Des montagnes vivantes pour mieux répondre au défi du

publicité
Des montagnes vivantes pour mieux répondre au défi du changement climatique
Je suis très honoré d’avoir été invité par mon ami André Marcon et par Euromontana pour ces dixièmes
Assises européennes de la montagne qui se tiennent à Bragança, au nord-ouest du Portugal, proche de
la frontière avec l’Espagne, les dixièmes assises européennes de la montagne en présence de nombreux
Elus
locaux
et
organisations
socio-professionnelles
des
montagnards
européens.
Depuis les Highlands d’Ecosse jusqu’au mont Olympe en Grèce, depuis les Carpates roumaines jusqu’à
nos montagnes de Corse, c’est près de 30 % du territoire de l’Union européenne qui peut être considéré
comme « montagnard », c’est-à-dire des massifs avec des sommets qui approchent ou dépassent les
mille mètres d’altitude. Mais ces territoires ne représentent que moins de 13 % de la population
européenne, un pourcentage en baisse constante d’année en année. La désertification des zones de
montagne de l’Europe est aussi un problème très sérieux.
Je suis sensible à cette invitation en tant que Membre du Comité Economique et Social européen (CESE)
Ancien Président et Membre actuel de la section des affaires économiques. Je suis très heureux que
madame Annie Benarous, la première Directrice d’Euromontana m’a rappelé que le CESE a été la
première Institution européenne, au début des années 1990, à proposer une politique européenne de la
montagne (le Rapport Amato) . Nous nous félicitons de ce partenariat avec Euromontana que je
remercie aussi d’avoir bien voulu mettre nos deux derniers avis (stratégie alpine et changement
climatique) à la disposition des participants de ces Assises.
Je me réjouis aussi d’être parmi vous en tant que Corse ! La Corse, montagne dans la mer, avec ses plus
de cent sommets dépassant les deux mille mètres, cumule ainsi le fait d’être à la fois une île et une
région montagneuse et connaît d’ailleurs un dépeuplement massif dans ses zones de l’intérieur.
Le rôle positif de nos montagnes n’est pas à démontrer ici.
Ainsi les experts de l’OCDE1 parlent de « bonus » qu’on devrait délivrer aux régions de montagne
puisqu’elles sont à même, avec de grands espaces verts et forestiers mieux adaptés de capter une part
importante du CO2 et donc de ralentir le réchauffement inexorable de notre planète.
Pourtant ces territoires ne sont pas que des réserves d’oxygènes, des prairies pour le bétail, des pistes
de ski couvertes de neige de plus en plus artificielle ou des « réserve d’indiens » folkloriques qu’on vient
photographier en famille le dimanche ou pendant les vacances pour montrer aux touts petits que les
packs de lait ne proviennent pas uniquement des usines. Les territoires de montagne en Europe sont
porteurs de nos valeurs européennes. Il n’y a qu’à se rendre dans un village des Tatras de Pologne ou
dans les Pyrénées ariègeoise pour y trouver la même convivialité, le même sens de l’hospitalité et de la
solidarité, en un mot le sens de la vie en communauté. Ce mot de vie, qui respecte la diversité, qui
fonctionne selon le mode de la proximité, est en train de disparaître à mesure que nos montagnes se
vident de leur population. Le tourisme hivernal ou parfois estival n’a fait que ralentir ce phénomène,
sans pouvoir l’inverser.
Beaucoup de crédits mais pas assez de résultats probants
Les états nations et l’Europe ont fait beaucoup pour les zones de montagne depuis des décennies. Des
efforts méritoires, mais visiblement pas à la hauteur des défis du changement climatique et du
dépeuplement.
L’Europe a versé des centaines de millions d’euros pour des infrastructures de communication, certes
bien utiles mais qui servent aussi aux gens des montagnes pour s’en échapper. Le nord-ouest du
Portugal est à cet égard un exemple frappant avec un réseau autoroutier flambant neuf, avec des
viaducs et des tunnels impressionnants certes, mais bien souvent vides de circulation. Le lancement et le
doublement récent du Plan d’investissement stratégique pour l’Europe, dit « Plan Juncker » avec ces 500
milliards d’Euros de prêts bonifiés d’ici 2020 est une nouvelle opportunité à saisir pour nos régions de
montagne, surtout en terme d’investissements en liaisons de communications, routières comme
numériques, projets énergétiques notamment sur les renouvelables.
