La philosophie analytique Phi – 4214 Ofélia Meza Faustine Monnier Olivier Bellefleur Kripke Travail présenté à Monsieur Pierre Poirier UQAM 1er décembre 2003 Plan Première partie : Biographie Deuxième partie : Biographie intellectuelle de Kripke Introduction 1. La logique chez Kripke 1.1 1.2 1.3 1.4 La naissance de la logique modale La logique modale et ses différents systèmes Les mondes possibles sémantiques Le théorème de la complétude de la logique modale développé par Kripke. 2. La logique des noms propres 2.1 2.2 2.3 2.4 3. La thèse visée: « the Frege-Russell description theory » La désignation rigide Remise en cause de l’adéquation entre les oppositions a priori / a posteriori et nécessaire / contingent Conclusion et critiques Règles et langage privé 3.1 « Suivre une règle » et langage privé pour Kripkestein 3.2 Le paradoxe sceptique 3.3 En quête d’une solution : la communauté 3.4 Critiques Sources consultées dans cette section Conclusion Troisième partie : Bibliographie 1. Textes 2. Sources secondaires 2.1 2.2 Sources en langue française Sources en langue anglaise Quatrième partie : Liste de liens pertinents 1 Première Partie : Biographie Saül Aaron Kripke est considéré comme étant l’un des philosophes analytiques les plus importants et les plus influents de la fin du XXe siècle. Les idées qu’il a développées en logique modale lui ont permis de redéfinir des notions anciennes comme la substance, la possibilité et la nécessité. Fils d’un rabbin et d’un professeur, Kripke est né en 1940, à Bay Shore, dans l’État de New York. Suite à un déménagement de sa famille, il passe sa jeunesse dans l’État du Nebraska, à Ohama. Très jeune, il démontre déjà de très grandes aptitudes pour les mathématiques et un vif intérêt pour le questionnement philosophique. En un sens, Kripke peut être qualifié de génie. A 10 ans, il a déjà lu toute l’œuvre de Shakespeare et à 14 ans, il connaît la géométrie et l’algèbre qu’il a appris seul. Il a 18 ans lors de sa première publication ; il s’agit de la preuve de la complétude d’une sémantique pour la logique modale quantifiée qu’il a lui-même développée à l’âge de 15 ans. Durant ses études à l’université de Harvard, Kripke devient un Junior Fellow et donne des conférences pour les diplômés du MIT. En 1962, il gradue de Harvard en mathématique et est nommé dès 1963 à la Harvard Society of Fellows. Notons que Kripke est seulement un bachelor en mathématique; il n’a jamais passé sa thèse. Cependant, il continue d'écrire en parallèle de ses études de nombreux articles concernant la logique modale, jusqu’à l’âge de 25 ans environ. Depuis leur parution, ils sont considérés comme étant fondamentaux dans le champ de la logique modale. 2 De 1962 à 1968, Kripke poursuit ses recherches à Harvard, à Oxford et à Princeton. En 1965 et en 1966, il est appelé à Princeton en tant que conférencier, et de 1966 à 1968, ce sera à Harvard. Puis, en 1967, il est nommé professeur associé à l’université de Rockefeller où il accéda ensuite au poste de professeur en 1972 pour y demeurer jusqu’en 1976. Il ne commence à s’intéresser à la philosophie du langage qu’à partir de l’âge de 30 ans. Durant l’année 1973, il prononce les John Locke Lectures à Oxford et devient ainsi la plus jeune personne à avoir eu cet honneur. En 1977, Kripke est nommé professeur émérite à l’université de Princeton, poste qu’il occupa jusqu’à tout récemment. Aussi depuis 1977, et ce jusqu’en 1983, il se voit attribuer le titre de Andrew D. White Professor-at-Large par l’université de Cornell. Plus récemment, en 2001, il s’est vu décerner le Schock Prize en logique et en philosophie de la part de la Swedish Academy of Sciences, et en octobre 2003, il est devenu professeur de philosophie au The Graduate Center, CUNY. 3 Deuxième partie : Biographie intellectuelle Introduction Mathématicien de formation, Kripke a d’abord beaucoup contribué au développement de la logique modale avant de s’intéresser à la philosophie. Ce qui est remarquable dans son travail, c’est que ses thèses philosophiques sont directement issues de ses travaux sur la logique modale. D’ailleurs, son ouvrage majeur, La logique des noms propres, constitue une application de la logique modale telle qu’il l’a développé à la philosophie. Nous nous proposons d’étudier Kripke en trois temps. Une première étape consistera à revenir sur la logique modale telle qu’il l’a développée et surtout sa démonstration du système de complétude du système S5 que Kripke n’a pu réaliser qu’après avoir posé sa théorie des mondes possibles sémantiques. Dans un deuxième temps, nous nous attarderons sur les conférences qui donnèrent lieu à l’ouvrage La logique des noms propres. Cette seconde étape nous permettra d’exposer une application de sa logique modale engendrant un remaniement des concepts philosophiques important comme ceux de signification, de désignation, d’a priori, d’a posteriori, de nécessaire, de contingent, et d’essence. Finalement, en guise de troisième étape, nous examinerons les arguments de l’œuvre la plus controversée de Kripke, Règles et langage privé où notre auteur nous livre les commentaires que Investigations philosophiques lui suggèrent. C’est voulu par Kripke : il montre la pensée de Wigttenstein tel qu’elle l’a impressionné, de façon qu’il devient difficile pour les commentateurs de départager la contribution de chacun des philosophes. Le sujet de la recherche est l’interprétation du paradoxe sceptique en conjonction avec l’argument du langage privé. 4 1. La logique chez Kripke Kripke a développé ses thèses concernant la logique modale très jeune et il a su tirer les conséquences de ses découvertes. On peut considérer que son ouvrage La logique des noms propres en est une application. Dans cette partie, nous allons tenter de retracer les étapes qui ont permis l’émergence de la logique modale à partir de la logique non modale. Nous montrerons ensuite ce qui différencie les systèmes modaux existants et ce qui les lie. Dans un second temps, nous nous intéresserons à la logique modale telle que l’aborde Kripke en exposant sa théorie sémantique des mondes possibles puis en retraçant les étapes importantes de sa démonstration du théorème de complétude de la logique modale, particulièrement du système S5. 1.1 La naissance de la logique modale1 La logique modale est née de la logique non modale, lorsque l’on s’est rendu compte que cette dernière ne permettait pas de formaliser toutes les propositions, notamment celles contenant des expressions telles que « Il est possible que… », « Il est nécessaire que… », ou encore « Il est obligatoire que… ». Avant de nous intéresser à la logique modale, nous allons essayer de comprendre comment elle a émergé et pour cela, nous allons revenir brièvement sur la logique non modale. La logique consiste à étudier la structure logique d’une phrase, ce qui revient à étudier la forme de celle-ci, indépendamment de son contenu. C’est pour cette raison qu’en logique, il est impossible de dire si une phrase est vraie ou fausse car la vérité d’une proposition dépend de son contenu. En revanche, on peut dire si elle est valide ou non, ce qui signifie que l’on peut affirmer que, si le contenu est cohérent, la phrase prise dans son ensemble sera vraie, ce qui constitue une première propriété importante de la logique classique. Étudier la structure logique de plusieurs propositions permet de savoir si un raisonnement est valide. En aucun cas, on ne pourra dire que les propositions du raisonnement sont vraies, mais on peut en revanche affirmer que si les prémisses sont vraies et que le raisonnement est valide, alors la conclusion à laquelle on aboutira ne pourra être que vraie elle aussi. 1 Sauf en ce qui concerne la démonstration du théorème de complétude de la logique modale, cette partie est très largement inspirée du premier chapitre du livre On Kripke de Consuelo Preti. 5 Une seconde propriété importante est la théorie selon laquelle la valeur de vérité d’une phrase complète dépend de la valeur de vérité de ses parties. Cette propriété rend possible l’usage des tables de vérité en logique non modale. Prenons la proposition logique : « p∧q ». Si « p » est vrai et « q » est vrai, je peux affirmer que la proposition « p∧q » est vrai. Cela vient du fait que tous les connecteurs de la logique non modale ont une fonction de vérité qui leur est propre et qui leur permet de définir la valeur de vérité d’une proposition à partir celle de ses parties. À première vue, la logique classique semble permettre l’évaluation de n’importe quelle proposition. Cependant, une limite importante surgit concernant les propositions conditionnelles et qui provient de la seconde propriété de la logique classique ; il s’agit du paradoxe de l’implication matérielle. Dans le cas des propositions conditionnelles, le lien entre l’antécédent et le conséquent ne permet pas d’établir sa fonction de vérité. Pour une implication de la forme : « p⊃(p⊃q) », la seconde propriété énoncée ci-dessus fonctionne. Mais, si on prend la proposition : « ¬p⊃(p⊃q) », les choses changent. Tant que « ¬p » est vraie, (i.e. que p est fausse), la valeur de vérité de la proposition complète dépend effectivement de la valeur de vérité de chacune des parties. Mais si « ¬p » est fausse, (i.e. que p est vraie), la valeur de vérité de cette proposition n’est pas déterminable. En effet, si « ¬p » est vraie, alors p ne peut impliquer aucune proposition, ce qui est problématique si on considère la fonction de vérité du conditionnel donnée par Frege, et Whitehead et Russell. Afin de résoudre ce problème, Lewis propose la notion d’implication stricte. Cette notion marque le passage de la logique classique à la logique modale. L’analyse des propositions conditionnelles n’étant pas satisfaisante en logique non modale, il faut sortir de ce point de vue trop restrictif et se placer du côté de la logique modale par la notion de stricte implication. Dans une proposition de type « p⊃q », la stricte implication empêche la possibilité que p soit vrai lorsque q est faux. Il y a donc des combinaisons de propositions qui ne sont pas possibles. Par la notion d’implication stricte, Lewis introduit les concepts de possible et de nécessaire qui sont au fondement de la logique modale. 