Complications liées à la chirurgie sinusienne 10 87 Complication infectieuse d’une élévation sinusienne Philippe Russe 1. Photographie initiale de face. 2. Photographie initiale de profil. Présentation du cas Une jeune patiente, née en 1991, se présente chez son orthodontiste en 2006 à l’âge de 15 ans. Son examen exo-buccal révèle un profil droit, la présence d’un pli labio-mentonnier marqué, une rétrognatie mandibulaire et une typologie brachyfaciale. (fig. 1 et 2) L’examen endo-buccal montre la persistance de dents lactéales et l’absence de nombreuses dents définitives. La patiente présente une polyagénésie dont l’interrogatoire révèle qu’elle est familiale (voir cicontre) : Schéma dentaire de la patiente : -- -- 55 54 13 12 11 21 22 23 24 65 -- -- -______________________________________ -- 46 45 44 43 42 41 31 32 33 34 75 -- -- -- 88 Difficultés et complications en implantologie 3. Situation dentaire initiale en occlusion. 5. Téléradiographie initiale de profil. 4. Radiographie panoramique initiale. 6. Radiographie de poignet en juin 2006. Sur le plan clinique, on note la présence d’un diastème inter-incisif maxillaire, une supraclusion profonde et un léger surplomb incisif (fig. 3) La radiographie panoramique confirme l’absence de 12 dents définitives, dents de sagesse non comprises. Pourquoi s’agit-il d’une difficulté ? Au maxillaire, l’absence de 3 prémolaires et de toutes les molaires a permis aux sinus maxillaires d’occuper une situation procidente qui rend complexe la mise en place d’implants dans les secteurs postérieurs. (fig. 4 et 5). Une radiographie de poignet est prescrite afin de quantifier un éventuel décalage entre âge osseux et âge civil et ainsi évaluer la période de fin de croissance. (fig. 6). Description du traitement Préparation orthodontique Le plan de traitement orthodontique comprend une phase de traitement multi-attaches visant à lever la supraclusion et à rétablir un guidage antérieur fonctionnel. La mise en place d’implants postérieurs est envisagée dès le début du traitement, la chronologie de leur mise en place étant conditionnée par la résorption plus ou moins rapide des molaires de lait. Plan de traitement implantaire La résorption des molaires de lait maxillaires et la présence de sinus procidents fait indiquer la réalisation d’élévations sinusiennes bilatérales avant la mise en place d’implants au maxillaire. A la mandibule, des implants sont envisagés au niveau de la 36, puis en remplacement des 75 et 85. Complications liées à la chirurgie sinusienne 7. Insert Mectron OT7S-4. Imagerie préopératoire Le scanner révélant un épaississement de la muqueuse du bas-fond sinusien gauche, une consultation ORL est demandée. En effet, Manor et coll. (1) ont montré, dans une étude portant sur 153 élévations sinusiennes, que les antécédents de sinusite, et les membranes épaissies constituaient un facteur de risque significatif de survenue de sinusites aiguës ou chroniques à long terme après une élévation sinusienne. 8. Découpe du volet avec une micro-scie ultrasonore. 9. Volet osseux vestibulaire déposé. 10. Instruments d’élévation de la membrane de Schneider (Stoma®). Bilan ORL L’examen ORL comprend une fibroscopie nasopharyngée, qui montre : des fosses nasales perméables, des méats moyens libres et un cavum normal… Selon le médecin ORL consulté, il n’y a pas de contre-indication ORL à une chirurgie implantaire. Chirurgie préimplantaire Une élévation sinusienne bilatérale est réalisée alors que les dents lactéales, qui ne sont ni mobiles, ni infectées, sont conservées à ce stade, bien que la résorption des racines soit avancée au vu de l’imagerie. La technique utilisée comprend les étapes suivantes - Anesthésie locale (Septocaïne, Septodont®, adrénalinée au 1/100 000 dans la muqueuse alvéolaire et à 1/200 000 dans la fibro-muqueuse palatine). - Incision arciforme vestibulaire. - Découpe d’un volet osseux vestibulaire repositionnable au bistouri piézo-électrique en utilisant un insert OT7S-4 (Mectron®) [fig. 7] selon le principe proposé par Lundgren et coll. en 2004 (2). L’insert, de 0,35 mm d’épaisseur, permet un repositionnement précis du volet et un défaut osseux final minime (fig. 8). 89 11. Membrane de Schneider intacte. - Mobilisation puis décollement du volet osseux (fig. 9). - Le volet est conservé dans du sérum physiologique jusqu’à son repositionnement. - Elévation de la membrane de Schneider avec des instruments spécifiques, dessinés pour éviter le pincement de la membrane sinusienne entre l’extrémité de l’instrument et la paroi interne du sinus. (fig.10 et 11). 90 Difficultés et complications en implantologie 12. Comblement du bas-fond sinusien. 