CAS CLINIQUE Progrès en Urologie (2001), 11, 673-676 Le phéochromocytome de découverte peropératoire : analyse de 3 cas Khalid KHALEQ, Youssef MILOUDI, Brahim IDALI, Abdesslam HARTI, Lhoucine BARROU Service d’Anesthésie-Réanimation Chirurgicale, CHU Ibn Rochd, Casablanca, Maroc RESUME Le phéochromocytome est une tumeur rare, sa découverte peut être fortuite lors d'une intervention chirurgicale et être la cause des troubles du rythme parfois mortels. Les auteurs rapportent 3 observations de phéochromocytomes révélés lors de la manipulation tumorale par des poussées hypertensives et des troubles du rythme graves. L'évolution était fatale dans 2 cas. Ces observations illustrent la gravité et la complexité des problèmes rencontrés et l'intérêt du dépistage des phéochromocytomes en particulier lors de la visite préanesthésique. Mots clés : Arrêt cardiaque peropératoire, phéochromocytome, troubles du rythme cardiaque. Le phéochromocytome est une tumeur qui se développe aux dépens des cellules chromarfines sécrétant des catécholamines, responsable de 0,1 à 1% d'hypertension artérielle [1]. Un risque majeur d'instabilité hémodynamique accompagne l'acte opératoire malgré la préparation préopérat oire et une anesthésie adaptée. Cependant, il reste parfois méconnu et sa révélation à l'occasion d'une anesthésie peut s'accompagner de troubles du rythme dramatiques [8, 9]. Les 3 observations suivantes illustrent la gravité et la complexité des problèmes rencontrés. pulation ét ai t responsable de pics hypertensifs (300/150 mmHg), d'une tachycardie superventriculaire (200 bpm) puis une tachycardie ventriculaire. Malgré la réanimation (arrêt des halogènes, approfondissement de l'anesthésie et lidocaïne : 1 mg/Kg) une fibrillation ventriculaire survenait suivie d'arrêt cardiaque rebelle à la réanimation cardio-respiratoire. Le phéochromocytome a été confirmé par l'examen anatomo-pathologique de la pièce opératoire. Observation n°2 Une femme de 37 ans, sans antécédents pathologiques particuliers a été hospitalisée pour cure de tumeur surrénalienne (corticosurrénalome malin probable) objectivé sur la tomodensitométrie abdominale. La patiente ne présentait pas des signes fonctionnelles d'HTA, le dosage des catécholamines et de leur métabolite n'a pas été demandé. L’examen préanesthésique était sans particularité (TA à 120/80 mmHg et la fréquence cardiaque a 80 par mn). L'induction anesthésique a été réalisée avec du thiopental (5 mg/Kg), du fentanyl (5 µg/Kg) et du pancuronium et l'entretien de l'anesthésie a été assuré par l'halotane (0,6%) et le N2O. Il n'y avait pas de variation hémodynamique à l'intubation et à l'incision chirurgicale, mais lors de la manipulation de la tumeur des extrasystoles ventriculaires (ESV) apparaissent. Malgré l'approfondissement de l'anesthésie, l'arrêt de l'halothane et l'administration de lidocaïne (1 mg/Kg), le collapsus survenait suivis d'asystolie récu- OBSERVATIONS Observation n°1 Une femme de 40 ans, sans antécédents, a été hospitalisée pour une masse de la queue du pancréas diagnostiquée sur l'échographie et la tomodensitométrie abdominale. L’examen préanesthésique objectivait une hypertension artérielle (HTA) à 150/120 mmHg, une cardiomégalie à la radio pulmonaire, une tachycardie sinusale à 120 par mn et une hypertrophie ventriculaire gauche à l'électrocardiogramme. L'é chocardiographie montrait une cardiomyopathie hypertensive avec conservation de la fonction du ventricule gauche. Les antagonistes calciques (nifédipine) avaient permis une stabilisation de la tension artérielle (TA) à 160/90 mmHg. L'induction anesthésique comportait du thiopental (4 mg/Kg), dextromoramide (80 µg/Kg) et du pancuro nium (0,1 mg/Kg) et l'entretien a été assuré par le protoxyde d'azote (N2O) et l'halothane (0,5%). L'exploration chirurgicale découvrait une masse