1.2 La logique modale et ses différents systèmes Les concepts de possibilité et de nécessité sont très importants et abondamment utilisés dans le langage courant, même de façon implicite. Il est nécessaire que j’aie deux jambes pour marcher mais il n’est pas nécessaire que je sois étudiante. Je pourrais être ouvrière mais j’aurai 6 toujours besoin de mes deux jambes pour marcher. Il convient de déterminer le sens de ces deux concepts et de savoir ce qu’ils signifient réellement. C’est ce que Kripke va étudier. Il est intéressant de remarquer que ces deux concepts peuvent être définis l’un par l’autre. En effet, on a : ◊p =¬ ¬p p =¬◊¬p Cela signifie que ce qui est possible ( ◊ ) est ce qui n’est pas nécessairement faux et que ce qui est nécessaire ( ) est ce qui ne peut pas être impossible. Ces deux fonctions sont monadiques. Cela signifie qu’elles sont applicables à un ensemble d’objets simples, contrairement à la conjonction, par exemple, qui est dyadique. On peut donc écrire : « p∧q » alors que « ∧q » n’a pas de sens. De la même façon, « ◊p » a un sens alors que « p◊q » n’en a pas. La grande force de la logique est qu’elle permet de déterminer si une inférence est valide à l’intérieur d’un système. En logique modale, plusieurs systèmes coexistent et chacun d’eux a ses propres conditions de vérités concernant les propositions que l’on peut produire, ses propres axiomes et ses propres théorèmes. Ainsi, chaque système définit les conditions de validité des inférences qu’il forge. Contrairement à la logique non modale où il n’existe qu’un seul système et où les conditions de vérité sont donc générales, en logique modale, du fait du nombre important de systèmes, il n’y a pas de définition unique de la validité mais il y a plusieurs validités qui coexistent. La validité de chaque proposition doit toujours être évaluée par rapport aux règles de validité du système dans lequel elle s’inscrit. Cette difficulté importante vient du fait que les opérateurs modaux n’ont pas de fonction de vérité déterminée, contrairement aux opérateurs de la logique non modale. Il est impossible d’établir une table de vérité en logique modale car la valeur de vérité de « ◊p » ou de « p » ne dépend pas uniquement de p, mais aussi de l’opérateur qui agit sur la valeur de vérité de la proposition. Dans le cas de la logique modale, la fonction de vérité des opérateurs n’est pas simple comme elle l’est en logique classique. Ainsi, la valeur de vérité de « ◊ » n’est pas décidable ; si p est vraie, « ◊p » est toujours vraie mais si p est fausse, « ◊p » peut être vraie ou fausse car « ◊p » signifie uniquement que p peut être le cas, sans exclure que « ¬p » ne peut pas être le cas. Le problème se pose de la même manière pour « ». Si p est fausse, alors « p » est toujours fausse. En revanche, si p est vraie, « p » peut être vraie ou faux car p peut être vraie par 7 contingence et non par nécessité. La difficulté augmente lorsque l’on cumule les opérateurs logiques pour obtenir des propositions du type : p, ◊◊p, ◊p, … Le travail de Kripke concernant la logique modale va être de montrer qu’il existe un moyen d’interpréter et de comprendre les propositions sémantiques. Il montre également qu’il y a une façon de déterminer la validité formelle et les différentes propriétés des systèmes de la logique modale. Il développe à la fois une sémantique formelle permettant de définir d’une façon formelle et exacte la validité des énoncés modalisés, et une interprétation extensionnelle de la logique modale. Maintenant, nous allons nous intéresser aux différents systèmes existant en logique modale. Le système T développé par Feys est le plus faible et le plus simple. C’est à partir de lui que tous les autres systèmes sont formés car chaque nouveau système est construit par ajout d’un axiome au système précédent. Ce système a six valeurs de vérité : nécessaire ; vrai ; non nécessaire ; possible ; faux ; impossible. Il possède en plus cinq axiomes : • le vrai est impliqué par tout ; Ainsi, on peut écrire « p⊃(q⊃p) » • la distributivité de l’implication qui permet d’écrire « (p⊃(q⊃r))⊃((p⊃q)⊃(p⊃r)) » • la loi de contraposition qui se définit par « (∼p⊃∼q)⊃(q⊃p) » • l’axiome de nécessité qui fait que « p⊃p » • la distributivité de la modalité nécessaire permet d’écrire « (p⊃q)⊃( p⊃ q) » Ce système possède deux règles de démonstration (le modus ponens et la loi selon laquelle toute loi logique est une proposition nécessaire) dont on peut en dériver trois autres (la conjonction de théorèmes, la conclusion stricte et la règle de remplacement).2 À partir de ce système, Lewis a développé les systèmes S1, S2, S3, S4 et S5. C’est sur ce dernier que Kripke a travaillé en montrant qu’il était complet. La complétude d’une théorie logique axiomatique est démontrée si tous les énoncés valides du langage de la théorie sont des théorèmes de la théorie. Le système S5 est donc défini à partir des systèmes T et S1, auquel on ajoute les propositions suivantes : (p→q)→( p → q) (issu de S2) Si ╞ (p→q) alors ╞ ( p→ q) (issu de S2) 2 Extrait du cours d’histoire de la logique de Geneviève Choquette, chapitre sémantique formelle et logiques non-classiques site de l’UQAM http://www.philo.uqam.ca/, 8 Si ╞p alors p (issu de S4) ¬ p→ ¬ p (issu de S5) Je n’ai pas estimé nécessaire de rappeler toutes les règles du système S1 dans la mesure où c’est la proposition ajoutée qui caractérise le nouveau système et le différencie des autres, de sorte que lorsque l’on parle du système S5, on fait essentiellement référence au fait qu’il contient la proposition « ¬ p→ ¬ p ». On passe d’un système à l’autre par extension directe de la base axiomatique constituée par T et S1. Par la suite, on n’ajoute jamais plus d’un ou deux axiomes pour passer d’un système à l’autre. Les systèmes vont donc en se complexifiant. Le système S5 est le plus complet. Les relations à l’intérieur de S4 sont déjà réflexives et transitives. Dans S5, elles sont en plus symétriques, ce qui signifie, par définition, qu’elles sont équivalentes. La différence essentielle permettant de distinguer T de S4 et S5 est le fait que seuls ces deux systèmes possèdent des lois permettant de réduire les propositions logiques. Ainsi, dans S5, on peut réduire ◊ p à p. Kripke a démontré la complétude du théorème S5 à partir d’une théorie nouvelle des mondes possibles. C’est à celle-ci que nous allons maintenant nous intéresser avant d’étudier sa démonstration. 1.3 Les mondes possibles sémantiques Dans l’article démontrant la complétude du système S5, Kripke mentionne plusieurs fois le concept de « monde possible » notamment lorsqu’il affirme que « Une proposition est nécessairement vraie si et seulement si elle est vraie dans tous les mondes possibles. »3ou quand il ajoute que « En logique modale, nous ne souhaitons pas seulement avoir des connaissances sur monde réel, mais sur tous les autres mondes concevables. »4 . Cela signifie que chaque proposition doit être imaginée dans tous les mondes possibles même s’il n’y a que dans notre monde qu’elle peut exister. De plus, dans sa définition du domaine, il définit l’élément G comme l’ensemble des mondes possibles auquel appartient l’élément K qui est le monde réel. Il est donc primordial d’étudier la notion de « monde possible » avant la démonstration du théorème de complétude de la logique modale. 3 4 Citation traduite en français de The Journal of Symbolic Logic Volume 24, 1959, page 2 Citation traduite en français de The Journal of Symbolic Logic Volume 24, 1959, page 2 et 3 9 Nous avons remarqué tout à l’heure que les opérateurs modaux n’ont pas de fonction de vérité. Kripke résout ce problème en considérant que la valeur de vérité de « » et de « ◊ » est déterminée à travers les mondes possibles. Une proposition nécessaire doit être vraie dans tous les mondes possibles alors qu’une proposition possible doit être vraie dans au moins un des mondes possibles. Il définit alors les opérateurs modaux comme des quantificateurs, ce que l’on trouve en logique non modale. D’une certaine manière, Kripke tente de réduire la logique modale à de la logique non modale, à une logique du premier ordre comprenant l’usage des quantificateurs. La nécessité peut se définir par l’universalité ( A revient à dire « Pour tout A», considérant que A est vraie dans tous les mondes possibles) et la possibilité par l’existence (◊A revient à dire que A existe au moins dans un des mondes possibles). Cependant, si les opérateurs modaux n’ont pas de fonction de vérité, cela signifie que leur influence sur la proposition dépend du contexte dans lequel s’inscrit la proposition et donc du contenu de la phrase symbolisée par A. Kripke montre ainsi que la logique modale n’est pas strictement formelle comme on le pensait auparavant ; même si la forme de la proposition tient toujours une place prédominante dans toutes les formes de logiques, le contenu des propositions dans la logique modale joue lui aussi un rôle fondamental. Afin de déterminer la valeur de vérité d’une phrase en logique modale, il faut considérer les circonstances réelles de la proposition, mais aussi celles qui auraient pu être possiblement le cadre de la proposition. Une proposition doit donc être analysée à l’intérieur du système dans lequel elle s’inscrit, mais à travers tous les mondes possibles. Néanmoins, Kripke n’affirme pas comme Leibniz que ces mondes possibles existent. Chez ce dernier, tous les mondes possibles existent dans l’entendement divin, et le monde réel n’est que l’application concrète du meilleur monde existant dans l’ensemble des mondes possibles. Dieu a choisi de créer ce monde-ci parce que c’était le meilleur ; il en aurait choisi un autre s’il en avait existé un de meilleur, ce qui n’est pas le cas. Chez Kripke, les mondes possibles correspondent à des situations contrefactuelles, à des « états possibles du monde (ou de l’histoire) » que l’on peut imaginer comme ayant été possibles mais qui ne se sont par réalisées et qui ne sont donc en aucun cas réelles, même dans un entendement divin. Les mondes possibles 10 sont des « objets abstraits construits par l’esprit humain »5. Ils nous permettent d’imaginer plus facilement les situations non réelles et leurs conséquences. Il est important de remarquer que les mondes possibles sont tous imaginés à partir du monde réel. Souvent, un monde possible est en tout point semblable au monde réel, excepté sur un point qui le différencie du monde réel. Les mondes possibles ne sont pas des mondes où tout est étranger au monde réel, au contraire, ils lui ressemblent beaucoup. Ce concept pose plusieurs questions philosophiques traditionnelles, notamment celle de l’essence. L’exemple connu de Kripke est celui de César. Dans notre monde réel, César a franchi le Rubicon, mais on peut imaginer un monde où César n’aurait pas franchi le Rubicon, voire même un monde où César ne se serait pas appelé César. Cependant, selon Kripke, cela ne change pas le fait que l’homme appelé César aurait toujours été le même car ce qui définit César ce n’est pas le fait qu’il s’appelle César ou qu’il ait franchi le Rubicon, mais l’essence de cet homme qui s’appelait César. Kripke réactualise la théorie ancienne de l’essence en affirmant que ce qui définit chacun de nous d’une manière nécessaire est notre essence, que celle-ci se retrouverait dans tous les mondes possibles, et que ce qui est contingent, ce sont toutes les propriétés associées à cette essence et qui nous définissent indirectement mais seulement dans le monde réel. Cette position de Kripke est très controversée : comment imaginer que nos propriétés, que Kripke qualifie de contingentes, ne dépendent pas de notre essence et donc qu’elles ne sont pas elles aussi nécessaires ? Nous développerons plus en détail les distinctions de Kripke concernant la contingence, la nécessité, l’essence, l’a priori et l’a posteriori dans la partie concernant La logique des noms propres, et plus précisément en 2.3. Remise en cause de l’adéquation entre les oppositions a priori/a posteriori et nécessaire/contingent. 1.4 Le théorème de la complétude de la logique modale développé par Kripke. La démonstration du théorème a été exposée par Kripke dans l’article A Completness Theorem in Modal Logic6 Citation de Rossi, Jean Gérard, Kripke : sémantique formelle et ontologie dans La Philosophie analytique, 2e éd., Paris, PUF, 1993, chap. III, p. 111-122. 