Projets d’infrastructures et impacts environnementaux © L’Harmattan, 2010 5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-296-12569-8 EAN : 9782296125698 Pierre Samuel Nemb Projets d’infrastructures et impacts environnementaux Préface de Claude Njomgang L’Harmattan PREFACE L’ouvrage de Pierre Samuel NEMB sur les impacts environnementaux des projets d’infrastructures vient à ce point nommé en cette période de grandes mutations politiques, économiques, sociales et technologiques, aux conséquences imprévisibles sur les relations entre l’homme et son environnement biophysique. Dans ce contexte en effet, l’évaluation des impacts environnementaux des grands projets de développement, en vue de la maîtrise des risques environnementaux qui leur sont inhérents, devient une exigence croissante de la communauté internationale. La mise en place d’« infrastructures durables » devient une norme commune aux programmes nationaux d’aménagement du territoire, en même temps qu’une conditionnalité pour l’accès aux financements. L’ouvrage de Pierre Samuel NEMB suit une démarche didactique sobre et rigoureuse, enracinée dans les fondements rationnels de l’économie de l’environnement et du développement durable, soutenue par une revue minutieuse des méthodes d’évaluation de l’environnement et d’étude des impacts environnementaux, étayée enfin par quatre études de cas bien documentées sur le Cameroun. L’intérêt de l’ouvrage est rehaussé par le fait que son contenu a été en grande partie éprouvé, expérimenté en quelque sorte, l’ouvrage étant le fruit de plusieurs années de recherche et d’enseignement dans différentes universités. Il constitue ainsi un outil de travail pour les étudiants et les professionnels de l’évaluation d’impacts environnementaux, mais s’adresse aussi à un public plus large en économie de l’environnement. Nous accueillons avec plaisir et satisfaction l’ouvrage de Pierre Samuel NEMB. Cette publication donne la mesure du chemin parcouru depuis la thèse de Doctorat d’Etat préparée avec nous en économie de l’environnement et soutenue en 2002. Nous avons bon espoir que cet ouvrage ouvrira de bonnes perspectives pour l’auteur Pr. Claude Njomgang Université de Yaoundé II AVANT-PROPOS L’économie est une discipline importante pour les personnes qui prennent les décisions qui déterminent l’évolution de l’environnement. L’environnement continuera de pâtir si les économistes ne jouent pas un grand rôle dans l’analyse et dans l’élaboration des politiques. Tant qu’on ne prendra pas pleinement en compte les coûts et les avantages réels des projets, et notamment leur incidence sur l’environnement, on choisira les mauvais projets tandis que les bons ne retiendront pas l’attention qu’ils méritent. Si les dommages subis par l’environnement et l’épuisement des ressources ne sont pas inscrits dans le compte du revenu national, les pouvoirs publics, les citoyens et les agences internationales recevront des signaux erronés quant à la performance réelle de l’économie. Les lecteurs de ce manuel peuvent être schématiquement repartis en deux catégories : les sceptiques qui doutent que l’économie ait une grande contribution à apporter, et qu’il faut convaincre du contraire, et les crédules ou les moins sceptiques qui acceptent les principes de l’économie de l’environnement, mais ont besoin d’orientation quant à leur application pratique. Il existe également des « croyants potentiels », encore sceptiques quant à la solidité et à l’applicabilité des méthodes en question. Les économistes sont attachés au principe selon lequel l’efficience économique devrait constituer l’un des critères fondamentaux des investissements et de l’élaboration des politiques dans le secteur public. Cela signifie que l’on devrait viser, lors de l’utilisation des ressources rares à maximiser les bénéfices que l’on peut retirer, déduction faite dans chaque cas, des coûts de leurs utilisations. Le manuel n’a pas pour objet de supplanter le critère de l’efficience économique mais d’y intégrer les facteurs d’environnement. Il n’est pas nécessaire d’utiliser un critère « environnemental » distinct si les effets sur l’environnement peuvent être mesurés en termes économiques. Et si tel est le cas, il suffira d’utiliser un critère économique modifié. Le manuel traite aussi des « projets » élaborés par les groupes d’étudiants de Master en évaluation des projets quand on sait que l’économie de l’environnement s’intéresse aux motifs économiques, entre autres, sous jacent à la dégradation de notre milieu. L’objectif de cet ouvrage est de s’attaquer aux difficultés inhérentes à la prise de décision en matière de gestion de l’environnement à travers les projets d’infrastructures qui fournissent une approche adéquate à l’Evaluation des Impacts sur l’Environnement (EIE) composante essentielle de l’évaluation environnementale. L’EIE est un processus qui rend les projets plus acceptables du point de vue de l’environnement. Elle émerge d’un ensemble de préoccupations sociales à l’échelle tant nationale qu’internationale. 