Un sein dans un lieu saint, exhibition sexuelle ou pas

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Femen, la guerre des «sextrémistes»
Un sein dans un lieu saint, exhibition sexuelle ou
pas ?
QUENTIN GIRARD 16 OCTOBRE 2014 À 18:14
Eloïse Bouton, ex-Femen, lors de son action à la Madeleine, en décembre 2013. (Photo Thomas Samson. AFP)
À LA BARRE Le
tribunal correctionnel de Paris devra trancher cette
question à propos d'une Femen qui avait mené une action topless à
l'église de la Madeleine.
Etrange débat, mercredi, à la dixième chambre du tribunal correctionnel de Paris. Alors que les Femen
manifestent depuis deux ans en France sans trop de problèmes judiciaires, tout d’un coup, elles sont
accusées d’exhibition sexuelle. Eloïse Bouton, 31 ans, journaliste pigiste, était jugée pour cela après
une action, le 20 décembre 2013, à l’église de la Madeleine. Elle était entrée dans le lieu de culte, avait
brandi, seins nus, des foies de veau pour représenter l’avortement du fœtus de Jésus et protester
contre la position de l’Eglise sur le sujet. Sur son corps était écrit «344e salope», référence au
manifeste des 343 salopes publié dans le Nouvel Observateur en 1971. L’action avait duré deux
minutes, Eloïse Bouton quittant ensuite l’église dans le calme. De nombreux photographes étaient
présents, personne ne discute les faits.
La Madeleine, par l’intermédiaire de son curé, a décidé de porter plainte pour exhibition sexuelle, ce
que la justice a retenu. Tout l’enjeu des débats mercredi était de déterminer si cette action en était une
ou pas. En l’occurrence, interpréter l’article 222-32 du code pénal qui juge que «l’exhibition sexuelle
imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d’un an
d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende».
Après le rejet d’une demande de question prioritaire de constitutionnalité (QPC), déposée par l’avocat
de la défense, Michaël Ghnassia, sur la définition trop floue selon lui de cet article, les débats peuvent
commencer. Pour l’avocat de la partie civile, Laurent Delvolvé, pas de doute, le qualificatif d’exhibition
sexuelle se justifie par la nature même des Femen. «Ce sont des sextrémistes, revendiquent-elles dans
leur Manifeste», explique-t-il. Il rappelle le slogan, «mon corps est mon arme» et estime ainsi que
leur combat est par nature sexuel.
Eloïse Bouton, lors de son procès, le
16 octobre. (Photo AFP)
Les seins doivent être, également, pour
l’avocat, considérés comme «sexuels». Il
s’appuie pour cela sur un arrêt de la Cour de
cassation de 1965 qui avait condamné une
femme pour avoir joué topless au ping-pong
sur la croisette, à Cannes. Il sort également
un étrange argument, repris ensuite par le
procureur: le sein est sexuel car quand un
agresseur touche la poitrine d’une femme,
«c’est qualifié d’agression sexuelle».
Un argument, qui à l’issue des débats, laisse pantois Fatima-Ezzahra Benomar, du collectif féministe
Les Effronté-e-s, présente dans la salle. «Si quelqu’un met son doigt ou autre chose dans ma bouche
cela va être une agression sexuelle, et pourtant je veux avoir le droit de montrer ma bouche», juge-telle par l’absurde.
Mais la partie civile et le procureur, dont les argumentaires se ressemblent étrangement, marchent
aussi sur des œufs. Ils entendent bien que toute poitrine n’est pas forcément de l’exhibition sexuelle,
«cela dépend aussi du lieu et des circonstances». En cela, Laurent Delvolvé juge les lieux de culte
intouchables, «comme une école ou un tribunal». «A l’entrée de l’église de la Madeleine, une tenue
correcte est exigée, rappelle-t-il. On doit du respect à l’école, on doit du respect à la justice, on doit
être respectueux des lieux de culte, cela en va du principe de laïcité. Il n’y a pas de liberté
d’expression dans un lieu de culte», ose-t-il. Et de sous-entendre que si l’action avait eu en dehors de
l’église de la Madeleine, on n’en serait pas là, à papoter au tribunal.
«TRIBUNAL ECCLÉSIASTIQUE»
«On veut se servir d’une infraction pénale pour pénaliser une infraction cultuelle, qui n’existe pas,
répond Michaël Ghnassia. En parlant d’atteinte à la foi et à la religion, c’est le blasphème qui se lit
entre les lignes, cela relève du tribunal ecclésiastique», continue-t-il ironiquement. Et de rappeler que
lors des actions précédentes des Femen, nombreuses, il n’y eut jamais de poursuites pour exhibition
sexuelle. Même lors de celle à Notre-Dame.
Seul problème pour la défense, ce mercredi matin même, une autre Femen, Iana Jdanova, a été
condamnée à une amende pour dégradation et exhibition sexuelle, une première. Seins nus, elle avait
détruit au musée Grévin la statue de Poutine. Dans les deux cas, cela n’a pas été noté par les tribunaux,
mais les activistes poursuivies avaient agi seules. Est-ce plus sexuel en solitaire qu’en groupe ? On ne
sait pas. Est-ce aussi parce que les politiques, de droite et de gauche, ont condamné ces actions et que
les Femen ne sont plus trop en odeur de sainteté ? Peut-être.
Défendant l’action politique et idéologique d’Eloïse Bouton, Michaël Ghnassia souligne qu’on ne
poursuit pas les intermittents quand ils se mettent tous nus pour accueillir Aurélie Filippetti.
Il rappelle que la vision d’une poitrine, notamment dans la publicité, est «banalisée», et que la
manifestation seins nus date de bien avant les Femen. Cela a été une arme régulièrement utilisée par
les féministes. «Il y a une démarche politique et artistique, une volonté de mise en scène»,
argumente-t-il, défendant la liberté d’expression.
Puisqu’il faut remonter à 1965 pour la jurisprudence, il note également que dans cette affaire de jeune
femme condamnée pour avoir joué au ping-pong dévêtue, ce n’est pas les seins nus qui ont été
directement incriminés mais «leur mouvement».
Eloïse Bouton, qui a désormais quitté le mouvement Femen dans lequel elle ne «se retrouvait plus»,
est appelée à la barre. Elle avoue qu’elle voulait «choquer», évidemment. Mais c’était «au niveau
politique, pour provoquer une prise de conscience».
Le procureur a requis trois à quatre mois de prison avec sursis et une amende de 1 500 euros. Le
tribunal rendra son délibéré le 17 décembre. Une éventuelle condamnation n’interdirait pas aux
Femen de continuer de manifester ainsi, notamment dans la rue, mais elle rendrait leur tâche de plus
en plus compliquée. Surtout si la décision fait jurisprudence, les exposant systématiquement à la
même condamnation quand elles voudront agir dans des lieux symboliques.
Quentin GIRARD
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