6 Extrait de The Journal of Symbolic Logic, (1959) Volume 24 page 1-14. Je ne vais pas reconstituer entièrement cette démonstration, je vais me contenter de retranscrire les théorèmes démontrés par Kripke. Le texte original est en anglais ; nous avons pris la liberté de le traduire nous-même, plutôt de le retranscrire dans sa version originale. 5 11 Avant d’exposer la démonstration de Kripke, il convient de clarifier certains points : • Pour analyser les propositions, Kripke utilise un tableau sémantique à deux colonnes dans lequel on met à gauche la prémisse et à droite la conclusion. Cela permet de déterminer si une formule donnée est ou non sémantiquement entraînée [ entailed ] par d’autres formules. Si on parvient à avoir une seule solution pour la prémisse, la formule est dite « fermée ». Mais si deux possibilités apparaissent dans la colonne de droite, la formule est indécidable et est dite « ouverte ». • Dans sa démonstration, Kripke définit un domaine D, l’ensemble des mondes possibles G et le monde réel K. Ce qui est nécessaire sera vrai dans tous les mondes possibles, tandis que ce qui est vrai ne sera vrai que dans le monde réel. A est une fonction de D et la paire ordonnée ( G, K ) est un modèle de A. B est une sous-formule de A. • « A est valide dans D si et seulement si A est valide dans tous les modèles de A dans D. A est satisfiable [ satisfiable ] dans D si et seulement si il existe au moins un modèle de A dans D dans lequel A est valide. A est universellement valide si et seulement si A est valide dans tous les domaines non-vides. » • Kripke définit le système S5 avec : trois axiomes : A⊃A ¬ A→ ¬ A (A⊃B) ⊃( A⊃ B) » deux règles d’inférence : Si ╞A et ╞A⊃B, alors ╞B Si ╞A, ╞ A • Kripke utilise trois notations différentes pour signifier le système S5, en fonction des propriétés de celui-ci. Il écrit S5*= lorsqu’il veut désigner le Système dans son entier, S5* si l’égalité est omise et S5 si l’égalité et les quantificateurs sont supprimés. Lorsque la traduction d’un mot nous a posé problème, nous avons précisé entre crochets quel était le mot le mot anglais utilisé par Kripke, juste après le mot français. Nous ne l’avons pas rappelé à chaque occurrence du mot dans la mesure où un mot anglais est toujours traduit par le même mot français. D’autre part, tous les théorèmes, lemmes et corollaires, ainsi que toutes les phrases ajoutées entre guillemets sont des citations traduites extraites de la démonstration du théorèmes de la complétude de Kripke. 12 Passons maintenant à la démonstration proprement dite. J’ai choisi de retranscrire les théorèmes, les lemmes et les corollaires, sans réécrire l’ensemble de la démonstration de Kripke. Dans le texte original, Kripke démontre chacun des théorèmes ou lemmes. J’ai ajouté quelques points qui me semblaient nécessaires à la compréhension de cette démonstration. Théorème 1 : « B est sémantiquement entraînée par A¹,…, Aⁿ si et seulement si une construction commençant par A¹,…, Aⁿ à dans la colonne de gauche et B dans la colonne de droite est fermée. » (4) Deux lemmes sont issus de ce théorème : • « Si une construction commençant par A¹,…, Aⁿ dans la colonne de gauche et B dans la colonne de gauche se ferme, alors B est sémantiquement entraîné par A¹,…, Aⁿ. » • « Si une construction commençant par A¹,…, Aⁿ dans la colonne de droite ferme, alors B n’est pas sémantiquement entraîné par A¹,…, Aⁿ. » Théorème 2 : « Si une formule est satisfiable dans un domaine non-vide [ non-empty ], elle est valable dans un modèle (G, K) d’un domaine D, dans lequel D et K sont tous deux soit finis, soit dénombrables [ denumerable ] . Si une formule est valide dans tous les domaines finis (non-vide) ou dénombrables, alors cette formule est valide. » Théorème 3 : « Si une formule ne contenant pas le signe d’égalité est satisfiable dans certains domaines non-vides, elle est valide dans un modèle (G, K) d’un domaine D dans lequel K est fini ou dénombrable. De plus, si elle est valide dans tous les domaines dénombrables, alors elle est valide. » Pour démontrer ce théorème, Kripke utilise le deuxième théorème et le lemme suivant : « Si une formule A ne contenant par le signe de l’égalité est valide dans un modèle (G, K), d’un domaine D non-vide, et que D est un sous-ensemble de D’, alors A est valide dans un modèle (G, K) de D’, dans lequel K et K’ sont équinuméraux [ equinumerous ]. » Théorème 4 : « Si , dans les théorèmes 2 et 3, la formule en question ne contient pas « », alors K peut être énoncé comme étant l’ensemble unitaire [ unit set ] de G. » Afin de prouver ce théorème, Kripke analyse la construction de K dans les théorème 2 et 3. Un lemme est issu du théorème : « Si A est une formule caractéristique de la phase initiale d’une 13 construction, et que B est la formule caractéristique de n’importe quelle phase de la construction, alors ╞A⊃B dans le système S5*=. » Théorème 5 : « Si A est valide universellement, alors ╞A appartient à [ in ] S5*=. » « Le théorème 5 est notre théorème de complétude pour le système S5*=. Si on omet l’égalité, la démonstration du lemme ci-dessus et du théorème 5 tient pour S5* ( S5 ). En combinant les théorèmes 2, 3 et 5, on obtient les corollaires suivants : • Si une formule A de S5*= est valide dans tous les domaines finis (non-vides) ou dénombrables, alors ╞A appartient à S5*=. • Si une formule A de S5* est valide dans tous les domaines dénombrables (ou par isomorphisme des domaines équinuméraux, dans un seul domaine dénombrable), alors ╞A appartient à S5*=. » Théorème 6 : « Si ╞ A appartient à S5*=, alors A est valide universellement. » Théorème 7 : « ╞ A appartient à S5*= si et seulement si A est valide universellement. » « À partir de ce théorème, il est facile de prouver que pour des formules de S5, notre notion de tautologie coïncide avec notre notion de validité universelle. » Théorème 8 : « ╞ A appartient à S5*= si et seulement si A est une tautologie de S5. » Pour le démontrer, Kripke montre que la tautologie et la validité universelle sont équivalentes. Pour cela, il utilise le théorème 7 limité à S5. La démonstration de la complétude du système S5 devient plus facile par la suite. On prouve la consistance du système en remarquant que tous les axiomes de S5 sont des tautologies et que les deux premières règles définies par Kripke ne produisent que des tautologies quand on les applique à des tautologies. Théorème 9 : « Soit A une formule de S5 non démontrable dans S5 et soit P¹,…, Pⁿ sa variable propositionnelle libre. Alors, si (P¹),…, (Pⁿ)A est ajouté à S5 avec des quantificateurs propositionnels, le système qui en résulte est inconsistant. » Ce dernier théorème est le résultat de complétude pour S5 analogue au deuxième corollaire énoncé juste après le théorème 5 peut être reformulé de la façon suivante : « Si une formule A de S5 avec de quantificateurs propositionnels est indémontrable dans ce système, alors l’ajout la fermeture [ closure ] de A rend le système inconsistant, aussi longtemps que A ne contient pas elle-même de quantificateur propositionnel. Ces neuf théorèmes sont démontrés d’une façon détaillée dans l’article de 1959. Au terme de cette démonstration, Kripke conclut à la complétude du système S5. 14 La démonstration de ce théorème de complétude constitue une avancée considérable pour la logique modale. Elle l’a également été pour la philosophie car Kripke a su appliquer ses découvertes à la philosophie, notamment concernant le concept de monde possible. Cela a permis de reconsidérer certains concepts anciens et de les aborder sous un nouvel angle. Dans la prochaine partie, nous allons justement étudier la façon dont Kripke a appliqué sa théorie des mondes possibles à la philosophie à travers son ouvrage majeur intitulé La logique des noms propres. 15 2. La logique des noms propres Dans cette section, nous nous attarderons sur l’ouvrage de Kripke intitulé La logique des noms propres – ouvrage constitué de trois conférences qu’il prononça en 1970 à l’université Princeton. C’est un document central pour comprendre la contribution de Kripke à l’histoire de la philosophie, car il y déploie diverses implications de sa logique modale précédemment développée. Pour tenter de saisir l’essentiel de cet ouvrage, nous procéderons selon trois moments : d’abord, nous présenterons brièvement le paradigme « descriptiviste » de la signification formé par ce que Kripke nomme la « Frege-Russell description theory ». La critique de ce paradigme constitue le cœur de l’argumentation des conférences et c’est en lui que nous voyons apparaître l’importante notion de « désignateur rigide ». Nous exposerons ensuite cette notion développée à l’aide d’une argumentation se fondant sur l’utilisation des mondes possibles. Et enfin, nous verrons comment cette notion permet de repenser l’adéquation entre les oppositions a priori/a posteriori et nécessaire/contingent. Dans ce dernier moment, nous verrons aussi comment du remaniement de ces distinctions découle un nouvel essentialisme. 2.1 La thèse visée: « the Frege-Russell description theory ». Pour comprendre l’argumentation que Kripke déploie dans La logique des noms propres7 et aussi l’enjeu des trois conférences composant ce livre, il convient d’abord de présenter à grand trait ce qu’il y critique sous l’appellation « the Frege-Russell description theory ». Cette expression renvoie en premier lieu à la théorie frégéenne de la référence qui stipule que la signification d’un nom ne s’épuise pas dans la référence (Bedeutung), mais contient aussi un sens (Sinn). Ce double aspect de la signification fut introduit par Frege pour résoudre certaines énigmes, comme celle liée à l’identité entre deux noms propres dont l’exemple classique se base sur un énoncé du type « Hesperus est Phosphorus ». Ces deux noms renvoient à la même entité – Vénus –, mais l’une la présente comme l’étoile du matin et l’autre comme l’étoile du soir. Selon Frege, si nous excluons de la signification des noms le chemin emprunté pour mener à l’objet dénoté, ne laissant ainsi que la référence constituer la signification, alors l’énoncé « Hesperus est Phosphorus » devient une identité entre synonymes. Par le fait même, 7 Traduction française de Naming and Necessity. 