BIOÉTHIQUE : RECHERCHES SUR L’EMBRYON HUMAIN La Bioéthique est définie dans le dictionnaire1 comme l’étude des problèmes moraux engendrés par la pratique médicale et la recherche en biologie. Elle s’interroge au sujet du développement de la biomédecine et des techno sciences. La bioéthique fait intervenir une pluralité d'acteurs et de disciplines : médecins, biologistes, généticiens, sociologues, juristes, philosophes, théologiens… La bioéthique concerne un large domaine de questions. Dans les lignes qui suivent je me bornerai à évoquer les recherches sur l’embryon humain qui font l’objet d’un projet de loi déjà adopté au Sénat et en discussion à l’Assemblée nationale en ce début avril 2013. Chaque chrétien est amené à éclairer sa conscience et à répondre aux questions du sens et des conséquences des progrès scientifiques pour l'avenir. Quelle est la frontière à ne pas dépasser au-delà de laquelle on porte atteint à l’intégrité de l'être humain ? Où se trouve la limite entre ce qu’il est possible de faire et ce que l'on pourrait être capable de faire ? La loi actuellement en vigueur En France, il faut attendre la loi du 20 décembre 1988 pour que soit réglementée l'expérimentation humaine, qui se limite à celle effectuée sur des personnes consentantes utilisées comme sujet d'expérience. La loi pose le principe général de la non-rémunération des expérimentations : tout est fondé sur le don gratuit. Par la suite, la loi du 29 juillet 1994 sur le corps humain, le don et l'utilisation des éléments et produits du corps humain, a posé les bases du droit actuel en matière de bioéthique, en particulier le principe de la non-patrimonialité2 du corps humain. Avec la loi du 6 août 2004 modifiant celles de 1994, le terme de « bioéthique » apparaîtra pour la première fois en droit positif français. L'article 40 de la loi de 2004 prévoyait une révision en 2009. Elle a été repoussée à 2010/2011, s'appuyant sur un rapport de 95 propositions (dont le maintien de l'interdiction de gestation pour autrui, de la recherche embryonnaire, sauf dérogation, limitée à 5 ans comme c'est déjà le cas). Il est proposé aussi de maintenir l'interdiction de transfert d'embryon post-mortem, sauf pour des femmes concernées par un projet parental engagé et interrompu par la mort du conjoint. Selon la loi votée en 2011, le principe d’interdiction de la recherche sur l’embryon et les cellules souches est maintenu (art. 40 à 44). Toutefois, la recherche peut être autorisée par dérogation sous certaines conditions, en particulier : - si la pertinence scientifique du projet de recherche est établie ; - si la recherche est susceptible de permettre des progrès médicaux majeurs… La proposition de loi nouvelle Une proposition de loi du groupe des Radicaux de gauche, adoptée au Sénat début décembre 2012, permettrait d’autoriser la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines ; elle est examinée le 28 mars à l'Assemblée nationale. « Les auteurs du texte estiment que « la recherche sur les cellules souches embryonnaires est porteuse d'espoir et ne cesse de susciter l'intérêt des chercheurs en raison de leur potentiel thérapeutique considérable ». Ils proposent donc, dans un article unique, de remplacer le dispositif juridique actuel d'interdiction - assortie de dérogations - de recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires par un régime « d'autorisation encadrée »3. Pour Jean Léonetti, rapporteur de la loi votée en 2011, le texte soutenu par le gouvernement remet en cause le principe même de la loi de bioéthique en faisant passer la législation d'une interdiction avec dérogations à une autorisation encadrée. L’expression « autorisation encadrée » serait une validation du projet de recherche par l’Agence de biomédecine et devrait être 1 www.linternaute.com/dictionnaire/fr/definition/bioethique. Dictionnaire de la langue française. Le corps humain, ses éléments et produits ne peuvent faire l'objet d'un droit patrimonial : le corps humain n’est pas une chose qui peut faire l’objet d’un contrat, d’une convention ou d’un commerce ; en France, on ne peut pas vendre ou louer tout ou partie de son corps. Seul est permis le don gratuit d’organes. 