LES ZONES MORTES Causes, mécanismes et formation de ces zones ainsi que les impacts écologiques et économiques Mer et littoral Janvier 2012 Yannick Dubouillon Jennifer Kumaraswami Thomas Piwowarczyk INTRODUCTION Une zone morte est une zone aquatique avec une très faible teneur en oxygène dissous (hypoxie), qui provoque l'asphyxie de la faune et de la flore, et donc la mort de toute la biodiversité marine présente dans cette zone. Elles peuvent être présentes dans les mers et les océans, mais aussi dans les estuaires, les rivières, les lacs, les mares... Au XXIe siècle, des zones mortes sont observées de plus en plus souvent, et sur des surfaces de plus en plus grandes. La plus vaste zone morte repérée en 2003 (parmi 150 environ, et 450 en 2008) atteignait environ 70 000 km² selon l'ONU. Ces zones ont des impacts de plus en plus importants sur la pêche et les écosystèmes. Les études conduites en mer Baltique et aux États-Unis depuis la fin des années 1990 montrent que nombre de poissons, dont on pourrait penser qu'ils puissent facilement les fuir, y perdent rapidement connaissance et meurent asphyxiés. En effet, dans certains cas, quelques espèces de poissons semblent pouvoir échapper à la mort mais les crustacés tels que homards, langoustes ou crevettes se déplacent trop lentement pour échapper à l’asphyxie. Quant aux moules, huîtres et autres organismes fixés, ils sont condamnés. Les coraux et de très nombreux animaux coloniaux meurent, et leur putréfaction contribue à accentuer le phénomène. Dans le passé lointain de la planète, lors des grandes catastrophes bio-géologiques marquées par des extinctions majeures, des zones anoxiques semblent avoir été en jeu, mais à des échelles bien plus vastes et durables (durant plusieurs millions d'années parfois), occasionnant des pertes très importantes (jusqu'à plus de 80 % des espèces vivantes de la planète). Ils semblent induits par des aléas météorologiques exceptionnels, de grands déboisements ou des pics d’érosion après incendies. I – LES CAUSES A – LES APPORTS DE NUTRIMENTS ANTHROPIQUES La zone morte est la dernière phase de l'eutrophisation de l'eau, provoquée par le rejet de substances nutritives trop riches, provenant notamment des phosphates contenus dans les lessives, ainsi que l'azote et les nitrates, contenus dans les engrais utilisés dans l'agriculture intensive. La pollution de l'eau est provoquée également par les nombreux rejets industriels. Dans un premier rapport pour l'ONU, les experts ont identifié comme première cause les apports de fertilisants agricoles et les apports de nutriments et de matière organique induits par la dégradation et l'érosion croissante des sols agricoles ou déboisés, dans un contexte d'agriculture de plus en plus intensive. Ces apports contribuent à augmenter la DCO (demande chimique en oxygène) et la DBO (demande biologique en oxygène) bien au-delà de ce que le milieu peut fournir la nuit à partir des réserves d'oxygène dissous dans l'eau, et parfois de jour tant l'eau est chargée de matières consommant de l'oxygène. Mais tout apport important de matières organiques (inondation/crues, boue de curage, mobilisation de sédiments par exemple par la construction d'un port, par une carrière sousmarine, ou plus simplement par le chalutage) dans un milieu aquatique est susceptibles d'entraîner une raréfaction de l'oxygène dans le milieu, d’autant plus que la mobilité horizontale et surtout verticale (thermocline) de l’eau est basse, c’est-à-dire là où les masses d'eau sont stratifiées (dans les fjords par exemple). En mer, des phénomènes locaux et saisonniers d’appauvrissement en oxygène existent naturellement localement à des périodes de l’année ou l’eau se stratifie (été, automne, lors de la formation d’une thermocline), mais les apports anthropiques les aggravent considérablement. C'est notamment la charge en azote qui a le plus d’impact sur ce phénomène. La zone morte est provoquée par les fertilisants et les nutriments tels que le nitrogène et le phosphore qui s’écoulent des terres cultivées directement dans les eaux, conduisant à une surproduction de petits organismes tels que des algues. Si les organismes ne sont pas mangés, ils meurent et tombent au fond de l’océan où des bactéries les font pourrir, absorbant l’oxygène présent dans l’eau. Cela va aggraver le phénomène. B – LES AUTRES FACTEURS Divers facteurs aggravent ces effets comme • Les pollutions diverses, principalement industrielles, urbaines et automobiles. • Le manque de réseaux de collecte et d'épuration des eaux usées dans les régions densément peuplées participe sans doute aussi au phénomène, mais ne peut expliquer à lui seul la répartition de ces