LE CANCER PRIMITIF DU COLON Docteur Jean-Baptiste Bachet, fédération des pathologies digestives, Hôpital Ambroise Paré, APHP, Boulogne Billancourt & Comité de Rédaction du site web de la Fédération Francophone de Cancérologie Digestive Date de mise en ligne: Ce document est destiné à l’information des malades, de leurs proches et « du grand public ». Il a été rédigé dans un souci de simplification et de concision. N’hésitez pas à interroger vos médecins en cas d’incompréhension ou si vous avez besoin d informations complémentaires. Définition et Généralités Le cancer du côlon (« gros intestin ») est le cancer le plus fréquent du tube digestif. Il résulte de l’accumulation de mutations dans différents gènes au sein des cellules constitutives de la couche la plus interne de la paroi colique appelée « muqueuse ». Ces mutations sont responsables de la prolifération excessive et anarchique de ces cellules qui aboutit à la formation de petites tumeurs initialement bénignes appelées « adénomes » ou « polypes adénomateux ». Ces polypes peuvent se transformer secondairement en tumeurs malignes c’est-à-dire cancéreuses (également appelées « adénocarcinomes ») qui ont la capacité d’infiltrer progressivement l’épaisseur de la paroi colique puis de diffuser à distance du côlon pour donner naissance à des métastases ( tumeurs « filles », localisées à distance du côlon, par exemple dans le foie ou les poumons) par envahissement des vaisseaux sanguins et/ou lymphatiques. Plusieurs années d’évolution sont nécessaires pour qu’un petit adénome se transforme éventuellement en un cancer invasif. Cette séquence adénome-cancer permet d’expliquer en partie l’efficacité du dépistage qui permet non seulement de faire le diagnostic des cancers à un stade plus précoce mais également de diminuer leur fréquence grâce à l’identification et à l’exérèse (généralement au cours de la coloscopie) des polypes adénomateux avant qu’ils ne se transforment (voir le paragraphe « Dépistage » de ce document). 1 Epidémiologie Les cancers du côlon et du rectum sont très fréquents dans les pays occidentaux où ils représentent la deuxième cause de cancer chez la femme (après le cancer du sein) et la troisième chez l’homme (après les cancers de la prostate et du poumon). Le nombre estimé de nouveaux cas diagnostiqués en France au cours de l’année 2005 était de 37 413 et le nombre de décès par cancer colorectal recensé au cours de cette année était de 16 865. Il existe une légère prédominance masculine. La grande majorité des cas (80%) est diagnostiquée à un âge supérieur à 60 ans. Le cancer du côlon est beaucoup moins fréquent en Afrique et en Asie mais le risque augmente rapidement chez les populations migrantes qui quittent ces pays pour un pays « occidental », ce qui indique que le mode de vie (en particulier l’alimentation et l’activité physique) interfère avec ce risque. De nombreuses études épidémiologiques d’observation ou d’intervention ont permis de préciser les facteurs « environnementaux » pouvant favoriser ou diminuer l’incidence du cancer du côlon. Ainsi, les fibres alimentaires, les légumes verts, les fruits, les vitamines A, C, D et E, le calcium, les folates, le café auraient un rôle protecteur alors que la sédentarité, les graisses, les viandes, les protéines, un apport calorique élevé, l’alcool et le tabac seraient des facteurs favorisants. Dans environ 5% des cas environ, le cancer du côlon survient dans le contexte d’une maladie génétique de prédisposition. On parle de forme « héréditaire » (vous pouvez vous reporter pour plus d’information sur ce point particulier au document intitulé « Les formes héréditaires des cancers digestifs » dans la rubrique « Patients», onglet « Encyclopédie » de notre site). Deux grandes maladies génétiques de prédisposition sont connues : la polypose adénomateuse familiale (minoritaire et responsable de 1% de l’ensemble des cancers colorectaux) et le syndrome de Lynch ou syndrome HNPCC (« Hereditary Non Polyposis Colo-rectal Cancer », responsable de 3 à 5% des cas). Le diagnostic de cancer du côlon « héréditaire » doit être évoqué soit en présence d’une polypose, c’est-à-dire en cas d’association à de multiples polypes ; soit en cas de diagnostic à un âge inhabituellement jeune (inférieur à 60 ans) et/ou d’agrégation familiale de cancers du côlon ou rectum ou d’autres types de cancers, notamment du corps de l’utérus. Dans de telles situations, il est important de demander l’avis d’un médecin généticien qui pourra décider de mettre en œuvre une recherche de mutation prédisposante. 