4- On a écrit l`histoire 17 décembre 2015

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On a écrit
l’histoire
EPISODE 4
L’histoire sociale à la française
(1950-1960)
Après la seconde guerre
guerre mondiale, la France connaît une explosion des
sciences sociales sous l’effet de fortes commandes publiques. Le besoin
d’indicateurs nombreux, fournis et fiable se fait sentir pour reconstruire.
I.
L’institutionnalisation
’institutionnalisation des sciences sociales
a. Une croissance
sance planifiée
Le front populaire avait créé le C.N.R.S. mais c’est à partir des
années 50 que ces sciences prennent un véritable envol avec la
création de l’I.N.E.D en 1945 et de l’I.N.S.E.E. en 1946.
On assiste dans le même temps à une augmentation du nombre des
étudiants jusqu’à la massification de l’enseignement supérieur. En
1948, une chaire de sociologie est créée à la Sorbonne. Sous
l’impulsion de l’U.N.E.S.C.O., les sciences sociales explosent, avec
la volonté de transformer la société et de penser
penser le social en
s’appuyant sur la croissance économique.
En 1958, la faculté de lettres devient, faculté de lettres
lettre et sciences humaines. La
sociologie remporte immédiatement un vif succès et monopolise
monopolise les grands
événements : Saussure, Freud,
reud, Lévy-Strauss.
Lévy
b. Un new deal des sciences sociales
Avec le plan Marshall et l’arrivée en Europe des dollars américains, les sciences
sociales sont influencées par la vision américaine : visées de rentabilité, d’efficacité
à l’américaine. La modernité des années 50 prend
prend une couleur américaine.
Les nouvelles disciplines vont redistribuer les cartes et les hiérarchies. Cela
provoque la réaction des historiens. Les sciences sociales supportent mal la
domination d’autres disciplines. La sociologie espère se libérer de la tutelle de la
philosophie. L’histoire est à nouveau contestée comme science majeure du social.
c. Une discipline-phare
discipline
: la démographie historique
La démographie historique avec le développement des outils statistiques prend son
essor. La première source est
est constituée par les registres paroissiaux.
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II.
La contribution de l’Empire Braudel
La revue des annales change de nom et garde son rôle fédérateur. Elle a à cœur de
concurrencer la sociologie.
a. Braudel, l’entrepreneur
Fernand BRAUDEL lance des travaux en équipe là où les historiens sont plutôt
seuls. Il organise le travail en réseau avec des pays
méditerranéens, la Pologne. L’équipe a donc un
programme à suivre.
Sa conception de l’école des Annales est
d’incorporer toutes les sciences humaines à
l’histoire. Elles deviennent ainsi sciences
auxiliaires. Constructeur d’école, indépendant
d’esprit, il donne des gages aux Etats-unis, tout en
travaillant avec des historiens marxistes, comme Annie Kriegel.
Il sollicite la fondation Rockefeller pour soutenir le programme du centre de
recherche historique et notamment l’organisation de colloques interdisciplinaires.
Par ailleurs, il réforme l’agrégation d’histoire de l’intérieur, sa position de président
de jury de 1950 à 1955 l’y aide. Il transforme ainsi l’enseignement supérieur, en
ouvrant sur l’histoire économique. Le décloisonnement est le maître mot.
S’il rend l’agrégation plus ouverte, il ne réussit pas à la rénover en profondeur.
b. Domination de l’histoire économique
Dans les années 60, la prédominance de l’histoire économique est évidente et
Braudel sort de l’hexagone et joue la carte de l’influence internationale. Il sollicite
d’ailleurs l’intervention de contributeurs étrangers.
Il souhaite créer une nouvelle université dégagée de la Sorbonne et des facultés de
droit, qui se consacrerait aux sciences sociales.
En 1962, naît un nouveau laboratoire : la
maison des sciences de l’homme sur
l’emplacement de l’ancienne prison du
Cherche-midi. Naissance difficile, objet d’un
conflit de 17 ans entre le ministère de la
Culture et celui de la justice. Mais Braudel,
opiniâtre, tient bon. Plus homme d’action que
théoricien, il aura néanmoins infléchi les orientations des Annales, première
génération.
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III.
Labrousse et son école
a. A partir des années 50 : un tournant social de l’histoire économique
labroussienne
Quand on parle des Annales, on pense à Braudel. Pourtant
Ernest Labrousse
avait déjà beaucoup œuvré dans les
années 30, en matière d’histoire sociale. Un tournant s’amorce
donc dans les années 50.