16 « Hesperus est Phosphorus » devient identique à « Hesperus est Hesperus », et puisque l’identité entre synonymes est depuis Kant considérée comme analytiquement vraie, connaissable a priori et nécessaire, les deux énoncés équivalents se voient dotés de tous ces attributs. Or, l’énoncé « Hesperus est Phosphorus » ne se laisse pas intuitivement réduire à « Hesperus est Hesperus » parce qu’il contient une valeur cognitive que ce dernier ne possède pas. Celle-ci provient du fait que l’identité des référents doit être découverte par l’observation du monde, ce qui revient à dire que l’identité n’est pas une pure tautologie du domaine de l’a priori, mais qu’elle relève du domaine de l’a posteriori. Pour rendre compte de la différence entre les deux énoncés, Frege conclut que nous devons reconnaître la présence d’un second élément dans la signification, à savoir le sens (Sinn). Ce sens permettant de saisir la valeur cognitive de l’énoncé d’identité doit être compris, selon Frege, comme une description ou un ensemble de descriptions permettant d’identifier sous un certain angle la référence (étoile du matin/étoile du soir). Et comme notre exemple le suggère, cette distinction au sein de la signification est aussi valable pour les noms propres devant être traités, non comme de simples étiquettes désignant un objet unique, mais comme des descriptions fournissant l’angle de saisie du référent. Russell aboutira, après avoir analysé d’autres problèmes – dont celui du nom référant à un objet n’existant pas –, à une théorie de la signification similaire en certains points à celle de Frege, mais se distançant aussi de façon critique en montrant, selon lui, que le sens frégéen se confond en définitive avec la référence. Renonçant donc à la distinction fregéenne, Russell propose une conception du langage qui se dispense du concept de sens pour ne conserver que l’aspect dénotatif. Russell rend compte de ce dernier en distinguant entre deux niveaux au sein du langage : la forme grammaticale de surface et la forme logique profonde. Par cette distinction, il vise à démontrer que toutes les expressions formulées dans la forme grammaticale peuvent être reconduites, à l’aide de paraphrases, à une forme logique ne contenant que des expressions qui dénotent soit des propriétés, soit des individus. Pour Russell, dénoter un individu est réservé au nom logiquement propre, c’est-à-dire que cette fonction est déniée à plusieurs noms grammaticalement propres. Les noms logiquement propres seraient limités aux noms référant aux individus dont le locuteur a une connaissance directe, alors que tous les autres noms devraient être plutôt considérés comme des abréviations de descriptions dénotant des propriétés. Ainsi, hors de la sphère de la conscience employant les noms, ceux-ci se retrouvent tous dépourvus de référence directe à un individu pour se transformer en descriptions abrégées dont 17 les éléments réfèrent aux propriétés de l’individu. Nous retrouvons donc ici aussi cette idée d’une signification comprise comme un ensemble de descriptions permettant d’identifier un individu. Nous voyons désormais ce qui lie la théorie de la signification de ces deux auteurs et qui permet à Kripke de les regrouper sous une même appellation pour les critiquer d’un seul assaut. Ce qu’il convient de retenir de ce préambule, c’est la connexion qu’établissent Frege et Russell entre le nom – employé comme terme générique de la catégorie des expressions dénotatives, comprenant donc le nom propre comme exemple type – et la description. Ce que Kripke attaque sous l’appellation « the Frege-Russell description theory », c’est cette volonté de réduire toute désignation directe d’un individu à un ensemble de descriptions permettant de l’identifier, ce qui revient à essayer d’évacuer toute tentative de comprendre les noms propres comme des étiquettes apposées une fois pour toute aux choses ou aux personnes. 2.2 La désignation rigide Dans les conférences qui donnèrent lieu à La logique des noms propres, Kripke emploie concrètement sa logique modale précédemment développée pour démontrer l’insuffisance du modèle descriptif de la signification des noms. Il se demande comment comprendre la signification pour permettre de rendre compte de l’emploi des noms au sein de discours contrefactuels demandant ce qui aurait pu être vrai d’un objet dans un autre monde possible. Selon le modèle descriptif, nous devrions être capables d’identifier le porteur du nom à l’aide des descriptions abrégées par ce nom. Or, la question que pose le contexte modal consiste à se demander comment la référence à l’individu se maintient dans un monde possible où les descriptions que nous associons à la référence ne valent plus. En effet, si nous parvenons à désigner Aristote parce qu’il répond à celui qui a écrit la Métaphysique et fut l’élève de Platon, comment faisons-nous pour comprendre le nom propre « Aristote » employé pour désigner Aristote dans un monde possible où celui-ci n’aurait ni écrit la Métaphysique ni été l’élève de Platon? Face à cette question, Kripke nous met dans un dilemme : soit nous devons défendre que les descriptions que nous employons dans la signification du mot « Aristote » renvoient à des caractéristiques essentielles du référent ne pouvant lui être retranchées sous peine d’une disparition du référent même, soit nous devons admettre que la référence ne fonctionne pas par l’entremise de telles descriptions. 18 Pour réfuter la première possibilité, Kripke réutilise l’argument de Quine contre les propriétés essentielles. Celui-ci stipule que l’attribution des propriétés essentielles à un objet dépend toujours de l’angle sous lequel il est décrit. Autrement dit, l’attribution des caractères essentiels repose en dernière instance sur quelque chose de contingent, ce qui réfute du même coup la prétention à atteindre l’essence. Et sans ces caractères essentiels nous permettant d’identifier Aristote dans un autre monde possible, pour reprendre le même exemple, nous devons trouver une autre approche permettant de rendre compte de l’emploi en contexte modal d’un nom8. De plus, Kripke argumente que selon l’usage courant d’un nom, nous pouvons très bien utiliser un nom propre pour désigner un individu déterminé même si nous n’avons pas les connaissances suffisantes qui permettraient de l’identifier par descriptions. La description n’est donc pas, selon Kripke, un élément essentiel intervenant dans la désignation. La solution de Kripke repose dans ce qu’il nomme un « désignateur rigide ». Selon lui, un nom, comme « Aristote », permet de désigner le même individu dans tous les mondes possibles, peu importe les variations9 que nous lui apportons par imagination. Ceci permet d’établir une distinction entre désignateurs rigides et non-rigides. Par opposition à la « FregeRussell description theory » au sein de laquelle l’expression « est l’auteur de la Métaphysique » ferait partie de la signification du nom « Aristote », pour Kripke, « Aristote » est un désignateur rigide. Ce désignateur identifie l’individu de façon transmondaine même s’il s’avère ne plus être « l’auteur de la Métaphysique », et cette dernière expression se voit qualifiée de désignateur souple parce qu’elle réfère à quiconque remplirait cette condition à travers les mondes possibles. Dans un contexte modal, la description devient ainsi une case logique à remplir par n’importe quel élément, alors que les individus qui peuvent être déplacés de case en case selon la configuration des mondes imaginés sont identifiés de façon fixe malgré leurs modifications. Aux critiques qui ne verraient pas comment il est possible de référer à un « Aristote » qui serait complètement différent de ce qu’il est dans notre monde, Kripke répond par anticipation 8 Kripke précise que cette critique vaut aussi pour ceux qui ont tenté de reformuler la théorie de la description en remplaçant l’idée d’une description unique abrégée sous un nom par un faisceau ou une famille de descriptions permettant d’identifier l’objet répondant à la plupart des critères. Searle est ici visé comme étant le représentant type de cette position. Voir Kripke, La logique des noms propres, p. 20. 9 Kripke tentera vers la fin de ses conférences de cerner au moins un élément nécessaire à l’identité métaphysique de l’objet auquel nous référons, et donc résistant à cette variation : son origine propre (matière et provenance). Cet élément sera donc préservé, selon Kripke, par le désignateur rigide, et ce, à travers les mondes possibles. 19 qu’ils se méprennent sur l’emploi du discours contrefactuel10. Selon lui, lorsque nous stipulons sur les mondes possibles, nous ne regardons pas un monde éloigné à l’aide « de puissants télescopes »; autrement dit, nous ne l’observons pas comme s’il nous était étranger et comme si nous devions tenter d’y trouver un individu qui correspondrait, de par ses qualités observables, à celui que nous fournit une description. Contrairement à cette perspective, le discours contrefactuel est plutôt construit à l’aide des références que nous avons déjà; ce qui revient à dire qu’il se construit autour des désignateurs rigides qui eux renvoient toujours aux mêmes individus. « Les « mondes possibles » sont stipulés, ils ne sont pas découverts au moyen de puissants télescopes »11 Et c’est ce qui, selon Kripke, permet de comprendre que nous référons toujours à Aristote, à travers ce qui aurait pu lui arriver dans un autre monde, et ce même s’il n’y est plus l’élève de Platon ni l’auteur de la Métaphysique. Ces descriptions que nous venons d’invoquer pour Aristote conservent tout de même un rôle, seulement, selon Kripke, les auteurs se seraient jusqu’ici trompés en l’associant à la signification du nom. Selon lui, le rôle de la description serait plutôt de « fixer le référent »12 d’un nom ou d’une expression ayant la propriété de dénoter, et ceci en transformant aussitôt le nom ou l’expression en un désignateur rigide. Bien que dans La logique des noms propres Kripke avoue essayer davantage de montrer les insuffisances des théories ayant cours que de tenter de présenter une théorie complète du fonctionnement de la signification, nous pouvons voir dans cette institution du désignateur rigide le versant positif des conférences. Ces deux versants se trouvent résumés par la métaphore qui propose la substitution d’une mauvaise image – celle qui sous-tend toutes les théories descriptives de signification – par une meilleure image13. Selon Kripke, l’image implicitement contenue dans le schéma Frege-Russell de la référence est celle d’une institution privée de la référence à l’aide d’une description. Contre ce schéma, il propose de comprendre l’acte originel fixant la référence du nom comme un baptême public permettant ensuite la transmission causale de la référence au sein de la communauté langagière; ce qui permettrait ensuite à quiconque de référer à l’individu sans le connaître, indépendamment des descriptions permettant de l’identifier, et même de façon transmondaine. 10 Kripke souligne que cette mauvaise interprétation pullule dans la littérature sur la modalité quantifiée et qu’elle est particulièrement visible chez David Lewis. Cf. Ibid., p. 33. 11 L’auteur souligne, Ibid., p. 32. 12 Ibid., p. 45. 13 Cf. Ibid., pp. 78-79. 20 Pour illustrer cette fixation de la référence, prenons un des exemples employés par Kripke : la barre de métal conservée à Paris et servant d’étalon au système métrique. Selon Kripke, la barre de métal qui fut employée pour fixer la référence de « un mètre » permet à ce dernier d’opérer désormais comme signification autonome face à la barre de métal existant effectivement à Paris. Quiconque peut en effet référer à sa grandeur sans même savoir que la barre gît à Paris, du moment où il participe à la chaîne causale ayant transmis le désignateur au sein de la communauté. De plus, nous avons souligné que cette grandeur est désormais fixée et indépendante de la barre elle-même. En effet, imaginons seulement un monde possible où la barre de métal de Paris serait chauffée et demandons-nous si nous devons admettre que notre mètre a changé de grandeur ou que la barre de métal ne mesure plus un mètre. Selon Kripke, nous devrions convenir que la barre de métal ne mesure plus un mètre, et ceci parce qu’« un mètre » est le désignateur rigide d’une grandeur donnée, alors que la longueur de la barre n’est qu’un désignateur souple – une description – ayant permis de fixer le référent. Cet exemple mène Kripke à retravailler l’opposition de l’a priori et de l’a posteriori telle qu’elle faisait autorité en philosophie depuis Kant. Voyons ce qu’il en est. 2.3 Remise en cause de l’adéquation entre les oppositions a priori/a posteriori et nécessaire/contingent Dans La logique du nom propre, Kripke opère une distinction fondamentale entre la nécessité épistémique et la nécessité métaphysique qui mène à replacer sur deux plans indépendants les oppositions a priori/a posteriori et nécessaire/contingent. Depuis Kant, les vérités provenant de jugements analytiques, c’est-à-dire ne relevant que du sens, sont considérées a priori, et puisqu’elles ne dépendent pas de la configuration du monde pour être attestées, elles sont considérées comme nécessairement vraies. À l’opposé, les vérités relevant de jugements synthétiques qui demandent investigations et évidences empiriques sont jugées contingentes puisque leur valeur de vérité dépend d’une vérification a posteriori de leur adéquation au monde. L’association de l’a priori et du nécessaire et celle de l’a posteriori et du contingent sont pour Kripke une méprise sur leur statut respectif. En effet, selon lui, l’a priori et l’a posteriori relèveraient d’une nécessité épistémique qui dépend de notre façon d’acquérir le savoir, tandis que le nécessaire et le contingent renvoient à un statut métaphysique indépendant de nous, et éprouvé par la confrontation aux mondes possibles. 