2 Signes évocateurs Plusieurs symptômes (survenant isolément ou en association) peuvent alerter et conduire à la réalisation d’une coloscopie qui permet d’établir le diagnostic : présence de sang rouge ou noir (« digéré ») dans les selles ; modification récente du transit (constipation, diarrhée ou alternance diarrhée/constipation) ; modification de l’aspect de selles (diminution de calibre ; aspect en « ruban ») ; douleurs abdominales. Une fatigue, un amaigrissement, un dégoût des aliments sont également possibles. Le diagnostic peut également être porté à l’occasion d’une coloscopie réalisée dans le cadre de l’exploration d’une anémie (faible taux d’hémoglobine identifié sur une prise de sang) ou de façon systématique en l’absence de symptôme chez un individu à risque élevé (antécédent personnel familial au premier degré de cancer ou de gros polype du côlon ou antécédent personnel de maladie inflammatoire chronique de l’intestin). Plus rarement, le diagnostic peut être évoqué dans une situation d’urgence, devant un tableau d’occlusion (obstruction complète du côlon par la tumeur) ou de péritonite (perforation de la tumeur dans la cavité abdominale). Dans ces situations, la tumeur est le plus souvent visualisée sur les examens d’imagerie réalisés en urgence ou découverte lors de l’intervention chirurgicale. Dans tous les cas, le diagnostic de cancer du côlon ne peut être affirmé qu’après mise en évidence de cellules cancéreuses lors de l’examen au microscope d’un fragment de tumeur (biopsie réalisée au cours de la coloscopie) ou segment de côlon retiré lors de l’intervention chirurgicale). Dépistage Le « dépistage » à proprement parler s’intéresse à des individus ne présentant pas de symptôme évocateur d’un cancer du côlon. Plusieurs examens de dépistage du cancer du côlon peuvent être réalisés. Le choix du type d’examen est fonction du risque estimé de cancer du côlon. Schématiquement, l’on distingue trois groupes de sujets : les sujets à risque moyen, sans symptômes et âgés de plus de 50 ans ; les sujets à risque élevé, ayant des antécédents personnels ou familiaux de cancer du côlon ou d’adénomes de plus de 1 cm, en particulier en cas de diagnostic à un âge inférieur à 60 ans, ou atteints d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin, rectocolite hémorragique ou maladie de Crohn ; les sujets à risque très 3 élevé, porteurs d’une mutation responsable d’une forme héréditaire de cancers colorectaux, polypose adénomateuse familiale et le syndrome de HNPCC/Lynch principalement. ▪ Pour les sujets à risque moyen, c’est à dire la plus grande partie de la population française de plus de 50 ans, le dépistage du cancer du côlon repose sur la réalisation d’un test Hémoccult II® ou d’un test immunologique. Cet examen permet de détecter des traces infimes et invisibles de sang dans les selles et ainsi de révéler de gros polypes bénins ou des cancers à un stade précoce. Si le test est négatif, il doit être renouvelé tous les deux ans. Si le test est positif (présence d’un saignement minime), une coloscopie doit être réalisée dans les semaines qui suivent. Des informations complémentaires relatives à l’intérêt de ce test et aux modalités pratiques de réalisation peuvent être obtenues auprès des médecins généralistes. ▪ Pour les sujets à risque élevé du fait d’antécédent(s) personnel(s) ou familial(aux) de cancer ou du polype(s), le dépistage repose sur la coloscopie qui doit être réalisée à partir de l’âge de 45 ans (ou 5 ans avant l’âge de survenue du cancer ou du polype chez l’apparenté atteint). Le rythme des coloscopies ultérieures est fonction du résultat de chaque examen (intervalle entre deux examens de 3 à 5 ans généralement). Pour les patients à risque élevé atteints d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin, la coloscopie doit être réalisée selon une procédure particulière qui prend en compte les caractéristiques de cette maladie et sa durée d’évolution. En pratique, la coloscopie est une exploration visuelle du côlon réalisée le plus souvent sous anesthésie générale. Pour permettre une bonne visualisation de la paroi du côlon, celui-ci doit être parfaitement propre et une préparation avec un liquide de lavage intestinal est nécessaire la veille de l’examen. Un tube souple et flexible, appelé endoscope, est introduit par l’anus. Durant l’examen de l’air est insufflé dans le côlon pour déplisser ses parois. Les différents segments du côlon sont analysés successivement. La coloscopie permet de détecter la présence de polypes ou de tumeurs, de réaliser l’exérèse des polypes à l’aide de différentes techniques et de réaliser des prélèvements ou « biopsies » au niveau des lésions qui ne peuvent pas être enlevée au cours de la coloscopie. Des informations plus précises sur les modalités pratiques de réalisation de cet examen peuvent être obtenues auprès des