Communication entre soignant et soigné : historique, définitions et

publicité
Psycho-Oncol. (2013) 7:130-136
DOI 10.1007/s11839-013-0423-5
SYNTHÈSE / REVIEW ARTICLE
Communication entre soignant et soigné : historique, définitions
et mesures
Communication between patients and healthcare providers: history, definitions and measurement
J.G. Trudel · N. Leduc · S. Dumont
Reçu le 22 février 2012 ; accepté le 15 avril 2013
© Springer-Verlag France 2013
Résumé Cet article retrace l’historique d’un concept primordial dans les soins en oncologie, la communication entre soignant et soigné. Premièrement, un historique du concept de
communication en oncologie est décrit. Deuxièmement, les
caractéristiques reliées à ce concept, ainsi que les différentes
approches pour évaluer la communication entre soignant et
soigné sont présentées. L’article démontre qu’une relation de
type paternaliste entre soignant et soigné est de moins en
moins populaire auprès des patients et qu’une approche centrée sur le patient est une approche à privilégier par les professionnels de la santé en oncologie avec leurs patients.
L’article indique également que les approches observationnelles et perceptuelles ne répondent pas aux mêmes finalités,
car elles évaluent différentes perspectives de communication
entre les patients et les professionnels de la santé.
Mots clés Communication entre soignant et soigné ·
Historique · Approches de communication · Oncologie
Abstract This article traces the history of a key concept in
cancer care, communication between patients and healthcare
providers. First, a history of the concept of communication
in oncology is described. Second, the definitions related to
J.G. Trudel (*)
Chercheuse post-doctoral,
University Health Network (Behavioural Sciences and Health
Research Division, Toronto General Hospital)
et Lawrence S. Bloomberg, Faculty of Nursing,
University of Toronto, Toronto, Ontario, Canada, M5T 1P8
e-mail : [email protected]
N. Leduc
Département d’Administration de la santé, Faculté de médecine,
Université de Montréal, CP 6128, Succursale « centre-ville »,
Montréal, Québec, H3C 3J7, Canada
S. Dumont
École de service social, Pavillon Charles-De-Koninck,
Université de Laval, Québec, G1V 0A6, Canada
this concept and the different approaches to assess communication between patients and healthcare providers are presented. The article demonstrates that a paternalistic relationship between patients and healthcare providers is becoming
less popular among patients and a patient-centered approach
is an approach to be privileged by the healthcare providers in
oncology with their patients. The article also indicates that
the observational and perceptual approaches to communication do not have the same goals. They evaluate different perspectives of communication between patients and healthcare
providers.
Keywords Communication between patients and healthcare
providers · History · Communication approaches ·
Oncology
Introduction
La communication entre patients et professionnels de la
santé est considérée comme un des aspects les plus importants des soins apportés aux patients [29,44]. Une communication efficace entre soignant et soigné durant un entretien
est associée à une meilleure appréciation des soins de la part
des patients. Ces derniers sont davantage satisfaits des soins
qui leur sont prodigués lorsque les médecins les tiennent
davantage au courant et leur donnent plus d’informations
sur leur état de santé et les soins. De plus, les patients
mentionnent que des médecins plus sensibles à leurs préoccupations et qui leur apportent du réconfort et du soutien
augmentent leur niveau de satisfaction. Une bonne dynamique entre soignant et soigné durant une consultation médicale offre aussi plusieurs avantages pour les patients. Ceuxci peuvent plus facilement leur faire part de leurs sentiments,
reprendre le contrôle de leur vie, se souvenir des recommandations des médecins et les suivre, ainsi qu’améliorer leur
état de santé psychologique (moins anxiété) et physique
(diminution de la pression artérielle et contrôle du diabète)
Psycho-Oncol. (2013) 7:130-136
[1,7,12,13,17,29,30,32,37–39,42,45,48]. La qualité d’une
communication entre soignant et soigné a donc un impact
sur la qualité de vie des patients.
Peu de chercheurs ont décrit l’évolution de la communication entre soignant et soigné dans le domaine de
l’oncologie. Dans ces temps modernes, quel est le type
de relation que les patients atteints de cancer privilégient
avec le personnel soignant ? Est-il nettement différent de
celui utilisé au début du siècle ? Or, cet article analyse la
façon dont cette relation s’est transformée au cours des
années en passant par le paternalisme jusqu’à aujourd’hui.