21 Si nous reprenons l’exemple de la barre d’un mètre, nous obtenons le résultat suivant : l’énoncé « La barre reposant à Paris mesure un mètre » utilisé par celui qui a fixé la référence d’« un mètre » implique qu’il connaisse a priori que la barre reposant à Paris mesure un mètre puisque celle-ci fait partie de la définition. Cependant, si cette vérité peut être considérée comme a priori quant à son statut épistémique parce qu’elle ne relève que de la définition, elle ne peut être considérée comme étant nécessaire sur le plan métaphysique. En effet, comme nous l’avons évoqué plus tôt, cette même barre peut être compressée ou allongée dans un monde possible de manière à ce qu’elle ne mesure plus un mètre – ce qui permet à Kripke de conclure que « en ce sens, donc, il y a des vérités contingentes a priori. »14 Et s’il y a des vérités contingentes a priori, il y a aussi des vérités nécessaires a posteriori. Il convient de s’y attarder quelque peu, car c’est cette notion de nécessité a posteriori présentée dans ces conférences qui a le plus marqué les débats philosophiques. Reprenons d’abord l’exemple que nous avons utilisé pour illustrer la théorie de Frege : « Hesperus est Phosphorus ». Selon Kripke, cet énoncé est bel et bien un énoncé dont le statut épistémique est a posteriori parce que l’identité qu’il contient n’est pas de nature synonymique, mais relève plutôt d’une observation du monde. Toutefois, ce caractère a posteriori se marierait avec la nécessité de l’identité, car, selon Kripke, tout énoncé d’identité entre deux désignateurs rigides ayant le même référent est nécessairement vrai. Pourquoi? Simplement parce que si le désignateur rigide conserve toujours le même référent à travers les mondes possibles – ici Vénus – il ne peut se trouver un monde pour lequel le nom Hesperus ne renvoie pas à Venus et il en va de même pour Phosphorus. Ainsi, l’identité entre les deux noms, bien qu’a posteriori possède, selon Kripke, une nécessité métaphysique. Cette considération sur l’identité nécessaire a posteriori a pour conséquence de rétablir une certaine forme d’essentialisme. Pour illustrer son propos, Kripke a recours à une argumentation analogue à celle que donne l’expérience de pensée de Putnam appelée « Twin Earth ». L’argumentation va comme suit : supposons une terre jumelle de la nôtre où tout est semblable. Sur cette terre, il y a aussi un liquide incolore et sans goût qui est nécessaire à la vie et qui est nommé « eau ». Les deux descriptions sont identiques, mais supposons que nous découvrons que l’eau sur la terre jumelle n’est pas formée selon H2O mais selon XYZ. Faudraitil conclure que la composition atomique de la substance participe à la signification du mot 14 Ibid., p. 44. 22 « eau », et ainsi conclure comme Putnam que le mot n’a pas le même sens sur les deux terres? Kripke argumente que non, car, puisque « eau » est un désignateur rigide, nous dirions plutôt que la substance qui semble être de l’eau sur la terre jumelle n’est en fait pas de l’eau. H2O, tout comme eau sont traités par Kripke comme des désignateurs rigides, et comme « l’eau est H2O » est une identité entre désignateur rigide renvoyant au même référent, alors cette identité est nécessairement vraie. Ce qui revient à dire que H2O fait partie de l’essence de l’eau. Et puisque ce raisonnement peut être étendu à tous les noms communs désignant des catégories naturelles, Kripke se trouve à rétablir un essentialisme revisité par sa théorie de la signification. Soulignons aussi que dans ces conférences, Kripke donne un exemple de la pertinence de sa théorie en ébauchant une critique à la théorie matérialiste de l’identité entre le corps et l’esprit, et ce, simplement à l’aide de ce que permet le concept de désignateur rigide lorsque nous l’employons pour découvrir une nécessité a posteriori. 2.4 Conclusion et critiques Récapitulons d’abord les principales thèses que Kripke propose dans La logique des noms propres. Bien entendu, la présentation du concept de désignateur rigide, fixé d’abord au sein d’une communauté mais obtenant ensuite son autonomie au sein de celle-ci pour permettre de désigner le même référent de façon transmondaine, est au centre de la conférence et permet de mener une critique radicale à l’endroit des théories descriptives de la référence regroupées sous le paradigme Frege-Russell. Suite à cette critique, nous avons vu comment l’utilisation du désignateur rigide permet, en distinguant entre deux types de nécessité, de remanier l’organisation entre l’a priori, l’a posteriori, le contingent et le nécessaire. De cette réorganisation des couples d’opposés provient la possibilité d’un énoncé a priori mais contingent et d’un énoncé a posteriori mais nécessaire. Et nous avons terminé notre parcours en nous attardant sur cet a posteriori nécessaire duquel découle le rétablissement d’un nouvel essentialisme. Face à la richesse de ces conférences, nous pouvons nous demander quelle en fut la réception. Vu le peu de temps écoulé depuis ces conférences, si nous considérons à l’échelle de l’histoire de la philosophie, il est difficile de voir l’impact qu’elles auront à long terme. Toutefois, nous pouvons dire que plusieurs les jugent désormais comme étant un document incontournable de la philosophie analytique et certains vont même jusqu’à le qualifier de 23 document le plus important du XXe siècle en philosophie. Cependant, si ces éloges nous permettent d’entrevoir l’importance de ces conférences, nous ne devons pas oublier non plus les critiques sévères qu’elles ont reçues. Pensons ici notamment à Dummett qui critiqua d’une part l’interprétation que Kripke donne des théories de Frege et de Russell, et d’autre part le concept de désignateur rigide en lui-même. Mais la présence même des critiques au sein de la littérature secondaire déjà étendue sur le sujet démontre que ces conférences demandent au moins qu’on s’y attarde. 24 3. Règles et langage privé15 La lecture des Investigations philosophiques (1953) provoque la réflexion de Kripke sur des problèmes reliés à la signification, notamment sur ce que suivre une règle veut dire. Notre auteur voit aussi une solution sceptique au paradoxe sceptique. Dans Règles et langage privé (1982), Kripke nous livre les commentaires que le texte de Wittgenstein lui suggère sans s’engager dans l’approbation ou la critique ; il ne prétend pas non plus d’être fidèle à ce que Wittgenstein aurait voulu dire. Le mot « Kripkestein » que nous trouvons dans la littérature philosophique illustre bien la teneur de Règles et langage privé. Kripke veut étudier la notion de « suivre une règle » : il prétend que cette notion implique un paradoxe sceptique soulevé par le langage privé. Il veut aussi donner une solution au paradoxe. Nous devons effectuer un détour préalable par Wittgenstein (R.L.P. VI). 3.1 Suivre une règle et langage privé pour Kripkestein Investigations philosophiques est un ouvrage posthume de Wittgenstein où il révise des idées développées dans le Tractatus (I.P. §112). Wittgenstein continue à penser que des nombreux problèmes philosophiques trouvent leur origine dans des malentendus causés par le langage (I.P. § 91) ; c’est ainsi que la signification constitue un sujet primordial de recherche qu’il veut « grammaticale » dans le sens qu’elle décrit l’usage que nous faisons de la langue16. Dans le Tractatus, Wittgenstein (tout comme ses précurseurs Frege et Russell) privilégie un seul jeu de langage (le langage logique). Wittgenstein nous ramène maintenant au langage ordinaire et à la recherche de règles relatives à chaque jeu de langage17. Ces jeux concernent la syntaxe 15 Dans ce texte nous avons suivi de près Consuelo Preti, On Kripke, chap. 3 «On Rules and Private Language : Kripke on Wittgenstein » Toronto, Wadsworth, 2001, où cette auteure adopte un point de vue critique. 16 « La signification d’un mot est son usage dans le langage » (I.P. § 43). 17 « Dans la pratique du langage (2) un partenaire énonce les mots, l’autre agit conformément à eux ; mais dans l’enseignement du langage […] celui qui apprend à parler nomme les objets » ou « un exercice encore plus simple : l’élève répète les mots que le maître prononce, - processus tous deux analogues au langage.- Nous pouvons également imaginer que tout le processus de l’usage des mots se trouve dans l’un de ces jeux au moyen des quels les enfants aprennent leur langue maternelle. J’appellerai ces jeux des ‘jeux de langage’ » . I.P.§ 7. Sur les jeux de langage voir aussi I.P. §§ 66, 67, 75. « Créer un jeu de langage, c’est imaginer le fonctionnement d’un système symbolique artificiellement fabriqué, mais envisagé comme mode de communication complet en lui-même. De tels jeux de langage ne sont pas pour Wittgenstein des modèles abstraits plus simples, imitant des aspects du langage naturel […] Ce sont des modes d’expression différents qui ‘par comparaison’, doivent ‘éclairer les faits du langage naturel’ (Recherches), Granger, 1577. 