INTERVIEW D’HELENE TYSMAN Il semble que vous ayez fait de Chopin votre cheval de bataille ; pour quelles raisons ? Je me suis tournée vers Chopin tout d’abord pour des raisons pianistiques : il est le compositeur phare pour n’importe quel pianiste. Pianiste lui-même, il a probablement composé 99% de sa musique pour cet instrument. Pianistiquement, il a réussi à tirer la quintessence des couleurs et des harmonies du piano. Le piano de Chopin est exploité dans toutes les possibilités extrêmes et infinies que propose cet instrument ; je l’ai donc étudié très tôt afin d’étudier l’articulation et la comprendre ; il s’est avéré être un véritable professeur : grâce à lui j’ai tout appris du son. C’est le compositeur le plus structuré, son cadre est d’une extrême précision. Je pense que jouer Chopin demande un travail fou car à l’entendre, sa musique semble très libre, extrêmement improvisée ; or, pour obtenir cela, il faut travailler comme jamais la structure qui est derrière. Il travaillait et cherchait ses compositions, d’ailleurs, beaucoup en improvisant, il atteignait ainsi ce que l’on appelle « la note bleue », c’est à dire cette modulation de certaines harmonies qui lui sont propres. Il y a dans sa création, à la fois cet élan spontané et cet extrême travail. C’est à travers ses œuvres que ma quête, ma recherche et ma technique pianistique se développent le mieux, sa musique est infiniment riche, elle atteint la perfection. Mon premier disque lui était dédié et le prochain le sera aussi. Laquelle de ses compositions préférez-vous ? Sa vie, hélas, n’a pas été très longue puisque il est mort à 40 ans, et je dois dire que je ne vois aucune œuvre que j’aime moins… Même ses œuvres dites « mineures » ainsi que ses « fugues » qui étaient pour lui de simples exercices sont intéressantes. Ce qu’il y a de génial c’est que cet homme a composé toute sa vie. A à peine 20 ans il avait déjà composé un premier cahier d’études, il avait tout en tête et savait déjà ce qu’il voulait faire, son évolution s’en ressent. Chopin, c’est tout un langage, du début à la fin, dans toutes ses œuvres. Et chez Alfred de Musset, y a-t-il un texte qui vous touche plus qu’un autre ? Il y a une telle force chez cet homme… Tous les textes choisis par Francis sont très intéressants, tous différents, on y trouve aussi une véritable évolution comme dans les œuvres de Chopin avec certains textes presque violents, d’autres beaucoup plus doux ou désespérés, il y a de tout. J’avais été particulièrement touchée par La nuit de décembre, un ensemble de poèmes rédigés après sa rupture avec l’écrivaine George Sand. Aussi, dans On ne badine pas avec l’amour « J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. ». Comment avez-vous travaillé avec Francis Huster ? Nous avons beaucoup communiqué par le rire ! En fait, chacun apporte son travail personnel, nous répétons très peu, il n’y a pas de mise en scène, cela reste dépouillé afin de laisser parler les œuvres elles-mêmes. Francis Huster dit de vous que vous êtes un Gainsbourg en jupons… Fragile et en même temps puissante… Que diriez-vous de lui ? C’est une espèce de feu en attente, qui peut surgir à tout instant ! Quand nous nous sommes rencontrés, j’étais tellement admirative et impressionnée. Je me souviendrai toujours de la première fois où nous avons joué ce spectacle… en fait, les répétitions qui précédaient la représentation ont été courtes : en grand professionnel de théâtre, Francis Huster s’économisait. Et quand est venu le temps de la représentation j’ai simplement été foudroyée sur scène ! L’intensité que cet homme peut dégager !... ce n’était plus Francis Huster, il était LE personnage, une révélation pour moi... C’est extraordinaire de partager la scène avec quelqu’un qui dégage une telle force, je n’ai jamais rencontré une telle électricité avec mes camarades musiciens. Francis Huster est un homme qui passe 98% de son existence sur scène et quand on partage ces moments d’intensité extrême avec lui on n’a presque pas le désir de le connaître en dehors, car c’est là, sur scène, qu’est l’échange, là où tout se passe, là où tout est plus fort. Quelle pensée pourriez-vous transmettre à nos sociétaires ? Ce que je peux espérer, c’est qu’après avoir vu le spectacle ils aient envie d’entendre Chopin ou de lire Musset. Ceux qui sont plus proches de la littérature vont peut-être découvrir Chopin, et les plus mélomanes découvriront peut-être Musset… Espérer que de ce dialogue naisse quelque chose de nouveau, que cette alliance que nous leur proposons les inspire.