Seins versus Saints

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Seins versus Saints
Denis Mazeaud
L
es femen, féministes aux seins
nus, étendards de leur liberté
d’expression, ont fait une nouvelle fois parler d’elles dans
les prétoires. Cette fois, l’une
d’elles comparaissait devant la cour
d’appel de Paris pour avoir, dans l’église
de la Madeleine, exhibé sa poitrine nue,
laquelle portait les inscriptions « 344e
salope » (en référence au manifeste des 343 initié
naguère par des féministes pro-avortement), puis
mimé l’avortement de l’embryon de Jésus, en déposant devant l’autel un morceau de foie sanguinolent
censé représenter un fœtus. Parce qu’il n’appréciait
sans doute que modérément cette scène impie, pourtant d’une indiscutable subtilité, le maître de chapelle
avait fermement prié la donzelle aux seins nus et la
cohorte de journalistes qui l’avaient opportunément
accompagnée de quitter les lieux.
Devant la cour, pour contester l’existence d’un
délit d’exhibition sexuelle, la prévenue soutenait,
d’abord, que puisque ses seins ne constituaient pas
des parties sexuelles de son corps, l’élément matériel
du délit n’était pas caractérisé. La cour n’a pas pris au
sérieux cette ingénieuse argumentation, relevant au
passage que la militante aux seins nus avait affirmé
à l’audience que le fait de toucher ses seins sans son
consentement constituait une agression sexuelle, ce
qui la constituait en « flagrant délit » d’incohérence...
C’est surtout sa liberté d’expression que la femen
brandissait pour convaincre la cour. Les poursuites à
son encontre auraient pour objet de lui interdire d’exprimer ses opinions politiques, en utilisant ses seins
nus comme une arme destinée à protester contre les
positions anti-avortement de l’Église catholique. Au
fond, ladite Église, en agissant en justice, la contrain-
drait finalement au silence ou plutôt à
cacher ses seins que ses fidèles ne sauraient voir et, ainsi, porterait atteinte à
sa liberté d’expression. Une variété de
recours bâillon, en somme…
La cour d’appel de Paris, dans son
arrêt du 15 février 2017, qui fait l’objet
d’un pourvoi, n’a pas succombé à la
tentation d’une liberté d’expression qui
constituerait un sauf-conduit pour exhiber des seins
dans les lieux saints. Elle a répliqué à la prévenue,
qui aimait se promener seins nus, que les poursuites
engagées contre elle ne visaient pas à la priver de sa
liberté d’expression, mais seulement à réprimer une
exhibition sexuelle dans un lieu de culte et à protéger la sensibilité religieuse des fidèles visés par cette
scène. Aussi, retenir à sa charge le délit d’exhibition
sexuelle n’était-il en rien liberticide, car exercer sa
liberté d’expression tous seins dehors dans un lieu
saint avait eu pour effet de porter atteinte à la liberté
de penser d’autrui et, d’une façon générale, à la liberté religieuse.
En somme la liberté d’expression s’arrête là où
commence la liberté religieuse, sitôt franchie la porte
d’un lieu de culte.
À supposer même qu’on partage la cause que
ces femmes défendent et que l’on regrette, donc, les
positions de l’Église catholique en matière d’avortement, on éprouve néanmoins quelques difficultés à
comprendre les modalités de leur lutte. Comment
des militantes féministes peuvent-elles concilier leur
noble combat pour la liberté des femmes et l’instrumentalisation de leurs corps, dont l’industrie du
sexe et de la publicité font leur miel, en les exploitant
comme de vulgaires choses au mépris de leur liberté ?
J’ai un peu de mal à suivre… Q
« En somme la liberté d’expression s’arrête là où commence la liberté
religieuse... »
LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 14 - 3 AVRIL 2017
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