25 (grammaire, règles sur la formation des propositions) et les règles sémantico-pragmatiques (l’usage d’un signe dans les jeux de langage). (I.P. §§ 135 et 136). La signification ne semble avoir lieu que dans un contexte social, de communication avec autrui impliquant l’usage du mot dans la langue. Cela a pour conséquence que dans Investigations philosophiques les mots correspondant aux états mentaux, à ce qui est privé et intérieur, sont dénués de signification (I.P §§ 153 et 154). La signification n’est donc pas un état interne que nous associons à nos significations. Ce que Wittgenstein vise dans sa recherche c’est dissocier la compréhension de la signification d’un signe et ce qui constitue un processus mental interne ; dans cette démarche, il relie la signification du signe à l’application d’une règle. Pour Wittgenstein, « commander, interroger, raconter » s’inscrit dans notre « histoire naturelle » (humaine) tout comme « manger, marcher, boire » s’insère dans le contexte d’une « forme de vie » (I.P §§ 19 et 25) 18. Et l’usage juste des signes implique l’existence de normes nous permettant de comprendre et d’être compris par l’utilisation du langage. Connaître une langue c’est connaître la « grammaire » (syntaxe et sémantique) et comprendre la signification d’un mot c’est savoir comment l’utiliser en accord avec la règle. C’est cela « suivre une règle » , sujet que Wittgenstein étudie surtout dans les §§ 138-242 des Investigations philosophiques. La saisie de l’application d’un signe implique l’application d’une règle ; cette activité concerne le présent et se projette dans l’utilisation juste et uniforme de la norme dans l’avenir. Ainsi. la question est celle de déterminer la cause de la signification et de la compréhension des signes de façon constante dans le temps. Ce que Wittgenstein remarque c’est que dans les états internes il n’y a pas de critère permettant d’établir l’utilisation correcte du signe19. C’est à ce moment que le questionnement de Kripke apparaît. Cet auteur veut élucider les aspects suivants : qu’est-ce qui détermine la signification si ce n’est pas un état interne ? Et si nous ne trouvons pas une réponse à cette question qu’est-ce qui arrive ? Ce qui arrive c’est que rien de ce que nous exprimons par des signes n'a une signification. Voici ce que Kripke appelle le paradoxe sceptique. 18 « Le langage est, en effet, une « forme de vie » ce qui, sous la plume de Wittgenstein n’a aucune connotation existentielle affective […] le jeu de langage est forme de vie en ce sens qu’il s’insère dans un comportement total de communication et que la signification des symboles est relative à cette totalité «. Granger, 1581. 26 3.2 Le paradoxe sceptique Le point de départ des hypothèses de Kripke est le paradoxe sceptique qu’il voit chez Wittgenstein. Les hypothèses sont les suivantes : . Wittgenstein montre le paradoxe sceptique et donne une solution. . L’analyse de la démarche de Wittgenstein contribue à éclaircir l’argument relatif au langage privé20. Ce qui intéresse Kripke c’est de savoir comment nous pouvons aborder le problème de nos états internes relativement au signe dans le contexte des Investigations philosophiques. Par exemple, un signe exprimant la douleur n’est pas relié à une norme qui répond de sa justesse. La seule chose que nous puissions dire c’est qu’il y a une apparence de compréhension du signe. Pour Wittgenstein, un langage privé n’a donc pas de signification : son texte semble suggérer que moi-même je ne pourrais pas comprendre mes mots (Preti, 74). Notre auteur veut répondre à certaines questions sur le langage privé : quelles règles appliquer ? Peut-il s’agir de critères qui ne s’appliquent qu’à moi ? Si la réponse est affirmative, quelle est la difficulté que cela entraîne quant à la signification (application ou usage d’un signe) ? Si je pouvais décider des règles, quelles seraient les conséquences (s’il y en avait) sur le langage ? (Preti 76). Kripke utilise l’argument du langage privé dans la solution sceptique du langage privé, tel que nous le verrons. Pour essayer d’expliquer le problème du langage privé à l’intérieur de ce qui est « suivre une règle » Kripke utilise un exemple tiré de l’arithmétique. Il affirme que nous comprenons ce que le signe « + » (plus) veut dire si nous pensons qu’on nous a appris qu’il s’agit d’une d’addition. Comprendre « + » c’est répondre de façon constante que le résultat de cette opération est la somme des deux quantités qui entourent le signe « + » . Appliquer la règle correctement implique le résultat juste et implique aussi le sens métalinguistique, c’est-à-dire que dans le passé nous avons appliqué de façon uniforme la même règle. Ainsi dans l’exemple 68+57=125 le résultat a toujours été le même. Mais, dit Kripke, un sceptique pourrait argumenter qu’il y a une autre fonction appelée « quaddition » 21 qui serait compatible avec l’utilisation passée du signe +, mais incompatible avec ce que nous entendons par addition : x/y= x+y si x et y sont assez petits 19 « Mais dans le cas présente je n’ai pas de critère de justesse. On aimerait dire ici tout ce qui va me sembler juste sera juste. Et cela veut dire simplement que nous ne pouvons pas parler au sujet de ce qui est ‘juste’ ». I.P § 258. 20 I.P §§ 243-275. Ces paragraphes sont généralement regardés comme l’argumentation de Wittgenstein voulant que la signification ne soit pas un état mental. 27 pour être calculés par un humain ; x/y =5 s’ils ne sont pas assez petits pour être calculés par un humain. Le problème est celui de savoir comment l’utilisation passée à l’avenir (nombre illimité de fois) (Bernier, 5). En même temps, nous ne pouvons pas être sûrs d’avoir utilisé dans le passé la fonction d’addition ou la fonction de « quaddition ». Ainsi, nous n’avons pas les moyens d’identifier la fonction que nous avons appliquée ni de savoir quelle est la règle juste ; cela amène, d’une part, la question métaphysique de savoir quelle est la nature d’une réponse correcte et, d’autre part, la question épistémologique de justifier que 68+57 est 125 et non pas 5. Le sceptique peut donc dire que les mots n’ont pas de signification, que nous avançons dans la noirceur (R.L.P. 55). Nos intentions, d’après l’interprétation kripkéenne du § 201 des Investigations philosophiques22, peuvent cependant être interprétées comme étant la signification que nous choisissons23. En cherchant à établir la signification des mots, Kripke soulève la question sceptique d’un locuteur isolé ; cela lui permet de (re)formuler la thèse de Wittgenstein qui nie la signification des états internes (langage privé) en présentant la signification du langage privé comme celle qu’un individu peut réaliser par lui-même dans la détermination de la signification (Preti, 79). En fait, dit Kripke, rien ne nous dit pourquoi nous avons additionné et non pas « quadditionné » sauf la circonstance que nous avons eu l’intention d’additionner. Le sceptique peut donc affirmer que mon intention ne permet pas de déterminer laquelle des deux fonctions nous avons utilisé ni pourquoi nous l’avons fait. En somme, l’interprétation kripkéenne du § 201 des Investigations Philosophiques veut que rien dans l’utilisation passée d’un mot ne détermine l’uniformité de l’usage pour l’avenir ni rien ne constitue une preuve de l’utilisation constante du mot dans le passé. Par conséquent, d’après Kripke, le paradoxe sceptique reste en pied, mais seulement pour lui trouver une solution. 21 Nous utilisons le symbole / à défaut de pouvoir reproduire celui utilisé par Kripke. « 201. C’était là notre paradoxe : aucune manière d’agir ne pourrait être déterminée par une règle, puisque chaque manière d’agir pourrait se conformer à la règle. La réponse était : si toute manière d’agir peut toujours se conformer à la règle elle peut alors également la contredire. Et de la sorte il ne pourrait y avoir ici ni conformité ni contradiction. » 23 En lisant « privé » dans le sens indiqué ci haut à la page 2, ce que nous voulons signifier avec nos mots (si cela était possible). Il ne semble pas que nous avancions de façon aveugle, car quand nous appliquons une règle nous avons l’intention de faire quelque chose ; quelque chose qui se passe dans notre intérieur, tel qu’il arrive aux mathématiciens lors de l’addition ou tel qu’il nous arrive à l’occasion de sensations ou d’images mentales (R.L.P., 80). Au fur et à mesure que nous lisons Kripke, il devient apparent que cet auteur semble s’éloigner des arguments de Wittgenstein contre la signification des états internes. Kripke prend plutôt le parti de souligner les rapports entre « langage privé » et « suivre une règle «. Preti, 79. 22 28 3.3 En quête d’une solution : la communauté24 Kripke examine trois voies de recherche d’une solution directe25 dans le but de résoudre le paradoxe sceptique. Il étudie premièrement l’usage ou l’application actuelle d’un signe. En second lieu, notre auteur passe en revue les états de conscience accessibles par l’introspection (tels qu’une expérience). Finalement, il examine l’inclination à appliquer un signe. Jugeant ces solutions insatisfaisantes, Kripke cherche une solution empirique26. Ainsi, Kripke suggère (R.L.P. 62-80) que lorsque Wittgenstein affirme qu’il n’y a rien de tel que signifier quelque chose par un mot particulier, celui-ci adopte une position semblable à celle de Hume relativement à la causalité27. « Suivre une règle » constitue pour Wittgenstein une façon de formuler l’argument du langage privé : le paradoxe de Wittgenstein porte sur les motifs que j’ai pour affirmer que je peux signifier quelque chose avec mes mots et sur qu’est-ce que signifier quelque chose avec mes mots. Kripke, par contre, interprète Wittgenstein dans le sens qu’aucun individu ne peut signifier quelque chose par ses mots ; il passe sous silence, tel que nous l’avons mentionné plus haut, la préoccupation de cet auteur pour décrire le langage privé en lui refusant toute signification28 (Preti 82). Wittgenstein semble dire que la signification d’un signe est constituée par son usage uniforme dans le temps. Par conséquent, le langage privé n’a pas de signification dans l’impossibilité qu’il se trouve de suivre une règle de façon constante (Preti, 76). Pour Kripke, la démarcation entre « suivre une règle » et langage privé peut être montrée de la façon suivante 29: si nous pouvions décider de façon privée ce que douleur signifie, c’est-àdire choisir nous-mêmes la règle, cela voudrait dire que tout ou rien n’a une signification ; par conséquent, le mot douleur ne veut rien dire. La solution du paradoxe se trouve dans la communication avec les autres. 24 […] « ‘communitariste’, si on entend par là une solution qui implique que le langage est une institution ou qu’une communauté linguistique doit contenir plus de deux locuteurs (d’une même langue) ». Laurier, 269. 25 «… solution directe, c’est-à-dire une solution qui prétend dire en quoi consiste, par exemple le fait que la réponse de Dupont [à ce qu’une table] soit correcte, ou le fait que le mot « table » (ou l’énoncé « c’est une table » ) exprime pour lui un certain concept (ou une certaine condition de vérité) » . Laurier, 275. 26 Bernier, 6. 27 D’après Hume la causalité n’est que l’accoutumance que nous avons de voir la succession constante d’un fait par un autre ; il s’agit donc d’une inférence et non pas d’une expérience. Enquête, p. 105. 28 Cela parce que la signification implique l’application d’une règle de façon objective et non seulement apparente ce qui exclut l’apparence d’appliquer une règle. Preti, 76. 29 « Et c’est pourquoi « obéir à la règle » constitue une pratique. Et croire qu’on obéit à la règle n’est pas obéir à la règle. Voilà pourquoi il n’est guère possible d’obéir à la règle « en particulier » : autrement croire qu’on obéit à la règle serait la même chose que lui obéir. » I.P. § 202. 