Complication infectieuse d`une élévation sinusienne

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Complications liées à la chirurgie sinusienne
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Complication infectieuse
d’une élévation sinusienne
Philippe Russe
1. Photographie initiale de face.
2. Photographie initiale de profil.
Présentation du cas
Une jeune patiente, née en 1991, se présente chez
son orthodontiste en 2006 à l’âge de 15 ans. Son
examen exo-buccal révèle un profil droit, la présence d’un pli labio-mentonnier marqué, une rétrognatie mandibulaire et une typologie brachyfaciale. (fig. 1 et 2) L’examen endo-buccal montre
la persistance de dents lactéales et l’absence de
nombreuses dents définitives.
La patiente présente une polyagénésie dont l’interrogatoire révèle qu’elle est familiale (voir cicontre) :
Schéma dentaire de la patiente :
-- -- 55 54 13 12 11 21 22 23 24 65 -- -- -______________________________________
-- 46 45 44 43 42 41 31 32 33 34 75 -- -- --
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Difficultés et complications en implantologie
3. Situation dentaire initiale en occlusion.
5. Téléradiographie initiale de profil.
4. Radiographie panoramique initiale.
6. Radiographie de poignet en juin 2006.
Sur le plan clinique, on note la présence d’un
diastème inter-incisif maxillaire, une supraclusion
profonde et un léger surplomb incisif (fig. 3) La
radiographie panoramique confirme l’absence de
12 dents définitives, dents de sagesse non comprises.
Pourquoi s’agit-il d’une difficulté ?
Au maxillaire, l’absence de 3 prémolaires et de toutes
les molaires a permis aux sinus maxillaires d’occuper une
situation procidente qui rend complexe la mise en place
d’implants dans les secteurs postérieurs. (fig. 4 et 5).
Une radiographie de poignet est prescrite afin de quantifier un éventuel décalage entre âge osseux et âge civil
et ainsi évaluer la période de fin de croissance. (fig. 6).
Description du traitement
Préparation orthodontique
Le plan de traitement orthodontique comprend
une phase de traitement multi-attaches visant à
lever la supraclusion et à rétablir un guidage antérieur fonctionnel. La mise en place d’implants postérieurs est envisagée dès le début du traitement,
la chronologie de leur mise en place étant conditionnée par la résorption plus ou moins rapide des
molaires de lait.
Plan de traitement implantaire La résorption
des molaires de lait maxillaires et la présence de
sinus procidents fait indiquer la réalisation d’élévations sinusiennes bilatérales avant la mise en
place d’implants au maxillaire. A la mandibule, des
implants sont envisagés au niveau de la 36, puis
en remplacement des 75 et 85.
Complications liées à la chirurgie sinusienne
7. Insert Mectron OT7S-4.
Imagerie préopératoire Le scanner révélant
un épaississement de la muqueuse du bas-fond
sinusien gauche, une consultation ORL est demandée. En effet, Manor et coll. (1) ont montré,
dans une étude portant sur 153 élévations sinusiennes, que les antécédents de sinusite, et les
membranes épaissies constituaient un facteur de
risque significatif de survenue de sinusites aiguës
ou chroniques à long terme après une élévation
sinusienne.
8. Découpe du volet
avec une micro-scie
ultrasonore.
9. Volet osseux
vestibulaire
déposé.
10. Instruments d’élévation
de la membrane de Schneider (Stoma®).
Bilan ORL L’examen ORL comprend une fibroscopie nasopharyngée, qui montre : des fosses nasales perméables, des méats moyens libres et un
cavum normal… Selon le médecin ORL consulté, il
n’y a pas de contre-indication ORL à une chirurgie
implantaire.
Chirurgie préimplantaire
Une élévation sinusienne bilatérale est réalisée alors que les dents lactéales, qui ne sont ni
mobiles, ni infectées, sont conservées à ce stade,
bien que la résorption des racines soit avancée au
vu de l’imagerie.
La technique utilisée
comprend les étapes suivantes
- Anesthésie locale (Septocaïne, Septodont®, adrénalinée au 1/100 000 dans la muqueuse alvéolaire
et à 1/200 000 dans la fibro-muqueuse palatine).
- Incision arciforme vestibulaire.
- Découpe d’un volet osseux vestibulaire repositionnable au bistouri piézo-électrique en utilisant
un insert OT7S-4 (Mectron®) [fig. 7] selon le principe proposé par Lundgren et coll. en 2004 (2).
L’insert, de 0,35 mm d’épaisseur, permet un repositionnement précis du volet et un défaut osseux
final minime (fig. 8).
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11. Membrane de Schneider intacte.
- Mobilisation puis décollement du volet osseux
(fig. 9).
- Le volet est conservé dans du sérum physiologique jusqu’à son repositionnement.
- Elévation de la membrane de Schneider avec
des instruments spécifiques, dessinés pour éviter
le pincement de la membrane sinusienne entre
l’extrémité de l’instrument et la paroi interne du
sinus. (fig.10 et 11).