L’Europe a investi également des milliards d’euros depuis près de 30 ans dans des programmes destinés
à favoriser la coopération transfrontalière comme par exemple dans le massif alpin entre France, Italie,
Allemagne, Autriche et Slovénie. La Suisse et le Liechtenstein y ont été associés aussi à leurs frais.
Récemment, c’est une stratégie globale macro-régionale pour le massif alpin qui a été arrêtée par le
Conseil de l’union européenne pour soutenir à la fois la construction d’infrastructures de liaison, comme
le Lyon-Turin en TGV mais aussi la préservation de l’environnement. Le CESE a apporté son soutien à
cette
stratégie
dans
l’Avis
qui
vous
a
été
distribué.
Je voudrais citer aussi tous les programmes européens qui soutiennent la biodiversité (programme LIFE)
en montagne ainsi que les sommes énormes que Bruxelles dépense chaque année pour la politique
agricole commune, parfois à mauvais escient comme ces primes à l’hectare qui subventionnement de la
même façon l’éleveur attentionné qui fait de la grande qualité au pseudo-agriculteur qui laisse divaguer
ses animaux sur nos routes. Dans ce domaine, il y a eu heureusement des progrès au cours des
dernières années avec des avantages donnés à ceux qui font du bio, de la qualité, favorisent les circuits
courts et ou se diversifient dans l’agrotourisme. Il faut citer à cet égard les protections accordées aux
productions locales avec des AOP (Appellations d’Origine Protégées) ou IGP (Indications Géographiques
de Production).
Est-ce suffisant ?
Certainement pas si on considère que les régions de montagne continuent à se dépeupler et que le
mode de vie communautaire tend à disparaître. Il est d’ailleurs intéressant de noter que les pays comme
la Norvège qui font un effort considérable pour préserver leur mode de vie traditionnel et repeupler les
zones vides, sont ceux qui attirent le plus de touristes qui apprécient la rencontre avec de vrais
habitants. Un modèle pour nous tous.
Des propositions
Les programmes européens sont trop morcelés. Le Comité économique et social européen préconise
toujours une approche globale faisant agir tous les instruments européens en même temps autour
d’objectifs communs dégagés en consensus par tous les acteurs locaux, politiques et de la société civile.
En effet, en matière de politique de cohésion, comme de changement climatique, la mobilisation des
acteurs de terrains est un élément clé. Les CESE Il préconise aussi un renforcement des actions menées
de part et d’autre des frontières des états nation. Il est indispensable aussi qu’il y ait une meilleure
coordination des interventions européennes de part et d‘autre des frontières dans un même massif
montagneux. Il est ainsi anormal qu’un éleveur dans les Pyrénées va toucher entre deux et trois fois
plus du montant de primes européennes pour exactement la même activité et la même surface selon
qu’il soit du côté français ou du côté espagnol. Je pense aussi qu’il faudrait adapter la Politique agricole
commune aux nécessités de l’agenda mondial de la COP21 tel qu’établi par l’accord de Paris. Par
exemple en privilégiant les élevages et les cultures qui sont compatibles avec l’objectif de freiner le
réchauffement climatique.
Mais il n’y a pas que les primes et les aides. Je pense qu’il faut envisager d’accorder des incitations
fiscales pour celles et ceux qui continuent ou relancent une activité dans une zone de montagne. On
pourrait ainsi pérenniser l’idée de zone franche de montagne. L’exonération des droits de succession,
notamment en terme de patrimoine lié à une activité économique devrait être envisagée car de
nombreuses petites exploitations ou petites entreprises disparaissent faute de repreneurs à l’heure de
la retraite. On devrait aussi à mon avis favoriser en particulier dans les zones de montagne l’attribution
des marchés au « mieux disant » plutôt qu’au « moins disant » (le moins cher). On accorderait ainsi une
priorité aux entreprises qui s‘engageraient à recruter au niveau local, à privilégier les énergies
renouvelables, à appliquer le principe de l’économie circulaire et le zéro déchet.
