Peut-on trouver un bon indicateur de développement ? Eléments de corrigé Remarques préliminaires : Les réflexions sur les « nouveaux indicateurs de richesse » se sont considérablement enrichies au cours des dernières années. Au-delà de la distinction traditionnelle entre croissance et développement, il convient désormais d’intégrer les notions de développement durable et de bien-être. L’indicateur central sur la base duquel les sociétés développés formulent leurs jugement globaux de progrès est toujours, et peut-être plus que jamais l’indicateur de croissance économique, c'est-à-dire celui qui mesure les variations du PIB. La domination de ces critères a , depuis les années 70, fait l’objet de critiques émanant d’économistes , mais le plus souvent d’autres acteurs « contestataires » que cette contestation soit plutôt à tonalité sociale ( la croissance ne fait pas nécessairement le progrès social) ou à tonalité environnementale ( la croissance peut détruire ou épuiser des ressources naturelles non renouvelables ou renouvelables) Mais ces critiques ont relativement d’impact jusqu’à présent sur l’institutionnalisation d’indicateurs alternatifs. Les choses bougent cependant à voir la publication des derniers indicateurs (ci-joint, photocopies sur les derniers indicateurs publiés). Introduction : Le 8 janvier 2008, en pleine controverse sur la mesure du pouvoir d’achat, le Président Nicolas Sarkozy faisait appel à deux prix Nobel Joseph Stiglitz et Amartya Sen pour réfléchir sur la mesure de la richesse et du progrès social. La mise sur pied de la « commission Stiglitz » s’inscrivait toutefois dans un contexte plus large : celui de critiques anciennes envers l’indicateur de richesse – voir de bien-être collectif le plus utilisé : le produit intérieur brut. De fait, mesurer un phénomène implique d’en définir préalablement les contours. Le repérage et la mesure du niveau de développement à l’aide d’indicateurs vont de pair avec une réflexion sur les dimensions de celui-ci. François Perroux avait proposé de distinguer croissance et développement, la première revêtant pour cet auteur une dimension essentiellement quantitative (« L’accroissement à long terme du produit réel global »), le second un champ plus large, englobant et conditionnant la croissance, et impliquant des transformations structurelles et qualitatives, y compris sur le plan socioculturel. En tant que phénomène économique, le développement peut se définir plus précisément comme une aptitude à produire, à générer de la croissance, « à créer une gamme sans cesse élargie de biens, à coûts décroissants » selon une formule de Simon Kuznets. Des indicateurs de performance et de structure doivent donc être utilisés pour repérer le niveau atteint à cet égard par un pays. En un sens plus général, le terme de « développement » désigne l’amélioration globale des conditions de vie pour l’ensemble de la population et la préservation de la planète.. Des indicateurs sociodémographiques, de répartition ou des indicateurs composites comme l’IDH doivent être mobilisés pour décrire le niveau atteint par les différents pays à cet égard. La difficulté est de trouver un bon indicateur du développement durable, compte tenu de la multi 1 dimensionnalité du phénomène. Plusieurs sont nécessaires pour en cerner les diverses composantes. Nous analyserons dans une première partie les indicateurs usuels propres à repérer la dimension économique du développement et leurs limites (I) et la nécessité de recourir à d’autres indicateurs permettant de cerner la dimension plus sociale et écologique du phénomène (II) I – Le développement est mesuré par des indicateurs de performance économique (A) dont les limites sont répertoriées depuis longtemps (B) A- Le développement est avant tout celui de la richesse d’une collectivité dont le niveau de production et de produit par tête en constituent une première approximation. 