3 www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl11-576.html 2 1 « scientifiquement pertinent » avoir "une finalité médicale", "ne pouvoir être conduit qu'avec des embryons humains" et "respecter des garanties éthiques". Ces modifications importantes ont pour but de faciliter les recherches sur l’embryon humain. La position de l’Église catholique. Dans l’instruction « Dignitas personnae » sur certaines questions de bioéthique, l’Église catholique affirme ce principe fondamental : « La dignité de la personne doit être reconnue à tout être humain depuis sa conception jusqu’à sa mort naturelle. Ce principe fondamental, qui exprime un grand « oui » à la vie humaine, doit être mis au centre de la réflexion éthique sur la recherche biomédicale, qui acquiert de plus en plus, dans le monde d’aujourd’hui, une grande importance. »4 « La raison et la foi peuvent proclamer ensemble qu’une éthique commune trouve son fondement dans le respect inconditionnel de l’être humain vulnérable, du ‘membre le plus infime de l’espèce humaine’ »5. En France, « notre loi de bioéthique est issue d’un vrai débat de société ; l’Église catholique s’y est engagée par le « dialogue ». Selon cette loi, la recherche sur l’embryon humain et ses cellules est par principe interdite, et les techniques d’assistance médicale à la procréation (AMP) ne sont possibles qu’en cas d’infertilité médicalement constatée. Or, des parlementaires veulent modifier ces deux points essentiels : d’abord, en autorisant par principe la recherche sur l’embryon humain ; ensuite, en faisant de l’AMP un contournement de « l’infertilité sociale » entre deux personnes de même sexe. Ces changements sont-ils opportuns ? Depuis 1994, l’interdiction de la recherche sur l’embryon humain et ses cellules a été maintenue. Cela est conforme à notre Code civil qui exige le respect de l’être humain « dès le commencement de sa vie », en raison de sa « dignité ». Autoriser maintenant cette recherche n’est-il pas anachronique ? En effet, le prix Nobel 2012 du professeur Yamanaka et des progrès scientifiques attestent que des recherches alternatives sont crédibles. Celles-ci n’indiquent-elles pas la direction à prendre pour que la France ne soit pas en retard ? En légalisant l’autorisation par principe de recherche sur les embryons humains, nous basculerions dans l’utilitarisme. Là, point d’émerveillement devant l’humanité du plus vulnérable ! Deviendrait légal le droit de ne pas la respecter chez l’être humain embryonnaire. Ce serait certainement une régression. »6 Commentaires : Colauréats du prix Nobel de médecine 2012, le biologiste britannique John B. Gurdone et le chercheur japonais Shinya Yamanaka ont obtenu pour la première fois des cellules souches pluripotentes (dites iPS). Par leurs découvertes "ils ont révolutionné notre compréhension sur la manière dont les cellules et les organismes se développent", a précisé le comité Nobel. Il s’agit d’une alternative essentielle à l'utilisation des cellules souches provenant des embryons utilisées dans le domaine des thérapies cellulaires. Ces cellules souches pluripotentes qui ont la propriété de pouvoir se différencier en n'importe quel tissu de l'organisme peuvent réparer nos organes au même titre que les cellules embryonnaires. La question est donc posée de la nécessité de maintenir les recherches sur l’embryon humain et le débat sur l’utilité de ces recherches est ouvert. De nombreux chercheurs et médecins estiment que les recherches sur l'embryon devraient être clairement autorisées car elles sont aussi indispensables que celles portant sur les cellules souches adultes (qui, elles, ne posent pas de problème éthique). Les recherches sur les cellules souches embryonnaires ont pour objectif d’être utilisées pour remplacer des organes ou des tissus 4 L’instruction de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, Dignitas personnae, est de septembre 2008. Les instructions ont pour but de clarifier les dispositions de la loi de l’Église et d'expliquer sa mise en œuvre. 5 Bioéthique propos pour un dialogue. Mgr Pierre d’Ornellas. P. 11 ; Lethellieux 2009, 153 p. 6 « Embryons : le primat de l'humain » - Tribune de Mgr Pierre d’Ornellas le mercredi 27 mars 2013, Blog Bioéthique, Conférence des évêques de France. 