Diagnostics Prévisions et Analyses Économiques N° 98 – Fév. 2006 Les indicateurs de retournement : des compléments utiles à l'analyse conjoncturelle1 Détecter les retournements de conjoncture est l'un des objectifs majeurs assignés au conjoncturiste. De ce point de vue, les données dites «dures» (PIB, production industrielle,…) ont le gros inconvénient d'être disponibles tardivement. Les enquêtes, et notamment celles auprès des chefs d'entreprise de l'industrie, sont disponibles plus tôt et elles permettent de prévoir de manière satisfaisante la production industrielle à l'aide de relations économétriques couramment appelées étalonnages. Mais ces étalonnages ont souvent tendance à détecter avec un certain retard les points de retournement. C'est pourquoi ont été construits à partir de ces enquêtes, en 1998 pour la France et en 2000 pour la zone euro, des indicateurs dits «de retournement» dont l'objet est justement la détection des périodes au cours desquelles la conjoncture se retourne. À cet effet, on définit à partir de ces enquêtes un signal -positif ou négatif- lorsque les acteurs économiques qui répondent à ces enquêtes modifient substantiellement et dans le même sens leurs réponses aux questions qui leur sont posées. Les indicateurs de retournement ainsi construits à partir des enquêtes européennes dans l'industrie indiquent généralement bien, et avant les indicateurs plus quantitatifs (étalonnages d'enquêtes notamment), les changements de régime de croissance de la production industrielle qui sont en train ou sont sur le point de se produire. Ces indicateurs de retournement complètent donc, mais sans pour autant les remplacer, les outils plus classiques d'analyse de la conjoncture. Même s'il est possible de détourner de leur usage premier les indicateurs de retournement pour prévoir la production industrielle, leur performance se révèle en effet en moyenne moins bonne que celle des étalonnages plus classiques. 1. Ce document a été élaboré sous la responsabilité de la Direction Générale du Trésor et de la Politique Économique et ne reflète pas nécessairement la position du Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie. Direction Générale du Trésor Générale du Trésor etDirection de la Politique Économique et de la Politique Économique Sommaire des derniers numéros parus Janv. 2006 n°97 • Bilan des finances locales depuis 1980, Julie Marcoff n°96 • Mondialisation et marché du travail dans les pays développés, Nadia Terfous n°95 • Les interventions de change japonaises semblent faire s’apprécier l’euro à court terme, Benjamin Delozier Déc. 2005 n°94 • Croissances et réformes dans les pays arabes méditerranéens, Jacques Ould-Aoudia n°93 • L'Asie émergente et la libéralisation du compte de capital, Pierre Mongrué, Marc Robert n°92 • Influence de la fiscalité sur les comportements d’épargne, Maud Aubier, Frédérier Cherbonnier, Daniel Turquety Nov. 2005 n°91 • La présence française en Asie, Stéphane Cieniewski n°90 • Prix de l’Immobilier Résidentiel et Sphère Financière, Sébastien Hissler n°89 • Un bilan de l’émission des obligations françaises indexées sur l’inflation, Benoît Coeuré, Nicolas Sagnes Oct. 2005 n°88 • Perspectives d’élargissement de la zone euro, Vanessa Jacquelain n°87 • Les externalités budgétaires dans la zone euro, Benjamin Carton n°86 • Le rôle du raffinage dans l’évolution récente des prix à la pompe, Julie Muro Sept. 2005 n°85 • La situation économique mondiale à l’automne 2005, Nathalie Fourcade n°84 • Taux d’actualisation public et calcul économique, Fabien Delattre, Adrien Véron n°83 • Évolution de l’emploi public en France et au Royaume-Uni depuis 1980 : éléments de comparaison, Patrick Taillepied n°82 • Pourquoi le solde commercial américain a-t-il continué de se dégrader depuis 2002 malgré la dépréciation du dollar ? Pierre Beynet, Éric Dubois, Damien Fréville, Alain Michel n°81 • Politique familiale et taille de la famille, Maryse