Psycho-Oncologie (2007) Numéro 2: 93–98 © Springer 2007 DOI 10.1007/s11839-007-0024-2 Dossier : « Douleur et cancer » THÉRAPEUTIQUE Douleur et cancer : apports et expériences des groupes thérapeutiques chez les femmes atteintes d’un cancer du sein Cancer and pain: contributions and experiences of group psychotherapy for breast cancer patients P. Rouby Résumé : Cet article se propose d’illustrer la place et les répercussions des manifestations douloureuses chez des femmes atteintes d’un cancer du sein et réunies sous forme de groupes psychothérapeutiques. Cette description, selon un modèle cognitivo-comportemental, a pour objet de détailler et d’évaluer l’expression de la douleur parmi les autres difficultés rapportées par les patientes et de présenter les principales techniques utilisées en cours de thérapie. Ainsi, il sera mis en évidence les nombreux liens connexes qu’entretiennent douleur et idées de récidive avec leur cortège de répercussions psycho-sociales. Enfin, il sera discuté de l’évolution du modèle de douleur cancéreuse vers un modèle spécifique de douleur chronique. Mots clés : Douleur – Cancer du sein – Groupe thérapeutique – Thérapie cognitivo-comportementale Abstract: This article discusses the importance and effects of expressing the experience of pain for breast cancer patients in group psychotherapy. Using a cognitivebehavior model, we assess the expression of pain and other issues by these patients and present the main techniques used in the course of therapy. We underscore the many interconnected links between pain and fears of recurrence, including the psychosocial repercussions. Finally, we address the evolution of the cancer pain model into a specific model of chronic pain. Keywords: Pain – Breast cancer – Group Therapy – Cognitive-Behavioural therapy Pascal Rouby () Praticien hospitalier – Psychiatre Unité de psycho-oncologie DISSPO, Institut Gustave-Roussy 39, rue Camille-Desmoulins, F-94805 Villejuif Cedex, France E-mail : [email protected] Introduction De nombreuses conséquences sont associées au cancer du sein et à ses traitements. Les femmes ayant été traitées pour cancer du sein présentent significativement plus de détresse psychologique, de dépression, d’anxiété et de troubles sexuels que les populations témoins [2], la moitié connaı̂tra une détresse psychologique [14] et près d’un quart présentera un trouble psychologique significatif [10]. Il existe, de plus, de nombreux effets secondaires en lien avec les traitements tels que les troubles du sommeil, la prise de poids, la fatigue et la douleur qui entretiennent et majorent la détresse psychologique des patientes [16, 17]. À ce titre, la douleur est un élément fréquemment rencontré en raison de son association avec les traitements du cancer du sein : chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie et hormonothérapie [15]. Dans ce contexte, les prises en charge utilisent les traitements pharmacologiques, psychotropes et/ou antalgiques. Cependant, ces traitements n’apportent pas une réponse complète et sont eux-mêmes pourvoyeurs d’effets secondaires. L’utilisation de méthodes d’interventions psychologiques représente alors une aide précieuse pour les patients. Les interventions psychologiques disponibles sont variées [18]. Cet article nous décrit l’expérience acquise depuis 2004 à l’Institut Gustave-Roussy de Villejuif dans la conduite d’une thérapie cognitivo-comportementale (TCC) de groupe réunissant des femmes atteintes d’un cancer du sein non métastatique en fin de traitement. L’objectif de cet article est triple : tout d’abord replacer la plainte douloureuse dans le cadre plus large des difficultés psychologiques, sociales et physiques rencontrées par ces patientes, puis exposer la mise en œuvre des méthodes et outils TCC proposés dans la prise en charge de la douleur exprimée par les patientes, et enfin aborder la spécificité de l’expression de la douleur chez les 94 patientes atteintes de