Philosophie pour les curieux

publicité
Sarai DAVID
Philosophie
pour les curieux
2
2
2
Introduction
Quel métier plus noble que l’enseignement ?
Malheureusement, la philosophie n’est pas très
appréciée. On la juge désuète, sans intérêt, sans aucun
débouché professionnel. Je me suis moi-même
heurtée à de nombreuses idées reçues. Et pourtant,
cette discipline est extrêmement riche. Non, elle ne se
résume pas à la métaphysique. En revanche, la
métaphysique est une partie essentielle de la
philosophie.
Qu’est-ce que la philosophie ? Comment l’aborder,
la comprendre dans toute sa profondeur, sa diversité,
sa richesse ? On a l’habitude d’expliquer la
philosophie par son étymologie : philo sophia =
amour de la sagesse. Qu’est-ce que la sagesse ? Et
qu’est-ce que l’amour, également ? L’amour n’est pas
un thème souvent étudié. Alors je me suis dit :
« pourquoi ne pas choisir l’amour comme thème
central de la philosophie ? » Est philosophe celui qui
Aime.
Ce petit manuel n’a aucune prétention particulière
si ce n’est de donner éventuellement envie à de jeunes
gens de s’intéresser à la philosophie et de mettre leurs
2
3
préjugés de côté. Pour ce faire, j’ai écrit seize textes
sur des sujets différents :
1e partie
• Autonomie et individualité
• L’hypostase
• Le sentiment de respect dans La critique de la
raison pratique
• La philosophe en papier mâché
• Etre et temps, Heidegger
• Faut-il penser l’état comme un individu ?
• Le temps chez Platon
• Humanisme et libéralisme
• Humanisme (bonus)
• A la recherche de l’Autre
2e partie
• « L’archéologie du savoir »
• Théorie de l’évolution et responsabilité, une
philosophie de la Vie
• Evolutionnisme : Leroi-Gourhan et Alfredo
Zenoni
• « La vision Biblique de la crise environnementale » : qu’en dit le Judaïsme ?
• Sénèque : De la constance du sage
• L’éco-féminisme
Chacun à leur manière, ces textes contribuent à
engager la philosophie sur un chemin résolument
contemporain. Comment saisir l’intérêt d’une matière
si on ne l’aborde pas sous un angle moderne ? Bien
4
2
entendu, les références ne sont pas toutes
d’aujourd’hui ; mais les problématiques, si, dans la
mesure où aimer la sagesse revient à aimer l’autre
dans ses différences et ses ressemblances. Le dernier
texte proposé est un court essai qui résume en
quelque sorte les textes précédents. J’ai voulu montrer
que l’Amour est finalement au cœur de
l’appréhension philosophique des choses. D’une
certaine façon, la philosophie académique rejoint la
philosophie de vie. Lorsqu’on désire découvrir des
lectures philosophiques, c’est avant tout par son
questionnement individuel, son vécu.
Quant à La philosophe en papier mâché, il s’agit
d’une fiction visant à montrer le caractère avant tout
Humain de la philosophie. La philosophie de vie n’est
en rien inférieure à la grande, la majestueuse, la
souveraine Philosophie académique : elle est juste
différente, mais tout aussi rationnelle et utile.
Lycéens, étudiants ou tout simplement curieux, cet
ouvrage a pour but de montrer que l’analyse
philosophique n’est pas dénuée d’intérêt. La
philosophie n’est pas aussi dogmatique qu’elle y
paraît ; elle demande certes de la rigueur, mais si on
n’apprend pas à l’aimer… comment pourrait-on
comprendre ce qu’elle veut nous dire ? C’est comme
pour autrui. L’humanisme, la religion, le respect,
l’individualité, le vécu… la philosophie nous parle,
écoutons-là.
La seconde partie de cet ouvrage aborde des sujets
méconnus, tels que l’éco-féminisme, le rapport entre
l’écologie et la religion, le vivant comme concept
philosophique… Nous y abordons des thèmes aussi
contemporains que l’évolutionnisme ou le féminisme,
à la lumière de textes oubliés.
2
5
L’enjeu de cet ouvrage d’inciter à l’esprit critique
et à la tolérance en abordant des sujets très divers.