2 malades, tels moelle osseuse, peau, pancréas… Elles ont la propriété d’être « totipotentes » c’està-dire de pouvoir se différencier en n'importe quel tissu de l'organisme. Les chercheurs et médecins, partisans de telles recherches, estiment que celles-ci peuvent se réaliser puisque les embryons utilisés proviennent de l’abandon d’un projet parental et ne deviendrait donc jamais un enfant. Il s’agit d’une médecine régénératrice7, pour laquelle les cellules souches embryonnaires ont a priori deux avantages : elles sont totipotentes, c'est-à-dire capables de donner n'importe quel type de cellules de l'organisme, et leur auto renouvellement est illimité. Comparativement, les cellules souches adultes ont un potentiel de multiplication plus faible et leurs possibilités de transformation sont moins nombreuses. Certains chercheurs sont favorables au texte en discussion à l’Assemblée nationale car ils estiment que, d’une part, la recherche sur l’embryon est loin d’être dépassée et que, d’autre part, il reste encore à progresser et beaucoup à découvrir concernant la connaissance et l’efficacité des iPS. Le professeur Philippe Menasché (Chirurgien à l’Hôpital Georges Pompidou à Paris) estime lui aussi que la recherche sur les cellules souches embryonnaires est encore nécessaire. Il reconnaît, toutefois, qu’il n’a eu aucune difficulté à travailler sereinement dans le cadre de la loi actuelle, obtenant pour cela les dérogations nécessaires8. Ancien membre du Comité consultatif national d’éthique, le professeur Claude Huriet qualifie la proposition de loi du 28 mars 2013 autorisant la recherche sur l’embryon de « dépassée et passéiste »9. Il ajoute « la reprogrammation de cellules sanguines ou cutanées en cellules semblables à des cellules souches embryonnaires donne à ces dernières un ‘coup de vieux’ ». C’est aussi ce que pense Alain Privat, professeur en neurobiologie à l’E.P.H.E. et ancien directeur de recherche à l’Inserm. Rappelant les possibilités offertes par les travaux sur les iPS, il précise « dans ces conditions il n’y a plus de justification scientifique et médicale à utiliser des embryons humains ». Le risque que fait peser la nouvelle loi est de voir se multiplier les autorisations de recherches 10 sur les cellules souches embryonnaires non plus seulement pour permettre des « progrès médicaux majeurs » mais autant à des fins commerciales « pour tester des crèmes de beauté ». En levant le principe d’interdiction de recherche, députés et sénateurs font de l’embryon humain, jusqu’ici protégé par la loi au nom du respect de sa dignité, un simple matériau de laboratoire. Devant ces avis contradictoires la question se pose à nouveau : le maintient des recherches sur les cellules souches embryonnaires est-il justifié ? Ces recherches sont-elles encore utiles avec les avancées des découvertes récentes de Yamanaka et Gurdone ? Je n’ai évidemment pas la compétence pour avoir un avis scientifique autorisé. Ne faut-il pas alors se référer à la question morale ? Dans ce cas, la réponse n’est-elle pas ceci : « Les abus dans les greffes d'organes et leur trafic, qui touchent souvent des personnes innocentes comme les enfants, doivent trouver unie dans son refus catégorique la communauté scientifique et médicale, en tant que pratiques inacceptables. Aussi doivent-ils être fermement condamnés en tant qu'actes abominables. Le même principe éthique doit être réaffirmé quand on veut arriver à la création et à la destruction d'embryons humains destinés à des fins thérapeutiques. La simple idée de considérer l'embryon comme "un matériel thérapeutique" contredit les bases culturelles, civiles et éthiques sur lesquelles repose la dignité de la personne11 » Henri Puig 7 La médecine régénératrice peut être définie comme le remplacement de cellules âgées (et/ou endommagées) par des cellules génétiquement identiques mais jeunes et pleinement fonctionnelles. Un tel résultat pourrait être obtenu en utilisant des cellules souches embryonnaires (CESh) ou bien des cellules souches adultes pluripotentes (iPS). 8 Quotidien La Croix du 28 mars 2013, p. 3 Cité par quotidien La Croix du 28 mars 2013, p. 3 10 Il existe actuellement en France 36 équipes qui travaillent sur les cellules souches embryonnaires. 9 11 Discours du pape Benoît XVI aux participants au Congrès International sur le thème du don d’organes organisé par l’Académie pontificale pour la vie. Vendredi 7 novembre 2008. 3