Une telle information aidera à mieux comprendre la relation qui existe entre les patients atteints de cancer et leurs
professionnels de la santé et aussi elle donnera un aperçu
de ce que la communication entre patients et professionnels de la santé sera dans l’avenir. De plus, l’article définit
les deux principales caractéristiques d’une communication
entre soigné et soignant, et il décrit deux approches disponibles pour évaluer la communication entre soignant et
soigné, chacune d’entre elles comportant des avantages
et des inconvénients.
Historique du concept de communication
Avant le XXe siècle, un diagnostic de cancer était perçu
comme une sentence de mort. Révéler un diagnostic de
cancer à un patient était considéré comme cruel et inhumain, car on appréhendait que le patient y abandonne tout
espoir de survie. C’est pourquoi on lui cachait le diagnostic. Seuls les membres de sa famille connaissaient le pronostic défavorable. Une conspiration du silence régnait
entre la famille du patient et le médecin. La majorité des
patients étaient pris en charge par leur famille. Avec la progression de la maladie, la communication entre le patient et
sa famille s’amenuisait. De plus, les membres de la famille
ne révélaient pas le diagnostic à leur entourage à cause de la
honte, d’un sentiment de culpabilité et de peur que la maladie soit contagieuse. Ainsi, les patients atteints de cancer et
les membres de leur famille étaient stigmatisés et vivaient
isolés des autres [20,21,23–25].
En 1950, les médecins ne dévoilaient toujours pas le diagnostic aux patients. Ce n’est que dans les années 1960 qu’un
changement dans ces pratiques est observé, encouragé par
un groupe de psychiatres et d’oncologues qui soutenaient
que cacher la vérité aux patients était susceptible de causer
plus de tort que de bien [20,21,23,25]. Ce nouveau discours
a été largement supporté par des pionniers dans le domaine
des soins palliatifs comme Élizabeth Kübler-Ross, Cicely
Saunders et Balfour Mount durant les années 1970. Néanmoins, l’approche privilégiée du médecin est demeurée
empreinte d’un paternalisme et autoritaire jusqu’à la fin des
années 1960 [35]. La communication entre patient et méde-
131
cin était axée sur la maladie (approche biomédicale). Le
médecin détenait le pouvoir et les connaissances médicales
pour diagnostiquer la maladie, et il cherchait à obtenir une
réponse précise au problème en posant au patient plusieurs
questions sur ses symptômes et ses antécédents médicaux
[47]. Une fois le diagnostic posé, le médecin identifiait les
meilleurs moyens pour enrayer la maladie. Toutefois, cette
approche traditionnelle de la maladie laissait peu de place
aux aspects sociaux et fonctionnels de la maladie et, surtout,
elle ne tenait pas compte de l’expérience vécue par le patient.
On privilégiait le curing (guérison) et les traitements au
détriment des soins et du caring (attention bienveillante)
[10,11,27,28].
Alors que les droits civils des années 1960 avaient pour
objectif d’enrayer l’inégalité dans les domaines politique,
juridique et social [36], les militants pour la santé des femmes, eux, critiquaient les comportements des professionnels
de la santé dont la majorité étaient des hommes. Les militants s’opposaient à ce que les professionnels de la santé
dictent des actions aux patients, surtout aux femmes, sans
leur donner la permission de poser des questions et de participer aux décisions concernant leur santé [19,46]. La mission première des militants consistait à s’opposer au paternalisme dans les soins de santé [1]. Avant les années 1960, la
quantité et le type d’informations fournies au patient étaient
laissés à la discrétion des médecins [26]. Dans la foulée du
mouvement de la défense des droits civils aux États-Unis, les
patients ont été encouragés à exiger d’être informés des
risques associés aux traitements qui leur étaient proposés.
Plus spécifiquement, ils ont obtenu le droit de connaître les
effets néfastes des traitements grâce aux décisions de la
cour concernant un consentement mieux informé à propos
d’intervention médicale et de recherche [1]. De même, les
bioéthiciens ont souligné que les patients connaissent suffisamment leur condition médicale pour aider à trouver des
solutions médicales en dépit du fait que les médecins possèdent des connaissances techniques, ainsi que les connaissances nécessaires pour prévenir, détecter et guérir la maladie
[4,15]. Tous ces événements ont mené à de nouvelles attentes face aux interactions entre le médecin et le patient. Ces
attentes font référence davantage au respect et à un échange
plus ouvert entre les deux parties sur la transmission d’informations médicales [1].
De plus, les progrès en matière de diagnostic et de traitement survenus lors de la seconde moitié du XXe siècle influencent la relation entre le médecin et le patient atteint de cancer.