Le modèle d’une hiérarchie des trois instances, l’économique,
le social et le mental (emboitement des retards : l’économique
retarde les évolutions dans le social, puis le social dans le
mental) a fait autorité et a fasciné près de deux générations
d’historiens.
L’économique devait permettre le mouvement, les mentalités condensaient les
résistances et le social se trouvait en tension entre les deux.
b. Débat Labrousse-Mousnier
En 1965, lors d’un colloque à Saint-Cloud, Ernest Labrousse
entre en débat avec Roland Mousnier. Labrousse a une
approche économique et marxiste de l’histoire, tandis que
son contradicteur adopte une dimension politique et repose
sur les représentations.
La société du XVIIème siècle, qu’il a particulièrement
étudiée, repose sur la place faite à l’honneur, la dignité,
l’estime sociale. Dès lors, il distingue trois genres de
stratification, reposant sur une valeur fondatrice :
•
•
•
Société d’ordres fondée sur l’honneur
Société de castes fondée sur le degré de pureté
Société de classes fondée sur les rapports de production
Cette vision retire au concept de classe son caractère universalisant et correspond
seulement à certains types de hiérarchie sociale qui ont pu s’étendre et durer. Ce
regard se porte en opposition à celui du courant marxiste posé sur les mouvements
populaires du XVIIème siècle. Et selon Roland Mousnier, il n’y a pas de lutte d’un
groupe social contre un autre pendant la révolution.
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c. Une génération labroussienne
Labrousse engage toute une génération dans des monographies. Il leur affecte un
département, un chef-lieu dont ils doivent se rendre maître. A la même époque, le
contexte de la régionalisation et la nomination des jeunes agrégés dans les grandes
villes de province amènent la naissance des
grandes thèses régionales.
On voit alors des thèses sur l’économie d’une
région (histoire des banques), sur les processus
d’industrialisation avec l’étude des périodes de
croissance et l’émergence des crises modernes.
Pour Labrousse, les évolutions économiques
constituent un fait d’histoire primaire sur laquelle
les
autres
niveaux
viennent
se
greffer
(l’économique, le social, le mental). Puis peu à
peu, on voit poindre des thèses sur les mentalités.
IV.
Longue durée et pluralisation du temps
A la fin des années 50, début des années 60, la concurrence de
la sociologie, sous l’influence du programme structuraliste de
Claude Lévy-Strauss, se fait sentir plus fortement encore.
Cela relance le débat du début du XXème siècle engagé par
Simiand. Selon lui, le seul plan empirique d’observation de
l’histoire, le condamne à ne pas être en mesure de modéliser
(opacité d’un descriptif informe, chaos de la contingence).
Tandis qu’au contraire la grille de lecture de l’ethnologue
scrute le niveau inconscient des pratiques sociales.
a. Défi structuraliste
Histoire et sociologie ont le même objet, cet autre séparé du même par les distances
spatiales ou l’épaisseur temporelle du passé. L’histoire se pose comme science
empirique tandis que l’ethnologie sociale est conceptuelle. De ce fait,
l’anthropologie peut seule s’aventurer dans l’univers psychique. Dans la pensée
sauvage, il présente même l’histoire comme un mythe et sa continuité assurée qu’au
moyen de tracés frauduleux.
b. Défense de l’identité historienne
Fernand Braudel a repris quant à lui, l’héritage de Bloch et Fèbvre en infléchissant
les orientations premières pour enrayer l’offensive structuraliste. Il redonne à
l’histoire ses couleurs de science fédératrice. Il reconnait l’héritage des sciences
humaines dans sa façon d’écrire l’histoire et réaffirme la nécessité d’ouvrir les
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frontières entre les disciplines. Il affirme l’unité des sciences de l’homme comme une
seule et même aventure de l’esprit. Il oppose la notion d’extension dans la durée à
Lévy-Strauss.
c. Le modèle structure-conjonture-événement
Sur la durée, il y a trois paliers différents :
1. L’événementiel
2. Le temps conjoncturel, cyclique
3. La longue durée
Braudel renvoie l’événementiel à l’ordre de la superficialité, de l’apparence pour
aller vers les évolutions lentes, les permanences qui laissent apparaitre des
équilibres : il existerait un ordre général sous-jacent au désordre apparent du
domaine factuel.
Il substitue à la conception linéaire du temps, un
temps quasi stationnaire où passé, présent et
avenir ne diffèrent plus. Il privilégie les
invariants
et
rend
illusoire
la
notion
d’événement. Braudel sauve l’histoire au prix de
transformations et Lévy-Strauss utilise alors les
outils des vieux historiens provoquant ainsi un
chassé croisé entre les disciplines.