cancer et discuter les possibles orientations et évolutions susceptibles d’améliorer la prise en charge des patientes. Les difficultés physiques constituent une thématique constante pour les patientes au cours des groupes. La plainte douloureuse est le plus souvent associée aux sensations de fatigue, aux troubles du sommeil avec la sensation plus diffuse d’avoir vieilli précocement. Place et intérêt des groupes thérapeutiques Une évaluation chiffrée des difficultés rencontrées est faite en début de thérapie, chaque patiente se situe sur un axe allant de 0 (extrêmement mauvais) à 10 (optimal) sur chacun des thèmes exposés. Chacune des patientes expose brièvement pour chaque situation les objectifs qu’elle souhaite atteindre. En voici un exemple tiré d’un journal de patiente : Le cancer du sein est la première cause de cancer chez la femme. En France, 40 000 cancers ont été diagnostiqués en 2001 [21]. Les conséquences de la maladie affectent le sujet dans sa globalité. Les modifications physiques sont nombreuses. Outre les séquelles esthétiques, on observe des symptômes tels que la fatigue, la douleur, les troubles du sommeil... Les répercussions psychologiques touchent l’humeur, le caractère... Sur le plan social, les remaniements et perturbations induits par la maladie se répercutent sur la vie familiale et socioprofessionnelle. Dans cette perspective, les groupes psychothérapeutiques ont pour objectif de proposer aux femmes la possibilité de s’adapter au mieux à l’ensemble des difficultés générées par la maladie. Les groupes thérapeutiques cognitivo-comportementaux permettent, et ce de manière non spécifique, de proposer un temps d’écoute et de parole, de rompre l’isolement, de partager les difficultés avec les autres femmes sous la forme de l’étayage de groupe [19, 20]. Les apports spécifiques des TCC résident dans des interventions axées sur les difficultés actuelles et utilisent des méthodes structurées qui requièrent l’alliance et la participation active du sujet. Ces thérapies mobilisent les pensées, les émotions et les comportements des patientes au moyen d’outils et techniques spécifiques [9, 13, 20]. Expression de la douleur au cours de la thérapie Les principales difficultés rencontrées par les patientes sont évoquées lors de la première séance de groupe et réunies sous forme de liste. Les thématiques relevées sont généralement les mêmes. En voici un exemple caractéristique issu du journal d’une patiente lors d’une première séance de groupe : Liste de mes problèmes ? Image de soi : apparence, changements +++ Rapports aux autres (relation aux proches ++, place dans la famille) Symptômes physiques : fatigue, sommeil, douleurs, troubles cognitifs Modifications des valeurs Reprise du travail Vie intime Modifications du caractère Peur de la récidive +++ Qu’est-ce que je souhaite (objectifs) ? Parvenir à canaliser cette fatigue, afin de redevenir totalement autonome. Modérer les activités lors des phases de « grande » forme pour ne pas être épuisée le lendemain, essayer d’être plus régulière dans mes activités Un de mes objectifs est de parvenir à faire ce que je veux quand je le veux, ce qui n’est pas toujours le cas Où j’en suis ? Thè me : retentissement de la douleur sur le quotidien 0 3 " 10 Ici le niveau de fonctionnement est coté à 3 par la patiente en début de thérapie. Une évaluation sera à nouveau réalisée en fin de prise en charge afin d’objectiver l’évolution et de préciser les difficultés persistantes. Présentation des outils et méthodes thérapeutiques À partir de thématiques définies lors de la première séance, l’apprentissage des méthodes d’auto-observation peut alors débuter. Celles-ci sont essentielles dans le processus thérapeutique. Elles visent à donner aux patientes les moyens d’apprécier les situations de détresse psychologique en leur donnant les moyens d’analyser ces situations en termes de pensées, d’émotions, de comportement et de conséquences. Ce travail