Les cas de patients atteints de cancer maintenus dans l’ignorance de leur diagnostic et de ses conséquences sont devenus
rares. Aux États-Unis, en 1977, 97 % des médecins divulguaient le diagnostic à leurs patients. Par contre, cette attitude
n’est pas observée dans toutes les régions du monde, notamment dans certains pays d’Asie où la divulgation du diagnostic n’est pas une pratique courante [22,24].
132
Aux États-Unis, dans les années 1970, le mouvement
de thanatologie d’Élizabeth Kübler-Ross mène à une plus
grande humanisation des soins pour les patients en phase
terminale. Ce mouvement favorise une meilleure communication entre les professionnels de la santé et les patients
en soins palliatifs. De plus, le travail de Kübler-Ross
amène les chercheurs en oncologie à trouver de meilleures
façons de révéler le diagnostic aux patients et à discuter
des questions liées à la progression de la maladie et aux
soins palliatifs. Ainsi, sensibilisés par différents résultats
probants sur ce sujet, les médecins se montrent plus
humains et empathiques envers leurs patients, lors de
l’annonce du diagnostic et lors des rencontres de suivi
[20,21,23–25].
À la fin des années 1980, l’équipe de médecine familiale
de l’Université de Western Ontario au Canada met de
l’avant un nouveau modèle de communication entre le
patient et le professionnel de la santé. L’approche centrée
sur le patient devient un modèle courant d’entrevue entre le
médecin et le patient. Les origines de cette approche proviennent des travaux de Balint et de Rogers [16]. Il y a une
trentaine d’années, l’expression médecine centrée sur le
patient fut présentée par le psychanalyste britannique
Balint et ses collaborateurs. Il démontre que le médecin
doit se centrer aussi sur la personne malade s’il veut établir
un diagnostic plus global et non se centrer uniquement sur
la maladie [9]. En 1957, Rogers utilise l’expression centrée
sur la personne pour désigner cette approche non directive
d’entretien. D’après Rogers, le praticien ne doit pas seulement poser des diagnostics, mais créer un climat chaleureux dans lequel le patient peut se sentir à l’aise et progresser vers un changement souhaité. L’approche Rogérienne
se caractérise par des aspects spécifiques aux relations
thérapeutiques, soit les valeurs, les principes éthiques et
l’empathie. La présence de ces aspects est pertinente autant
en médecine qu’en psychothérapie [16].
L’approche paternaliste ou biomédicale qui dominait
jadis les interactions entre les médecins et les patients
cède progressivement le pas à l’approche centrée sur le
patient qui s’inscrit dans un rapport égalitaire. Le médecin
permet au patient d’exprimer les raisons de sa visite, y
compris ses symptômes, ses sentiments et ses attentes.
Le but de cette approche est de comprendre les expériences du patient en fonction de ses inquiétudes, de son point
de vue et de ses besoins [47]. Ainsi, cette approche reconnaît la prééminence du patient et permet aux médecins de
prodiguer des soins plus humains [39]. Contrairement à
l’approche centrée sur la maladie, l’approche centrée sur
le patient privilégie l’expérience vécue par le patient et
constitue un style d’interaction moins directif, plus souple
et plus ouvert. De plus, l’approche centrée sur le patient
permet au professionnel de la santé de prendre en charge le
patient, car elle permet de tenir compte de la perspective
Psycho-Oncol. (2013) 7:130-136
du patient et d’établir avec lui une relation interpersonnelle et de l’entretenir [16].
Au XXIe siècle, le rôle du professionnel de la santé envers
les patients atteints de cancer se transforme. Alors qu’il
consistait presque exclusivement à prodiguer des soins
(comportements ralentissant la progression de la maladie,
diminuant les symptômes et prévenant les complications),
ce rôle inclut aujourd’hui la promotion des comportements
de santé axés sur la diminution des risques et la responsabilisation des patients à l’importance de se maintenir en
bonne santé. De nos jours, le rôle du médecin dans une
relation entre soignant et soigné consiste à transmettre de
l’information au patient et à le sensibiliser. La réciprocité
dans la relation entre soignant et soigné a remplacé progressivement le paternalisme des années 1950 et 1960
[35]. De plus, les mouvements sociaux des années 1960
qui contestaient l’autonomie professionnelle des médecins
et revendiquaient le droit des patients de participer aux
décisions sur les traitements ont contribué à modifier les
rapports entre les médecins et les patients [1] encourageant
les processus de décisions partagées. Ainsi, cette nouvelle
ère est celle d’une société de prises de décisions partagées.