préaortique, sans rapport avec le pancréas et dont la mani- Manuscrit reçu : juillet 1999, accepté : mai 2001 Adresse pour correspondance : Dr. K. Khaleq, Derb Koudia, rue 15, n° 101, Casablanca, Maroc. e-mail : [email protected] 673 K. Khaleq et coll., Progrès en Urologie (2001), 11, 673-676 péré après 5 mn de réanimation (massage cardiaque externe et adrénaline (5 mg). L'instabilité hémodynamique persistait après l'intervention. Le décès est survenu 36 heures plus tard dans un tableau de choc cardiogénique avec défaillance multiviscérale. Le phéochromocytome a été confirmé par l'examen anatomopathologique de la pièce opératoire. phéochromocytome diagnostiqué en préopératoire incite à une prise en charge rigoureuse fondée sur une préparation préopératoire par les alpha bloquants et les antagonistes du calcium, un monitorage invasif : pression artérielle sanglante, cathéter de Swan Ganz [15], une anesthésie générale comportant une analgésie profonde, entretien de l'anesthésie par les halogènes : isoflurane, desflurane, sevoflurane [18, 19] ou anesthésie intraveineuse totale : propofol et sufentanyl [10] et enfin le traitement des poussées hypertensives peropératoires par les vasodilatateurs (nicardipine) et les troubles du rythme par la lidocaine et/ou l'esmolol [3]. Cette prise en charge a permis de réduire la mortalité du phéochromocytome à zéro [19]. Observation n°3 Mme F.A., 45 ans, suivie pour HTA de façon irrégulière depuis 1 an, elle a été hospitalisée pour une tumeur de la rate diagnostiquée sur l'échographie abdominale (masse hétérogène mixte avec végétation endokystique de 63/67 mm). La gravité des phéochromocytomes découverts en peropératoire semble être en rapport avec l'ignorance des étapes décrites ci-dessus. L'objectif actuelle de la préparation préopératoire est d'é quilibrer l'h ypertension artérielle plutôt que le blocage spécifique du système adrénergique en effet l'incidence des poussées hypertensives et du trouble du rythme cardiaque au moment de la manipulation tumorale ne semble pas diminuée par la préparation, quel que soit le médicament utilisé [18]. Ainsi, cette étape de préparation n'est pas un élément déterminant du pronostic du phéochromocytome découvert en per-opératoire. Le monitorage invasif permet outre la détection des variations hémodynamique rapide, l'adaptation de la réanimation aux accidents cardiaques peropératoires. Dans le phéochromocytome découvert en peropératoire, le monitorage le plus souvent non invasif, explique la difficulté et la fréquence des échecs de la réanimation entreprise pour les complications cardiaques [8, 9, 12]. L'anesthésie est un autre élément de gravité du phéochromocytome méconnu. En effet, une anesthésie non analgésique (faible dose de morphinique) est un puissant stimulus adrénergique de même l'utilisation de l'halothane pour l'entretien est responsable de trouble de conduction, de trouble nodaux et la sensibilisation du cœur à l'adrénaline qui est à l'origine de trouble de rythme voire de fibrillation ventriculaire. COSIN [4] rapporte sur 75 cas de phéochromocytome anesthésiés par l'halothane, 53 cas de trouble du rythme ventriculaires grave et quatre arrêts cardiaques. L’examen préanesthésique avait montré une hypertrophie ventriculaire gauche à l'électrocardiogramme et la TA était stabilisée à 140/90 mmHg sous nicardipine (60 mg/j). L'induction de l'anesthésie comportait du thiopental (6 mg/Kg), fentanyl (5 µg/Kg) et vécuronium (0,1 mg/kg), l'entretien a été assuré par le N2O et l'halothane (0,5%). En peropératoire, la rate était normale mais on a découvert une tumeur surrénalienne dont la manipulation était responsable de pics hypertensifs (260/140 mg), tachycardie supraventriculaire à 140 bpm, ESV et bigéminisme. Le traitement avait consisté en un approfondissement de l'analgésie (500 µg de Fentanyl), arrêt