ONCOLOGIE I Plaidoyer pour une nouveIle stratégie du cancer Dr. A. CLARYSSE, Chef de Service d'Oncologie Médicale A.Z. St.-Jan - Brugge. Dans le domaine du diagnostic et du traitement du cancer de nombreuses acquisitions ont été faites ces dernières années. Néanmoins, par expérience personnelle, nous sommes convaincus du fait que tout au plus un tiers des cancéreux bénéficie d'un traitement optimal. Les 2/3 restants ne jouissent pas pleinement du progrès réalisé dans le traitement du cancer. Rien ne nous permet de prévoir une amélioration de cet état de choses, sauf si l'attitude envers le cancer est changée radicalement ainsi que l'organisation des soins de santé. But du traitement du cancer L'idéal serait de prévenir autant que possible le cancer , sinon de le dépister précocément. Le but principal est encore toujours à I'heure actuelle de viser à guérir un nombre maximal de malades en optimalisant les modalités thérapeutiques dont nous disposons. Chez les patients incurables, parce que leur maladie a atteint un stade trop avancé, il faut veiller à leur fournir un traitement palliatif et une prise en charge de leurs problèmes psychosociaux. En même temps la formation de médecins en cancérologie et de paramédicaux, doit être assurée, ainsi que la recherche scientifique. Des données statistiques doivent être recueillies (enregistrement de cas bien documentés, observations épidémiologiques et démographiques). Enfin, d'une façon ou d'une autre, tout ce système doit être financé. Dans notre pays, le « Conseil Supérieur du Cancer » a pour tàche de conseiller le Ministère de la Santé Publique dans les décisions qu'il doit prendre dans la lutte contre le cancer. Malheureusement, depuis deux ans ce conseil est dépourvu de président. Son röle est uniquement consultatif et quelques propositions importantes sont restées sans suite dans le tiroir de I'un ou l'autre ministère. Aperçu historique Jusqu'à la fin du siècle dernier, la chirurgie constituait le seul moyen thérapeutique, encore réservé à certains cancers bien localisés. Au tournant du siècle, les propriétés antitumorales des radiations ionisantes ont été découvertes. Ceci constitua un progrès réel: même si leur application était, elle aussi, réservée surtout à des tumeurs circonscrites, certaines formes inopérables (par extension locale avancée) purent en bénéficier. C'est ainsi que, progressivement, le can- cer devint le domaine commun des chirurgiens et des radiothérapeutes. Pendant la seconde guerre mondiale, les médicaments anticancéreux (chimiothérapie) virent le jour. C'était la première fois qu'il devenait possible de traiter des cancers mérastasés. Très rapidement, les Etats-Unis virent là un progrès important à exploiter. En 1971 I'Oncologie Médicale fut reconnue en tant que sousspécialité de la médecine interne. Très rapidement il en résulta une collaboration fructueuse entre trois disciplines (la chirurgie, la radiothérapie et la chimiothérapie) et une approche pluridisciplinaire du cancer. La lutte contre le cancer devint affaire de spécialistes. Tandis que la chirurgie et la radiorhérapie ont déjà atteint leur apogée, à quelques raffinements techniques près, la chimiothérapie en est toujours à ses débuts. C'est la branche de la médecine qui connaît I'évolution la plus rapide. Dans notre pays, les radiothérapeutes ressentirent le développement de la chimiothérapie comme une menace pesant sur leur monopole des droits acquis. Certains internistes et spécialistes d'organes se sont même opposés à son déploiement. Le seul résultat fut d'empêcher I'épanouissement de I'oncologie médicale, qui n'est pas reconnue en tant que spécialité et qui n'est pas remboursée par l'l.N..A.M.l. En règle générale, les traitements chimiothérapiques sont prescrits par des médecins sans formation spéciale: leur source d'information est constituée par les documents fournis par les délégués pharmaceutiques, dont le but essentiel est de vendre leurs produits ... L' essor du traitement du cancer a donc été abandonné surtout au hasard. II en résulte un fossé inacceptable et tragique