Fesseau, Layla Ricroch Août 2005 n°80 • Y-a-t’il un excès de liquidité ? Benjamin Delozier, Sébastien Hissler Juil. 2005 n°79 • Performances de la France à l’international : état des lieux et enjeux à moyen terme, Bruno Valersteinas n°78 • La hausse du prix des matières premières vue d’Asie, Hubert Frédéric Direction Générale du Trésor et de la Politique Économique 2 1. Les indicateurs de retournement visent à combler une lacune dans la lecture traditionnelle des enquêtes Chaque mois, les instituts de statistiques des douze pays de la zone euro interrogent les chefs d'entreprise de l'industrie manufacturière sur leur appréciation de la conjoncture récente et des évolutions prévisibles dans un avenir proche ; les instituts résument ensuite ces réponses à travers des soldes d'opinion ; la Commission Européenne rassemble et présente chaque mois ces résultats, ce qui permet de disposer de données précieuses pour lire la conjoncture de la zone. La plupart des indicateurs résumant l'information contenue dans les enquêtes sont construits comme une combinaison linéaire (une moyenne pondérée) de plusieurs de ces variables. On sait bien les relier aux grandeurs quantitatives qu'on cherche à prévoir et la plupart du temps, le diagnostic issu de leur évolution est suffisant. Pourtant, ils ne permettent pas de signaler de façon évidente les retournements conjoncturels, même si un graphique rétrospectif montre une bonne adéquation de l’indicateur synthétique aux cycles d’activité : • Un étalonnage est une équation économétrique qui traduit les soldes d'opinion issus des enquêtes en prévisions de croissance d'une grandeur quantitative, prévision que l'on peut réaliser à différents horizons (pour le trimestre en cours dès qu'il est entamé, ou le suivant). Cette méthode est bien connue et couramment utilisée en conjoncture. Toutefois, elle ne permet pas forcément d'anticiper ou de refléter les retournements en temps réel : les étalonnages se trompent plus aux moments où la conjoncture se retourne car les équations sont construites pour assurer une certaine stabilité au diagnostic, notamment en tenant compte des enquêtes passées et pas uniquement de la dernière disponible, et aussi en tenant compte de plusieurs séries de soldes d'opinion simultanément. • Pourtant, en examinant une série longue de soldes d'opinion, on peut facilement définir des pics ou des creux conjoncturels, ce qui est d'ailleurs utile pour les lectures rétrospectives ; cependant cette définition n'est possible que bien plus tard, quand on constate qu'un point est plus élevé ou plus bas que tous ceux qui le précèdent et qui le suivent pendant plusieurs mois. Or à ce moment-là, les données quantitatives sont largement disponibles. ment chaque mois l'information d'un nouveau point d'enquête de façon très simple («le plus probable est que l'économie soit dans un état haut, moyen, ou bas»). Malgré tout, cette simplicité de présentation dissimule un traitement sophistiqué de l'information, si bien qu'ils sont mal connus et trop peu utilisés. Pour la zone euro, l’INSEE d’une part, et la Direction Générale du Trésor et de la Politique Economique d’autre part, utilisent ce type de modélisation : – l'INSEE utilise le modèle proposé par Gregoir et Lenglart, et publie les résultats de ce modèle concernant la zone euro dans un numéro d'«informations rapides» mensuel sur les enquêtes de conjoncture dans la zone euro, – la DGTPE a publié un document de travail3 présentant son propre modèle, utilisé au sein de la Direction pour le diagnostic conjoncturel. Ce type d’indicateur ne doit pas être confondu avec les indicateurs synthétiques, qui sont en fait des moyennes pondérées des soldes d’opinion des enquêtes et que certains organismes appellent parfois aussi «indices de retournement». 