13. Volet reposé, le hiatus osseux est minimal. 14. Cone-Beam de contrôle postopératoire immédiat. Absence de dissémination du matériau de comblement et d’hémosinus. - Mise en place d’une membrane de PRF intrasinusienne sur la membrane élevée. - Comblement avec un mélange d’un substitut osseux bioactif à résorption rapide et d’un deuxième substitut osseux à résorption lente. Dans le cas de cette patiente, c’est une association de Cerabone (Botiss®) et de Nanobone (Artoss®) qui a été utilisée, les deux substituts étant réhydratés avec l’exsudat du PRF puis additionnés de 100 mg de métronidazole sans excipient, pour chaque sinus. (fig. 12) - Repose du volet osseux sur le comblement sinusien (fig. 13) Cette option technique a fait l’objet de publications récentes supportant le choix de repositionner le volet osseux : celle de Moon et coll. (3) a établi que, chez le lapin, le repositionnement du volet osseux était préférable à la mise en place d’une membrane collagène. La même équipe (4) a présenté une étude clinique et histologique montrant l’intérêt de la repose du volet : pour les auteurs, le volet replacé agit comme une membrane autogène ostéo-inductive qui accélère la néo-formation osseuse dans le sinus. - Mise en place d’une membrane de PRF sur le volet - Suture du lambeau arciforme. - Imagerie de contrôle postopératoire (fig. 14). - Une ordonnance postopératoires comprenant 3 comprimés par jour de Birodogyl pendant 8 jours, de Lamaline pour la douleur et de bains de bouche d’Eludril est remise, et un contrôle postopératoire est prévu 1 mois plus tard. - Des instructions sont données à la patiente pour Complications liées à la chirurgie sinusienne 15. Contrôle Cone-Beam de la complication infectieuse. 17. Coupe radiale au niveau de la 55. éviter toute surpression au niveau du sinus pour les 8 semaines postopératoires : pas de plongée sous-marine, pas de manœuvre de Valsalva à la descente en cas de voyage aérien ou en altitude, pas de pincement du nez lors du mouchage et de l’éternuement. Suites habituelles Les patients sont revus environ un mois après leur intervention. Les sutures résorbables se résorbent aux environs du 12e jour. Les suites classiques comprennent un oedème qui varie de modéré à important, un hématome jugal de manière inconstante et des douleurs de faibles à modérées dans la plupart des cas. Le mouchage d’un caillot de sang à 48 h ou 72 h est quelquefois rapporté par les patients. 91 16. Coupe radiale postérieure objectivant un élément dense déplacé. Complication La patiente revient pour un contrôle 4 semaines et demie après son intervention. Elle présente une fistule vestibulaire du côté droit. Un ConeBeam est alors réalisé, qui objective un sinus droit totalement obstrué. La membrane de Schneider est épaissie du côté droit, mais le sinus reste bien aéré (fig. 15). On remarque sur les reconstructions panoramique et radiale la présence d’un élément dense, légèrement à distance du comblement, dans le sinus gauche, absent lors du contrôle postopératoire immédiat (fig. 16). Deux hypothèses sont évoquées à ce stade : la perforation de la membrane après l’intervention et la migration de particules de matériau de comblement, ou le déplacement de substitut osseux à l’intérieur de la membrane très épaissie et très inflammatoire. Au-dessus de la 55, le comblement apparaît inhomogène, avec une zone hypodense située à 5 mm environ de la partie supérieure du comblement (fig. 17). 92 Difficultés et complications en implantologie 18. Contrôle avant la reprise chirurgicale. 20. Situation clinique après curetage partiel du sinus. Un traitement antibiotique est mis en place associant du Clamoxyl à raison de 3 gr par jour et du Flagyl (1,5 gr par jour) pour une durée de 8 jours. Après assèchement de la fistule, celle-ci redeviendra productive et, après une seconde prescription d’antibiotiques, il est décidé de réintervenir chirurgicalement 3 mois après l’élévation sinusienne. Traitement de la complication L’imagerie préopératoire (fig. 18) objective un sinus redevenu perméable, mais une membrane qui reste très épaissie avec l’apparition d’une zone centrale du comblement qui paraît hypodense, en regard de la fistule. En revanche, l’inflammation de la membrane de Schneider du côté opposé s’est 19. Résultat du curetage. résolue et celle-ci n’est pas plus épaisse qu’avant l’élévation sinusienne. Un nouveau lambeau arciforme vestibulaire est levé. Il permet d’accéder au volet osseux, qui est cicatrisé par endroit mais n’est pas totalement jointif. Une fois déposée, la partie centrale du comblement sinusien est curetée (fig. 19). La