s’effectue à l’aide d’outils spécifiques aux TCC. L’utilisation et l’acquisition se feront lors des séances de groupes. Cependant il est demandé aux patientes de continuer ce travail entre deux séances en utilisant cet outil pour d’autres situations avec la possibilité de faire parvenir celui-ci aux animateurs du groupe par messagerie électronique. Voici un exemple (Fig. 1) concernant la thématique douleur et relatant une situation problème rencontrée par une patiente. Cet exemple reprend une situation relativement fréquente chez les femmes traitées pour un cancer du sein. Il est possible de retrouver, à la suite de la chirurgie, dans 20 à 68 % selon les études [11] un syndrome douloureux neuropathique post-tumorectomie et/ou une lymphangite. La chimiothérapie est susceptible d’induire des phénomè- 95 5. Situation déclenchante / Relativiser mes douleurs 1. J’ai des douleurs articulaires Exemple : Jour et nuit, j’ai mal. Musculairement, mais aussi au niveau des os. 5. Conséquences J’évite de bouger ouger. J’hésite à faire des activités sportives. Je ne peux pas suivre les autres, accompagner mes enfants ou mon mari. 4. Comportements Je bouge moins. Je fatigue vite. Je me plains. 2. Cognitions Je vieillis mal. Vais-je retrouver ma forme ? Et si c’était un cancer des os s? 3. Émotions Emotions J’ai peur. Je me sens diminuée. J’ai de la peine. Fig. 1. Cercles de Cungi [8]. Auto-observation nes douloureux diffus souvent sous la forme d’arthralgies ou de myalgies mais aussi des douleurs neuropathiques. La douleur neuropathique est aussi un effet secondaire bien établi de la radiothérapie [7]. La situation, ici développée au moyen des cercles de Cungi, permet de mieux apprécier les répercussions cognitives, émotionnelles et comportementales de ces douleurs [8]. Ainsi, dans cette situation, les modifications de l’image de soi se traduisent par des cognitions du type : « Je vieillis mal. », « Vais-je retrouver ma forme ? », des comportements : « Je bouge moins. Je fatigue vite... », puis des conséquences : « J’évite de bouger, ou de faire des activités sportives. » L’humeur est affectée, cela s’exprime par les émotions suivantes : « Je me sens diminuée, j’ai de la peine... », ainsi qu’un comportement à type de plainte. Les douleurs sont aussi un élément majeur dans l’apparition de l’idée de récidive et des sentiments de peur et d’angoisse qui lui sont associés. Ces douleurs, par leurs conséquences, sont un facteur important dans de possibles difficultés sur la vie relationnelle des patientes, ici évoquées par l’impossibilité de suivre les autres et d’accompagner comme auparavant son mari et ses enfants. Ainsi, cet outil permet au travers de cette situation de mettre en évidence les répercussions multiples de la douleur, dans ses modalités d’expression, mais aussi dans ses thématiques. Il permet en outre d’engager le processus thérapeutique en rendant le patient plus attentif à ses états émotionnels, cognitifs et comportementaux. Cet exercice d’auto-observation est bien évidemment répété au cours de la thérapie, son utilisation une fois acquise permet le passage à l’étape suivante. Il faut alors induire des modifications de pensées (restructuration cognitive) ici par l’intermédiaire des colonnes de Beck [3]. L’exemple suivant (Tableau I), issu d’une séance de groupe, illustre ce travail. La recherche de pensées alternatives s’effectue par des questions du type : « À quoi pourrais-je penser d’autre ? » Il s’agit pour le patient de se décentrer afin de rechercher et d’évoquer d’autres points de vue. Cet exercice permet au sujet d’élaborer des pensées susceptibles de modifier les pensées négatives et pessimistes. La pratique de groupe est à cet égard fondamentale. Les autres patients participant à la discussion émettent des propositions et des remarques permettant au sujet de modifier son point de vue. L’effet est d’autant plus grand qu’il s’agit de remarques émanant de sujets dans la même situation et dont