de l'halotane, administration de nicardipine en bolus puis en seringue électrique (3 mg/h), lidocaine (1,5 mg/Kg). La TA a été stabilisée à 190/90 mmHg, la FC à 130 par mn et disparition des troubles du rythme. Après ligature de la veine surrénalienne, la TA a chuté à 120/60 mmHg et la fréquence cardiaque à 70 bpm. L'évolution était favorable. Le phéochromocytome fortement suspecté en per-opératoire a été confirmé par l'analyse histologique de la pièce opératoire. DISCUSSION Le phéochromocytome reste méconnu dans un bon nombre de cas, sa révélation peut être à la suite d'une grossesse, d'un effort sportif, d'une tumeur abdominale ou d'une intervention chirurgicale [17]. L'analyse des 3 observations ainsi que celles de la littérature [12, 18] montrent que l'on ne peut rien attendre de l'examen clinique et de l'interrogatoire, même si parfois on découvre une hypertension banale. On rapproche l'absence du dosage des catécholamines dans l'observation n°2 malgré une TA normale et la non-réalisation de la tomodensitométrie abdominale dans l'observation n°3. L'intubation et l'incision chirurgicale n'ont pas provoqué d'accidents cardiaques malgré une anesthésie légère alors que la manipulation tumorale était responsable de trouble de rythme et de poussées hypertensives, d'autant plus que l'entretien de l'anesthésie a été assuré par l'halotane. La réponse à la réanima- Plusieurs observations de phéochromocytome révélé lors d'une anesthésie générale pour chirurgie abdominale ou extra-abdominale ont été recensées dans la littérature (8, 9, 12, 17), le pronostic de ces phéochromocytomes restait très sombre avec un taux de mortalité variant de 60 à 85% [17)] Le risque opératoire est lié d'une part aux poussées hypert ensives, aux t roubles du rythme cardiaque secondaires, aux stimuli nociceptifs (intubation, incision chirurgicale) ou aux manipulations tumorales et d'autre part à la survenue possible d'un collapsus cardio-vasculaire après l'exérèse de la tumeur [18]. Un 674 K. Khaleq et coll., Progrès en Urologie (2001), 11, 673-676 tion peropératoire, était plutôt influencée par la gravité des troubles du rythme et des poussées hypertensives que par le retentissement cardiaque préopératoire du phéochromocytomes (observations n°2 et n°3). REFERENCES 1. BENDAYAN P., GALINIER M., ROCHICCIOLI J.P., BOUNHOURE J.P. Le phéochromocytome : comment prévenir une évolution fatale? A propos d'un cas et revue de la littérature. Ann. Cardiol. Angéiol., 1990, 39 : 461-466. Ces observations permettent de souligner d'une part l'importance du dépistage du phéochromocytome dans les tumeurs rétropéritoniales même en l'absence de signes cliniques évocateurs d'HTA, et ceci par la réalisation d'une démarche diagnostique rigoureuse et d'autre part la prudence dans la manipulation de ces tumeurs tant que le diagnostic de phéochromocytome n'est pas éliminé. 2. BERNARDINI S., BITTARD M. A propos d'une observation de phéochromocytome vésical méconnu. J. Urol. (Paris), 1997, 103 : 46-48. 3. COMBEMALE F., CARNAILLE B., TAVERNIER B., HAUTIER M.B., THEVENOT A., SCHERPEREEL P., PROYE C. Utilisation exclusive des inhibiteurs des canaux calciques et des ß-bloquants cardio-sélectifs dans la prise en charge péri et peropératoire des phéochromocytomes. Ann. Chir., 1998, 52 : 341-445. La gravité du phéochromocytome méconnu incite à un diagnostic préopératoire orienté par la clinique qui n'est pas toujours parlante [6] : l'HTA paroxystique ou permanente, les céphalées, les palpitations, les crises sudorales et les troubles vasomoteurs. Le diagnostic positif repose sur les dosages urinaires et plasmatiques, ainsi le dosage urinaire des dérivés méthoxylés représente actuellement le dosage de choix [16], il dépasse largement le dosage de l'acide vanylmandilique et les catécholamines urinaires. Le dosage des catécholamines plasmatiques trouve son indication surtout lors des accidents paroxystiques par des tests dynamiques chez l'enfant [13]. 