Le patient est plus actif, mieux informé, notamment grâce
aux nombreuses sources d’informations accessibles sur
Internet, et il participe aux décisions concernant ses traitements [44]. Il ne se fie plus entièrement aux médecins
ou aux autres professionnels de la santé pour obtenir de
l’information sur sa maladie.
Définition de la communication
Deux principales caractéristiques d’une communication
de qualité
Les deux principales caractéristiques d’une communication
de qualité entre les patients et les professionnels de la santé
consistent :
•
•
à établir une relation interpersonnelle de qualité ;
à faciliter l’échange d’information.
La première se caractérise par l’aspect socioaffectif de la
relation. L’emploi de mots encourageants, la gentillesse et
l’empathie de la part du professionnel de la santé sont des
moyens spécifiques pour l’atteindre. La seconde se définit
par des comportements de type instrumental, tels que donner de l’information, poser des questions, vérifier l’information reçue et discuter des effets secondaires des tests et
des traitements. Les mots utilisés, la façon de s’exprimer
et l’information obtenue au cours de la conversation ont
également leur importance, sans oublier l’ensemble de la
communication non verbale entre locuteurs, traduite par
Psycho-Oncol. (2013) 7:130-136
les expressions faciales, l’expression des yeux et le toucher
[2,5,7,30–32,43].
Mesure de la communication
Approche observationnelle et approche perceptuelle
Il existe deux approches pour évaluer la communication entre
les professionnels de la santé et leurs patients : l’approche
behavioriste/observationnelle et l’approche perceptuelle [2].
La première approche consiste à enregistrer, par observation
standardisée, audiocassette ou vidéocassette, les rencontres
entre les médecins et leurs patients. Par la suite, les comportements des deux locuteurs sont codés en utilisant un système
d’analyse d’interaction (Interaction Analysis System [IAS]).
Parmi les systèmes connus, on note le Bales’ Process Analysis
System [3], le Roter’s Interaction Analysis System (RIAS),
une adaptation du système de Bales [34], le Stiles’ Verbal
Response Mode [40] et, plus récemment, le Medical Information Processing System [14]. Un des systèmes les plus utilisés
est le Roter’s Interaction Analysis System (RIAS) [34]. Le
RIAS est un système de classification qui attribue à chaque
énoncé verbal une catégorie mutuellement exclusive et
exhaustive reflétant la forme et le contenu d’une interaction
médicale. Un énoncé verbal est défini comme étant la plus
petite unité d’expression verbale et se caractérise par un seul
mot ou une longue phrase [33,34]. Par la suite, les catégories
sont combinées en groupes particuliers, tels que questions
ouvertes et fermées, informations transmises de type biomédical et psychosocial ou partenariat entre patient et médecin.
La fréquence observée pour chaque groupe est alors calculée
[2,34]. Par exemple, les informations biomédicales transmises
par le médecin traitant incluent les informations liées aux
résultats de tests et les procédures à suivre, ainsi que les informations concernant l’examen physique et l’éducation aux
patients. On distingue 34 catégories pour classer la communication des médecins et 28 pour celle entre les médecins et les
patients [33]. Le RIAS évalue aussi les qualités tonales de la
communication (ton de la voix) et le contexte socioaffectif de
l’entretien. Outre le codage des mots, les sentiments démontrés par les médecins et les patients sont cotés à partir de cinq
échelles de six points. Ces échelles évaluent les sentiments
suivants : colère/irritation, anxiété/nervosité, domination/
affirmation de soi, intérêt/engagement et convivialité/chaleur
humaine [33].
L’approche perceptuelle se réfère à la façon dont les
patients perçoivent leur communication avec les professionnels de la santé. Les perceptions des patients s’évaluent par
des questionnaires ; on leur demande soit de coter sur une
échelle de type « Likert » les divers éléments se rapportant à
leur communication avec le professionnel de la santé, soit
d’en indiquer la présence ou l’absence [2].
133
Avantages et limites des mesures
observationnelles et perceptuelles
Mesures observationnelles
Les mesures observationnelles sont de nature plus objective,
car elles évaluent les interactions réelles entre les patients et
les professionnels de la santé. Elles permettent de coter les
divers éléments caractérisant la communication entre les
patients et les professionnels de la santé en termes de quantités tels que la fréquence et la durée. Toutefois, ces mesures
peuvent être inadéquates pour cerner l’opinion des patients
sur la communication qu’ils entretiennent avec leur professionnel de la santé [2].