Loin de moi l’idée d’être péremptoire dans ces écrits,
je souhaite au contraire contribuer à la diffusion du
savoir philosophique dans le but de stimuler la
réflexion sur ce qui nous entoure. « Penser par soimême », tel pourrait être le résumé de ce livre.
La philosophie est un tremplin pour développer sa
culture générale et son esprit critique : elle est là, à
portée de main, saisissons-là.
6
2
1re partie
2
7
8
2
Autonomie et individualité
Nous disons d’un individu qu’il est libre, à partir
du moment où il n’est pas contraint par des règles,
c’est-à-dire lorsqu’il en est indépendant. Cependant,
aborder le thème de l’autonomie se révèle bien plus
complexe, puisque nous ne pouvons saisir le sens de
cette notion que relativement à celle de
l’individualité. Pour les modernes, la liberté de
mœurs, d’expression et de pensée est essentielle.
Mais l’autonomie, en tant que principe, ne peut se
concevoir sans avoir acquis auparavant une bonne
connaissance de ce qu’est l’individualité, et par là
même de la notion d’individu, laquelle suppose de
savoir en quoi consiste une personne.
Concilier l’autonomie et l’individualité revient,
d’une part à comprendre comment la notion
d’individu est née dès le Moyen-âge européen ;
d’autre part à saisir en quoi il existe en un rapport
entre le mécanisme social de l’individualité et celui
du principe d’autonomie d’un point de vue politique.
De prime abord, nous serions tentés de concilier
d’emblée les notions d’autonomie et d’individualité
comme allant de soi, toutefois ce lien nous paraît
2
9
évident uniquement en tant que moderne ; or, un
principe évident a une histoire. C’est la raison pour
laquelle, dans cette étude, nous tenterons, certes, de
concilier les notions susmentionnées de manière à
mettre en lumière leur rapport philosophique, mais
surtout de comprendre comment la pensée sur
l’individu est survenue de façon à être associée à celle
d’autonomie et de liberté. Nous nous concentrerons
sur un aspect de l’individualité en tant que mécanisme
historico-social, amenant à s’interroger de la manière
suivante : comment comprendre le rapport entre
l’autonomie en tant que principe individuel, et
l’individualité comme appartenance à un groupe
social ? Ces deux notions sont-elles contradictoires ?
Y apporter quelques éléments de réponse ne peut se
réaliser sans examiner tout d’abord la conception
historique de l’individu. En effet, des historiens se
sont penchés sur le caractère individuel des individus
au Moyen Âge, période pendant laquelle se dessine le
profil de la personne. C’est à partir de cette
explicitation historique que nous pouvons aborder le
rapport entre l’individu et l’autonomie dans la pensée,
selon la conception cartésienne du Moi ; ce qui nous
amène enfin à une vision politique du Moi en tant que
citoyen. Le principe d’autonomie est au cœur de la
compréhension de l’individu comme Ego, ce qui
permet par la suite d’établir, selon le schéma
historique de l’individualité, un rapport logique entre
reconnaissance de l’individu au sein d’une société et
autonomie politique.
Comment concevoir l’individualité ? Tout d’abord,
par une approche historique. Lorsque nous examinons
l’œuvre picturale intitulée « Jardin des délices »
représentant les nonnes du monastère de Honenburg
10
2
et l’abbesse Herrade de Landsberg au XIIe siècle,
l’élément le plus frappant pour un esprit moderne
consiste à remarquer l’absence de traits singuliers sur
le visage des nonnes. Celles-ci ne se distinguent pas
les unes des autres, dans la mesure où leur
individualité n’est en rien physique. En effet, la
caractéristique des nonnes consiste à faire fi de la
particularité physique afin de se donner entièrement à
Dieu : le Moi est intérieur. Le problème de l’individu
se fonde essentiellement sur le problème de la nature
humaine, c’est-à-dire l’anthropologie. Un historien ne
peut saisir l’individualité dans les manuscrits ou les
tableaux datant du Moyen-âge qu’à partir du moment
où il reconstruit, par des hypothèses, les champs de
connaissance dans lesquels s’est développée la pensée
des gens à cette époque. Il s’agit là de l’histoire des
mentalités. C’est en ce sens que comprendre la notion
d’individualité revient à reconstruire la société telle
qu’elle était au Moyen Âge, car la personnalité
individuelle n’étant pas clairement mise en avant, les
quelques témoignages, notamment dans les textes,
relatent une mentalité indissociable de la société. Il
n’y a pas, comme aujourd’hui, une psychologie
individuelle mais une pensée relative à la vie
collective. C’est pourquoi comprendre la notion
d’individualité ne peut se faire que dans un contexte
général, social. Mais en ce cas, comment est
intervenue la notion de personne ?