4. COSIN M.T. Anesthesie-réanimation dans la chirurgie du phéochromocytome. J. Urol., 1989, 95 : 275-282. 5. DUBOIS R., CHAPPUIS J.P. Le phéochormocytome particularités pédiatriques. Arch Pédiatr., 1997, 4 : 1217-1225. 6. GEOGHEGAN J.G., EMBERTON M., BLOOM S.R., LYNN J.A. Changing trends in the management of phaeochromocytoma. Br. J. Surg., 1998, 85 : 117-120. 7. GORETZKI P.E., SIMON D., ROHER H.D. Surgical concept in spooradic and familial pheochromocytoma. Zentralbl Chir., 1997, 122 : 467-472. 8. HARTI A., EL MOKNIA M., BARROU L., MOUMEN M., BENAGUIDA M. Poussées hypertensives et troubles du rythme à évolution fatale par phéochromocytome de dccouverte peropératoire. Ann. Fr. Anesth. Réanim., 1994, 13 : 412-413. Le diagnostic topographique ne doit être entamé qu'après confirmation biologique du phéochromocytome. L'échographie abdominale explore la surrénale avec une sensibilité de 84% [14]. La tomodensitométrie constitue l'examen de référence pour la détection des phéochromocytomes alors que la scintigraphie à la MIBG (méthaiodobenzyl-guanidine) représente un double intérêt : diagnostique par les localisations extra-surrénalienne échappant à la TDM et le suivi des patients opérés en recherchant des métastases ou des récidives [11]. 9. IDALI B., SALMI S., EL KETTANI C., MJAHED K., BARROU L., BENGUIDA M. Troubles du rythme avec arret cardiaque secondaires à un phéochromocytome de découverte per-opératoire. Cah. Anesthésiol., 1997, 45 : 449-451. 10. KREIENMEYER J. Total intravenous anesthesia with propofol and s ufen tnil for res ection of p heo ch ro mocytoma. Anaesthes iol. Reanim., 1997, 22 : 80-82. 11. LEHNERT H., SCHULZ C., MUNDSCHENK J., KOPF D. Clinical and endocrine diagnosis of pheochromocytoma. Zentralbl. Chir., 1997, 122 : 447-453. 12. MAESTRANI M., MACCHI P. Les phéochromocytomes méconnus. Ann. Fr. Anesth. Réanim., 1987, 6 : 76-77. L'imagerie par résonance magnétique, par sa sensibilité proche de 100% [5] est surtout prescrite chez la femme enceinte. Elle permet une exploration plus complète de la cavité abdominale, voir du thorax et du pelvis. La localisation surrénalienne est la plus fréquente (85% des cas). Cependant, 15% de phéochromocytomes sont extra-surrénaliens et moins de 1% sont vésicaux [7], il est souvent bilatéral (4%) et la forme néoplasique représente 13% [2]. Enfin, le cathétérisme veineux étagé et l'artériographie sont des méthodes invasifs et leurs indications doit se limiter aux rares cas où le diagnostic n'a pu être affirmé par les autres méthodes. 13. MORNEX R., PEYRIN L., PAGLIARI R., COTTET-EMARD G.M. Measurement of plasma methoxyamines for the diagnosis or pheochromocytoma. Horm. Res., 1991, 36 : 220-226. 14. NEUMANN K., LNGER R. Imaging methods in diagnosis of pheochromocytoma. Zentralbl Chir., 1997, 122 : 438-442. 15. O'RIORDAN J.A. Ph eochromocytomas and anesth es ia. Int. Anesthesiol. 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Reanim., 1998, 17 : 301-305. 675 K. Khaleq et coll., Progrès en Urologie (2001), 11, 673-676 SUMMARY serious arrhythmias following manipulation of the tumour with a fatal outcome in 2 cases. These cases illustrate the severity and complexity of the problems encountered and the importance of preoperative detection of phaeochromocytomas, particularly at the pre-anaesthetic visit. Intraoperative discovery of phaeochromocytoma: report of 3 cases. Phaeochromocytoma is a rare tumour that may be discovered incidentally during a surgical operation that can sometimes cause fatal arrhythmias. The authors report 3 cases of phaeo chromocytoma presenting in the form of hypertensive crisis and Key-Words: Intraoperative cardiac arrest, phaeochromocyto ma, cardiac arrhythmias. ____________________ 676