Ainsi, avec les mesures observationnelles, la communication entre un professionnel de la santé et un patient se fait à
partir d’une grille d’observation standardisée et validée, ce
qui lui confère un critère d’objectivité. Précisément, les
comportements de chacun sont classés, et une valeur leur
est attribuée. De plus, avec de telles mesures, un jugement
est fait concernant les comportements des professionnels
de la santé. Ce n’est pas la même réalité pour les mesures
perceptuelles. En somme, les mesures observationnelles
ont des critères explicites de ce qu’une bonne communication devrait être entre les deux parties.
Mesures perceptuelles
Les mesures perceptuelles de la communication évaluent
une réalité subjective des patients. Les perceptions constituent la façon dont les individus vivent une situation et la
manière dont ils vont agir en conséquence. Les patients ont
leurs propres critères pour évaluer la communication qui a eu
lieu entre eux et les professionnels de la santé. En fait, la
communication perceptuelle est un phénomène implicite,
car les patients donnent leurs opinions sur ce qu’ils ont vécu
et perçu lors de l’échange avec les professionnels de la santé.
De ce fait, les mesures perceptuelles sont plus subjectives
et susceptibles d’être influencées par d’autres facteurs,
comme l’état psychologique des patients [2,18]. Il est parfois
possible que l’évaluation de la communication entre les
patients et les professionnels de la santé à l’aide de mesures
perceptuelles ne reflète pas la réalité. Par contre, les chercheurs favorables à cette approche d’évaluation notent que
les états d’âme des patients après leur rencontre avec leur
professionnel de la santé vont dépendre très probablement
de la manière dont ils perçoivent et interprètent ce qui s’est
passé durant leurs visites médicales. Réciproquement, les
perceptions des patients peuvent avoir une plus grande
influence sur leur état de santé que les comportements réels
des professionnels de la santé [2,8,41].
134
Mesures observationnelles et perceptuelles
Les études qui emploient simultanément les deux approches,
observationnelle et perceptuelle, sont peu nombreuses. Toutefois, celles qui existent nous donnent des résultats intéressants [2]. L’étude menée par Blanchard et al. [6] repose sur
les interactions entre des patients atteints de cancer hospitalisés et leurs oncologues. Ces chercheurs ont utilisé des
observateurs d’expérience pour coter à l’aide d’une grille la
présence et l’absence de plusieurs comportements de médecins. L’équipe de chercheurs a aussi évalué à l’aide de questionnaires les perceptions que les patients ont eues de la
communication avec leurs oncologues. Les comportements
des médecins ont été évalués à l’aide du Physician Behavior
CheckList (PBCL). Trente-quatre comportements ont été
cotés. Les comportements observés incluaient ceux reliés
aux aspects de la performance (rôle) ou comportements techniques des médecins tels que « discuter les résultats des tests
ou un traitement avec le patient ». Les comportements affectifs, tels que « fournir un soutien verbal » a également été
coté. Le PBCL comportait aussi une question qui évaluait
l’atmosphère de la rencontre, à savoir si le médecin avait
transmis de bonnes nouvelles aux patients, aucune nouvelle,
ou encore de mauvaises nouvelles. En ce qui a trait aux perceptions des patients au sujet des comportements des médecins, les patients devaient indiquer si chacun des 17 comportements avaient eu lieu. Les comportements sélectionnés
représentaient chacune des grandes catégories mesurées par
le PBCL : mots d’accueil, salutations, provision d’informations, possibilité de poser des questions, élaboration d’un
plan de traitement, prise en considération de la famille dans
les soins et la provision d’un soutien émotionnel [6]. Les
résultats de l’étude de Blanchard et al. [6] démontrent que
les comportements observés et cotés ne sont pas associés à
ceux perçus par les patients. De plus, les perceptions des
patients expliquent une plus grande variation de leur satisfaction générale des soins que les comportements observés
des médecins.