Des réfugiés dans nos montagnes, Pourquoi pas ?
La question délicate de la crise migratoire doit être abordée ici. Juridiquement et moralement l’Europe
se doit d’abord d’accepter les réfugiés de guerre et demandeurs d’asile politique. Nous avons sous les
yeux les exemples désastreux de la « jungle » de Calais ou de la Méditerranée transformée en cimetière
de malheureux tombés entre les mains des passeurs sans scrupules. Si la concentration de réfugiés peut
susciter l’appréhension des populations locales et des réactions de rejet, nous connaissons en Corse
aussi des exemples d’intégration réussie de familles dans des zones de montagne. Les maltais ont réussi
à intégrer plus de 7000 réfugiés qui travaillent notamment dans l’agriculture et ainsi les vallées
asséchées de l’île de Gozo ont reverdi. La Norvège montre aussi l’exemple de centaines de famille
irakiennes, afghanes et syriennes aujourd’hui bien intégrées et qui participent activement à l’économie
locale en y amenant aussi de la jeunesse et de l’innovation.
En ce qui concerne les migrants qui cherchent à fuir la pauvreté, certains pourraient retrouver aussi un
avenir dans nos régions dépeuplées. Il y a de très nombreux exemples de par le monde. A cet égard, une
politique humaine, respectueuse tant des migrants que des populations locales avec des aides
appropriées est surement préférable à celle qui a constitué à décréter des quotas d’accueil par pays sans
aucune mesure d’accompagnement comme l’a fait un peu précipitamment Jean Claude Juncker le
Président
de
la
Commission
européenne
l’an
dernier.
Les moyens politiques et financiers pour cette nouvelle politique européenne en faveur des zones de
montagne existent.
3 propositions concrètes pour un statut particulier pour les montagnes et les îles montagne
1. Au niveau financier, nous pouvons soutenir l’idée d’une « feuille de route ou Agenda pour les régions
de montagne » comme le recommande l’Intergroupe Montagne du Parlement européen. 2017 sera
l’année de préparation des nouveaux programmes européens pour la période au-delà de 2020.
Réserver une part substantielle des aides aux régions de montagne, organiser des actions globales,
donner un bonus aux actions transfrontalières de massifs entre différents pays et concentrer le soutien
sur le développement durable, l’économie de proximité, l’installation des jeunes, l’accès au numérique
pourraient
en
être
les
axes
prioritaires.
2. Sur le plan législatif, sans attendre une révision des Traités, l’Union européenne pourrait s’appuyer
sur l’article 174 du Traité de Lisbonne qui recommande une attention particulière aux zones dépeuplées,
notamment régions de montagne et îles. Les réglementations européennes comme celles des aides
d’état ou des marchés publics pourraient être adaptées. Et surtout on pourrait lancer des expériences
en termes de de franchises fiscales ou d’adaptation des politiques et des réglementations.
3. Enfin, cette nouvelle ambition pour les montagnes européennes ne peut trouver de sens que si elle
s’appuie sur un partenariat étroit avec les élus locaux et les acteurs locaux de la vie sociale et
économique. Une nouvelle « gouvernance » en quelque sorte, proche du terrain mais également très
ouverte sur la coopération avec les autres territoires et régions d’Europe. C’est en cela qu’Euromontana,
qui associe, dans un cadre européen, les Elus de proximité et les responsables socio-économiques des
zones de montagne est pour nous un exemple à suivre !Un nouveau souffle démocratique pour l’Europe
en quelque sorte… dont elle a d’ailleurs si besoin..
Je voudrais donc souhaiter à Euromontana, au nom de mon ami Joost van Iersel le Président de la
section des affaires économiques du CESE, une très très longue vie !
Henri Malosse
Téléchargement