consistance est celle du sucre mouillé, mais dans les portions périphériques, la densité est plus importante et ce tissu plus dense est respecté. Une cavité centrale est donc créée qui emporte les particules de biomatériau non liées (fig. 20). Au contact des parois osseuses, mais aussi de la membrane sinusienne, le comblement présente une densité plus importante. Ce phénomène a été décrit dans la littérature par Mahler et coll. (5), qui l’ont nommé « the dome phenomenon ». Il est la conséquence de l’activité ostéogénique de la membrane de Schneider, décrite par Srouji et coll. (6) en 2009. Après le curetage, la cavité est rincée abondamment avec le sérum physiologique du moteur de chirurgie, puis rapidement aspirée avant de laisser le sang la remplir, au besoin en incisant la partie supérieure de la face interne du lambeau. Dans ce cas, il n’a pas été mis en place de membrane collagène, mais, sur d’autres cas plus récents, une membrane Bio-Gide (Geistlich®) a été posée sur la fenêtre osseuse. Le lambeau est alors suturé en place et le traitement antibiotique est poursuivi pendant 6 jours supplémentaires. Le contrôle postopératoire à 1 mois montre cette fois la fermeture de la fistule et l’absence de signes Complications liées à la chirurgie sinusienne 21a. Situation préopératoire. cliniques. Sans nouveau problème infectieux, l’extraction des molaires de lait, qui sont désormais fortement rhyzalisées, est programmée et une prothèse partielle amovible est mise en place. La pose d’implants a lieu 5 mois après le curetage, en janvier 2012, lorsque la partie curetée du comblement commence à s’ossifier à partir du caillot. 21b. Planification, logiciel Nobel Clinician . ® 22. Situation radiologique au niveau de la 15. Pose des implants L’imagerie de contrôle montre une bonne conservation du volume des élévations sinusiennes, la disparition de l’épaississement des membranes de Schneider et un début de minéralisation de la zone curetée. Les sinus sont parfaitement aérés, sans trace de pathologie. Une planification est réalisée, indiquant la possibilité de mettre en place 5 implants Nobel Active de 13 mm de long et de 4,3 mm de diamètre, sauf au niveau de la 14, où l’épaisseur de crête fait préférer un implant Narrow Platform de 3,5 mm de diamètre, plus incliné en palatin. (fig. 21 et 22). Les forages sont réalisés avec un protocole pour os de densité médium. Une stabilité primaire dépassant 30 Ncm est obtenue. Le port de la prothèse partielle amovible et l’extraction récente des dents de lait laissant une muqueuse encore fine font préférer une technique chirurgicale en deux temps. Réouverture des implants Elle a lieu classiquement 4 mois après la pose chirurgicale. La gencive attachée est déplacée vestibulairement pour conserver une bande de tissu dépassant 2 mm. Phase prothétique L’empreinte des implants est prise un mois plus tard à l’aide de polyéthers. Deux bridges provisoires en résine fabriqués à partir de dents du commerce sont posés sur des piliers en titane non retouchés. Ils sont mis en bouche ; leurs références sont notées sur le maître-modèle et ils ne seront plus déposés pour respecter la néo-attache 93 94 Difficultés et complications en implantologie 24. Piliers prothétiques en bouche, secteur 1. 25. Bridge 23. Maître-moulage, piliers titane en place, référencés sur le modèle. provisoire en place, secteur 1. 26. Couronnes céramo-métalliques, 27. Couronnes céramo-métalliques dans le secteur 1. 28. Résultat clinique initial, dans le secteur 1. 29. Résultat clinique initial, dans le secteur 2. même maître-moulage. Complications liées à la chirurgie sinusienne 95 30. Résultat radiologique dans le secteur 1. 31. Résultat radiologique dans le secteur 2 32. Résultat clinique à 2 ans dans le secteur 1. 33. Résultat clinique à 2 ans dans le secteur 2. 34. Radiographie panoramique de contrôle à 2 ans : l’hypodensité en secteur 1 a disparu. formée sur le titane des piliers dans le respect du protocole du pilier unique (One abutment, one time). Dans le cas d’élévation sinusienne, une mise en charge progressive est respectée. Seuls des contacts punctiformes en OIM sont conservés sur les bridges provisoires (fig. 23 à 31). Les dernières radiographies et photographies ont été prises lors du contrôle 2 ans après la mise en place des prothèses sur implants. (fig 32 à 36). Cliniquement, on ne note pas de problème. Le choix d’un pilier en titane de hauteur transgingivale de 3 mm au niveau de la 16, entraîne la visibilité au collet d’un peu de titane, sans conséquence inesthétique lors du sourire. 35. Rétro-alvéolaire à 2 ans, secteur 1. 36. Rétro-alvéolaire à 2 ans, secteur 2.