2. Des indicateurs probabilistes, avec de petites variantes possibles, mais qui mènent à des résultats proches et décrivent bien les retournements de la production industrielle 2.1 Une formalisation sophistiquée, mais qui met en forme une démarche intuitive Les deux indicateurs obéissent au même principe de construction : on modélise la dynamique temporelle propre à chaque série ; cela permet, à chaque point nouveau, de quantifier la «surprise», en comparant ce qui est réalisé à ce qu'aurait été le nouveau point si la série avait évolué de façon «neutre» ; on suppose alors que cette surprise est due à une variable qualitative sous-jacente représentant un nombre limité d'états d'activité (haut, bas, éventuellement moyen), et on calcule la probabilité d'occurrence de chacun de ces états compte tenu des diverses surprises observées sur l'ensemble des séries par rapport à leurs caractéristiques «habituelles», qui peuvent être définies de différentes façons. Une littérature initiée en France par Stéphane Gregoir et Fabrice Lenglart2 a montré qu'il est possible d'obtenir en temps réel à partir des enquêtes un signal qualitatif sur l'état dans lequel se trouve l'économie. Ce sont les indicateurs dits «de retournement» : ils résu- D'une façon générale, la probabilité obtenue sera celle que l'économie se trouve en phase de conjoncture haute, basse, ou éventuellement moyenne ; un «retournement» de conjoncture sera alors associé à une évolution de cette probabilité, car elle révèlera un changement d'état. 2. Gregoir Lenglart (2000): «Measuring the Probability of a Business Cycle Turning Point by Using a Multivariate Qualitative Hidden Markov Model», Journal of Forcasting, 19 (2000). 3. Hélène Baron et Guillaume Baron : «Un indicateur probabiliste de retournement conjoncturel dans la zone euro», Économie et Statistique N°359-360 (avril 2003). Direction Générale du Trésor et de la Politique Économique 3 Plus précisément, les états bas et haut auxquels fait référence l'indicateur utilisé à la DGTPE sont bien associés aux mêmes états par l'indicateur utilisé à l'INSEE. En revanche, les états moyens ne mènent pas toujours au même diagnostic : le fait que l'indicateur de retournement de la DGTPE suppose trois états permet une association plus fréquente à l'état moyen, alors que l'indicateur utilisé à l'INSEE (qui suppose deux états) ne diagnostique cet état que brièvement, lors de passage d'un état bas à haut (ou inversement), comme au second semestre 1994 ou à la mi2003, ou lors de phases d'incertitude marquée, comme fin 2002. L'indicateur de retournement modélisé avec deux états peut donc se montrer plus stable dans son diagnostic : l'activité est bien orientée ou pas. Il peut permettre aussi de mettre en évidence plus rapidement les retournements si l'indicateur passe brutalement d'une valeur proche de 1 à une valeur proche de –1 (ou inversement). 2.2 Des choix différents qui mènent finalement à des indicateurs proches Ces principes étant posés, le modélisateur peut faire plusieurs choix dans la construction de l'indicateur mais aussi dans sa présentation finale4. Les indicateurs de l'INSEE et de la DGTPE diffèrent ainsi sur plusieurs points, la principale source de différence étant le choix du nombre d'états : 2.2.1 Choix du nombre d'états… On peut faire le choix parcimonieux de ne retenir que deux états (haut ou bas), comme l'INSEE, qui s'intéresse ensuite à la différence de probabilité des deux états ; on peut préférer retenir trois états (haut, bas, moyen), comme la DGTPE, qui met ensuite en avant l'état le plus probable. La présentation finale diffère finalement peu : certes, l'INSEE présente une courbe variant entre –1 (l'«état est bas») et +1 (l'«état est haut»), tandis que les choix effectués par la DGTPE peuvent se représenter par trois états différents, sous forme d'aires de couleurs différentes selon que l'état le plus probable est le «haut», le «moyen» ou le «bas». Par convention, l'INSEE considère que le message est positif si l'indicateur est supérieur à 0,33, négatif, s'il est inférieur à – 0,33, et neutre