Des résultats similaires ont été obtenus par Street [41]
dans une étude qui portait sur des consultations pédiatriques
dans lesquelles on cotait les interactions entre les médecins
et les parents d’enfants à partir de cassettes audio et on évaluait la perception des parents au sujet des comportements
des médecins face aux soins prodigués à leurs enfants. Les
données de l’étude de Street [41] démontrent que les perceptions des parents au sujet de leur communication avec les
médecins sont d’excellents indices pour déterminer leur
satisfaction générale des soins donnés à leurs enfants. Les
énoncés des médecins ont été cotés à partir de trois catégories : informations fournies, directives données et mots centrés sur le patient. Les informations fournies aux parents
incluaient les informations concernant le diagnostic de leur
enfant, les tests de laboratoire, le traitement ou la santé géné-
Psycho-Oncol. (2013) 7:130-136
rale de leur enfant. Les directives représentaient les recommandations et ordres de type « Fait-le » ou « Ne fait pas X »
et les instructions sous la forme de « Comment faire X ». Les
mots centrés sur le patient consistaient en des énoncés de
réconfort, de soutien, d’empathie et d’autres formes de sensibilité interpersonnelle. Les énoncés sollicitant ou encourageant le parent à poser des questions, formuler des opinions
et à exprimer leurs sentiments étaient aussi inclus. La perception des parents au sujet des comportements des médecins face à leurs enfants a été évaluée par des échelles de
Likert. Les dimensions évaluées par ces échelles étaient les
suivantes : caractère informatif, sensibilité interpersonnelle
et présence de partenariat entre les médecins et les parents.
Le caractère informatif de l’entretien était présent lorsque le
médecin discutait pleinement du problème de l’enfant, le
message transmis était instructif, clair et facile à comprendre.
La sensibilité interpersonnelle se caractérisait par les comportements suivants des médecins : le médecin mettait le
parent à l’aise lors de la consultation et semblait se soucier
des sentiments du parent et de l’enfant. Enfin, le partenariat
entre le médecin et le parent était présent si le médecin l’encourageait à exprimer ses préoccupations et inquiétudes, lui
demandait son avis à propos de la santé de son enfant, évaluait ses connaissances acquises au sujet de la santé de son
enfant et sur les façons d’améliorer sa santé après la consultation [41].
Donc, les études de Blanchard et al. [6] et de Street [41]
indiquent que les mesures perceptuelles ne sont pas toujours
corrélées avec les mesures observationnelles et que la perception des patients au sujet de leur communication avec les
médecins peuvent être un meilleur indice des soins reçus.
Ces études démontrent bien que les deux types de mesures
évaluent deux aspects différents de la communication. Il
n’est pas étonnant que la perception des patients au sujet
de leur communication avec les médecins soit davantage
corrélée avec les soins reçus, car dans les deux cas la perception des patients est tenue en compte.
En résumé, la communication entre patients et professionnels de la santé est un phénomène qui peut être évalué
sous deux divers angles. Chacune des deux approches de
la communication, observationnelle et perceptuelle, apporte
des informations partielles et complémentaires du même
phénomène. Il n’existe donc pas une meilleure approche
pour évaluer la communication entre patients et professionnels de la santé. Le choix de l’approche dépendra de la perspective de communication à étudier, car les deux approches
ne répondent pas aux mêmes finalités.
Conclusion
La communication entre soignant et soigné dans le domaine de
l’oncologie s’est modifiée pour le mieux au cours des années.
Psycho-Oncol. (2013) 7:130-136
Tout d’abord, avant le XXe siècle, les patients atteints de cancer
étaient souvent mis à l’écart de leur diagnostic et leur pronostic,
ce qui rendait la tâche difficile pour les membres de la famille.
De plus, l’approche privilégiée par les médecins durant la moitié du XXe siècle avec leurs patients était celle de l’approche
biomédicale, paternaliste et autoritaire. Malgré cela, à la fin
du XXe siècle, avec le travail de certains pionniers tels qu’Élizabeth Kübler-Ross, Cicely Saunders et Balfour Mount, les
soins prodigués aux patients atteints de cancer se sont humanisés. Plus tard, au cours des années 1980, l’approche centrée
sur le patient devient une approche très utilisée par les médecins. De nos jours, les patients ne sont plus aussi passifs qu’avant surtout avec l’ère informatique. Ils peuvent maintenant
s’informer à propos de leur maladie et leurs traitements à partir
de documents disponibles sur Internet. Ces patients veulent
être proactifs en ce qui concerne leur bien-être. En fait, ils veulent entretenir une relation de partenariat avec le soignant afin
qu’ils puissent prendre les meilleures décisions à propos de
leurs traitements. L’article nous a également renseignés sur
les différentes méthodes utilisées pour évaluer la communication entre soignant et soigné. L’approche perceptuelle est une
approche qui reflète ce que les patients perçoivent de leur communication avec les professionnels de la santé. L’approche
observationnelle, quant à elle, est une méthode qui consiste à
identifier surtout les lacunes de communication des professionnels de la santé. Pour obtenir des informations complémentaires au sujet d’une communication entre patients et professionnels de la santé, les approches observationnelles et
perceptuelles seraient de mises.