la valeur de modèle est indiscutable ; on parle alors de « modeling participatif ». Dans cet exemple, la patiente élabore avec l’aide des autres membres du groupe des points de vue différents possibles, c’est ce que regroupe la colonne « pensées alternatives ». Cet exercice a pour objet de faire diminuer la détresse émotionnelle, celle-ci est d’ailleurs réévaluée en fin d’exercice. Cette technique requiert une pratique quotidienne afin que le sujet puisse élaborer des pensées alternatives rapidement dans d’autres circonstances. Nous allons ici présenter un outil fondamental dans l’utilisation des thérapies cognitivo-comportementales : 96 Tableau I. Colonnes de Beck Situation (Dé clencheur) Émotion(s) intensité (0-100 %) Pensé e(s) Comportement(s) Pensé es alternatives Réé valuation Émotion(s) Fortes douleurs après une « longue » virée parisienne Tristesse – 80 % Qu’est-ce que je me dis ? Tu ne pouvais pas prévoir. Tristesse – 20 % Déception – 80 % Tu es nulle, pourquoi avoir marché autant ? Je cache mes douleurs pour ne pas avoir à me justifier mais je ne suis plus en mesure de faire le programme prévu au retour (repassage). Ce n’est qu’une douleur articulaire sans gravité. Avec le gel approprié, le problème va se régler. Déception – 20 % Je râle et ma mauvaise humeur se répercute sur mon conjoint. Il n’y a rien de grave, tu te reposes un jour ou deux et tu reprends ton sport. Au final, nous nous disputons au sujet du ménage... C’était une belle journée en compagnie de ma meilleure amie ; nous avons ri, nous avons fait de super-visites, nous avons bien déjeuné, c’était vraiment sympa. Contrariété – 80 % Tu es stupide, tu ne pourras pas faire ton footing demain ; tu es bien avancée ? Est-ce que cette douleur est normale ? Avant je supportais de marcher plusieurs heures ? Contrariété – 20 % Anticipation « J’évite toute activité déclenchant la douleur ou la majorant » Situation Douleur au niveau du bras (lymphangite) Emotions Émotions Angoisse (8/10) = sentiment de perte de contrôle, manque d’air, sentiment d’impuissance Peur (de la récidive) Système personnel de croyance e fois je « Lors de mon 1er cancer, je devais m’en sortir. La 2em m’en suis sortie, la prochaine fois j’aurai j’auraismoins moins de chance. On ne peu peut pas s’en sortir autant de fois avec une maladie comme celle-ci » Pensées automatiques « Je vais mourir je ne vais pas arriver à tenir » Cognition « Je pense plus facilement à la mort» « Récidive ou un autre cancer » Comportement ouvert « Je me replie sur moi, je veux être tranquille » « Je j e ne cherche pas à avoir un avis médical » Imagerie « Je me revois à l’hôpital » « J’imagine le lieu de mon enterrement » Fig. 2. Analyse fonctionnelle il s’agit de l’analyse fonctionnelle. Celle-ci a pour objet de définir et de comprendre le fonctionnement singulier du sujet en permettant l’analyse d’une séquence comportementale : Stimulus (situation)-Émotion-CognitionComportement-Anticipation et Conséquences sur l’entourage. Nous reprenons ici une situation de douleur dans une thématique d’idée de récidive à l’aide de la grille SECCA [6]. Cette analyse fonctionnelle permet de mieux cerner le fonctionnement du patient et de mettre en œuvre un certain nombre de techniques susceptibles d’aider le patient dans sa progression thérapeutique (jeu de rôle, résolution de problème, relaxation...). Voici une analyse fonctionnelle recueillie au cours d’une thérapie (Fig. 2). 