sinon. On voit graphiquement (cf. graphique 1) que dès lors, les deux indicateurs délivrent sensiblement le même message décliné en trois possibilités : notamment, aucun des deux indicateurs n'est systématiquement avancé par rapport à l'autre. Comme ce sont bien les retournements que l'on cherche à diagnostiquer, on pourrait en conclure que la modélisation avec trois états fait perdre de l'information. De fait, en 2003 et 2004 par exemple, l'alternance d'états moyens et hauts rendait l'interprétation difficile. Toutefois, ce n'est pas forcément le cas, notamment lorsque le retournement ne se fait pas brusquement : à titre d'exemple, au premier semestre 1998 ou au second semestre 2000, le passage de l'indicateur de la DGTPE par un état moyen anticipait correctement l'état bas qui a ensuite été diagnostiqué ; l'indicateur de l'INSEE, quant à lui, signalait alors toujours un état d'activité élevé, même si la probabilité associée à cet état diminuait. 4. Afin d'étudier l'impact de ces différents choix, nous avons utilisé le modèle DEREC, routine développée sous GAUSS par J. Bardaji et F. Tallet (notes n° 225/G121 et 127/G145 de l’INSEE). Graphique 1 : comparaison des états d’activité retranscrits à travers les indicateurs de retournement de l’INSEE et de la DGTPE pour la zone euro 1,0 0,3 -0,3 -1,0 1990 1992 état bas (DGTPE) 1994 1996 1998 état moyen (DGTPE) 2000 2002 état haut (DGTPE) 2004 2006 Indicateur INSEE Source : INSEE, DGTPE Direction Générale du Trésor et de la Politique Économique 4 2.2.2 Choix du moment de l'agrégation Pour la zone euro, l'INSEE utilise tous les soldes d'opinion des 6 principaux pays de la zone euro (30 variables) pour construire son indicateur de retournement. La modélisation utilisée à la DGTPE repose sur les cinq soldes d'opinion se rapportant à l'ensemble de la zone euro , les soldes d'opinion étant pondérés en fonction notamment de leur poids économique au sens de la production industrielle. Aucune des deux méthodes n'est a priori meilleure que l'autre ; on peut d'ailleurs montrer que cela ne provoque finalement pas de différence de résultats majeure. 2.2.3 Choix de qualification conjoncturelle» de la «surprise Pour chaque série, la variable de «surprise» (que l'on appelle l'innovation conjoncturelle) peut être mesurée par rapport à son propre comportement récent, avec l'hypothèse qu'il existe un lien temporel entre les variations (c'est le choix fait par l'INSEE), ou en fonction de l'ampleur des variations rapportée à ce que l'on observe sur l'ensemble du passé et non uniquement sur le passé récent (c'est le choix fait par la DGTPE). On peut montrer que ce choix, comme tous ceux mentionnés précédemment, mène à des résultats proches. C'est donc que l'essentiel de l'information que les indicateurs de retournement délivrent est bien dans leur principe de construction, qui consiste à extraire une information qui n'est pas directement exprimée par les entrepreneurs interrogés, mais qui est révélée par l'écart aux régularités observées dans leur comportement de réponse. 2.2.4 Choix des variables qui participent à l'analyse Enfin, on peut aussi choisir de retenir différentes séries de soldes d'opinion dans l'analyse. Afin d'exploiter le maximum d'information, les deux modèles (INSEE et DGTPE) utilisent cinq soldes d'opinion5. Néanmoins, on peut se demander si des modèles n'intégrant que les soldes prospectifs réagiraient plus tôt que les autres. Appliqué à la Zone Euro, un test statistique (test de Banerji6) montre que cette avance n'est globalement pas significative. 