Le problème de l’individualité implique celui de la
personne dans la mesure où l’individualité est la
manifestation de l’originalité ainsi que l’intégralité de
la personne. Une personne est un individu humain,
tandis que l’individualité consiste en un mécanisme
historico-social, c’est-à-dire les groupes sociaux
2
11
auxquels appartiennent les individus au Moyen Âge.
L’individualité
peut
également
s’appeler
« mécanisme d’individualisation ». Or, la personne
est impliquée dans des conditions socio-historiques
particulières. La connaissance d’un individu suppose
la connaissance du groupe social auquel il appartient.
Etudier une personne, c’est rendre compte des mœurs
de son époque. Au Moyen Âge existent des
microgroupes : la famille, la paroisse, la seigneurie, le
domaine féodal… etc. C’est ainsi que l’individu
trouve sa place dans la société : il intègre en sa
conscience un système de valeurs sociales qui guide
sa conduite en société. De fait, comme le mentionne
A.J Gourevitch dans son ouvrage intitulé
La naissance de l’individu dans l’Europe médiévale,
« l’individu est initié à la culture en assimilant ces
valeurs, et cette assimilation fait de l’individu une
personne ». Il s’agit là d’une institutionnalisation de
l’individu, notamment dans le cadre de la religion
chrétienne, dont l’acte le plus marquant est le
baptême. En effet, il signe l’entrée de l’individu dans
une communauté. Au sens Européen, la personne
signifie l’essence de la personne humaine, mais au vu
de l’héritage gréco-romain, la persona était avant tout
un masque de théâtre ; ce qui semble à première vue
opposée au sens que nous lui donnons aujourd’hui.
C’était un symbole, mais surtout une fonction sociale
assignée par la société au sein du théâtre. Il n’y avait
là aucune psychologie, de fait l’identité de la
personne était préétablie par des rapports extérieurs et
en rien révélatrice d’une expérience personnelle ou
d’une subjectivité. La personne se différenciait de la
personnalité, à l’exception de Saint Augustin qui
tenta d’approfondir le Moi en tant que « substance
12
2
dotée de conscience et volonté, d’une personne douée
de raison et d’émotions ». Cet auteur amène un
caractère intime à la personne, non comme un journal
personnel mais comme un témoignage religieux
interprété en dehors des schémas classiques de pensée
moyenâgeuse. C’est ce dont témoignent ses
Confessions. En effet, la confession est, comme nous
l’avons mentionné précédemment, un témoignage sur
la personne. Peut-on, en ce cas, affirmer qu’il y a
conscience de soi ?
Avant de nous pencher sur la conception
cartésienne du Moi, il serait pertinent de comprendre
le rôle de l’art au Moyen Âge. Effectivement, la
création artistique manifestait la volonté de
s’affirmer. Les autoportraits, lesquels rompent avec la
tradition d’anonymat, dont celui du moine Hugo qui
se représente au travail dans une miniature ornant le
manuscrit de Saint Jérôme, à la fin du XIe siècle. Ou
encore, l’ouvrage de Saint Augustin La cité de Dieu
sur lequel le copiste Hildebertus a peint le théologien
détourné de son travail par la présence d’un rat : la
scène représente le juron lancé à l’intention de
l’animal. Le créateur manifeste de cette manière son
désir d’immortaliser une personne, bien que les
œuvres ne clarifient pas le système de valeurs du
représenté. Quant aux œuvres littéraires, elles sont
elles aussi des témoignages de la conscience du soi.