entre diverses façons de traiter les cancéreux et ce qu'il y aurait lieu de faire. Qui traite les cancéreux dans notre pays ? En premier lieu ce sont les cancérologues, c'est-à-dire, un petit nombre d'internistes oncologues et de radiothérapeutes, les seuls à avoir bénéficié d'une formation en cancérologie. Ensuite, nous trouvons des « spécialistes d'organes », qui s'occupent exclusivement d'un organe précis p.e. pneumologues, urologues, gynécologues, etc. Dans le cadre de leur spécialité ils rencontrent des tumeurs malignes de I'organe en question. C'est chez eux que très souvent les patients se présentent avec leurs plaintes. lls posent le diagnostic et sont précieux dans I'établissement du stade clinique. Les spécialistes d'organes des disciplines chirurgicales (urologie, gynécologie, chirurgie thoracique) sont souvent indispensables pour le traitement local du cancer concerné. Les spécialistes d'organes n'ont généralement pas eu une formation en cancérologie et il n'est pas inutile qu'ils consultent le cancérologue spécialisé quant aux modalités globales du traitement. Les chirurgiens généraux et les internistes généraux traitent des cancéreux dans leur clientèle variée. Beaucoup d'interventions chirurgicales pour cancer sont réalisées par des chirurgiens généraux. La plupart des médecins généraJistes ne traitent pas eux-mêmes leurs malades atteints de cancer, si ce n'est après avoir consulté un spécialiste. Ce qui n'empêche qu'il ne faut pas sous-estimer le röle du généraliste dans le dépistage, le diagnostic et le traitement du cancer. II peut exercer une influence déterminante sur l'évolution de la maladie par un diagnostic précoce et par le choix d'un spécialiste du cancer ou un centre compétent. Enfin, un nombre croissant de cancéreux aboutissent chez des charlatans qui n'hésitent pas d'exploiter Ie désespoir des malades en leur administrant des traitements inefficaces. 2 3 Oncologie Ou traite-t-on les cancéreux ? Très souvent c'est le hasard qui détermine la réponse ou encore les préférences du médecin-traitant ou du patient. En Belgique, iJ n'existe qu'un seul centre qui s'occupe excIusivement du traitement des cancéreux et de la recherche. Cest l'Institut J. Bordet à Bruxelles, dont le retentissement est certes plus grand au plan international qu'au plan national. Les Etats-Unis possèdent un réseau d'institutions de ce type, orientées vers la conception et la réalisation du traitement du cancer. Nos hópitaux universitaires disposent généralement d'un service de radiothérapie dans lesquels aboutissent la plupart des cancéreux, tout au moins ceux qui ne sont pas traités uniquement de façon chirurgicale. Tous les hópitaux universitaires n'ont pas un service de chimiothérapie digne de ce nom (oncologie médicale). Trop souvent la chimiothérapie occupe une place hiérarchique et thérapeutique seçondaire. Une plainte constante de la part des patients traités dans certains services universitaires est le manque de continuité dans les soins. Trop souvent l'équipe médicale est trop restreinte et on se trouve dans I'obligation de faire appel aux assistants qui changent conrinuellement. Dans les centres anticancéreux périphériques, la situation est loin d'être idéale. Cest même un euphémisme que de parIer de centres anticancéreux périphériques. On ne peut même pas parIer de « centre », lorsqu'il ne comporte qu'un radiothérapeute qui par hasard s'iméresse oui ou non à la chimiothérapie et dont le raisonnement pluridisciplinaire peut être hypothétique. Enfin iJ y a également les nombreux höpitaux, grands ou petits, qui sont dépourvus de tout équipement radiothérapique et, par conséquent, d'un département d'oncologie médicale. Le traitement du cancer y est assuré par des chirurgiens, des internistes, des spécialistes d'organes, sans orientation multidisciplinaire. Le traitement idéal du cancer Le traitement ne peut être mis au point qu'après que le diagnostic ait été confirmé par I'examen anatomopathologique, et après un établissement préalable du stade clinique. Dans les modalités thérapeutiques du cancer iJ faut distinguer les traitemems locaux. (chirurgie er radiothérapie) et systémiques (chirnio-, hormono-, immuno-thérapie). Le traitement systémique est indiqué chaque fois qu'il existe des métastases macro- ou microscopiques (chimiothérapie adjuvante). Dans de nombreux cas les meilleurs résultats sont obtenus par une approche thérapeutique multidisciplinaire, c.