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Difficultés et complications en implantologie
12. Comblement du bas-fond sinusien.
13. Volet reposé, le hiatus osseux est minimal.
14. Cone-Beam
de contrôle
postopératoire
immédiat.
Absence de
dissémination
du matériau
de comblement
et d’hémosinus.
- Mise en place d’une membrane de PRF intrasinusienne sur la membrane élevée.
- Comblement avec un mélange d’un substitut osseux bioactif à résorption rapide et d’un deuxième
substitut osseux à résorption lente. Dans le cas
de cette patiente, c’est une association de Cerabone (Botiss®) et de Nanobone (Artoss®) qui a été
utilisée, les deux substituts étant réhydratés avec
l’exsudat du PRF puis additionnés de 100 mg de
métronidazole sans excipient, pour chaque sinus.
(fig. 12)
- Repose du volet osseux sur le comblement sinusien (fig. 13)
Cette option technique a fait l’objet de publications
récentes supportant le choix de repositionner le
volet osseux : celle de Moon et coll. (3) a établi
que, chez le lapin, le repositionnement du volet
osseux était préférable à la mise en place d’une
membrane collagène. La même équipe (4) a présenté une étude clinique et histologique montrant
l’intérêt de la repose du volet : pour les auteurs,
le volet replacé agit comme une membrane autogène ostéo-inductive qui accélère la néo-formation osseuse dans le sinus.
- Mise en place d’une membrane de PRF sur le
volet
- Suture du lambeau arciforme.
- Imagerie de contrôle postopératoire (fig. 14).
- Une ordonnance postopératoires comprenant
3 comprimés par jour de Birodogyl pendant
8 jours, de Lamaline pour la douleur et de bains de
bouche d’Eludril est remise, et un contrôle postopératoire est prévu 1 mois plus tard.
- Des instructions sont données à la patiente pour
Complications liées à la chirurgie sinusienne
15. Contrôle Cone-Beam de la complication infectieuse.
17. Coupe radiale au niveau de la 55.
éviter toute surpression au niveau du sinus pour
les 8 semaines postopératoires : pas de plongée
sous-marine, pas de manœuvre de Valsalva à la
descente en cas de voyage aérien ou en altitude,
pas de pincement du nez lors du mouchage et de
l’éternuement.
Suites habituelles
Les patients sont revus environ un mois après leur
intervention. Les sutures résorbables se résorbent
aux environs du 12e jour. Les suites classiques
comprennent un oedème qui varie de modéré à
important, un hématome jugal de manière inconstante et des douleurs de faibles à modérées dans
la plupart des cas. Le mouchage d’un caillot de
sang à 48 h ou 72 h est quelquefois rapporté par
les patients.
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16. Coupe radiale postérieure objectivant un
élément dense déplacé.
Complication
La patiente revient pour un contrôle 4 semaines
et demie après son intervention. Elle présente
une fistule vestibulaire du côté droit. Un ConeBeam est alors réalisé, qui objective un sinus droit
totalement obstrué. La membrane de Schneider
est épaissie du côté droit, mais le sinus reste bien
aéré (fig. 15).
On remarque sur les reconstructions panoramique et radiale la présence d’un élément dense,
légèrement à distance du comblement, dans
le sinus gauche, absent lors du contrôle postopératoire immédiat (fig. 16). Deux hypothèses
sont évoquées à ce stade : la perforation de la
membrane après l’intervention et la migration
de particules de matériau de comblement, ou le
déplacement de substitut osseux à l’intérieur de
la membrane très épaissie et très inflammatoire.
Au-dessus de la 55, le comblement apparaît inhomogène, avec une zone hypodense située à
5 mm environ de la partie supérieure du comblement (fig. 17).
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Difficultés et complications en implantologie
18. Contrôle avant la reprise chirurgicale.
20. Situation clinique après curetage partiel du sinus.
Un traitement antibiotique est mis en place associant du Clamoxyl à raison de 3 gr par jour et du
Flagyl (1,5 gr par jour) pour une durée de 8 jours.
Après assèchement de la fistule, celle-ci redeviendra productive et, après une seconde prescription
d’antibiotiques, il est décidé de réintervenir chirurgicalement 3 mois après l’élévation sinusienne.
Traitement
de la complication
L’imagerie préopératoire (fig. 18) objective un
sinus redevenu perméable, mais une membrane
qui reste très épaissie avec l’apparition d’une zone
centrale du comblement qui paraît hypodense, en
regard de la fistule. En revanche, l’inflammation de
la membrane de Schneider du côté opposé s’est
19. Résultat du curetage.
résolue et celle-ci n’est pas plus épaisse qu’avant
l’élévation sinusienne.
Un nouveau lambeau arciforme vestibulaire est
levé. Il permet d’accéder au volet osseux, qui est
cicatrisé par endroit mais n’est pas totalement jointif. Une fois déposée, la partie centrale du comblement sinusien est curetée (fig. 19). La consistance
est celle du sucre mouillé, mais dans les portions
périphériques, la densité est plus importante et ce
tissu plus dense est respecté.