1) Le revenu moyen par habitant est l’indicateur usuel et synthétique du développement - Le développement se caractérise en premier lieu par un haut niveau de production, permettant de distinguer les pays « développés » et les autres « en développement ». Etat de développement à un moment donné caractérisant les pays développés, relativement à d’autres qui n’en seraient que sur la voie. Mesurer le niveau de développement par la richesse produite renvoie aussi à une réflexion sur les agrégats comptables : prise en compte des services non marchands, production non prise en compte tel le travail domestique, la fraude fiscale etc. – Mesure de calcul sur une base nationale (PNB), territoriale (PIB) ? - Le revenu moyen par habitant ou PIB/ tête est considéré comme l’indicateur le plus synthétique du développement. Correction de l’effet démographique. Classement de la Banque Mondiale du Monde en PMA, pays à revenus intermédiaires et pays à revenus élevés. Permet un éclairage sur le niveau de vie « moyen » d’une population constitutif d’un niveau de développement 2) La croissance du PIB est une condition nécessaire du développement - Le développement s’apparente fondamentalement à une aptitude à produire toujours plus, à coûts décroissants, grâce à l’accumulation préalable d’un capital productif. (cf. citation de Kuznets) Le niveau de productivité constitue l’indicateur majeur du développement. « Le développement est la combinaison des changements mentaux et sociaux d’une pop qui la rend apte à faire croître durablement son produit par tête » François Perroux. - La diversité des productions et des consommations peut témoigner d’un fort degré de maturité économique. La loi d’évolution des secteurs de C Clark est une loi de développement. La hausse des revenus permet un élargissement de la consommation comme le montre la loi d’Engel. Les PMA : PIB/hab. = ≤ 100 $ par an, taux d’industrialisation ≤ 10% du PIB, taux d’alphabétisation inférieur à 50%. B- Les insuffisances du PIB comme indicateur de développement humain et durable 1) De la croissance sans développement et bien être 2 - - Les rapports du PNUD depuis 40 ans montrent l’absence de lien entre la variation des revenus (croissance) et la variation des composantes non monétaires du développement humain. Même si cela n’enlève rien au fait qu’il existe une corrélation positive et statistiquement significative entre le niveau de revenus et le niveau d’éducation et de santé. (Rapport PNUD 2010). Exemples : comparaison Chine et Tunisie entre 1970 et aujourd’hui concernant le taux de croissance, l’espérance de vie et le taux de scolarisation. Autre exemple : PIB/hab. et IDH des Etats-Unis. La relation de cause à effet entre augmentation des revenus et qualité de vie est plus mise à caution sur le long terme si l’on prend en compte la différence de nature du développement. Les pays à niveau faible ou moyen de développement peuvent améliorer leur niveau de bien-être (santé, éducation) par des actions peu coûteuses mais à des degrés de développement plus élevés, les améliorations des technologies plus onéreuses réintroduisent le facteur revenu. 2) La non prise en compte de l’environnement produit par la non déduction des dégâts du modèle actuel de croissance - - Premier exemple : accidents de la route, inondations, marée noire, tremblements de terre, etc. implique des réparations, des soins médicaux, des services d’urgence qui vont gonfler le PIB ; Il y a réparation des dégâts sans progression globale du bien-être. Pour les dépenses de réparation des dégâts environnementaux, la pensée écologiste appelle cela les dépenses défensives. Deuxième exemple : La destruction organisée de la forêt amazonienne est une activité qui fait progresser le PIB mondial. Nulle part, on ne compte la perte du patrimoine naturel qui en résulte, ni ses conséquences sur le climat et la biodiversité. Idem d’une rivière qui pollue une rivière et occasionne des dégâts qui réduisent le bien-être de certaines personnes. Le rapport Meadows en 1972, le rapport Brundtland en 1987 [celui qui définit la notion de développement durable dans le cadre des travaux de l’ONU], le rapport Stern en 2006 ont comptabilisé le coût économique et l’effet sur la croissance des dégradations environnementales à chaque époque (effet de serre, pollution de l’air, de l’eau, des terres, diminution des ressources naturelles et de la biodiversité) II – Les diverses lacunes du PIB ont conduit à la nécessité de recourir à d’autres critères pour cerner la dimension humaine et durable du développement (A) mais qui rencontre encore des limites (B) A – La nécessité d’une autre mesure de la richesse : un bilan des indicateurs alternatifs 1) Les indicateurs environnementaux - Longue tradition de travaux et propositions économiques : W Nordhaus et J Tobin (1971) « Is growth obsolète ». Plus tard, évaluation d’activités monétarisés : travail domestique, activité bénévole, etc. Plus prise en compte de certaines externalités négatives, en particulier environnementales. A l’origine de l’appellation de « PIB vert » dont les applications se sont ensuite multipliées. L’objectif étant de mesurer le « budget » de la nature. 