-à-d. par I'application synchrone ou successive de différents traitements qui se complètent et permettent de meilleures chances de guérison. Ceci présuppose une bonne collaboration entre les différents spécialistes impliqués. En ce qui conceme I'objectif du traitement du cancer il faut distinguer le traitement curatif (dont le but est d'obtenir une guérison) et palliatif (la guérison est impossible, mais on tâche d'enrayer I' évolution). Il faudrait également poursuivre comme objectif le maintien aussi longtemps que possibIe d'une vie normale, d'une activité professionnelle, de distractions, d'une vie sociale et familiale. On évite donc I'hospitalisation et on donne la préférence au traitement ambulatoire. Il ne faut pas négliger les problèmes psychologiques, familiaux et sociaux. On ne traite pas un cancer mais un cancéreux. Les services impliqués doivent être aptes à faire face à l'entièreté de la problématique du malade. Il est important de veilIer à la continuité des soins dans une affection chronique comme le cancer. Dans le courant de leur maladie certains patients entrent en contact avec nombre de médecins, que ce soit en même temps ou (l'un après I'autre. Tous ont leur interprétation personnelle des symptômes, du pronostic etc. Le patient apprécie qu'un seul médecin conduise, coordonne et interprète le traitement. Il va de soi que leur meilleur traitement devrait pouvoir se faire dans un centre anticancéreux, ou une équipe de médecins et de scientifiques ont comme tache principale d'étudier la maladie cancéreuse sous tous ses aspects. C'est à des institutions de ce genre que I'on doit tous les progrès cliniques réalisés sans cesse, de même qu'à des travaux qu 'ils réalisent en collaboration avec d'autres centres. Ils disposent d'un équipement diagnostic et thérapeutique sophistiqué. Les trois disciplines, chirurgie, radiothérapie et chimiothérapie, y voisinent sur un pied d'égalité avec, pour chacune d'elles, un service complètement structuré de telle sorte que chacune puisse poursuivre son propre épanouissement. En tant que partenaires égaux, rénumérés de façon équitable, ils poursuivent leur travail dans un même but. Le traitement y est pluridisciplinaire. Souvent on y trouve des groupes d'étude pour chaque type de tumeur (p. ex. tumeurs pulmonaires, urologiques, gynécologiques, etc ... ) qui élaborent des schémas thérapeutiques communs, qu'ils exécutent et soumettent à une évaluation scientifique. Les centres amicancéreux intégrales ne se limitent pas à des recherches cIiniques; ils font de la recherche de laboratoire. Les échanges constants entre cIiniciens et chercheurs sont essentiels et sont la source d'une stimulation et d'un enrichissement réciproques. La formation des médecins, chercheurs et paramédicaux fait partie intégrante de la tâche des centres anticancéreux. On attend d'eux qu'ils mettent à la disposition des autres médecins et des patients toute leur connaissance et leur expérience. Il faut que les instanees gouvernementales soutien- nent leurs efforts et leur permettent de poursuivre leur mission. Il faut qu'ils aient un apport suffisant de malades, surtout de cas rares (p. ex. sarcomes ostéogéniques, tumeurs testiculaires), pour permettre des études, la recherche et la formation. Le but n'est pas de traiter les cancéreux uniquement dans les centres amicancéreux. Il faut néanmoins veilIer à ce que ceux qui n'aboutissent pas dans ces institutions puissent bénéficier au même titre des progrès de la cancérologie. PROBLEMES ET DEFICIENCES DE LA SITUATION ACTUELLE L 'analyse d'une série de patients faisant partie de notre service nous met en mesure de signaIer les points critiques suivants : A. Au niveau du diagnostic 1) Le dépistage tardif d'un cancer, par négligence du malade n'ayant pas consulté de médecin malgré l'apparition de troubles évidents. 