médecins. Une fiche d’information est également disponible sur le site web de la Société Nationale Française de Gastroentérologie (SNFGE) : http://www.snfge.asso.fr/02-Connaitre-maladie/0K-fiche-info-patient/VIII-FICHE4.asp (lien disponible dans l’onglet « Liens utiles » de notre site) 4 ▪ Pour les sujets à risque très élevé, les programmes de dépistage sont très spécifiques et fonction du type de mutation génétique pré-disposante. Ils sont basés, comme pour les sujets à risque élevé, sur la surveillance par coloscopie qui est débutée à un âge plus précoce et renouvelée sur un rythme plus soutenu. ▪ Remarque : qu’est-ce que la « coloscopie virtuelle » ? Quelles sont ses indications ? La « coloscopie virtuelle » est une méthode radiologique d’exploration du côlon. Il s’agit plus précisément d’un scanner réalisé selon une procédure spécifique et standardisée dont l’interprétation implique l’utilisation d’un logiciel « dédié ». Cet examen ne nécessite pas d’anesthésie générale. Une préparation du côlon, du même type que celle réalisée pour une coloscopie, doit être réalisée la veille et de l’air est insufflé dans le côlon durant l’examen. Les résultats de la coloscopie virtuelle sont globalement équivalents à ceux de la coloscopie pour la mise en évidence des polypes de plus de 1 cm et des cancers du côlon mais cet examen ne permet ni la réalisation de biopsies ni l’exérèse des polypes. Il reste actuellement en évaluation et réservé aux situations dans lesquelles la coloscopie est contre-indiquée ou non réalisable. Pronostic Le pronostic du cancer du côlon est conditionné par le stade d’extension de la maladie au moment du diagnostic. Le pronostic est globalement favorable en l’absence d’extension en dehors du côlon. Le risque de récidive après chirurgie est alors conditionné principalement par la profondeur de l’infiltration de la tumeur dans la paroi et/ou par l’existence de métastases dans les ganglions localisés au pourtour du côlon. L’existence de métastases à distance, découvertes initialement ou au cours du suivi, est associée à un pronostic plus sévère, mais variable en fonction de leur nombre et de leurs localisations. D’importants progrès ont été réalisés au cours des dernières années dans le traitement des formes métastatiques. 5 Traitement du cancer du côlon non métastatique Le traitement du cancer du côlon non métastatique repose sur la chirurgie qui a pour objectif la résection du segment de côlon qui « porte » la tumeur. En fonction de la localisation de celle-ci, la résection intéresse la partie droite, « transverse » ou gauche du côlon. Cette opération peut être réalisée soit par incision de l’abdomen (on parle de « chirurgie ouverte » ou « laparotomie ») soit par coelioscopie. Dans ce cas, la dissection et l’exérèse de la pièce opératoire sont réalisées au moyen d’instruments introduits dans l’abdomen à travers trois petits orifices. Après la chirurgie, le segment de côlon et la tumeur sont analysés au microscope par un médecin « anatomo-pathologiste ». Cette analyse permet de préciser l’extension de la tumeur dans l’épaisseur de la paroi et de rechercher d’éventuelles métastases dans les ganglions présents dans la graisse située autour du côlon, deux paramètres qui conditionnent le risque de récidive ultérieure. La prise en compte de ces éléments et du contexte particulier (âge, antécédents médico-chirurgicaux …) permet aux médecins de se prononcer sur l’indication d’une chimiothérapie complémentaire, dite « adjuvante », à l’occasion d’une réunion de concertation impliquant différents spécialistes : hépato-gastroentérologues ; chirurgiens; cancérologues ; anatomo-pathologistes… Cette chimiothérapie, qui est généralement indiquée en présence de métastases ganglionnaires, a pour but de diminuer le risque de récidive du cancer du côlon. Elle peut être administrée soit par voie intra-veineuse, soit par la bouche, sous la forme de comprimés. Sa durée est de 6 mois. Dans tous les cas, qu’une chimiothérapie adjuvante ait été administrée ou non, une surveillance régulière (examen clinique, prise de sang, examens radiologiques) doit être mise en place pour une durée de 5 ans, initialement tous les 3 mois puis tous les 6 mois. Les coloscopies doivent également être réalisées périodiquement en vue de dépister d’éventuels polypes et d’en réaliser l’exérèse avant qu’ils ne dégénèrent. 