zones. Dans certaines régions du monde, les taux d’azote dissous dans les pluies augmentent également fortement (notamment depuis l’usage de l’épandage d’engrais azotés liquides sur les champs). De même, les pluies acides solubilisent plus de nutriments, qui sont emportés à la mer ou dans les lacs. Les grandes inondations sont également plus fréquentes, souvent pour des causes humaines (pratiques agricoles, remembrements, perte de matière organique des sols et imperméabilisation croissante des surfaces habitées). La combinaison de ces trois phénomènes accélèrent les apports de matières eutrophisantes en mer. La turbidité augmente alors, au point d'empêcher les rayons solaires de pénétrer l'eau. La photosynthèse planctonique est inhibée et ni les rayons ultra-violets solaires, ni l'oxygène ne jouent plus leur rôle de « désinfectant » naturel. Diverses pollutions, par les pesticides, par les métaux lourds, par les hydrocarbures et localement par des polluants chimiques issus de l'immersion de déchets, peuvent exacerber le phénomène en inhibant également la photosynthèse et/ou en tuant un grand nombre de plantes ou d'autres organismes. Localement, un lien possible avec l'impact de fermes marines aquacoles a été évoqué. L'utilisation de boules d'amorces riches en matière organique par les pêcheurs en eau douce fermée ou à courant lent est également une cause majeure d'eutrophisation et d'anoxie des eaux non superficielles. Si l’hypothèse biologique et chimique est bien la plus consensuelle, le réchauffement climatique joue aussi un rôle dans l’apparition de zones mortes. L’oxygène, en effet, se dissout moins bien dans une eau réchauffée que dans une eau froide, une élévation de température accélére donc la survenue d'une hypoxie. • • • • • • II – MECANISMES ET FORMATION Les zones anoxiques peuvent se créer dans tous les types de milieux aquatiques, aussi bien dans les milieux aquatiques fermés comme les lacs (lac Tanganyika, lacs du Canada …) que dans les milieux aquatiques ouverts : mer et océans (mer Morte, mer Baltique…) ainsi aujourd’hui on dénombre plus de 500 zones mortes à travers le monde et de tailles très diverses : < 1 km ² à près de 70000 km ² Cependant les zones anoxiques d’origine naturelle sont encore aujourd’hui peu connues car peu abondantes par rapport à celles d’origine anthropiques. En effet la plupart des zones anoxiques sont plus ou moins directement liées aux activités anthropiques (de l’homme): les apports d’éléments nutritifs aux systèmes d'eau douce et marins, dues aux activités humaines comme l'agriculture (apports d’azote, phosphores, phosphates…) ; industrielle (détergents, eaux usées industrielles et urbaines …) vont augmenter et stimuler la croissance du phytoplancton (bactéries et algues qui sont les fondements des réseaux trophiques aquatiques, à la base de la nourriture de la plupart des organismes aquatiques). Cependant, cette croissance va parfois être trop importante et entrainer des effets négatifs sur les écosystèmes aquatiques comme l’apparition d’efflorescences algales (augmentation relativement rapide de la concentration d'une ou plusieurs espèces de phytoplancton dans un système aquatique) qui, par l’intermédiaire de 2 mécanismes vont entrainer des zones mortes : soit en consommant de l'oxygène à un point tel que les autres plantes et les animaux ne peuvent plus survire dans leur environnement. soit dans le cas de quelques espèces de phytoplancton (principalement les algues bleu-vert en eaux douces et les dinoflagellés en eaux salées), en formant des efflorescences néfastes qui produisent des composés toxiques létaux pour d'autres organismes. Bien que l’apparition de certains tapis d’algues soient d’origine naturelle, notamment en été où les plus fortes températures favorisent l’apparition de ces dernières ; ce sont bien souvent les apports en nutriments qui provoquent de plus en plus fréquemment l’apparition d’immenses tapis d’algues, qui, pour certaines sont toxiques. Ensuite, lorsqu’elles se décomposent, les bactéries actives dans ce processus consomment l’oxygène dissout dans l’eau, ce qui provoque une hypoxie du milieu aquatique (une diminution de la teneur en oxygène) et pouvant conduire également jusqu’à l’anoxie et la disparition de la vie marine. La température et/ou la salinité sont des co-facteurs qui jouent des rôles important dans l’apparition des zones mortes ; d'abord parce que l'eau tiède perd naturellement son oxygène et ensuite parce que les variations de température et de densité peuvent conduire à des stratifications de couches de températures différentes, certaines pouvant durablement rester très appauvries en oxygène. C’est donc pour