2) Bien que le patient découvre parfois une tumeur en formation, par exemple à I'occasion d'une campagne d'information comme celles concernant les tumeurs au sein, cette constatation n'engendre par nécessairement un traitement immédiat. En effet, il se peut que le médecin consulté ne mesure pas toute la gravité du problème, ou qu'il manque de courage pour annoncer la possibilité d'un cancer. Sans même confirmer ou infirmer un tel diagnostic, il va rassurer le patient. Dans certains cas, les cancéreux ne sont pas transférés chez un spécialiste ou vers un centre, afin qu'il n'apprennent pas la vraie nature de leur maladie. 3) Le diagnostic de cancer établi tardivement, parce que le médecin ne prend pas le temps nécessaire pour effectuer une anamnèse et un examen cIinique approfondis. 4) L'on a rapporté quelques cas exceptionnels de patients soumis à une thérapie anticancéreuse sans confirmation histologique du diagnostic. 5) Certains malades s'adressent de leur propre initiative à un spécialiste mal choisi, qui débute un traitement basé sur un diagnostic différent et provoque ainsi une perte de temps considérable. Il va de soi, que c'est normalement au médecin de familie qu'incombe la responsabilité de référer le patient à un spécialiste approprié. Il y a des cas ou le médecin traitant n 'assume pas cette tàche et que le patient doit solliciter lui-même une assistance spécialisée adéquate. 6) Il s'avère que les malades sont de plus en plus confus devant les diverses formes de thérapie se présentant à leur choix. Suivront-ils le chemin cIassique, avec interventions chirurgicales, baxters, rayons et tous les inconvénients connus; ou prendront-ils conseil chez des voisins ou amis avant d' opter pour l' approche «naturelle », avec ses régimes, gouttes, vitamines, etc ... (sans effets secondaires mais également sans effet curatif). Oncologie B. Au niveau du traitement I) L'on instaure régulièrement un traitement définitif, souvent synonyme de chirurgie mutilante ou radicale et de radiothérapie, sans examen multidisciplinaire préalable ou sans garantie de soins consécutifs appropriés. Peu de centres hospitaliers sont structurés de manière à pouvoir prodiguer un traitement multidisciplinaire. La plupart des services de cancérologie sont dirigés par un radiothérapeute. Lorsque l'utilisation des rayons n'a pas atteint son objectif, la chimiothérapie est trop souvent considérée comme l'ultime recours. Un comité de traitement oncologique, analysant les cas de façon multidisciplinaire et établissant des schémas de traitement d'après les diverses tumeurs, de concert avec les trois disciplines concernées, est une institution relativement rare. 2) Certains médecins administrent des thérapies qui ne sont pas de leur ressort, sans demander conseil à un spécialiste. Ceci se présente le plus fréquemment en matière de traitements cytostatiques. Il arrive également que le spécialiste en cancérologie soit consulté trop tard, comme pour la personne souffrant d'un cancer au sein que I'on soigne au Nolvadex et ou on ne fait appel au chimiothérapeute au moment ou elle devient ictérique. Dans d'autres cas, aucun traitement ne sera instauré du simple fait que le médecin traitant n'est pas au courant des diverses possibilités thérapeutiques. Nous recevons actuellement à notre consultation plusieurs malades que l'on avait abandonné comme « cas désespérés » il y a quelques années. Il faut manifestement accuser ici une défaillance dans la formation médicale, la formation continue ou dans l'information en général. Le traitement du cancer, plus particulièrement la chimiothérapie, évolue à une allure étonnante. Par conséquent , toute information concernant les plus récents progrès doit être distribuée immédiatement, afin d'en faire bénéficier les malades touchés. La pléthore croissante de médecins veut que de plus en plus de chirurgiens, internistes, spécialistes d'organes ou de médecins de familIe traitent eux-mêmes leurs patients