8 INTRODUCTION La prise de conscience dans les années 70 de l’urgente nécessité de protéger la nature s’est concrétisée dans la plupart des pays par des lois obligeant à réduire les nuisances et les pollutions, et d’atténuer les impacts des grands projets (ou des projets coûteux). Pour ce faire, des « Études d'Impacts Environnementaux » (EIE) sont devenues obligatoires préalablement à la réalisation d'aménagements ou d'ouvrages qui, par l'importance de leurs dimensions ou de leurs incidences sur le milieu naturel, pourraient porter atteinte à ce dernier. La portée des études d'impact a été souvent renforcée par : des procédures de concertation ou de débat public (conférence de consensus), par ailleurs encouragée par les procédures visant un développement durable ; • • de nouvelles démarches et des outils d'évaluation et de cartographie (SIG) des enjeux écologiques, environnementaux, patrimoniaux et paysagers ; • de nouvelles démarches d'évaluation des sensibilités des territoires d’étude. De nouvelles lois dans certains pays invitent les élus et les porteurs de projets à mieux cerner les liens entre les enjeux écologiques et les enjeux socioéconomiques. Les EIE ont cependant été insuffisantes pour enrayer la régression de la biodiversité. Les EIE étudient et comparent les impacts écologiques (et donc faunique, floristique, fongique, éco paysager..), acoustiques, paysagers, théoriquement du stade du chantier au stade de la déconstruction. S’insérant dans un processus de planification, elle vise à éviter une dégradation de l’environnement aux dépens d’un développement économique ; elle n’agit pas comme un frein au développement, mais plutôt comme un outil reconnu pour assurer une meilleure intégration des projets dans le milieu et pour promouvoir un développement durable. Un impact sur l’environnement ne se limite pas à la seule valeur du changement d’un indicateur environnemental du milieu biophysique ou humain. L’évaluation de l’impact doit aussi mettre cette grande en relation avec le milieu d’insertion de ses composantes spatiales et temporelles, ce qui permet de lui accorder une importance, et de prendre en compte la signification qu’attribuent les différents publics aux incidences anticipées ainsi qu’à l’évaluation scientifique de leurs conséquences. En raison principalement de ces deux composantes, l’évaluation des impacts relève du jugement des individus et, de ce fait, est empreinte d’un certain degré de subjectivité. Depuis la mise en place du processus d’EIE aux Etats-Unis en 1969, plusieurs pays ont adopté ou travaillent à la mise en œuvre de procédures nationales. Quant aux pays africains, les principaux catalyseurs de leur action auront été certes le Sommet de la Terre de Rio en 1992, mais surtout la directive opérationnelle 4.01 de la Banque Mondiale, qui impose la réalisation d’une évaluation environnementale avant la prise de décision du financement. Cette réalisation d’une EIE est dorénavant une exigence que pose la majorité des agences d’aide bilatérales et multilatérales. Fort de ce qui précède, l’EIE doit avoir une place importante dans la réalisation des infrastructures qui sont indispensables pour le développement. Il s’agit en fait de mettre en place des « infrastructures durables », c'est-à-dire celles qui tiennent compte d’un développement durable. La phase des travaux d’infrastructures est déterminante car elle comporte de nombreux risques qui peuvent avoir des impacts sur l’environnement (la destruction d’espèces protégées, les nuisances sonores, la poussière, les pollutions,…) et faire l’objet de réclamations lourdes de conséquences pour le projet en termes de coûts et de délais de réalisation. Prévenir ces risques repose sur une préparation des travaux en amont du projet et exige de la part des parties impliquées, la mise en place des dispositions contractuelles et des solutions techniques adaptées. La réalisation de l’EIE en matière d’infrastructures relève de la responsabilité du maître d’ouvrage pendant les phases de réalisation, d’exploitation et d’entretien des infrastructures. Elle se fonde sur les directives, qui en constituent en quelque sorte la feuille de route et une 10 première esquisse de la table des matières. Il revient aux experts de différents domaines de déterminer les conditions de base de l’environnement biophysique et humain, d’évaluer la grandeur, l’importance et la signification des impacts du projet sur les composantes de l’environnement préalablement définies, de proposer des mesures requises pour les annuler ou pour les atténuer dans le cas des impacts négatifs, ou encore pour les maximiser dans le cas des impacts positifs. Pour mieux intégrer les EIE des projets d’infrastructures par rapport à la gestion de l’environnement, nous préconisons une articulation de notre ouvrage en trois parties : Une première qui situe le cadre général de l’EIE en rapport avec les questions de développement. Une deuxième qui préconise la méthodologie de l’EIE relevant de l’évaluation environnementale. Et une troisième partie qui est une étude de cas des infrastructures respectueuses de l’environnement. 