cela que le nombre et la taille des zones mortes augmentent lors des périodes chaudes comme l’été. Ainsi en juillet 2010 on a pu constater que les températures record, les engrais agricoles et un manque de vent ont donné naissance cet été à un gigantesque tapis d’algues qui a recouvert 377 000 km2 en mer Baltique lieu ou en une décennie s’est formée l’une des zones mortes les plus grande du monde. Le tapis d’algues en juillet 2010 constaté sur la mer baltique Ce vaste tapis d’algue tient d’après les scientifiques, à l’usage excessif d’engrais sur les terres agricoles, qui rejettent ensuite par ruissellement, de grandes quantités de phosphore et d’azote dans les fleuves de la mer Baltique. Ils estiment qu’avec des conditions climatiques favorables une recrudescence de ces algues est inévitable. « La sur-fertilisation est le plus grand problème environnemental de la mer Baltique ; elle est responsable de la propagation des zones mortes sur le fond marin, » déclare M. Lamp. Une autre zone morte a été observée au nord du golfe du Mexique, de près de 25000kms² en 2010. Sa taille n’a jamais été aussi grande. Elle est due notamment aux apports d’azote et de phosphore charriés par le Mississippi. Mais en avril 2010, suite à l’explosion de la plateforme pétrolière BP «Deepwater Horizon» la compagnie pétrolière, pour contenir la marée noire provoquée par cette catastrophe, a utilisée bon nombre de produits chimiques et dispersant qui ont eu pour effet non seulement de détériorer la faune et la flore locale, mais aussi de faire couler les nappes de pétrole vers les profondeurs empêchant toute vie de subsister. De plus, de grandes quantités de méthane se sont échappées lors de cette catastrophe asphyxiant tout sur leur passage. Ainsi les scientifiques craignent, que pour quelques années encore, suite à cette catastrophe la zone morte du golfe du Mexique ne s’étende encore. Autre exemple, ce phénomène de zone morte vaut aussi pour certains lacs. Par exemple, le lac artificiel du barrage de Petit-saut en Guyane, qui a noyé des millions d'arbres présente une couche superficielle d'eau douce normalement oxygénée (sur 3 m d'eau environ) où tout paraît normal, au-dessus d'une masse d'eau très appauvrie où la vie est beaucoup plus réduite Aujourd’hui l’apparition de ces zones, en forte augmentation, surtout depuis les années 90 traduisent de graves disfonctionnements des écosystèmes marins. Ainsi des formes de vies marine peuvent complètement disparaitre en quelques années et avoir de graves conséquences écologiques et économiques. Cependant le phénomène des zones mortes n’est pas un problème irréversible : en effet pour les zones les plus petites c’est-à-dire celles ou la zone anoxique ne dure que quelques mois dans l’année, il y a une certaine résilience écologique. En effet l’écosystème a la capacité de retrouver son état normal, que ce soit naturellement (grâce aux saisons) ou par le biais d’interventions humaines. Néanmoins, le « retour à la normale » demandera du temps ; variable selon la richesse antérieure et la sensibilité du milieu, selon l'ampleur et la durée du phénomène de zone morte, car une fois que la source de nutriments est maîtrisée, il faut aussi le temps que les excès d'azote et de phosphore soient recyclés ou dilués par l'écosystème, ce qui est long et problématique. Enfin, la réversibilité n'est possible que quand on peut intervenir sur la source du problème. Par ailleurs une hausse de la température est susceptible d’accélérer le processus dit d’eutrophisation, notamment pour les milieux fermés comme les mers ou les lacs. Ce phénomène se caractérise par une prolifération des algues de surface. Par la suite, cette prolifération va empêcher la lumière de parvenir aux couches les plus profondes, bloquant ainsi la photosynthèse de la flore dans les couches profondes et précipitant une chute de l’offre en oxygène. Cependant cette hausse des températures va néanmoins favoriser, l’activité photosynthétique des algues en surface ce qui va avoir pour effet d’accélérer le phénomène d’eutrophisation du milieu. Ainsi une température trop élevée va donc être possiblement une double cause d’accroissement de la demande en oxygène et donc une double cause pour l’eutrophisation du milieu. L’abondance des algues en surface va aussi favoriser la réduction de la luminosité, on assiste alors à une baisse de l’activité photosynthétique précipitant la chute de l’offre en oxygène, entrainant en retour, une réduction de la production biologique du milieu. La zone devient alors peu à peu anoxique bouleversant profondément les équilibres, remettant en cause la structure biologique du milieu. III – IMPACTS ECOLOGIQUES