cancéreux, sans consulter d'experts. Chaque docteur en médecine doit pouvoir assurer un certain niveau de revenus. L'on ne peut donc s'attendre à ce qu'un chirurgien transfère vers un centre et à des fins opératoires, tous ses patients cancéreux (représentant probablement un pourcentage important de ses interventions). Par ailleurs, toute forme d'amateurisme allant à l'encontre d'une thérapie efficace, est intolérable. La complexité et le progrès technique des approches thérapeutiques en matière d'oncologie, nécessitent une étroite collaboration entre les cancérologues et leurs confrères. Malheureusement, cette collaboration tant souhaitée prend souvent la forme d'une compétition entre les différents services des institutions hospitalières - autant au plan universitaire que périphérique. Prenons pour exemple, le cas d'une femme souffrant d'un cancer mammaire; elle peut être soignée au choix dans le service chirurgie, gynécologie, chirurgie plastique, radiothérapie, oncologie médicale, endocrinologie, ou médecine interne. Chacun de ces départements manifesteront leur propre philosophie. Ce même type de compétition est parfois ressenti entre les divers hopitaux d'une ville ou d'une région. 3) Il arrive que l'on propose ou effectue une intervention chirurgicale, sans raison valable; par exemple, une pneumonectomie en cas de cancer au poumon chez un malade présentant déjà une adénopathie contrelatérale supraclaviculaire. 4) Le choix d'une thérapie est fréquemment influencé par le spécialiste en cancérologie chez qui le patient est transféré, plutot que par des considérations purement médicales. Si une patiente est envoyée chez un radiothérapeute pour une tumeur au sein, il est fort probable que la radiothérapie devienne la principale - voire I'unique modalité de traitement. Par contre, la même femme confiée aux mains d'un chirurgien, sera presque certainement opérée. L'interniste-oncologue est, par définition, à même de suggérer une thérapie locale de manière plus objective. Avant toute chose, il veillera à effectuer un staging complet. La législation limitant l'équipement coûteux aboutit à la monopolisation d'un certain aspect de la médecine. Bon nombre de villes ou de régions ne disposent que d'une seule installation de radiothérapie, ce qui exclut toute liberté de choix. Nous avons à plusieurs reprises constaté, que dans une ville comptant deux ou trois hopitaux, dont un seul est doté d'un service de radiothérapie, les patients sont envoyés vers des centres éloignés, plutot que chez le radiothérapeute de l'hôpital (concurrent) de la ville. 5) Les spécialistes d'organes, chirurgiens et certains radiothérapeutes. tendent à restreindre I'examen de « follow-up ') ou de contrôle à un organe ou à une lésion bien définie. Dans le cas précis des tumeurs susceptibles de provoquer la formation de métastases, pareille approche peut signifier un dépistage et donc un traitement tardif d'éventuelles métastases. La formation spécifique du médecin interniste-oncologue laisse supposer qu'il assurera un examen complet et régulier de ses plaintes. 6) Un nombre croissant de charlatans peu scrupuleux n'hésitent pas à exploiter le désespoir des cancéreux en leur proposant des remèdes inopérants. Une information honnête s'avère, une une fois de plus, essentielle. Les média sont généralement responsables pour la diffusion de ces traitements inutiles. 7) L'on note la fréquence d'examens superflus, bien souvent effectués par des médecins comptant parmi leur clientéle des malades pour lesquels ils peuvent à la fois prescrire et réaliser certains examens. Notre médecine axée sur la performance technique plutot que clinique favorise ce type de pratiques. Les patients cancéreux sont, par ailleurs, trop facilement et trop longuement hospitalisés. C. Problèmes financiers Les quelques rares services d'oncologie médicale se trouvent confrontés à de sérieux problèmes d'ordre financier dans ce pays, puisque leurs prestations majeures en d'autres termes l'administration de cytostatiques - ne sont pas remboursées par I'INAMI. L'on sait, cependant, que