Lors d’entretiens cliniques, il serait important à ce que les
professionnels de la santé en oncologie utilisent ou continuent à utiliser systématiquement l’approche centrée sur le
patient le long de la trajectoire de soins. Ainsi, le soignant
serait un partenaire et chaque patient serait impliqué activement dans les prises de décision concernant ses traitements.
Cette approche pourrait aussi faciliter les patients atteints de
cancer à obtenir de l’information auprès des professionnels de
la santé et à établir avec plus de facilité une relation de
confiance avec eux. En retour, la qualité de vie de ces patients
serait améliorée. De plus, il faudrait s’assurer une formation
continue sur l’importance de cette approche auprès de médecins avec plusieurs années de pratique et de faire en sorte que
le curriculum des futurs médecins comprenne cette approche
et qu’ils y soient initiés le plus tôt possible dans leur carrière.
Conflit d’intérêt : les auteurs déclarent ne pas avoir de
conflit d’intérêt.
Références
1. Allen SM, Petrisek AC, Laliberte LL (2001) Problems in doctorpatient communication: the case of younger women with breast
cancer. Critical Public Health 11(1):39–58
135
2. Arora NK (2003) Interacting with cancer patients: the significance of physicians’ communication behavior. Soc Sci Med
57:791–806
3. Bales RF (1950) Interaction process analysis. Reading: AddisonWesley Press
4. Bartholome WG (1992) A revolution in understanding: how
ethics has transformed health care decision making. QRB Qual
Rev Bull 18(1):6–11
5. Bensing JM, Dronkers J (1992) Instrumental and affective
aspects of physician behavior. Med Care 30(4):283–98
6. Blanchard CG, Labrecque MS, Ruckdeschel JC, et al (1990) Physician behaviors, patient perceptions, and patient characteristics
as predictors of satisfaction of hospitalized adult cancer patients.
Cancer 65(1):186–92
7. Brédart A, Bouleuc C, Dolbeault S (2005) Doctor-patient communication and satisfaction with care in oncology. Curr Opin Oncol
17:351–4
8. Cleary PD, Edgman-Levitan S, Roberts M, et al (1991) Patients
evaluate their hospital care: a national survey. Health Aff (Millwood) 10:254–67
9. Côté L, Hudon É (2005) L’approche centrée sur le patient : diverses manières d’offrir des soins de qualité. In: Richard C, Lussier
MT (eds), La communication professionnelle en santé. Éditions
du Renouveau, Montréal, pp 145–64
10. Engel GL (1977) The need for a new medical model: a challenge
for biomedicine. Science 196:129–36
11. Engel GL (1980) The clinical application of the biopsychosocial
model. Am J Psychiatry 137:535–44
12. Fagerlind H, Kettis Lindblad A, Bergström I, et al (2008) Patientphysician communication during oncology consultations. Psychooncology 17(10):975–85
13. Fallowfield LJ (2008) Treatment decision-making in breast cancer: the patient-doctor relationship. Breast Cancer Res Treat
112:5–13
14. Ford S, Hall A, Ratcliffe D, et al (2000) The medical information
process system MIPS: an instrument for analysing interviews of
oncologists and patients with cancer. Soc Sci Med 50:553–66
15. Fox RC (1980) The evolution of medical uncertainty. Milbank
Mem Fund Q Health Soc 58:1–49
16. Giroux L (2005) Les modèles de relation médecin-patient. In:
Richard C, Lussier MT (eds), La communication professionnelle
en santé. Éditions du Renouveau, Montréal, pp 113–43
17. Hack TF, Degner LF, Parker PA (2005) The communication
goals and needs of cancer patients: a review. Psychooncology
14:831–45
18. Hall JA, Milburn MA, Roter DL, et al (1998) Why are sicker
patients less satisfied with their medical care? Tests of two explanatory models. Health Psychol 17:70–5
19. Haug MR, Lavin B (1981) Practitioner or patient - who’s in
charge. J Health Soc Behav 22:212–29
20. Holland JC (1998) Societal views of cancer and the emergence of
psycho-oncology. In: Holland JC (ed), Psychooncology. Oxford
University Press, New York, pp 3–15
21. Holland JC (2002) History of psycho-oncology: overcoming attitudinal and conceptual barriers. Psychosom Med 64:206–21
22. Holland JC, Geary N, Marchini A, et al (1987) An international
survey of physician attitudes and practice in regard to revealing
the diagnosis of cancer. Cancer Invest 5:151–4
23. Holland JC, Reznik I (2002) The international role of psychooncology in the new millennium. Rev Fr Psycho-Oncol 1–2:7–13