2.3 Les retournements de la production industrielle sont bien décrits par les indicateurs ainsi construits Nous avons caractérisé le rythme de croissance de l’Indice de la Production Industrielle (IPI)7 en trois états, en définissant des bornes de taux de croissance de telle sorte qu'un tiers des observations appartienne à chaque état. Nous avons ainsi déterminé des régimes de croissance faibles (lorsque le taux de croissance trimestriel de la production est inférieure à +0,1%) et élevées (lorsque ce taux de croissance est supérieur à +0,9%). On peut montrer (cf. tableau, construit à partir de l'indicateur de la DGTPE8) que lorsque les indicateurs obtenus se modifient pour s'installer durablement dans un nouvel état, haut ou bas, cela se produit en général au cours du trimestre précédent le changement du rythme de croissance de l'IPI. 5. Tendance passée de la production, Perspectives de production, Carnets de commandes globaux, Carnets de commandes étrangers, Niveau des stocks. 6. Anirvan Banerji : «The lead profile and other non-parametric tools to evaluate survey series as leading indicators», 24th CIRET conference, 1999. 7. À la différence de la France, les comptes trimestriels pour la Zone Euro ne présentent pas de production dans l'industrie (seule la valeur ajoutée est présentée), c'est pourquoi nous comparons les indicateurs de retournement à l'IPI. 8. La même étude, basée sur l'indicateur de retournement de l'INSEE, mène à des résultats proches. Graphique 2 : indicateur de retournement de la DGTPE et taux de croissance de la production industrielle pour la zone euro 2% 1% 0% -1% -2% 1990 1992 1994 état bas (DGTPE) état haut (DGTPE) 1996 1998 2000 2002 2004 état moyen (DGTPE) Taux de croissance de l'IPI Source : INSEE, DGTPE Note de lecture : les traits en pointillés représentent les bornes du taux de croissance trimestriel de la production industrielle qui permettent de délimiter un taux de croissance soutenu, moyen ou faible. Direction Générale du Trésor et de la Politique Économique 5 On peut même montrer que l'indicateur de retournement donne une bonne représentation des phases de croissance de l'IPI : croissance soutenue lorsque l'indicateur est à l'état haut, faible voire négative lorsque l'indicateur est à l'état bas, et lorsqu'il change d'état ou passe par l'état moyen, l'IPI accélère (ou décélère) effectivement. Compte tenu des délais de publications de l'IPI (45 à 50 jours après la fin du mois considéré, et donc, pour l'information de l'ensemble d'un trimestre, plus de quatre mois après le début du trimestre), cela implique que l'information qualitative sur les retournements conjoncturels est effectivement disponible beaucoup plus vite que les données quantitatives (Cf. tableau 1). Par ailleurs, la présence d'un état moyen permet parfois d'anticiper ces changements. Toutefois, l'inconvénient de prendre en compte l'état moyen afin d'anticiper les retournements conjoncturels est que les faux signaux ne sont pas rares : dans 30% des cas, le passage à un état moyen a été suivi par un retour à l'état antérieur et non un changement d'état. Cela implique qu'il ne faut pas se hâter de faire un diagnostic de retournement… sachant que dès le deuxième mois, le risque de faux signal tombe à 20%. Tableau 1 : datation des retournements de conjoncture IPI publication de l’IPI correspondant Indicateur de retournement État bas T1 1992 15 mai 1992 30 avril1992 État haut T4 1993 15 février 1993 30 sept. 1993 État bas T4 1995 15 février 1996 31 mai 1995 État haut T1 1997 15 mai 1997 30 sept. 1996 État bas T4 1998 État haut T3 1999 15 février 1999 31 juillet 1998 15 nov. 1999 30 juin 1999 État bas T2 2001 15 août 2001 31 déc. 2000 État haut T2 2002 15 août 2002 28 février 2002 État bas T3 2002 15 nov. 2002 30 avril 2003 État haut T4 2003 15 fevrier 2004 31 oct. 2003 Note de lecture : pour chaque retournement recensé, la première colonne donne la période au cours de laquelle la production a changé de régime, le seconde donne la date à laquelle est publiée la production de la période correspondante, la troisième donne la date à laquelle sont publiés les indicateurs de retournement qui ont anticipé ce changement de régime. Depuis la mi-2003, la situation est atypique : l'indicateur de retournement n'a jamais signalé durablement un même état (cf. graphique 2). Parallèlement, le taux de croissance de l’IPI est resté faible et a évolué dans une fourchette étroite : La configuration actuelle se démarque un peu de ces trois dernières années, car cela fait maintenant six mois (depuis juillet) que l'indicateur de retournement signale un régime de croissance élevée. Par conséquent, le message actuel des enquêtes est que l'IPI devrait progressivement accélérer jusqu'à atteindre un rythme de croissance soutenu 3. Les indicateurs de retournement et les étalonnages se complètent : Les indicateurs de retournement et les étalonnages sont basés sur des méthodes de construction différentes, avec des objectifs différents : les premiers se veulent qualitatifs alors que les seconds cherchent à quantifier l'état de l'activité. La différence est toutefois plus conceptuelle que pratique : ainsi l'indicateur «qualitatif» de retournement se présente sous la forme d'une probabilité de se trouver dans certains états et prend donc une forme quantitative ; l'indicateur quantitatif que constitue l'étalonnage peut aisément être transformé en indicateur qualitatif selon que l'indicateur prend une valeur «haute», «moyenne» ou «basse». Aussi peut-on légitimement se demander s'il n'est pas possible de faire l'économie d'un de ces deux indicateurs. Un examen précis montre que non : les deux indicateurs ont bien un intérêt propre qui justifie de les suivre tous les deux : 3.1 L'indicateur de retournement signale les changements de rythme de croissance avant l'étalonnage… Un étalonnage de l'IPI donne des résultats quantitatifs précis et dans l'ensemble fiables, mais leur fiabilité a parfois tendance à se dégrader quand la conjoncture se retourne (comme nous l'avons déjà mentionné, les équations sont construites pour assurer une certaine stabilité au diagnostic, notamment en tenant compte des enquêtes passées et pas uniquement de la dernière disponible, et aussi en tenant compte de plusieurs séries de soldes d'opinion simultanément). Les indicateurs de retournement sont conçus pour réagir plus rapidement que les étalonnages lors de phases de retournements conjoncturels. Mais comme ils sont basés sur une approche radicalement différente de celle des étalonnages (le premier donne une appartenance à un état tandis que le second indique un chiffre), il n'est pas immédiat de vérifier qu'ils réagissent effectivement plus rapidement que les étalonnages. Afin de pallier cette difficulté, il est toutefois possible de restreindre le principe quantitatif de l'étalonnage à celui, qualitatif, de l'indicateur de retournement : il suffit en effet de considérer que l'étalonnage permet de prévoir trois types de rythmes de croissance définis comme pour l'IPI, à savoir une croissance faible (lorsque l'étalonnage prévoit une croissance inférieure à +0,1%), une croissance élevée (lorsque la croissance prévue est supérieure à +0,9%) ou une croissance moyenne (comprise entre ces deux bornes). L'examen du comportement des deux indicateurs aux moments des changements de régime de croissance de l'IPI (tableau) montre alors que l'étalonnage avancé, qui permet le plus d'anticipation, signale les changements de régime de croissance au mieux au cours du même trimestre que l'indicateur de retournement. L'étalonnage coïncident, qui se veut plus précis mais est disponible Direction Générale du Trésor et de la Politique Économique 6 plus tardivement, est même parfois en retard par rapport au changement de régime effectif de l'IPI. Tableau 2 : datation des retournements des étalonnages État bas Étalonnages Indicateur de retournement Coïncident Avancé T2 1992 T1 1992 T1 1992 État haut T3 1993 T1 1994 T1 1994 État bas T2 1995 T3 1995 T2 1995 État haut T3 1996 T2 1997 T1 1997 État bas T3 1998 T4 1998 T3 1998 État haut T2 1999 T2 1999 T2 1999 État bas T4 2000 T1 2001 T1 2001 État haut T1 2002 T1 2002 T1 2002 État bas T2 2003 T3 2002 T3 2002 État haut T4 2003 T4 2003 T4 2003 3.2 ... Mais