cela implique un personnel nombreux. Ces difficultés financières ont toujours empêché le développement intégral de notre propre service d'oncologie médicale. Nous avons été obligés de refuser des soins à des centaines de malades, par manque de médecins, de personnel, de locaux et de fonds. Chaque année, des milliers de patients sont hospitalisés (ou soi-disant hospitalisés) inutilement dans ce pays, occasionnant des frais additionnels considérables pour l'INAMI déficitaire pour obtenir de cette manière un remboursement sur la chimiothérapie. En revanche, une série de rayons donne droit à un remboursement de plus de 20.000 Fr. Dans le cadre d'un tel système inéquilibré de remboursement, l'on ne 'peut envisager de traitement véritablement multidisciplinaire, ou la thérapie serait choisie sans tenir compte des rémunérations qu'elle entraÎne. L'on peut déplorer le fait, que l'INAMl n'estime pas à leur juste valeur l'anamnèse et l'examen clinique, et ne les rembourse que relativement peu par rapport aux remboursements généreux des prestations techniques. Les exemples qui suivent démontrent que le système de remboursement par l'INAMI n'est pas hönnête. Primo, à l'höpital St Jan à Brugge, le rapport des revenues des médecins est même supérieur de un à quatre. Notons, que ce ne sont pas les médecins aux revenus les plus bas qui travaillent le moins. Bien au contraire, il s'agit des services cliniques n' effectuant pas euxmêmes de prestations, ou uniquement des prestations non remboursées comme la chimiothérapie. Ce sont les médecins qui s'occupent principalement de soigner les malades en consultation. Secundo les patients cancéreux traités par radiothérapie ont droit à un remboursement de leurs frais de voyage, alors que ces mêmes personnes ne sont pas remboursés pour leur déplacement pour un traitement de chimiothérapie (parce que le terme « chimiothérapie » n' est pas encore vraiment défini en 1982). Proposition pour une nouveIle politique du cancer L' exposé qui précède démontre les défauts du système actuel. Il en résulte 27 Oncologie que trop de cancéreux ne bénéficient pas de soins appropriés. On pourrait penser que, idéalement, tous devraient se faire traiter dans des centres anticancéreux. En pratique ce raisonnement ne tient pas. Dans les circonstances actuelles il nous manque des centres pour prendre en charge les 30.000 nouveau cas de cancers annuels, sans compter les milliers en follow-up. II ne serait pas réaliste d'espérer y envoyer tous les cas. La réalité économique est telle que tout médecin doit vivre et les cancéreux forment un noyau important de la clientèle médicale. D'autre part les centres existants ne disposent pas du personnel suffisant et doivent faire appel au nombre croissant de praticiens et autres institutions hospitalières, qu'il faut impliquer dans le traitement des cancéreux. Notre position est la suivante: si les malades ne vont pas au centre anticancéreox, les centres doivent aller vers eux. Ceci peut se faire gràce à un système de collaboration avec les hôpitaux de province et avec les médecins praticiens de la région. Chaque région a besoin de son centre, qui doit veilIer à s'occuper de tous les aspects du cancer (information, dépistage, traitement, recherche, formation, etc ... ), le tout en collaboration avec les hôpitaux et les médecins praticiens dans sa sphère de rayonnement géographique. Il doit donc bénéficier de moyens financiers et de personnel. Cette collaboration entre les différents hôpitaux doit se réaliser en de hors des considérations politiques et confessionnelles. La collaboration doit être assurée par des équipes de consultants et des comités de traitement oncologique. Les équipes de consultants (comportant des mem bres des trois disciplines) doivent se rendre à intervalles réguliers dans les centres périphériques pour participer à la discussion des cas. Les cas les plus difficiles, que ce soit sur le plan thérapeutique ou diagnostique, peuvent être transférés au centre anticancéreux. II convient de mettre au point de schémas communs, établis collégialement avec