Grégoire de Tours, au VIe siècle, rend compte dans
ses écrits de la fierté ressentie à l’égard du travail
accompli. Ces exemples montrent bien le conflit entre
la tradition de l’anonymat et le désir de certains
artistes de laisser une trace d’eux-mêmes. Il existe
une ambition, que malheureusement les moyens de
l’époque limitent car le noyau personnel reste confiné
2
13
dans la tradition, de manière à ce que « le caractère
unique de la personne, son originalité étaient perçus
comme une faute, une anomalie dont il fallait se
repentir, même si l’auteur en tirait secrètement
fierté. » L’exemple caractéristique du rapport
entretenu avec la tradition consiste en la saga sur la
personne du roi norvégien Sverrir. La fin de l’ouvrage
ne peut être jugée d’objective sur le monarque car il
n’y a là aucun trait négatif, aucun méfait, aucun
échec. L’auteur de l’ouvrage dépeint un type, non un
être vivant, dans la mesure où Sverrir est décrit
comme un héros ou u chef de guerre. Le souverain est
idéal : intelligent, d’humeur égale, de manières
excellentes… etc. Cette saga relève de la conception
particulière du moi au Moyen Âge. En effet, d’une
part le Moi s’exprime après avoir pris conscience de
son caractère exceptionnel ; d’autre part le Moi
cherche à couler son individualité dans des
prototypes, des systèmes de comparaison. La saga
relatant les exploits du roi norvégien donne à penser
sur les deux principes régissant cette période : le
principe clanique et le principe individuel. La
conscience de soi était présente, mais enclavée dans
un respect inconditionnel des valeurs traditionnelles.
Ainsi, nous constatons qu’il n’existe pas
d’évolution linéaire de l’individu. Comprendre la
notion d’individu ne peut se concevoir sans une
compréhension préalable de celle de la personne,
laquelle repose sur celle de l’individualité.
L’appartenance à un groupe social se révèle
primordial pour saisir en quoi la conscience de soi
apparaît discrètement dans certaines œuvres
artistiques. L’initiative individuelle se développe au
Moyen-âge, mais reste tout de même confinée à une
14
2
tradition prédominante. Cette époque est l’héritière de
la basse antiquité, laquelle ne donnait à la persona
qu’un sens collectif. En ce cas, pouvons-nous
affirmer que le Moi cartésien consiste en une rupture
avec la tradition moyenâgeuse ? Nous tenterons de
comprendre en quoi le cogito de Descartes a permis
une exploration détaillée et rigoureuse de la pensée,
développant de fait la caractéristique explicative de
l’esprit dans une époque où régnait le dogmatisme.
L’autonomie, caractéristique de la pensée
moderne, est en recherche d’un « soi-même » en vue
d’exprimer les exigences de la liberté. Il y a la
volonté de s’arracher d’un tout, cette volonté relevant
d’un dynamisme de l’esprit et de l’individu en
discourant et émettant son jugement ainsi qu’en
reconnaissance la relativité de son expérience. Il
s’agit du champ de la responsabilité. Nous avons vu
dans la première partie l’importance de la confession
au Moyen Âge. Au XVIIe siècle, la confession est
substituée par l’autobiographie. En effet, Le discours
de la méthode de Descartes débute par un récit
autobiographique abordant le problème des valeurs
sociales : la conscience de l’action sociale se réalise
grâce à l’essence collective de la responsabilité.
L’autonomie en son sens cartésien consiste en une
liberté acquise eu égard au système socialisé de
valeurs, lequel est à soi-même une garantie de
conformisme. C’est en ce sens que l’autonomie chez
ce philosophe est l’esprit qui ne peut entièrement se
reconnaître dans ce qui activement crée en toute
liberté. Cela signifie que le conformisme est un
système de valeurs établi par les institutions humaines
mais que la pensée se révèle, à titre individuel,
passive. En effet, la valeur devient une institution où
2
15
la pensée est simple reproduction. Descartes, dans Le
discours de la méthode, est étonnamment libre des
préjugés de son époque. Il redonne à la pensée sa
force explicative, pendant une période dogmatique.
En ce cas, en quoi le cogito cartésien est-il un
principe d’autonomie ?