ce sont bien les étalonnages sur données d'enquêtes qui permettent de mieux prévoir le taux de croissance de l'IPI pour le trimestre en cours L'indicateur de retournement devrait donc être considéré comme un indicateur indispensable dans la panoplie de base du conjoncturiste parce qu'il permet de signaler les retournements avant l'étalonnage. A contrario, ne rend-il pas les étalonnages sur données d'enquêtes caducs ? Certes, il pourrait paraître évident de répondre par la négative puisque les étalonnages délivrent une information quantitative, ce que ne font pas les indicateurs de retournement. Néanmoins, l'indicateur de retournement comporte une information continue et quantitative : la probabilité associée à chaque état. Cette information peut être elle-même intégrée dans un étalonnage pour prévoir le taux de croissance de l'IPI. Graphique 3 : comparaison de la performance des étalonnages à partir des enquêtes et des indicateurs de retournement 2,5% 2,0% 1,5% 1,0% rant une prévision du trimestre en cours en disposant des informations relatives au troisième mois du trimestre (c'est-à-dire donc l'ensemble des enquêtes du trimestre). On constate tout d'abord que les deux types d'étalonnages ont des comportements proches et suivent bien le taux de croissance de l'IPI. Ce résultat peut paraître surprenant : on s'attendait a priori à ce que l'indicateur de retournement ne reproduise que grossièrement les variations trimestrielles de l'IPI, puisque les valeurs de la différence entre la probabilité de l'état haut et celle de l'état bas ont des mouvements beaucoup plus brusques que ceux de l'IPI, et sont souvent saturées. Cependant, l'erreur de prévision de l'étalonnage reposant sur l'indicateur de retournement est généralement plus élevée que celle de l'étalonnage reposant sur les soldes d'opinion (voir graphique 4) ; et même, un test statistique9 montre que la prévision du trimestre en cours à partir de données d'enquêtes est significativement plus précise que celle effectuée à partir des probabilités issues des indicateurs de retournement. Graphique 4 : erreur quadratique moyenne de prévision sur le taux de croissance trimestriel de l’IPI 1,0% Étalonnages sur données d'enquêtes Étalonnages sur les indicateurs de retournement 0,8% 0,6% 0,4% 0,2% 0,0% Mois 1 Mois 2 Trimestre futur Mois 3 Mois 1 Mois 2 Mois 3 Trimestre en cours Finalement, l'indicateur de retournement n'est pas l'indicateur le plus pertinent pour prévoir le taux de croissance de l'activité en cours : certes, il donne une information quantitative sur le taux de croissance de l'IPI de bonne qualité. Néanmoins, un étalonnage sur données d'enquêtes donne une information de meilleure qualité. Par ailleurs, un étalonnage sur données d'enquêtes permettra une interprétation bien plus aisée qu'un étalonnage effectué à partir de l'indicateur de retournement. 0,5% 0,0% -0,5% Pierre-Emmanuel FERRATON -1,0% -1,5% Taux de croissance de l'IPI Étalonnage à partir des enquêtes Étalonnage à partir de l'indicateur de retournement -2,0% -2,5% 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 Les étalonnages effectués à partir de ces deux méthodes (à partir des soldes d'opinion ou à partir de la différence entre la probabilité de l'état haut et celle de l'état bas de l'indicateur de retournement) sont présentés dans le graphique 3, à titre d'exemple en considé- Directeur de la Publication : Philippe BOUYOUX Rédacteur en chef : Philippe GUDIN DE VALLERIN Mise en page : Maryse DOS SANTOS (01.44.87.18.51) 9. Test proposé par Chong, Y.Y. et D.F. Hendry (1986) : «Econometric evaluation of linear macro-economic models», Review of Economic Studies, 53, 671-690. Direction Générale du Trésor et de la Politique Économique 7 Annexe méthodologique : Principe de construction des indicateurs de retournement On suppose que l'activité peut se situer dans N états : dans le cas de l'indicateur de la DGTPE, par exemple, N vaut 3 (états «bas», «moyen», et «haut»). On suppose qu'entre l'instant t et l'instant t+1, l'activité peut passer de l'état At=i dans lequel elle se trouve à l'état At+1=j avec une certaine probabilité pi,j qui ne dépend que de l'état i et, notamment, pas de ce qui s'est passé avant l'instant t (on dit alors que les probabilités pi,j obéissent à une chaîne de Markov d'ordre 1)a : P ( A t = j A t – 1 = i ) = p i, j , indépendamment de t. En supposant trois états d'activité (c.f. partie 2.2.1), on obtient alors la matrice suivante des probabilités de passage d'un état à l'autre : p 1, 1 p 1, 2 p 1, 3 3 Ψ = p 2, 1 p 2, 2 p 2, 3 , avec ∑ p i, j = 1, ∀i = 1, 2, 3 j=1 p 3, 1 p 3, 2 p 3, 3 On suppose ensuite que l'état d'activité a une influence sur les réponses des entreprises aux questions posées dans les enquêtes de conjoncture. Si on suit le comportement de n soldes d'opinion et qu'on le classifie (c.f. partie 2.2.3)b en termes de surprises positives ou négatives (et éventuellement neutres), on a donc, pour chacune des modalités de ces n soldes, une probabilité de réalisation conditionnelle à chaque état d'activité possible. Cette probabilité que le solde d'opinion Xi prenne la modalité s conditionnellement au fait que l'activité est dans l'état j est supposée invariante dans le temps : P ( X ti = s ti A t = j ) = φji ( s ) Et donc, pour chaque solde d'opinion Xi pris individuellement, on peut définir la probabilité conditionnelle de chacune des réalisations possibles de la surprise selon l'état d'activité. En supposant trois classes de surprise et trois états possibles, on a alors : φ 1i ( 1 ) φ 2i ( 1 ) φ 3i ( 1 ) i Φ = φ i ( 2 ) φ i ( 2 ) φ i ( 2 ) , avec ∑ φ ji ( s ) = 1, ∀i, j 1 2 3 s φ 1i ( 3 ) φ 2i ( 3 ) φ 3i ( 3 ) En supposant que les soldes d'opinion sont indépendants entre eux conditionnellement à l'état d'activité, on peut donc définir la probabilité conditionnelle à l'état d'activité de l'ensemble des surprises observées sur toutes les variables. Par exemple, avec S l'ensemble des réalisations s des Xi, on obtient : P ( X t = S t A t = j ) = ∏ P ( X ti = s ti A t = j ) = ∏ φ ji ( s ) i i Enfin, en définissant It comme l'information (les valeurs prises par les Xit, t-1, …, 2, 1) connue jusqu'en t, et en appliquant la formule de Bayes, on obtient la fonction de vraisemblance suivante :: T P ( X T = S T, …, X t = S t, …, X 1 = S 1 ) = ∏ P ( X t = S t I t – 1 ) ⋅ P ( X 1 = S 1 ) t=2 P ( X 1 = S 1 ) est un vecteur dont chaque composante représente la probabilité que l'ensemble des réalisations de X 1 signifie un état d'activité « bas», «moyen» ou «haut». Il permet l'initialisation de la fonction de vraisemblance définie ci-dessus, et est estimé selon les valeurs de Ψ (les pi,j), de sorte qu'il représente un vecteur de probabilités invariantes selon ces paramètres P ( X 1 = S 1 ) = Ψ∗ P ( X 1 = S 1 ) . Les probabilités conditionnelles intermédiaires - les P ( X t = S I t – 1 ) - sont alors estimées par un algorithme récursif dit de filtragec. L'estimation des paramètres - les pi,j et les φji ( s ) - est effectuée en maximisant cette fonction de vraisemblance. Cette estimation faite, un algorithme dit de lissagec permet également de calculer pour chaque instant t les probabilités associées aux différents états possibles de l'activité. a. b. c. L'indicateur de l'INSEE ne suppose que deux états («bas» et «haut») mais ajoute une deuxième chaîne de Markov selon que le signal est fort ou faible. L'indicateur de retournement utilisé à l'INSEE classifie l'évolution des soldes d'opinion en deux modalités, selon qu'elle soit supérieure ou inférieure à ce que laisse attendre un ARIMA ; l'indicateur utilisé à la DGTPE, quant à lui, est discriminé en trois modalités, selon la densité empirique estimée des variations des soldes d'opinion. Cf. Gregoir et Lenglart ou Baron et Baron pour plus de précisions sur ces algorithmes récursifs. Direction Générale du Trésor et de la Politique Économique 8