29 C’est donc dans l’usage par la communauté que Kripke voit l’origine de la norme. Avec cette interprétation Wigttenstein se distancie de ses propres positions dans le Tractatus ainsi que de celles de Frege et de Russell voulant que la signification soit reliée aux conditions de vérité30. Pour Kripke, ce que Wittgenstein prétend c’est d’opposer les conditions de vérité aux « conditions d’assertabilité » 31 . Les « conditions d’assertabilité » impliquent que les interlocuteurs de la communauté comprennent nos mots. La solution de Kripke au paradoxe sceptique est une solution sceptique, car le paradoxe se pose du point de vue logique, mais non pas du point de vue empirique. Kripke présente ainsi le point de vue de la communauté : les membres de la communauté sont d’accord avec l’usage d’un mot s’ils sont portés à utiliser le même mot dans des circonstances semblables. Ils seraient par contre en désaccord avec un tel usage, si le critère d’utilisation du mot n’est pas gouverné par une règle ou s’il apparaît une erreur dans l’utilisation d’une règle. Le grand tableau que Kripke voit chez Wittgenstein est constitué par le fait que nos mots s’insèrent à l’intérieur d’une forme de vie. Participer à une forme de vie implique, par exemple : avoir des attentes de réciprocité quant à la signification que les autres et nous attribuons aux mots ; la possibilité de prévoir ce qui sera dit et surtout le fait de pouvoir comprendre les autres. Pour Kripke, les significations ne sont pas partagées, mais elles sont le résultat d’un accord sur la signification des mots. Nous utilisons nos mots dans le langage pour communiquer avec les autres. Quand nous observons le processus de communication nous trouvons des éléments d’acceptation, d’accord, de prédiction, d’attente et d’autres semblables sans lesquels la communication n’existe pas. D’après Kripke, Wittgenstein résout le problème sceptique dans le sens que signifier et comprendre implique agir d’une manière acceptée par la communauté de façon telle qu’une forme de vie se trouve à la base de la signification. L’interprétation kripkéenne de ce qu’est suivre une règle dans Investigations philosophiques veut que la signification de nos mots trouve son origine dans les « conditions d’assertabilité «, c’est-à-dire dans l’accord de la communauté sur la signification des mots. 30 Frege semble dire que c’est la signification qui conditionne la vérité d’une proposition. Pour Russell chaque mot renvoie soit à un universel soit à un particulier ce qui permet d ‘élucider la valeur de vérité d’une proposition. Preti, 83. 31 Ou « conditions de justification » sont « des conditions selon lesquelles nos assertions ont un rôle dans nos vies «. Bernier, 11. 30 Ainsi, l’interprétation appelée du « point de vue de la communauté » mise de l’avant par Kripke, aide à la compréhension du texte de Wittgenstein. 3.4 Conclusion et critiques Règles et langage privé est à l’origine d’une abondante littérature qui témoigne de l’intérêt que la lecture que Kripke fait de Wittgenstein soulève. Les critiques s’adressent premièrement à l’interprétation de « privé «. Ensuite, la portée de la communauté dans l’opposition entre privé / social est examinée. Finalement, l’interprétation du § 201 des Investigations philosophiques ne soulève pas l’unanimité. Le premier groupe de commentaires concerne l’opposition que Kripke semble poser entre privé (interprété comme individuel) et public vu comme les couples un / plusieurs, solitaire / en compagnie, solitaire / social. Les commentateurs affirment qu’il n’est pas clair cependant pourquoi c’est la communauté qui détermine la signification. Un autre point de vue veut que Wittgenstein n’attribue pas à la notion de communauté l’importance que Kripke y voit. Wittgenstein aurait plutôt voulu souligner l’absence d’une norme pouvant encadrer le langage privé quand il s’attaque à la possibilité de la signification de ce langage. Cela implique l’impossibilité pour le langage d’avoir une signification quelconque, car il ne faut pas confondre suivre une règle avec le fait de penser suivre une règle. Le deuxième groupe de critiques concerne l’opposition que Kripke voit entre privé et social. Il est pourtant possible d’interpréter « privé » dans le sens de ce qui est mental donc en dehors de la normativité (ce qui est la bête noire de Wittgenstein) et de penser que Wittgenstein veut montrer que la normativité constitue le mot-clé dans le langage, dans la signification et dans la communication. Finalement, les critiques attaquent la façon dont Kripke présente le paradoxe sceptique et la solution sceptique. Certains des commentateurs contredisent l’interprétation que Kripke fait du § 201 des Investigations philosophiques, niant que nous puissions signifier quoi que ce soit avec les mots32. D’autres critiques montrent que l’interprétation de Kripke implique de tomber dans la tentation de voir la normativité comme une entité qui suit nos actions ce qui semble opposé aux desseins de Wittgenstein. Un autre point de vue veut que « suivre une règle » puisse, en effet, être ambigu. Dans un autre ordre de considérations, l’interprétation de Kripke qui voit le « suivre 31 une règle » comme étant ambigu, n’est valable que si nous la regardons comme quelque chose que nous devons saisir et que nous voulons dans l’usage de nos mots. Par contre, d’après les critiques l’ambiguïté s’évanouit si nous voyons que suivre une règle porte sa propre normativité et que celle-ci est la signification : nous suivons une règle lorsque nous saisissons, communiquons et comprenons avec succès. En somme, le commentaire de Kripke sur Wittgenstein, malgré les critiques, éclaire la lecture des Investigations philosophiques et est devenu une source de réflexion pour les philosophes analytiques. Règles et langage privé est le plus controversé des ouvrages de Kripke. 32 Voir note 20. 32 Sources consultées (troisième section) Textes Hume, David, Enquête sur l’entendement humain, André Leroy, trad., Michel Beyssade, présentation et notes, Paris, G.F. Flammarion, 1983. Kripke, Saul A., Naming and Necessity, Cambridge, Mass., Cambridge University Press, 1980 (Cité R.L.P.). Wittgenstein, Ludwig, Tractatus logico-philosophique suivi de Investigations philosophiques, Pierre Klossowski, trad., Bertrand Russell, « Introduction », Paris, Gallimard, 1998. (Le deuxième texte cité I.P.). Sources secondaires Bernier, Paul, ‘Suivre une règle’ chez Wittgenstein : un paradoxe sceptique pour Saul Kripke. / Alain Morin et James Everett, Une critique de l'interactionnisme d'Eccles [Sainte-Foy], Groupe de recherche interdisciplinaire en épistémologie sciences humaines, Faculté de philosophie, Université Laval,1988. Granger, Gilles Gaston, « Wittgenstein Ludwig » dans André Compte-Sponville, dir., Dictionnaire des la philosophes, Paris, Encyclopædia Universalis / Albin Michel, 1997, 1577-1582. Laurier, Daniel, « Le paradoxe de Wittgenstein et le communautarisme » , (2000). Dialogue, vol. 39, p. 263-278. Preti, Consuelo, On Kripke, « On Rules and Private Language : Kripke on Wittgenstein » Toronto, Wadsworth, 2001, chap. 3. 33 Conclusion Par son application de la logique modale à la philosophie, Kripke montre à quel point ces deux disciplines sont liées. Il est également intéressant de considérer que Kripke est d’abord mathématicien de formation, ce qui tendrait également à montrer que philosophie et mathématique ne sont peut-être pas si opposées que l’on semble le croire aujourd’hui. Ce qui est certain en tout cas, c’est que les travaux de Kripke concernant la logique modale sont fondamentaux. Lewis, qui semble pouvoir être considéré comme le père de la logique modale dans sa forme actuelle, a posé plusieurs systèmes et en démontrant le théorème de complétude du dernier système, le système S5, Kripke montre en même temps la complétude de tous les autres systèmes de la logique modale et donc de la logique modale elle-même. Et ce qui fait de Kripke un philosophe singulier, c’est qu’afin de démontrer ce théorème, il a dû repenser le concept des mondes possibles sémantiques, ce qui lui a permis de réfléchir sous un autre angle à certains concepts anciens, et notamment celui de l’essence. Nous avons aussi vu comment, dans La logique des noms propres, ses découvertes sur la logique modale lui permirent de repenser plusieurs concepts classiques de la philosophie. Cet ouvrage qui présente une application concrète de sa logique est désormais considéré comme un incontournable pour tout penseur se penchant sur les problèmes qui y sont traités, et ce, même si Kripke y demeure sous bien des aspects beaucoup plus critique que constructif. Quant au dernier volet de notre recherche, nous pouvons souligner le fait que Règles et langage privé se trouve à l’origine d’une abondante littérature qui témoigne de l’intérêt que le texte soulève chez les philosophes analytiques. En même temps, cet ouvrage a renouvelé l’intérêt pour l’étude de Wittgenstein. L’interprétation appelée du «point de vue de la communauté» mise de l’avant par Kripke, aide à la compréhension du texte de Wittgenstein. Cette lecture de ce qu’est suivre une règle dans Investigations philosophiques veut que nos mots soient signifiants à cause des «conditions d’assertabilité», c’est-à-dire dans l’accord de la communauté sur la signification des mots. Ainsi, la solution du problème sceptique est une solution sceptique. 34 Troisième partie : Bibliographie Avertissement La bibliographie comprend des textes et des sources secondaires. Nous avons visé l’exhaustivité quant aux écrits de Kripke et quant aux sources en langue française. Les sources secondaires en anglais sur Kripke sont nombreuses. Nous avons trouvé dans le Philosophers Index, seulement pour la période 1992-2003, 177 notices. Par conséquent, notre critère pour cette partie de la bibliographie est sélectif. 35 Abréviations AB. : abstract. DE : descripteur. PS : nom propre comme sujet. Sources consultées Philosophers Index, version Internet, 1940-2003.09. Cité Ph.I. Edward Craig, dir., Routledge Encyclopedia of Philosophy, Londres, Routledge, 1998. Routledge. Cité Autres sources : catalogues des bibliothèques, bibliographies dans les textes consultés. 36 Textes Kripke, Saul A., «A Completness Theorem in Modal Logic», (1959) Journal of Symbolic Logic, vol. 24, p.1-14. «AB: A MODEL THEORETIC SEMANTICS IS GIVEN FOR QUANTIFIED S5 WITH IDENTITY (WITH A FIXED DOMAIN OF INDIVIDUALS), BASED ON THE INTUITIVE IDEA THAT NECESSITY IS TRUTH IN ALL "POSSIBLE WORLDS." A COMPLETENESS THEOREM IS STATED AND PROVED, AND TABLEAU PROOF PROCEDURES AND SIMPLE DECISION PROCEDURES FOR PROPOSITIONAL S5 ARE GIVEN. IT IS STATED THAT THE METHODS WILL BE EXTENDED TO OTHER MODAL SYSTEMS IN FUTURE PUBLICATIONS. DE: COMPLETENESS; LOGIC; MODAL LOGIC; SEMANTICS «. Ph.I. «PROVES THAT A FORMULA IS A THEROEM OF QUANTIFIED MODAL LOGIC IF AND ONLY IF IT IS VALID IN KRIPKE’S SEMANTICS». Routledge. -----, «The Undecidability of Monadic Modal Quantification Theory», (1962) Zeitschrift fur mathematische Logikund Grundlagender Mathematik, vol. 8, p.113-116. «DE: LOGIC; MODAL LOGIC; PREDICATE LOGIC; UNDECIDABILITY». Ph.I. -----, «Semantical Analysis of Modal Logic I Normal Propositional Calculi»: (1963) Zeitschrift fur mathematischeLogik und Grundlagender Mathematik, vol 9, p. 67-93. «DE: COMPLETENESS; DECIDABILITY; LOGIC; MATRIX; METALOGIC; MODALLOGIC; SEMANTICMODEL». Ph.I. -----, «Semantical Considerations on Modal Logic» (1963) Acta Philosophica Fennica, vol. 16, p. 83-94; 53-355. Réimpression. Dans Linsky, 1971, p. 63-72. «PRESENTS KRIPKES SEMANTICS FOR MODAL LOGIC. PARTLY INFORMAL, PARTLY TECHNICAL». Routledge. -----, «Semantical Analysis of Intuitionistic Logic I dans J.N. Crossley et M. Dummett, dir., Formal Systems and Recursive Functions, Amsterdam, North Holland, 1965, p. 92-130. DE: INTUITIONISTIC-LOGIC; LOGIC-; MODEL-THEORY; PREDICATE-LOGIC. Phi.I. ------, «Semantical Analysis of Modal Logic II Normal Propositional Calculi» dans Addison, Henkin, Tarski, The theory of