6 Traitement du cancer du côlon métastatique Différentes options thérapeutiques sont actuellement disponibles. Le choix de la stratégie la plus appropriée pour un malade donné est établi là encore à l’occasion d’une « réunion de concertation » impliquant des médecins de diverses spécialités : hépato-gastroentérologues ; cancérologues ; chirurgiens ; radiologues ; radiothérapeutes ; anatomo-pathologistes, médecins nucléaires …. De nombreux paramètres sont pris en compte (symptômes; volume de la tumeur du côlon; localisation et nombre des métastases; état général et antécédents, choix et préférences du patient…). Traitement de la tumeur du côlon Si les métastases sont diagnostiquées en même temps que le cancer du côlon, la décision d’un geste spécifique sur le côlon est souvent fonction des symptômes du patient. En cas de troubles du transit ou d’hémorragies, une résection chirurgicale est souvent proposée. En cas d’occlusion, une résection chirurgicale ou la mise en place d’une prothèse dans le côlon lors d’une coloscopie sont indiquées en urgence pour rétablir un transit intestinal satisfaisant. Par contre, lorsque la tumeur du côlon n’est responsable d’aucun symptôme, une chimiothérapie première sans chirurgie est préférable pour contrôler rapidement les métastases. Ces différentes stratégies de traitement dépendent donc des symptômes présentés par le patient et de l’étendue des métastases au moment du diagnostic. Traitements « généraux » - Chimiothérapies Plusieurs produits de chimiothérapie « classiques » peuvent être administrés dans le traitement du cancer du côlon métastatique. Les plus utilisés sont le 5-fluoro-uracile, l’irinotécan et l’oxaliplatine. Depuis 2004, des traitements « ciblés », également appelés « biothérapies », ont prouvé leur efficacité et sont couramment utilisés. Ils visent soit à détruire ou à inhiber la production de vaisseaux sanguins qui « nourissent » les tumeurs (bévacizumab), soit à inhiber la croissance des tumeurs (cétuximab et panitumumab). Ces différents produits sont généralement utilisés en association et administrés de façon séquentielle. Ils peuvent induire un certain nombre d’effets secondaires indésirables qui peuvent justifier la prescription de traitements préventifs. Il n’est pas possible de prédire de façon fiable la tolérance de la chimiothérapie pour un malade donnée et une surveillance étroite est toujours indiquée au cours du traitement. Des bilans sont réalisés périodiquement, le plus souvent tous les 2 ou 3 mois, afin de juger de l’efficacité de la chimiothérapie. Ces bilans sont basés, outre sur l’évaluation de l’état général (appétit, poids, degré de fatigue et capacités physiques …) sur les données d’examens radiologiques (scanner le plus souvent) et 7 parfois biologiques. Le résultat de ces bilans conditionne la poursuite ou non de la chimiothérapie. En l’absence d’efficacité, il convient soit d’arrêter la chimiothérapie, soit de la poursuivre en ayant recours à des médicaments de mécanisme d’action différentes. Traitements chirurgicaux des métastases Une exérèse chirurgicale des métastases hépatiques, pulmonaires ou péritonéales (cavité abdominale) est parfois possible lorsqu’elles sont uniques ou peu nombreuses, de localisation « favorable » et que l’état général est compatible. Cette éventualité doit être systématiquement évoquée initialement ou au cours de l’évolution de la maladie, en cas de réponse favorable à la chimiothérapie. Dans tous les cas, l’objectif de la chirurgie doit être l’exérèse de la totalité des lésions. Même dans cette situation, la fréquence des récidives est malheureusement élevée et une chimiothérapie complémentaire, « adjuvante », est généralement proposée afin d’en diminuer le risque. Techniques de destruction « à travers la paroi » La destruction de métastases hépatiques ou pulmonaires peut être obtenue par « réchauffement » au moyen d’une aiguille introduite « à travers la paroi » abdominale ou thoracique (radiofréquence). Cette technique donne de bons résultats dans certains cas sélectionnés : métastases peu nombreuses, de taille inférieure à 3 cm et de localisation favorable. Elle peut être utilisée à la place de la chirurgie chez des malades « fragiles » ou en complément de celle-ci. Malgré la sévérité de certaines formes, les progrès actuels sont majeurs et permettent d’augmenter le taux de guérison et la longueur de la survie sans symptômes. La participation en plus grand nombre des patients à des essais thérapeutiques permettra d’avancer plus rapidement vers des traitements plus efficaces et mieux tolérés. Traitement symptomatique Enfin, hélas dans certains cas, l’état général du malade et/ou la sévérité de la maladie ne permettent pas de proposer de traitement anticancéreux dont l’utilisation serait dangereuse. Les médecins doivent alors privilégier la prise en charge , palliative, contre les différents symptômes gênants, et en particulier les douleurs, par des traitements dits symptomatiques. 8 PHOTOGRAPHIES DE COLOSCOPIE Côlon « normal » Petit polype du côlon 9 Cancer du côlon