97 L’analyse fonctionnelle permet d’affiner la connaissance des processus mentaux mis en jeu lors d’une situation donnée. Dans cet exemple, elle permet l’accès à des niveaux de pensées différents. Ainsi, pour cette patiente, on retrouve un postulat de base, à savoir celui d’une rechute et d’une issue inéluctable. Des pensées automatiques, à savoir des pensées intrusives survenant de manière répétée sans que le sujet en ait pleinement conscience sont mises en évidence. Dans cette situation, les pensées automatiques sont : « Je vais mourir, je ne vais pas arriver à tenir. » La répétition de ces pensées est un puissant facteur dans la genèse et le maintien d’émotions négatives. Enfin, certains scenarii ou images à forte tonalité émotionnelle sont évoqués par la patiente : « Je me revois à l’hôpital et j’imagine le lieu de mon enterrement » et permettent de compléter la connaissance de l’état cognitif et émotionnel de la patiente. l’aider (sélection des buts et solutions possibles). La mise en œuvre de certains outils spécifiques tels que la pratique du jeu de rôle ou de séances de relaxation accompagne la démarche de résolution de problème afin d’améliorer l’application concrète des solutions proposées. L’ensemble se déroule avec l’aide du groupe et nécessite la poursuite du travail entre les séances. Le dispositif rendant possible l’envoi de documents de travail via la messagerie électronique permet aux patients d’adresser aux thérapeutes les éventuelles questions et difficultés rencontrées dans la réalisation du plan d’action. Le résultat de la démarche est rediscuté en groupe lors de la séance suivante. Cette analyse fonctionnelle doit permettre la mise en œuvre des stratégies thérapeutiques faisant appel à diverses techniques. Toujours dans la situation de cette patiente, voici les outils utilisés en groupe lors de la thérapie, l’exercice sous forme de résolution de problème utilise aussi le jeu de rôle et la relaxation. L’expérience des groupes thérapeutiques permet de mettre en évidence l’importance des « séquelles » douloureuses observées à la suite des traitements du cancer du sein et ce malgré les progrès concernant la prise en charge de cette affection [1]. Cette plainte s’exprime le plus souvent de manière intriquée aux autres symptômes que sont la fatigue et les troubles du sommeil mais aussi en lien avec les difficultés d’ordre psychologique. Le tableau II reprend diverses étapes dans la stratégie de résolution de problème. Ainsi, il s’agit pour la patiente d’identifier les facteurs de stress et les réactions générées par ces derniers. En séance, le sujet est invité à formaliser le problème, puis à rechercher les solutions susceptibles de Tableau II. Résolution de problème Identifiez le ou les facteurs de stress et vos réactions face au(x) problème(s) à résoudre : 1. Douleur = isolement 2. Ruminations anxieuses = perte d’espoir 3. Perte de confiance dans les médecins (expérience passée) = pas de recherche d’aide médicale Le problème est : Comment rechercher de l’aide afin de pouvoir soulager ma douleur ? Sélection des buts : 1. Rechercher de l’aide (peur de déranger, d’ennuyer) 2. Comment communiquer avec le médecin (expérience antérieure négative) 3. Soulager ma douleur (information concernant les médicaments) Solutions possibles : 1. Aller sur le forum Internet de la Ligue 2. Se faire aider d’un proche dans ces recherches 3. Prendre contact avec un médecin susceptible de m’aider Jeu de rôle : Jouer la scène « entretien avec le médecin » Plan d’action (à faire au domicile) : 1. Recherche d’un médecin de confiance 2. Appeler ce médecin et expliquer la situation 3. Obtenir un rendez-vous 4. Préparer ses questions 5. Prévoir de se faire accompagner par un proche Évaluation du résultat : Lors de la séance suivante : – A pu obtenir un RV avec le médecin d’analgésie – Mise en place d’un traitement antalgique – Reprise d’activités Enseignement des techniques de relaxation : Training autogè ne de Schultz Respiration diaphragmatique Discussion Si l’émergence de nouveaux traitements : inhibiteurs de l’aromatase, chimiothérapies... a contribué à améliorer le taux de guérison ou à prolonger la survie des patientes, de nouveaux effets secondaires d’ordre rhumatologique sont apparus [5, 12]. Le modèle classique de douleur cancéreuse (décrit en termes de douleur aiguë qui dure) s’est ainsi complexifié, devenant insuffisant pour décrire ces nouvelles situations en cancérologie. Il devient alors indispensable