les experts de la région. Chaque hôpital doit avoir son comité de traitement oncologique constitué de médecins ayant l'expérience du cancer. Ce comité doit veiller à ce que les malades venant à l'hôpital pour faire soigner un cancer soient soignés de façon conforme aux schémas, et que les cas à problèmes soient discutés en temps voulus. Ce comité doit constamment pouvoir demander un conseil, une consultation, de la documentation, etc. du centre anticancéreux régional. Le centre anticancéreux régional se charge d'organiser des conférences, séminaires, cours de formation continue, etc ... à l'intention des médecins de la région et des installations hospitalières concernées. Pareilles initiatives devraient assurer une bonne information sur les progrès en cancérologie, les résultats obtenus par l'étude des protocoles, ainsi que sur les activités régionales. Le centre met sur pied, comme précisé plus tôt, des campagnes d'information et de dépistage, etc., en collaboration avec les hôpitaux aftïliés. Le centre régional doit être élaboré selon la description donnée plus haut. II donnera le ton dans le domaine de la thérapie et permettra des travaux de recherche, de nature clinique mais également de la recherche fondamentale. Le bon fonctionnement du centre dépendra essentiellement du fait que les trois spécialités se développent de manière absolument autonome et puissent coopérer sur une base multidisciplinaire. Au niveau national ou communautaire, il y aura lieu de créer un organe central; un « organe de concertation national ou communautaire des centres anticancéreux », contrôlant, coordonnant et évaluant les activités des différents centres anticancéreux régionaux, pour finalement élaborer une politique nationale. Le tout doit être financé. On pourrait par exemple déduire un petit pourcentage du prix de séjour de l'hospitalisation des hapitaux affiliés pour aider à payer les services rendus par le centre régional. Les médecins rattachés aux centres anticancéreux régionaux doivent être rémunérés (avec éventuellement une indemnité clinique complémentaire en fonction du nombre de malades pris en charge afin de préserver une possibilité d'émulation). De cette façon, on peut proposer un traitement multidisciplinaire sans faire entrer en ligne de compte des considérations financières. Les hôpitaux équipés en radiothérapie doivent bénéfi- cier annuellement d'une aide financière permettant le bon fonctionnement de leur service (et non un remboursement à la prestation), ainsi de même pour les services de chimiothérapie. Le système doit favoriser le traitement ambulatoire, et le traitement multidisciplinaire. Par exemple, on pourrait imaginer de ne rembourser l'acte chirurgical d'une mastectomie qu'à condition de fournir la preuve d'une discussion préopératoire pluridisciplinaire. Ainsi de même, une chimiothérapie ne serait remboursé que si elle est administrée par un chimiothérapeute ou après consultation avec un chimiothérapeute. On ne peut bien sûr imposer aucun type de traitement, mais bien obliger les médecins de s'informer auprès des compétences. II est clair que la mise au point d'un tel système entraînerait et exigerait des changements profonds des mentalités de certains médecins, professeurs, directeurs d'hôpitaux, instances officielles, I.N.A.M.I., etc ... L'objectif primaire est de permettre que Ie plus grand nombre de malades puisse bénéficier des progrès les plus récents en cancérologie et que l'argent alloué aux soins de santé serve en premier lieu à I'amélioration du sort des malades. Ce système n'est pas neuf. Nous l'avons vu fonctionner aux USA., et la Hollande l'a acquis récemment. II contraste avec la situation chaotique et compétitive de la Belgique. Notre proposition va au-delà de celles du Conseil Supérieur de Cancer, qui envisageait l'érection de centres anticancéreux régionaux à côté des centres universitaires. Nous insistons sur la nécessité de collaborer avec les hôpitaux périphériques et les médecins, practiciens, qui, maintenant et dans l'avenir, continueront à traiter bon nombre de cancéreux .