses goûts ! Au deuxième entr'acte, tandis que le jury délibérait, le public a eu droit à un remarquable concert offert par le quatuor des demi- finalistes. Le Français Jonathan FOURNEL dans la "Polonaise Héroïque" de CHOPIN. Le Gréco-italien Marios PANTELIADIS dans la "Rhapsodie Hongroise" N° 12 de LISZT. La Japonaise Ayane SHODA dans l’"Etude Transcendantale" de LYAPOUNOV, le compositeur méconnu que l'on a découvert. Enfin, l'Allemande Katharina TREUTLER dans une belle version de la "Paraphrase de Rigoletto" de LISZT. PAS DE PREMIER PRIX ? NON ! Le second étant attribué conjointement, à Ashot KHACHATOURIAN et à Yedam KIM. Une poire coupée en deux ! Ce qui a été ressenti comme une petite déception pour Jean-Pierre AUBRY qui espérait mieux pour inaugurer sa nouvelle présidence. Cette réflexion n'entame en rien la haute tenue de ce Concours spinalien qui devrait trouver un nouvel accomplissement, dans deux ans, à l'occasion de son 25ème anniversaire. P.J.