Léo Léo était comme un frère pour moi, de notre rencontre jusqu'à notre dernier instant. On s'est vus pour la première fois dans un petit boui-boui peu attirant mais affable pour le moins, dans lequel nous avions trouvé refuge, non loin d'un modeste village de montagne. Mon village de montagne. C'était un jour d'automne, il pleuvait comme le poing et l'impact assourdissant des gouttes d'eau sur la toiture nous assommait tel un coup de massue, nous contraignant à hurler pour s'entendre. ............ Je me souviens de nos courtes journées à ne rien faire, à rêvasser, à critiquer la société et à se créer une utopie dans un soupçon d'orgueil, s'estimant supérieurs aux autres sans l'avouer pour autant, car l'on était conscient de cette prétention. Inutile de parler, d'échanger. Les mêmes idées proliféraient dans nos têtes et pourtant. A nous deux nous refaisions le monde. Et les pensées sur lesquelles on ne pouvait mettre de mots, on se les interprétait mutuellement. Puis je me souviens également de nos journées plus actives, où à défaut de changer le monde, on partait à sa découverte pour essayer de mieux le comprendre. Que ce soit en montagne à étudier la nature, ou bien en ville à étudier le comportement humain, On portait toujours un regard critique mais objectif sur les choses. Et quand on ne tombait pas d'accord, on comprenait parfaitement le point de vue de l'autre. Parfois, on restait des heures cachées en forêt, à attendre que quelque chose se produise. La plupart du temps notre patience était vaine, mais quand la nature consentait à nous dévoiler une part d'elle-même, il ne s'agissait pas de prendre des photos en rafale, mais de s'approprier l'instant. Cet instant qui n'appartenait qu'à nous. C'étaient les seules photos pour nous. Le seul moyen de graver les chevreuils, les oiseaux, les loups, l'aurore et les couchers de soleil dans notre esprit. Ce qu'on voulait, c'était apprendre de la vie, et non pas de la pédagogie. C'est d'ailleurs ce que nous reprochaient nos parents. Et c'est pour cette raison que l'on n’aurait jamais pu se lancer dans de grandes longues études de littérature, de philosophie, de physique ou même de psychanalyse. Passionnant et pourtant si navrant et fastidieux quand il s'agit de le faire cloisonné entre quatre murs, cloué à une chaise à regarder remuer les lèvres du prof, tandis que les élèves eux, s'échinent les poignets, jour après jour. Joey