Models, Amsterdam, North Holland, 1965. -----, «Identity and Necessity» dans M.K. Munitz, dir., Identity and Individuation, N. York, N. York University Press, 1971, p.135-64. «AN EARLY PRESENTATION OF KEY IDEAS TREATED IN KRIPKE 1980». Routledge. -----,«Naming and Necessity» dans D. Davidson, dir., Semantics and Natural Language, Dordrecht, Reidel, 1972, p. 253-355. «Treats the topics of Kripke 1980». Routledge. ----- «Outline of a Theory of Truth», (1975) Journal of Philosophy, vol. 72, p. 690-716. «AB: A FORMAL THEORY OF TRUTH, ALTERNATIVE TO TARSKI'S 'ORTHODOX' THEORY, BASED ON TRUTH VALUE GAPS, IS PRESENTED. THE THEORY IS PROPOSED AS A FAIRLY PLAUSIBLE MODEL FOR NATURAL LANGUAGE AND AS ONE WHICH ALLOWS RIGOROUS DEFINITIONS TO BE GIVEN FOR VARIOUS INTUITIVE CONCEPTS, SUCH AS THOSE OF 'GROUNDED' AND 'PARADOXICAL' SENTENCES. DE: EPISTEMOLOGY ; LANGUAGE ; LOGIC ; PARADOX ; TRUE ; TRUTH 37 PS: GOEDEL ; STRAWSON ; TARSKI». Ph.I. «SKETCHES A THEORY OF TRUTH DESIGNED TO AVOID PARADOX WHILE MINIMIZING TRUTH VALUE GAPS. VERY TECHNICAL.». Routledge. -----, «Is there a Problem About Substitutional Quantification» dans Truth and Meaning: Essays in Semantics, G. Evans et J. McDowell, dir., Oxford, Clarendon-Press, 1976, 325419. «DE: LANGUAGE ; LOGIC ; QUANTIFICATION ; SUBSTITUTION ; TRUTH». Ph.I. DISCUSSIONS OF THE SUBSTITUTIONAL INTERPRETATION OF QUANTIFICATION AND EVALUATION OF ITS PHILOSOPHICAL SIGNIFICANCE. DIFFICULT. OFTEN TECHNICAL.», Routledge. -----, «Speaker's Reference and Semantic Reference», (1977) Midwest-Studies in Philosophy, vol. 2, p. 255-276. «ON THE POTENTIAL DIVERGENCE OF WHAT SPEAKER INTENDS TO REFER FROM TO WAHT THE SPEAKER’S WORD’S REFER TO, AND WHETHER THE WORDS ARE AMBIGUOUS. LARGELY NONTECHNICAL». Routledge. -----, «A Puzzle About Belief» dans A. Margalit, dir., Meaning and Use, Dordrecht, Reidel, 1979, p. 239-83. «DISCUSSES A VITAL PROBLEM CONCERNING THE INTERPLAY OF REFERENCE AND BELIEF. DIFFICULT, NOT VERY TECHNICAL». Routlege. -----, Naming and Necessity, Cambridge, Mass., Cambridge University Press, 1980. En français : La logique des noms propres, Pierre Jacob et François Recanati, trad., Paris, Minuit, 1982. DE: ESSENTIALISM; IDENTITY; METAPHYSICS; NAMING; NECESSITY; REFERENCE; RIGIDDESIGNATOR PS: RUSSELL. Phi.I. RECENSION : DE CET OUVRAGE :VILLANUEVA,ENRIQUE, (1980) CRITICA. vol. 17 (49) 6971. «AB: KEITH DONNELLAN HAS ARGUED THAT CERTAIN "REFERENTIAL" USES OF DEFINITE DESCRIPTIONS ARE COUNTEREXAMPLES TO A RUSSELLIAN ANALYSIS OF DEFINITE DESCRIPTIONS. THE PRESENT PAPER ARGUES THAT A DISTINCTION BETWEEN 'SPEAKER'S REFERENCE' AND 'SEMANTIC REFERENCE' SHOWS THAT THE EXISTENCE OF SUCH PHENOMENA IS COMPATIBLE WITH RUSSELL'S THEORY, OR ANOTHER UNITARY THEORY OF DESCRIPTIONS. THE PROBLEM IS USED TO ILLUSTRATE VARIOUS METHODOLOGICAL AND OTHER ISSUES IN THE PHILOSOPHY OF LANGUAGE». DE: AMBIGUITY ; DEFINITE DESCRIPTIONS; GRAMMAR ; LANGUAGE ; METHODOLOGY ; REFERENCE ; RIGID DESIGNATOR; SEMANTICS ; SPEAKER ; TRUTH CONDITION PS: DONNELLAN, K. ; RUSSELL». Ph.I. «THE KEY SOURCE FOR KRIPKE’S VIEWS ON PROPER NAMES, REFERENCE, IDENTITY, NECESSITY, ESSENTIALISM AND RELATED TOPICS. DIFFICULT BUT LARGELY NON TECHNICAL». Routledge. -----, Wittgenstein on Rules and Private Language, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1982. En français : Règles et langage privé, Thierry Marchaise, trad., Paris, Seuil, 1996. «DISCUSSES SCEPTICISM, RULE FOLLOWING AND WIGTTENSTEIN’S ‘PRIVATE LANGUAGE’ ARGUMENT. NONTECHN ICAL». Routledge. 38 -----, Review of Three Papers by Kit Fine», (1985) Journal of Symbolic Logic, vol. 50, p. 10831093. -----, «A Problem in the Theory of Reference» dans Philosophy and Culture, Venant Cauchy, dir., Montréal, Montmorency, 1988, p. 241-247. DE: EXPERT; NATURAL KINDS; REFERENCE. Phi.I. «DISCUSSES A PROBLEM ABOUT HOW PROPER NAMES REFER». Routledge. -----, «From the Church-Turing Thesis to the First-Order Algorithm Theorem» in Proceedings of the 15th Annual IEEE Symposium on Logic in Computer Science (LICS 2000). 2. Sources secondaires 2.1 Sources secondaires en français Bernier, Paul, ‘Suivre une règle’ chez Wittgenstein :un paradoxe sceptique pour Saul Kripke. / Une critique de l'interactionnisme d'Eccles / Alain Morin et James Everett, [Sainte-Foy], Groupe de recherche interdisciplinaire en épistémologie sciences humaines, Faculté de philosophie, Université Laval,1988. Engel, Pascal, Identité et référence, Paris, Pens, 1985, notamment le chapitre III, «Désignation rigide. Latraverse, François, «Contingence, identité, règles, corps, esprit, etc. : remarques à propos de ‘Identity and Necessity’ de Saul Kripke», (1986) Cahiers d’épistémologie, UQAM 8615. Laurier, Daniel, «Le paradoxe de Wittgenstein et le communautarisme», (2000) Dialogue, vol. 39, p. 263-278. «AB: THE "SCEPTICAL" SOLUTION TO THE PARADOX WHICH KRIPKE ATTRIBUTES TO WITTGENSTEIN IS SUPPOSED TO LEAD TO THE CONCLUSION THAT THERE IS A SENSE IN WHICH THOUGHT AND LANGUAGE ARE ESSENTIALLY SOCIAL PHENOMENA. IN THE FOLLOWING, I ARGUE THAT BOTH THE "SCEPTICAL" AND THE "COMMUNAUTARIAN" CHARACTER OF THIS SOLUTION CAN BE QUESTIONED, THOUGH WITHOUT HAVING TO AGREE WITH DAVIDSON, ACCORDING TO WHOM THE SOLUTION TO THIS PARADOX DOES NOT DEPEND ON ANY NOTION OF A COMMON LANGUAGE. DE: EPISTEMOLOGY; PARADOX; SCEPTICISM PS: KRIPKE» Ph.I. -----,«La Cohérence de l'irréalisme sémantique (1998) Manuscrito: Revista Internacional de Filosofía, vol. 21, p. 91-111. «AB: LE SCEPTIQUE DE KRIPKENSTEIN PRÉTEND QU'IL N'Y A PAS DE FAITS DE SIGNIFICATION, OU PLUS EXACTEMENT QU'IL N'Y A PAS DE FAIT EN VERTU DUQUEL ON PUISSE DIRE QU'UN LOCUTEUR ATTACHE TELLE OU TELLE SIGNIFICATION A UNE EXPRESSION LINGUISTIQUE DONNEE (OU QU'UNE EXPRESSION SIGNIFIE TELLE OU TELLE CHOSE POUR UN LOCUTEUR DONÉE, A UN MOMENT DONNE). J'ACCEPTE LA CONCLUSION DE KRIPKENSTEIN SELON LAQUELLE TOUTE SOLUTION AU PARADOXE SCEPTIQUE DOIT REPOSER SUR LA CONCESSION QU'IL N'Y A PAS DE FAITS SÉMANTIQUES, ET PAR CONSÉQUENT CONSTITUER UNE "SOLUTION SCEPTIQUE", ET ENTREPRENDS DE DEFENDRE LA COHÉRENCE DE LA THÈSE SCEPTIQUE CONTRE CERTAINES OBJECTIONS DE PAUL BOGHOSSIAN. DE: FACT; LANGUAGE; SCEPTIC; SEMANTICS. PS: BOGHOSSIAN, P.; KRIPKE, S.» PH.I. 39 Pinkas, Daniel, «Suivre une règle: Wittgenstein et les sciences cognitives», (1995) Revue de Théologie et de Philosophie, vol. 127, p.125. «AB: LES SCIENCES COGNITIVES DEVRAIENT-ELLES TENIR COMPTE DES REMARQUES DE WITTGENSTEIN SUR LA NOTION DE RÈGLE ? J'ABORDE CETTE QUESTION PAR LE BIAIS D'UN EXAMEN DU PARADOXE SCEPTIQUE QUE KRIPKE ATTRIBUE A WITTGENSTEIN. LES PRINCIPALES SOLUTIONS A CE PARADOXE SONT PASSÉES EN REVUE ET CRTIQUÉES. UNE ATTENTION PARTICULIÈRE EST ACCORDÉE AUX SOLUTIONS DE TYPE TÉLÉOLOGIQUE ET COMPUTATIONNALISTE QUE L'ON PEUT TIRER DE POSTULATS EN VIGUEUR DANS LES SCIENCES COGNITIVES. APRÈS AVOIR CONTESTÉ L'INTERPRÉTATION DE KRIPKE, JE M'EFFORCE DE CARACTÉRISER LA CONCEPTION DE LA «FORCE DE LA RÈGLE» QUE WITTGENSTEIN PROPOSE. CETTE CONCEPTION A DES CONSEQUENCES ANTITHÉORIQUES». DE: COGNITIVE SCIENCE ; EPISTEMOLOGY. PS: KRIPKE, S.; WITTGENSTEIN».» Ph..I. Robert, Serge, Les mécanismes de la découverte scientifique, Presses de l’Université d’Ottawa., 1993. «DE: DISCOVERY; JUSTIFICATION; SCIENCE; SCIENTIFIC METHOD : CARNAP; FREGE; KRIPKE, S. KUHN, T. ; LAKATOS, I.; POPPER; QUINE». Ph.I. Rossi, Jean Gérard, «Kripke : sémantique formelle et ontologie» dans La Philosophie analytique, 2e éd., Paris, PUF, 1993, chap. III, p. 111-122. Sauve, Denis, «Wittgenstein, Kripke et le paradoxe des règles» (I) (1993) Philosophiques vol. 20, p. 25-46. «AB: KRIPKE'S EXPOSITION OF SEMANTIC SCEPTICISM IN "WITTGENSTEIN ON RULES AND PRIVATE LANGUAGE" IS WIDELY REGARDED AS AN INTERESTING AND STIMULATING PIECE OF PHILOSOPHICAL ARGUMENTATION, THOUGH NOT AS A PLAUSIBLE EXEGESIS OF WITTGENSTEIN'S OWN VIEWS IN THE "PHILOSOPHICAL INVESTIGATIONS". THE AIM OF THIS PAPER IS TO SHOW ON THE CONTRARY THAT KRIPKE GIVES A CORRECT READING OF AT LEAST SOME OF WITTGENSTEIN'S MOST IMPORTANT VIEWS ON "RULE FOLLOWING" IN THE "INVESTIGATIONS". DE: LANGUAGE; SCEPTICISM PS: KRIPKE,S. ; WITTGENSTEIN». Ph.I. Seymour, Michel, «Les énoncés de croyance et l’énigme de Kripke», (1986) Cahiers d’épistémologie, UQAM, 8615. 2.2 Sources secondaires en anglais Boghossian, P., «The Rule Following Considerations» (1984) Mind 98, p. 507-549. Branch, T., «New Frontiers in American Philosophy» (1977) The New York Times Magazine, 14 août. Porte sur les premiers travaux de Kripke. Routledge. Coates, P., «Kripke’s Sceptical Paradox : Normativeness and Meaning», (1986) Mind vol. 95, p. 77-80. Goldfarb, W., «Kripke on Wigttenstein on Rules», (1985) The Journal of Philosophy, vol. 82, p. 471-488. Humphreys, Paul W., et James H. Fetzer, dir., The New Theory of Reference - Kripke, Marcus, and Its Origins, Boston, Kluwer, 1998. 40 . McGinn, Colin, Wittgenstein on Meaning an Interpretation and Evaluation, Oxford, Blackwell, 1984. Marcus, R.B., Modalities, N. York, Oxford University Press, 1993. Collection d’essais sur la logique modale et d’autres sujets. Les essais 1, 14 et l’annexe 1 a sont particulièrement intéressants. Routledge. Neale, Stephen, «No plagiarism here : The Originality of Saul Kripke» recension de Fetzer et Humphreys (2001) Times Literary Supplement, 5106, 9 février, p. 12-13. Plantinga, A., The Nature of Necessity, Oxford, Oxford University Press, 1974. Porte sur les mondes possibles et une théorie de la modalité. Routledge. Preti, Consuelo, On Kripke, Toronto, Wadsworth, 2001. -----, «Normativity and Meaning: Kripke's Skeptical Paradox Reconsidered», (2002) Philosophical-Forum, vol. 33, p. 39-62 «DE: EPISTEMOLOGY ; KNOWLEDGE MEANING ; NORMATIVITY ; PARADOX ; SCEPTICISM». Ph.I. Putnam, Hilary, «Nonstandard Models and Kripke's Proof of the Godel Theorem», (2000) Notre Dame Journal of Formal Logic, vol. 41, p. 53-58. «AB: THIS LECTURE, GIVEN AT BEIJING UNIVERSITY IN 1984, PRESENTS A REMARKABLE (PREVIOUSLY UNPUBLISHED) PROOF OF THE GODEL INCOMPLETENESS THEOREM DUE TO KRIPKE. THE PROOF EXHIBITS A STATEMENT OF NUMBER THEORY ONE WHICH IS NOT AT ALL "SELF REFERRING" AND CONSTRUCTS TWO MODELS, IN ONE OF WHICH IT IS TRUE AND IN THE OTHER OF WHICH IT IS FALSE, THEREBY ESTABLISHING "UNDECIDABILITY" (INDEPENDENCE). (EDITED). DE: ALGEBRA : INCOMPLETENESS; LOGIC; NONSTANDARD MODELS. PS: KRIPKE, S.». Phi.I. Soames, Scott, Beyond Rigidity: The Unfinished Semantic Agenda of Naming and Necessity, Oxford University Press, 2002. Wright, Crispin, «Kripkes account of the Argument Against Private Language» (1984) Journal of Philosophy, vol. 81, p 759-758. Wittgenstein, Ludwig, Tractatus logico-philosophique suivi de Investigations philosophiques, Pierre Klossowski, trad., Bertrand Russell, «Introduction», Paris, Gallimard, 1998. Zalabardo, Jose L., «Kripke’s Normativity Argument» (1997) Canadian Journal of Philosophy, vol . 27, 467-488. 41 Quatrième partie : Liste de liens pertinents 1. http://directory.google.com/Top/Society/Philosophy/Philosophers/K/Kripke,_Saul 2. http://www.excite.co.uk/directory/Society/Philosophy/Philosophers/Kripke,_Saul 3. http://yahoo.com/Arts/Humanities/Philosophy/Philosophers/Kripke_Saul 4. http://dmoz.org/Society/Philosophy/Philosophers/Kripke,_Saul 5. http://www.epistemelinks.com/Main/Philosophers.aspx?PhilCode=Krip 6. http://plato.stanford.edu/entries/private-language 7. http://krypton.mankato.msus.edu/~witt/ ou http://krypton.mankato.msus.edu/~witt/ 42