Pour Descartes, la science la plus stable est les
mathématiques car c’est le domaine où la pensée peut
s’exercer librement. En effet, il y a acquisition d’une
structure propre en vue de la recherche du vrai. C’est
en ce sens que l’autonomie signifie l’action
rationnelle du sujet historique en son monde. D’où
l’importance, nous l’avons analysé précédemment, de
la compréhension de l’individu dans son contexte
socio-historique. La condition nécessaire à
l’autonomie d’un esprit consiste en la clarté et la
distinction. Ici, nous cherchons à comprendre
l’autonomie de la pensée dans la mesure où le cogito
cartésien a amené à une structure claire et distincte de
l’esprit : les mathématiques supposent l’acte
immanent de la raison pour en fonder l’autonomie
constitutive. De fait, nous comprenons que la science
mathématique est la plus fiable, car elle est le reflet
d’un raisonnement libre d’un système de valeurs
socialisé. Il s’agit là d’une autonomie « en
puissance », bien plus qu’« en acte » dans la mesure
où il n’y a pas encore d’autonomie morale impliquant
une liberté politique. Fonder une autonomie
constitutive de la pensée ne peut se faire que grâce à
l’évidence. Il s’agit du rôle du cogito. Ici s’élabore
l’aube de la philosophie de l’action, étant donné que
l’œuvre susmentionnée de Descartes pose le problème
des valeurs sociales en tant que le rôle de la
philosophie consiste à mettre en valeur la nature
16
2
humaine pour agir dans le monde moral. Mais cela
n’est possible qu’après avoir reconnu les lois, dont le
but est de saisir le lien avec la pensée de l’action
sociale.
Le cogito intervient après la constatation selon
laquelle l’esprit est manipulable. En effet, « il ne
maîtrise pas la source des idées qu’il produit ».
L’esprit ne sait pas de lui-même, par exemple,
différencier l’éveil du rêve. De fait, Descartes va
soumettre à la méthode radicale du doute tout ce qui
est susceptible de ne pas être certain, qu’il s’agisse
des expériences sensibles ou des pensées. Son but ?
Découvrir l’essence de la philosophie véritable.
Cependant, le cogito ne signifie pas la libération de
l’esprit, étant donné que la conscience attend une
explication générée par l’autorité de l’évidence. La
seule évidence consiste en l’ego, laquelle est pour
Descartes la seule réalité absolue et indubitable. Ainsi
le moi réalise un mode de philosopher solipsiste.
C’est dans sa subjectivité pure qu’il retrouve une
extériorité objective. Le rôle de la philosophie (en
tant que philosophie véritable) est de mener à une
science autonome, en tant qu’elle est le fondement
universel des autres sciences. L’ego est la seule chose
sur laquelle le doute est impossible, car penser est un
acte. Ne pas douter que l’on doute revient à ne pas
douter d’agir. Le moi comme action finie de la
conscience est à l’origine de l’autonomie.
L’expression « cogito, ergo sum » signifie l’action
rationnelle comme base de l’expérience rationnelle.
Comprendre le principe d’autonomie en un sens
cartésien permet de mieux saisir la pensée moderne. Il
peut s’agir d’une rupture dans la mesure où la
structure de pensée qu’a développée Descartes contre
2
17
une époque dogmatique a donné naissance à des
critiques constructives, notamment celle de la
phénoménologie transcendantale, par Husserl. Mais la
pensée moderne surtout met en lumière le moi en tant
que membre actif de la société, d’où le rôle majeur de
la citoyenneté.
Ainsi, cette partie transitoire nous a permis
d’éclairer la notion d’individualité dans la mesure où,
après avoir compris la notion même de personne
comme fondement de l’individu, Descartes, grâce à sa
méthode du doute, met en avant l’évidence comme
principe fondamental de l’ego. Le principe
d’autonomie se comprend en tant que méthode de
raisonnement. Raisonner de manière à connaître le
Vrai revient à utiliser le moi comme élément le plus
fiable. En effet, le moi consiste en la conscience de
son propre acte. Car penser n’a de sens qu’en relation
avec l’agir, d’où l’importance de l’individualité de
manière à comprendre une action en son contexte.