Braudel aura ainsi préparé la troisième
génération des annales.
Vitalité de l’histoire économique
Les années 60 et 70 ont vu la bonne santé de l’histoire économique, avec en
particulier un défi quantitativiste. L’histoire économique existe dès lors qu’elle est en
capacité de parvenir à une expression quantitative intégrale. Mais l’illusion
scientiste et l’ivresse statisticienne débouche parfois sur des anachronismes en
appliquant des catégories comptables propres au monde contemporain et
inadaptées à d’autres périodes de l’histoire.
V.
Une histoire des relations internationales en quête de profondeurs
a. Un rénovateur de la vieille histoire diplomatique : Pierre Renouvin
Par son travail, il a permis la professionnalisation des relations
internationales via l’université. Il enseignait sous forme
d’entretiens individuels avec ses étudiants, sans l’ostentation du
séminaire spécialisé. S’il conclut à la responsabilité de
l’Allemagne dans le déclenchement de la première guerre
mondiale, en 1925, il met en avant que pendant une crise
diplomatique, l’action des hommes d’état est dominée par
certains sentiments et par certaines forces.
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b. Les forces profondes
Ces forces agissent pour éclairer les relations entre états. Renouvin pousse ses
recherches au-delà des descriptifs des allées et venues des agents de la diplomatie.
Son intérêt pour l’opinion publique, les facteurs psychologiques, les impératifs
stratégiques, la dimension économique et enfin l’interaction entre tous font la
nouveauté de son approche.
L’histoire se fait de plus en plus globale autour de la quête de la pesée de chacune
des influences. Il substitue les relations entre les peuples à l’intérêt exclusif aux
relations entre les diplomates des gouvernements. Les forces profondes se situent
au niveau des relations entre les peuples.
De cette notion floue, il distingue deux domaines : les
éléments matériels (géographiques ou économiques) et les
éléments moins concrets (tempéraments nationaux et
mentalités collectives). Il ouvre ainsi le champ de recherche
de
l’histoire
diplomatique
à
celle
des
relations
internationales.
Il creuse alors le rapport entre l’économie et le politique, la conquête de marchés
extérieurs et la colonisation. Puis ajoute l’étude des mentalités collectives et des
opinions publiques.
VI.
L’histoire présentiste et politique
La période suivante remet en cause la séparation entre passé et présent. C’est la fin
de l’objectivisme sur un passé à exhumer.
a. L’implication subjective de l’historien
La question de la présence au monde des historiens est alors posée et avec elle,
celle des liens entre l’engagement spirituel des principaux acteurs de l’Institut
d’Histoire du Temps Présent. La vigilance éthique surtout sur les sujets d’actualité et
médiatisés est alors de mise. Pendant les années 50, la guerre d’Indochine, puis
celle d’Algérie ramènent le présent dans le champ de l’étude historique.
René Rémond
rejette l’argument du recul du temps sur les
événements pour pouvoir aborder une question. Plusieurs
historiens de l’époque, s’élèvent alors contre la pratique de la
torture en Algérie. On assiste alors à une présentification de
l’histoire, ce qui modifie le rapport du moderne avec le passé.
L’événement n’est plus réductible au seul événement, mais
replacé dans une chaine événementielle.
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b. L’incomplétude de l’objectivité historienne
Paul Ricoeur rappelle que l’histoire a pour vocation
l’exploration de l’humanité et alerte sur la fascination
de la fausse objectivité fondée sur des structures, des
forces des institutions et plus sur les valeurs
humaines.
L’histoire est une pratique en tension entre objectivité
incomplète et subjectivité d’un regard critique. Mais la
recherche de la vérité passe par des détours nécessaires et rigoureux. L’histoire est
extérieure à son sujet et tout à la fois en situation d’intériorité.
Ricoeur opte pour la décomposition du passé en catégories puis en relations
causales, en déductions logiques : explication et compréhension sont les maîtres
mots. Objectivité et subjectivité se complètent ainsi :
• Le choix des événements et des éléments à retenir
• L’activation des liens de causalité
L’historien doit traduire ce qui n’est plus en termes contemporains, ce qui implique
une part de subjectivité. Se limiter aux phénomènes répétitifs et aux grands socles
structuraux immobiles ne suffit pas. Il exprime ainsi sa critique des Annales.
c. Le maintien d’une histoire politique sensible à l’événement
Au cours des années 50, l’histoire contemporaine (1789 à nous jours) est négligée,
c’est l’histoire moderne (1453-1789) qui est en vogue. Seule l’histoire des relations
internationales avec les travaux de Renouvin ont une visibilité plus importante.