24. Holland JC, Sacks A (2006) Principles of psycho-oncology.
In: Kufe DW, Bast RC, Hait WN, et al (eds), Cancer medicine
(7th edition). BC Decker Inc, Hamilton, pp 901–14
25. Holland JC, Zittoun R (1990) Psychosocial issues in oncology: a
historical perspective. In: Holland JC, Zittoun R (eds), Psychosocial Aspects of Oncology. Springer–Verlag, Berlin, pp 3–9
136
26. Kaufmann C (1983) Informed consent and patient decision
making: two decades of research. Soc Sci Med 17:1657–64
27. McWhinney IR (1985) Patient-centered and doctor-centered
models of clinical decision-making. In: Sheldon M, Brooke J,
Rector A (eds), Decision-making in general practice. Stockton
Press, New York, pp 31–45
28. McWhinney IR (1989) The need for a transformed clinical
method. In: Stewart M, Roter D (eds), Communicating with
medical patients. Sage Publications, Newbury Park, pp 25–40
29. Merckaert I, Libert Y, Delvaux N, et al (2005) Breast cancer:
communication with a breast cancer patient and a relative. Ann
Oncol 16 (Suppl 2):ii209–ii12
30. Northouse LL, Northouse PG (1996) Interpersonal communication systems. In: McCorkle R, Grant M, Frank-Stromberg M,
et al (eds), Cancer Nursing (2nd edition). W. B. Saunders
Company, Philadelphie, pp 1211–22
31. Ong LML, de Haes JCJM, Hoos AM, et al (1995) Doctor-patient
communication: a review of the literature. Soc Sci Med 40
(7):903–18
32. Parker PA, Aaron J, Baile WF (2008) Breast cancer: unique
communication challenges and strategies to address them. Breast
J 15(1):69–75
33. Roter D (1991) The Roter Method of Interaction Process Analysis (RIAS Manual)
34. Roter D, Larson S (2002) The roter interaction analysis system
(RIAS): utility and flexibility for analysis of medical interactions.
Patient Educ Couns 46:243–51
35. Salloway JC, Hafferty FW, Vissing YM (1997) Professional roles
and health behavior. In: Gochman DS (ed), Handbook of health
behavior research II: provider determinants. Plenum Press, New
York, pp 63–79
36. Schneider BE (1988) Political generations and the contemporary
women’s movement. Sociol Inq 51:4–21
Psycho-Oncol. (2013) 7:130-136
37. Stewart M, Brown JB, Boon H, et al (1999) Evidence on patientdoctor communication. Cancer Prev Control 3:25–30
38. Stewart M, Meredith L, Brown JB, et al (2000) The influence of
older patient-physician communication on health and healthrelated outcomes. Clin Geriatr Med 16:25–36
39. Stewart MA (1995) Effective physician-patient communication
and health outcomes: a review. Can Med Assoc J 152(9):1423–33
40. Stiles WB (1978) Manual for a taxonomy of verbal response
modes. Chapel Hill Institute for Research in social science, University of North Carolina, Chapel Hill
41. Street RL (1992) Analyzing communication in medical consultations: do behavioral measures correspond to patients’ perceptions? Med Care 30:976–88
42. Suarez-Almazor ME (2004) Patient-physician communication.
Curr Opin Rheumatol 16(2):91–5
43. Sweeney C, Bruera E (2002) Communication in cancer care:
recent developments. J Palliat Care 18(4):300–6
44. Teutsch C (2003) Patient-doctor communication. Med Clin North
Am 87:1115–45
45. Thorne SE, Bultz BD, Baile WF (2005) Is there a cost to poor
communication in cancer care? A critical review of the literature.
Psychooncology 14:875–84
46. Todd AD (1989) Intimate adversaries: cultural conflict between
doctors and women patients. University of Pennsylvania Press,
Philadelphia
47. Williams S, Weinman J, Dale J (1998) Doctor-patient communication and patient satisfaction: a review. Fam Pract 15:480–92
48. Zachariae R, Pedersen CG, Jensen AB, et al (2003) Association
of perceived physician communication style with patient satisfaction, distress, cancer-related self-efficacy, and perceived control
over the disease. Br J Cancer 88:658–65
Téléchargement