11 PREMIERE PARTIE : CADRE GENERAL D’ANALYSE Les questions liées à l’environnement sont extraordinairement complexes ; elles engagent un avenir qui est aussi celui des générations futures entre une économie maximaliste et prédatrice et une protection obstinée d’un environnement qui n’existe que dans l’imaginaire. Il faut frayer la voie à ce que la commission Brundtland des Nations Unies a appelé « sustainable development » ou développement soutenable à long terme. Conçu dans les années 80 en réaction aux dommages causés à l’environnement naturel et humain par les modèles de développement irrespectueux des limites des systèmes, le concept de développement durable résulte de 40 ans de réflexion et d’analyses. Entre le sommet de Stockholm (1972) et celui de Copenhague (2009), le monde a connu d’importants changements qui ont rendu plus harmonieuses les relations entre le développement et l’environnement. L’évaluation environnementale, en particulier l’EIE, figure parmi les outils reconnus et essentiels qui permettent de tendre vers un développement durable. Cette partie de l’ouvrage se veut un cadre global d’analyse qui permet non seulement de mieux comprendre les grands thèmes tels que le concept de l’environnement (Chapitre I), mais aussi et surtout d’établir la relation entre l’EIE et son champ d’analyse qui est le développement durable (Chapitre II) avant de mettre l’accent sur l’importance des éléments constitutifs de l’environnement (Chapitre III) qui sont au centre d’une EIE de par les modifications dont ils sont l’objet lors de la mise en place de tout projet d’infrastructure. CHAPITRE I L’ENVIRONNEMENT ET SON EXTENSION La référence à l’environnement est centrale, mais la difficulté réside dans l’accord à réaliser sur la signification du concept « environnement » pour permettre le dialogue interdisciplinaire. L’environnement est en fait, un concept ambigu empreint de subjectivisme et de relativisme. En effet des nuances et même des différences essentielles existent dans la manière de comprendre et d’appréhender le sens de ce terme. Selon les parties du monde, l’environnement aurait par exemple pour connotation, la pollution pour les pays industrialisés, alors que l’accent serait mis sur la désertification ou l’érosion des sols en ce qui concerne les pays en voie de développement. Selon les groupes socioculturels, la cristallisation de l’intérêt des classes dirigeantes sur le cadre des activités serait le principal objectif. L’environnement c’est aussi une question d’échelle dans ce sens qu’on peut le situer au niveau de la planète (lorsqu’on parle par exemple de l’effet de serre) ou au niveau local. La perception personnelle de chaque individu importe également. Pour les uns c’est une affaire de théorie. Pour les autres, c’est du vécu concrètement. Des distinctions peuvent être faites selon les relations qu’entretiennent les différentes disciplines scientifiques avec l’environnement. L’objectif de ce chapitre est de mieux cerner le concept de l’environnement à travers différentes approches ainsi que son extension dans les différents domaines de la société. I. LE CONCEPT D’ENVIRONNEMENT Le mot environnement est polysémique, c’est-à-dire qu’il a plusieurs sens différents. Dans son sens premier, il renvoie à la notion de cadre de vie, de voisinage, d’ambiance, ou encore de contexte (en linguistique). L’environnement naturel, qui entoure l’homme, est récent et s’est développé dans la seconde moitié du XXe siècle. Le mot environnement est à différencier du mot nature. La nature désigne l’ensemble des éléments naturels, biotiques et abiotiques, considérés seuls, alors que la notion d’environnement s’intéresse à la nature, au regard des activités humaines et aux interactions entre l’homme et la nature. La notion d’environnement englobe aujourd’hui l’étude des milieux naturels, l’action néfaste de l’homme sur l’environnement et les actions engagées pour la réduire. Au vu de ce qui précède, nous examinerons dans cette section, la définition ainsi que les différentes approches de l’environnement. I.1. DEFINITION DE L’ENVIRONNEMENT L’environnement est défini comme « l’ensemble des éléments (biotiques ou abiotiques) qui entourent un individu ou une espèce et dont certains contribuent directement à subvenir à ses besoins », ou encore « l’ensemble des conditions naturelles (physiques, chimiques, biologiques) et culturelles (sociologiques) qui agissent sur les organismes vivants et les activités humaines ». La notion