C’est avec les travaux de René Rémond avec la publication en 1954 des droites
en France que l’histoire contemporaine retrouve ses lettres de noblesse. Mais un
faux procès est fait à cette période :
• Est psychologique et ignore le conditionnement
• Est narrative et ignore l’analyse
• Est idéaliste et ignore le matériel
• Est idéologique et n’en n’a pas conscience
• Est partielle et l’ignore aussi
• S’attache à ce qui est conscient et ignore l’inconscient
• Est ponctuelle et ignore la longue durée
Mais surtout, crime parmi les crimes, elle est événementielle.
Dans les années 60, elle se frotte aux sciences politiques, aux études politiques à la
sociologie électorale, au droit constitutionnel et administratif, puis peu à peu à
toutes les sciences humaines. Le travail de René Rémond a réhabilité l’objet
politique.
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Pierre Vidal-Naquet, historien de l’antiquité, ramène le politique sur le devant de la
scène en luttant après guerre contre le révisionnisme, ses parents ayant été
déportés et tué à Auchwitz-Birkenau en 1944.
d. La sociabilité politique
Le renouvellement de cette histoire politique
est aussi du à Maurice Agulhon qui a
avancé le concept de sociabilité. Cette
sociabilité influe sur la forme politique
adoptée par les territoires. Les us et
coutumes ancestraux d’une région influent
sur les pratiques politiques.
VII.
Matérialisme historique et histoire nouvelle
Les années 50 voient la puissance du parti communiste d’après guerre. Le marxisme
pénètre le milieu historique par adhésion mais aussi du fait de la puissance des idées
communistes sur l’air du temps. De plus, plusieurs membres du jury de l’agrégation
sont communistes.
Pour autant, on ne se limite plus au champ économique et on prospecte plus sur les
superstructures, ce qui est en fait le domaine des mentalités.
Beaucoup ont gardé le marxisme comme théorie de base, moyen de défendre une
histoire totale, globale aux schèmes explicatifs. C’est ce qu’on a appelé le
matérialisme historique. Et beaucoup ont tenté la conciliation entre les Annales et le
marxisme.
a. Les leçons d’Althusser
Louis Althusser introduit l’étude de Marx à
l’école normale supérieure et développe un
enseignement sur une pensée structuraliste. Il
invite ses étudiants à lire Marx. L’ENS lui sert
d’outil
de
contestation
de
l’appareil
universitaire traditionnel et l’appareil du PCF.
Il développe une synthèse
philosophique capable de
rendre
compte
des
diverses
formes
de
rationalité
contemporaines, au-delà des seules sciences sociales.
Si on suit le parcours de plusieurs historiens, dont
Georges
Duby
qui est passé de l’économique au social pour enfin
s’intéresser à l’imaginaire. Démarrer par l’économique ouvre,
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rend possible l’accès à d’autres niveaux d’une société. Ainsi Duby explique la
société féodale par ses modes de production : le développement des forces de
travail au VIIème siècle est expliqué par le passage de l’esclavage au servage.
Toutefois, il garde l’histoire au niveau des interférences entre mental et matériel. Il
préfère aussi la notion de relations mutuelles à la relation de causalité simple.
Il en veut pour exemple, la prodigalité du prince qui se propage dans la noblesse et
stimule ainsi l’artisanat de luxe et de fait le rôle des marchants. Pour Duby, le
marxisme est un mode de pensée mais n’a jamais été la base d’un engagement
politique.
Michel Vovelle
distingue de son coté, mentalité et
idéologie. La mentalité relève d’une démarche empirique
et permet un élargissement du champ de recherche.
Le médiéviste Guy Bois établit trois niveaux d’analyse :
1. Les grands indices économiques et démographiques
2. En micro-analyse : les rapports sociaux, les rapports de production entre
acteurs économiques
3. Le retour sur la chronologie de l’évolution démographique et économique
De cette triple démarche, l’analyse est possible pour aboutir à des conclusions.
Démarche complexe qui évite néanmoins que le descriptif ne glisse un peu vite vers
l’explicatif.
b. Une histoire antique renouvelée
Cette période de l’histoire est elle aussi touchée par cette
approche globale. Pour Jean-Pierre Vernant, on ne
comprend bien le religieux qu’en prenant l’ensemble avec le
politique, l’éthique et la vie quotidienne. Cela doit amener à
comprendre les articulations essentielles et éviter les
anachronismes, les projections actuelles sur une société
différente. L’exemple classique serait de se méprendre sur
l’exercice de la démocratie et de la liberté dans la Grèce
antique en oubliant l’économie de l’esclavage qui sous tend
son épanouissement.
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