Une cavité centrale est donc créée qui emporte
les particules de biomatériau non liées (fig. 20).
Au contact des parois osseuses, mais aussi de la
membrane sinusienne, le comblement présente
une densité plus importante. Ce phénomène a
été décrit dans la littérature par Mahler et coll. (5),
qui l’ont nommé « the dome phenomenon ». Il
est la conséquence de l’activité ostéogénique de la
membrane de Schneider, décrite par Srouji et coll.
(6) en 2009.
Après le curetage, la cavité est rincée abondamment avec le sérum physiologique du moteur de
chirurgie, puis rapidement aspirée avant de laisser
le sang la remplir, au besoin en incisant la partie
supérieure de la face interne du lambeau.
Dans ce cas, il n’a pas été mis en place de membrane collagène, mais, sur d’autres cas plus récents, une membrane Bio-Gide (Geistlich®) a été
posée sur la fenêtre osseuse.
Le lambeau est alors suturé en place et le traitement antibiotique est poursuivi pendant 6 jours
supplémentaires.
Le contrôle postopératoire à 1 mois montre cette
fois la fermeture de la fistule et l’absence de signes
Complications liées à la chirurgie sinusienne
21a. Situation préopératoire.
cliniques. Sans nouveau problème infectieux, l’extraction des molaires de lait, qui sont désormais
fortement rhyzalisées, est programmée et une
prothèse partielle amovible est mise en place.
La pose d’implants a lieu 5 mois après le curetage,
en janvier 2012, lorsque la partie curetée du comblement commence à s’ossifier à partir du caillot.
21b. Planification, logiciel Nobel Clinician .
®
22. Situation
radiologique
au niveau de la 15.
Pose des implants
L’imagerie de contrôle montre une bonne conservation du volume des élévations sinusiennes, la
disparition de l’épaississement des membranes de
Schneider et un début de minéralisation de la zone
curetée. Les sinus sont parfaitement aérés, sans
trace de pathologie.
Une planification est réalisée, indiquant la possibilité de mettre en place 5 implants Nobel Active
de 13 mm de long et de 4,3 mm de diamètre, sauf
au niveau de la 14, où l’épaisseur de crête fait préférer un implant Narrow Platform de 3,5 mm de
diamètre, plus incliné en palatin. (fig. 21 et 22).
Les forages sont réalisés avec un protocole pour os
de densité médium. Une stabilité primaire dépassant 30 Ncm est obtenue. Le port de la prothèse
partielle amovible et l’extraction récente des dents
de lait laissant une muqueuse encore fine font préférer une technique chirurgicale en deux temps.
Réouverture des implants
Elle a lieu classiquement 4 mois après la pose
chirurgicale. La gencive attachée est déplacée vestibulairement pour conserver une bande de tissu
dépassant 2 mm.
Phase prothétique
L’empreinte des implants est prise un mois plus
tard à l’aide de polyéthers. Deux bridges provisoires en résine fabriqués à partir de dents du
commerce sont posés sur des piliers en titane
non retouchés. Ils sont mis en bouche ; leurs références sont notées sur le maître-modèle et ils ne
seront plus déposés pour respecter la néo-attache
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Difficultés et complications en implantologie
24. Piliers
prothétiques
en bouche,
secteur 1.
25. Bridge
23. Maître-moulage, piliers titane en place,
référencés sur le modèle.
provisoire
en place,
secteur 1.
26. Couronnes céramo-métalliques,
27. Couronnes céramo-métalliques dans le secteur 1.
28. Résultat clinique initial, dans le secteur 1.
29. Résultat clinique initial, dans le secteur 2.
même maître-moulage.
Complications liées à la chirurgie sinusienne
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30. Résultat radiologique dans
le secteur 1.
31. Résultat radiologique dans
le secteur 2
32. Résultat clinique à 2 ans dans le secteur 1.
33. Résultat clinique à 2 ans dans le secteur 2.
34. Radiographie panoramique de contrôle à 2 ans : l’hypodensité en
secteur 1 a disparu.
formée sur le titane des piliers dans le respect du
protocole du pilier unique (One abutment, one
time).
Dans le cas d’élévation sinusienne, une mise
en charge progressive est respectée. Seuls des
contacts punctiformes en OIM sont conservés sur
les bridges provisoires (fig. 23 à 31).
Les dernières radiographies et photographies ont
été prises lors du contrôle 2 ans après la mise en
place des prothèses sur implants. (fig 32 à 36).
Cliniquement, on ne note pas de problème. Le
choix d’un pilier en titane de hauteur transgingivale de 3 mm au niveau de la 16, entraîne la visibilité au collet d’un peu de titane, sans conséquence
inesthétique lors du sourire.
35. Rétro-alvéolaire à 2 ans,
secteur 1.
36. Rétro-alvéolaire à 2 ans,
secteur 2.
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