pour aborder cette évolution clinique de s’inspirer de certaines caractéristiques du modèle pluridimensionnel de la douleur chronique. Dans cette perspective, il est possible d’imaginer conjointement aux traitements médicaux une approche psychothérapeutique dont les outils et les techniques s’inspirent des thérapies cognitives et comportementales telles qu’elles sont utilisées dans les manifestations douloureuses chroniques (arthralgies, myalgies, douleurs diffuses, fatigue...) selon un protocole bien connu [22]. Cependant la simple reprise du modèle de douleur chronique selon des modalités cognitivo-comportementales n’est pas non plus un modèle suffisant. En effet, la signification particulière de la douleur dans ce contexte revêt un aspect spécifique qui requiert un ajustement et une modélisation du modèle de douleur chronique ainsi que des psychothérapies susceptibles d’être employées. Nous en exposons les principaux thèmes dont la plupart s’organisent autour de l’idée de récidive. Tout d’abord, la prise en charge (somatique et psychothérapeutique) de la douleur comme manifestations séquellaires du cancer et de ses traitements ainsi que la possible apparition ou modification d’une douleur signe précurseur d’une récidive imposent un lien étroit entre médecin et psychothérapeute. Il s’agit pour le thérapeute 98 d’être toujours attentif à l’expression d’une peur ou d’une angoisse en lien avec un risque réel et donc d’une peur qui n’est pas « sans objet ». À ce titre, ce mode de psychothérapie diffère des thérapies « classiques » exercées dans le cadre de troubles psychopathologiques, mais aussi de celles concernant les patients douloureux chroniques présentant des anticipations anxieuses ou des phénomènes de « catastrophizing » [4]. D’autre part, la douleur en cancérologie peut aussi puiser sa complexité non pas dans la signification qu’elle peut avoir pour l’avenir du patient, mais dans l’histoire médicale du patient (annonce de la maladie, traitement...). Ici, la douleur peut être un élément déclencheur dans la réactivation du trauma avec des conséquences décrites en termes d’état de stress post-traumatique, avec les particularités psychothérapeutiques qui s’y rapportent. Enfin, l’idée de récidive par l’anxiété pathologique (au sens de trouble anxieux) qu’elle peut susciter malgré la réalité médicale d’une rémission ou d’une guérison apportée par les traitements curatifs peut largement inhiber la vie familiale, sociale et professionnelle du sujet. Dans ce contexte, la psychothérapie s’inscrira dans le cadre classique dévolu aux troubles anxieux. Conclusion La modélisation de la douleur en cancérologie, en raison des progrès thérapeutiques, évolue vers un modèle de douleur chronique dans lequel l’intérêt et l’efficacité des TCC sont reconnus. Cependant, en raison de la signification particulière de la douleur en cancérologie, ce modèle ne saurait être suffisant. Un modèle plus large, permettant d’appréhender les thématiques spécifiques au cancer est donc nécessaire. Dans cette perspective, un travail de formalisation doit être réalisé afin de proposer une thérapie à la fois plus globale mais aussi spécifique du patient douloureux en cancérologie. Références 1. American Cancer Society (ACS) (2004) Cancer Facts and Figures. Atlanta, GA, pp 1-60 2. ANAES (2000) Suivi psychologique des patientes ayant été traitées pour un cancer du sein non métastasé. Éditions EDK 3. Beck AT, Rush SD, Shaw BF, Emergy G (1979) Cognitive therapy of depression. New York, Guilford Press 4. Bishop SR, Warr D (2003) Coping, catastrophizing and chronic pain in breast cancer. J Behav Med 26: 265-81 5. Burstein HJ (2007) Aromatase inhibitor-associated arthralgia syndrome. Breast Mar 16 [Epub ahead of print] 6. Cottraux J (2004) Les thérapies comportementales et cognitives. Masson, Paris 7. Cross NE, Glantz MJ (2003) Neurological complications of radiation therapy. 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