3 - PIB vert, IBED et son calcul, IPV proche dans son inspiration du précédent, empreinte écologique, Happy planet index. Ces indicateurs devaient être définis précisément (voir poly distribué en cours) 2) Les indicateurs de développement humain soutenable - Les indicateurs de développement du PNUD, indicateurs synthétiques et composites. IDH (d’après les idées d’Amartya Sen (prix Nobel d’économie en 1998) / développement = processus d’élargissement des capacités humaines (capabilities), des choix et des libertés), IPH (1 et 2), indicateur sexospécifique du développement humain ISDH. Rappel sur la notion de Bonheur national (L’exemple célèbre du Bouthan) - Les autres indicateurs permettant de mesurer si le développement permet, selon la célèbre définition de Gunnar Myrdal, « le mouvement de tout le corps social vers le haut » : l’indice de santé sociale (ISS), le BIP 40 (baromètre des inégalités et de la pauvreté en France), l’indice de sécurité personnelle (ISP) Même remarque que précédemment B – Les propositions de la commission Stiglitz : avancées et limites 1) Des indicateurs de qualité de vie et de soutenabilité durable - Le rapport sur « les limites de la comptabilité nationale » avait envisagé le bien-être sou le couple qualité de vie / soutenabilité environnementale. La commission avait retenu pour rendre compte de la qualité de la vie (indice de santé sociale) une dimension individuelle (déclarations subjectives des individus et analyse de leur satisfaction, sentiments et affects) et une dimension sociale plus objectivée de la qualité de la vie (santé, travail, trajets domiciletravail, logement, gouvernance, liens sociaux, insécurité) - Le rapport Stiglitz a défendu l’idée de tableaux de bord des ressources physiques mettant en avant l’idée que la soutenabilité nécessite un stock de capital constant dans le temps, capital mesuré sous l’angle du capital économique , naturel (estimation monétaire des dommages aux actifs naturels) et humain ( dépenses d’éducation) . L’idée est que la société doit être en capacité de donner aux générations futures un ensemble d’opportunités « économiques » au moins aussi grand qu’aux générations futures. 2) Les conditions sociales d’élaboration de ces nouveaux indicateurs - Le travail de la commission Stiglitz est selon Dominique Méda et Florence Jany-Catrice un travail d’expertise en chambre. Les deux critiques principales de cette commission d’élaboration d’indicateurs sur « le monde que nous voulons » porte tout d’abord sur le caractère mono-disciplinaire de la composition du groupe d’experts ( essentiellement des économistes) et sur la mise à l’écart de procédures qui auraient pu valoriser les controverses. - La prise en compte et l’étude de points de vue et d’études déjà réalisées auraient permis ainsi de réhabiliter l’un des piliers du développement durable : celui de la bonne gouvernance. Voir à ce titre le documentaire « Indices » sortie en mars 2001 et réalisé par Vincent Glenn. 4 Conclusion - - Le développement est un phénomène complexe dont l’appréhension conduit à se référer à des critères multiples et variés. Les dimensions économiques, sociales, humaines et écologiques sont nombreuses et chaque indicateur tend à valoriser tel ou tel aspect en apportant une vision fragmentaire d’un phénomène qui est global. Une approche multicritère est donc indispensable. L’Organisme de coopération et de développement économique (OCDE) a mis en ligne en mai 2011 un indicateur destiné à mesurer le bien-être des habitants de ses trente-quatre pays membres. Cet indicateur, qui regroupe dix-neuf variables est une première traduction concrète du rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi de 2009. Cet indicateur reste soumis à des critiques comme celles émanant de l’économiste Jean Gadrey mais est selon Jean Paul Fitoussi « un premier essai d’application » en considérant que « ce n’est vraiment qu’un début » (cf. article du Monde photocopié) La définition des « nouveaux indicateurs de richesse du XXI° siècle » reste donc un chantier difficile et ouvert tant il est difficile de forger un indice synthétique agrégeant des valeurs marchandes à des valeurs non marchandes, en donnant un prix à ce qui n’en avait pas jusqu’ici, comme les relations humaines ou la nature. Quel prix ainsi donner à la beauté du coucher du soleil sur le Mont-blanc ou à la beauté de Paris dans les prémices de l’hiver ? Quel prix donner à la liberté, à la culture, à la santé ? (La santé n’a-t-elle pas de prix comme l’on dit souvent ?). Il est possible que si l’on arrive à quantifier de tels critères, la hiérarchie des nations à laquelle nous avons été habitués s’en trouve quelque peu modifiée … 5