C’est ce pour quoi nous nous apprêtons à aborder
l’autonomie dans un cadre politique. En l’occurrence,
l’Occident connait une crise de la rationalité, dans la
mesure où il y a retrait de la conscience collective
face au discours relatif de l’autoproduction dans la
société moderne. Ce qui, peut être, caractérise le
mieux une société moderne est son engagement
politique. En ce cas, comment comprendre la crise de
la rationalité moderne ? Notre étude ayant pour but de
saisir le rapport entre le principe d’autonomie et
l’individualité, nous tenterons enfin de mettre en
lumière le rôle de la politique dans le déploiement de
la personnalité au sein de la société ainsi que dans la
sphère de l’action sociale et morale.
18
2
Nous ne pouvons saisir le sens de l’action sociale
sans celle d’organisation sociale. De plus,
comprendre la notion d’autonomie ne peut se
concevoir sans comprendre la philosophie de
l’autonomie. En posant le problème des valeurs
sociales, Descartes a permis d’entrevoir une pensée
politique moderne. Effectivement, un individu agit en
société, son action ayant un sens relativement à autrui
selon l’usage à bon escient de sa liberté. Les échanges
entre les êtres humains mèneraient à du mouvement,
lequel se rapporte à un but social. De ce point de vue,
la finalité humaine est essentiellement sociale.
Analyser le rapport entre l’autonomie et
l’individualité mène logiquement à la politique, parce
que la société moderne, surtout au XVIIIe siècle,
montre l’homme comme un être raisonnable capable
de penser, de critiquer et de décider. C’est en ce sens
que la décision politique importe. La politique serait
le lieu de convergence des pouvoirs moraux
individuels. C’est ce que défend Locke : il définit le
domaine politique à partir d’une morale du pouvoir,
d’où la naissance de la philosophie du droit. Selon ce
philosophe, la politique n’a pas pour but de gérer les
inégalités sociales mais faire en sorte que l’état de
nature devienne état de droit. La politique serait le
prolongement d’une philosophie entrepris pour
parachever une morale. C’est dans ce contexte que
nous pouvons mieux saisir l’importance que revêt
l’individualité dans la philosophie de l’autonomie.
Cela signifie-t-il un droit à la personnalité ?
Il s’agit plutôt d’un droit à l’originalité. Nous
avons vu plus haut que l’individualité prenait
naissance au Moyen Âge, en tant qu’appartenance à
un groupe social. L’individu était donc compris, à
2
19
cette époque, en un sens socio-historique. Avec la
pensée moderne, notamment celle de Rousseau,
s’instaure un mouvement sociopolitique en opposant
l’homme intérieur et extérieur ; autrement dit, il s’agit
de concilier les artefacts de la vie sociale avec la
personnalité de chacun. Rousseau dénonce
l’hypocrisie du système social comme perte de soi.
Or, la société est l’affirmation de la liberté.
L’autonomie, de prime abord, peut se comprendre en
tant que liberté dans la mesure où elle serait une
absence de règles visant à épanouir l’individualité de
chacun. Or, si l’individu ne s’accomplit qu’en rapport
avec le temps, la compréhension de l’autonomie
comme mouvement sociopolitique est cohérent. En
effet, « la liberté est l’instrument du progrès (…) qui
transforme la nature humaine elle-même ». Il s’agit là
de la perfectibilité, cette faculté propre à l’homme qui
permet une amélioration de l’espèce humaine. Cela
est possible grâce à la liberté, laquelle est cependant à
double-tranchant : en effet, elle peut rendre grâce à
l’espèce humaine autant qu’elle peut se dénaturer en
provoquant de la violence en société. Autrement dit,
la liberté peut autant générer un état civil qu’un retour
à l’état de nature si elle est mal utilisée. Rousseau
dénonce le paraître en société ; elle ne combat que des
images et ne discoure que sur des mensonges. Le seul
moyen de progresser dans les relations sociales
consiste à mettre en avant l’être plutôt que
l’apparence. L’être-social porte en lui la faiblesse de
l’amour-propre. Afin d’éviter un retour à l’état de
nature où les individus seraient seulement gouvernés
par leurs passions, un Droit doit s’instaurer pour
reconnaitre une souveraineté de tous, une égalité. La
philosophie rousseauiste consiste à découvrir la
20
2
Téléchargement