d’environnement naturel qui renvoie au mot environnement, a beaucoup évolué au cours des derniers siècles et des dernières décennies. On peut aujourd’hui définir l’environnement comme l’ensemble des composants naturels de la planète terre, comme l’air, l’eau, l’atmosphère, les roches, les végétaux, les animaux ; et l’ensemble des phénomènes et des interactions qui en découlent, c’est-à-dire tout ce qui entoure l’homme et ses activités. Au XXIème siècle, la protection de l’environnement est devenue un enjeu majeur. La préservation de l’environnement est un des trois piliers du développement durable et a été choisie comme l’un des huit objectifs du millénaire pour le développement. I-2 LES DIFFERENTES APPROCHES DE L’ENVIRONNEMENT Sans vouloir envisager ici la manière dont un ensemble de connaissances se spécifie et s’organise en une discipline autonome, il est clair qu’on peut affirmer que l’environnement n’est pas une discipline scientifique, mais un domaine d’investigation, un objet d’étude, un champ de recherche. Dès lors, la définition de 18 l’environnement peut être donnée à partir de quatre approches spécifiques à savoir : - l’approche historique ; l’approche analytique ; l’approche sociologique ; l’approche systémique. I-2-1– L’APPROCHE HISTORIQUE L’histoire de l’environnement est une sous division de l’histoire, à laquelle s’intéresse de plus en plus de monde. Son but est d’étudier rétrospectivement l’état de l’environnement à différentes époques et ses interactions avec les activités humaines. Avant le XIXè siècle La prise de conscience de l’existence d’un environnement s’est développée par vagues et de manière différente selon les époques, les régions et les cultures humaines. Certaines interprétations animistes ou religieuses, comme le bouddhisme ont favorisé un certain respect de la vie, des ressources naturelles et des paysages. Cela- dit, ce respect était motivé avant tout par des croyances religieuses, bien plus que par un réel désir de protection des milieux naturels. En effet, les concepts d’environnement économique, urbain ou civique tel que nous les définissons aujourd’hui ne semble pas avoir été relevés par les ethnologues ni les historiens. Au XIXème Au XIXè siècle, et en Occident notamment, le romantisme a mis en avant la beauté des paysages sauvages, parfois en les opposants aux paysages et à la misère des mondes ouvrier, et industriel. En vantant les beautés de la nature, les romantiques ont fait prendre conscience que ce bien était précieux et devait être préservé. C’est pour cet intérêt porté au paysage que les sociétés vont commencer à se soucier de l’environnement. Les Etats-Unis créent le statut de parc national, avec le Président Abraham Lincoln le 30 Juin 1864 et la Yosemite valley devient le premier site naturel protégé au monde. Le parc de Yellowstone 19 deviendra en 1872 le premier parc national. La France, en 1906, vote sa première loi sur la protection du paysage. A cette époque, c’est plutôt le paysage, et non l’écosystème qui guide les choix des élus pour les sites à protéger comme le montre le classement des bouches de la Seine qui sont peints par les impressionnistes, par exemple. Au XXè siècle Dès la fin du XIXè siècle et pendant la majeure partie du XXè, le développement mondial a été très fort. La révolution industrielle et la forte croissance économique ont favorisé une industrie lourde et fortement consommatrice en ressources naturelles. Les nombreux conflits ont fait prendre conscience de la rareté de certaines ressources, voire localement, de leurs possibilités d’épuisement. Les premières catastrophes industrielles et écologiques visibles (marées noires, pollution de l’air et des cours d’eau) sensibilisent l’opinion publique et certains décideurs à la protection des écosystèmes. Plus tard, dans les années 70, les premier et second chocs pétroliers font prendre conscience de l’importance stratégique de la bonne gestion des ressources et des conséquences de la hausse de la consommation matérielle. La perception de l’environnement a également fortement progressé avec une meilleure diffusion des connaissances scientifiques et une compréhension des phénomènes naturels. La découverte et l’exploration de nouveaux milieux (Arctique, Antarctique, monde sous-marin) ont mis en évidence la fragilité de certains écosystèmes et la manière dont les activités humaines les affectent. Ils ont été vulgarisés par de nombreux auteurs dont Paul-Emile Victor et le commandant Cousteau1. Dans le même temps, la connaissance rétrospective de l’histoire de la planète et des espèces progressait avec la paléoécologie, et la mise à jour de preuves scientifiques de catastrophes écologiques majeures qui ont fait disparaître successivement des espèces durant des millions 1 Paul Emile Victor et le commandant Cousteau, ont été les grands vulgarisateurs des problèmes environnementaux. 20