ET ECONOMIQUES A – LES IMPACTS ECOLOGIQUES Il existe une forte interaction entre les caractéristiques du milieu naturel et le type de vie qui s'y développe. Deux grands types de facteurs peuvent influer sur le développement de la vie : - les facteurs abiotiques : ils sont répartis en plusieurs sous catégories dont : o les facteurs chimiques : qui comprend la concentration en en élément chimique du milieu, dans le cas qui nous intéresse la concentration en dioxygène dissous dans l’eau. - les facteurs biotiques. Qui sont répartie en eux aussi en plusieurs sous catégories dont : o les relations interspécifiques : ce sont toutes les relations entre les membres d’une même espèce. o les relations intra spécifiques : ce sont toutes les relations entre individus d’espèces différentes. Comme décrit précédemment, la concentration en dioxygène de l’eau est un facteur abiotique, qui affecte tout particulièrement les êtres vivants par le biais de la respiration : - La respiration (échanges gazeux) permet aux êtres vivants de transformer la biomasse extérieure (nourriture) et l'oxygène en dioxyde de carbone et en eau en gagnant de l'énergie. Le dioxyde de carbone et l'eau sont libérés, autrement dit « expirés ». la respiration forme un cycle fermé. Toutes les espèces vivantes sont donc affectées par la diminution du taux de dioxygène dissous avec un impact plus ou moins grand suivant leur résilience à ce facteur abiotique. Cependant quantité de dioxygène dissous dans l’eau varie suivant d’autres facteurs abiotiques tel que : - La salinité et la température : les fluctuations de température et de salinité provoquent des variations dans la capacité de l’eau à capter de l’oxygène. Par exemple, une eau qui peut théoriquement contenir, à 5°C et à une salinité de 0,5%, 12,3 mg/l d’oxygène, ne peut en contenir que la moitié à 30°C avec une salinité de 3,5%, alors que dans les deux cas on parle d’une saturation de 100%. - La température : voici la courbe du taux de saturation en oxygène de l’eau en fonction de la température. On raisonne donc en fonction du pourcentage du taux de saturation de l’eau, on peut donc définir l’impact sur l’écologie du milieu marin de la disparition progressive de l’oxygène de l’eau comme suit : - - A partir de 80% jusqu’à 50% certaines espèces dites « supérieures » commencent à être affectées et peuvent disparaitre. De 50% à 30% du taux de dioxygène dissous la majorité des formes de vie naturellement présente dans un milieu oxygéné sont alors en péril, on observe de troubles chez certaines espèces comme la réduction de la taille des organes reproducteurs. De 30% à 1% on dit qu’il y a hypoxie, la totalité des espèces fuient la zone quand elles le peuvent ou meurent. Les troubles sur la reproduction s’amplifie : L'hypoxie favorise la surexpression de deux gènes impliqués dans la production d’une protéine produite en conditions légèrement asphyxiantes ((en) hypoxia-inductile factor, HIF). En condition hypoxique, la HIF s’apparie chez ces poissons avec une autre protéine (l’ARNT). Ensemble, elles se lient à l'ADN cellulaire pour y activer certains gènes qu’on suppose utiles pour une meilleure survie de l’animal. Lorsque la teneur de l’eau en oxygène est normale, l’ARNT se combine avec l'œstrogène pour activer certains gènes. Or, des cellules cultivées en conditions hypoxiques en tubes à essai ne réagissent plus à l'œstrogène ; la HIF semble rendre l’ARNT indisponible. Il ne peut plus interagir avec l’œstrogène, ce qui inhibe le processus normal de la reproduction. Le phénomène s’amplifie suite à la décomposition des cadavres des espèces qui (selon les statistiques officielles), depuis 1990, après un pic de 46,9 millions de kg, les débarquements de crevette brune en Louisiane et au Texas ont régulièrement décliné, au fur et à mesure que la zone d'hypoxie augmentait. Dernièrement le nombre de pêcheurs de crevettes a, dans cet État, chuté de 40 % de 2001 à 2007. CONCLUSION L'homme n'a pas inventé l'eutrophisation, la Mer Morte est un exemple de ce phénomène, avec une interruption quasi complète des échanges verticaux entre le fond et la surface. Mais les cas de ce genre ont clairement augmenté en taille et en nombre près des côtes et semblent en rapport avec l'activité humaine, industrielle et agricole. La surveillance par satellite permet aujourd'hui de bien détecter ces phénomènes de zones mortes, simplement par la couleur de l'eau. Quelles sont les solutions et alternatives ? L'Agence danoise de protection de l'environnement a calculé qu’une diminution de 50 % de la charge réelle d'azote aboutirait à une diminution de près de 50 % de la durée des phénomènes d'anoxie dans ces zones. Réduire l'hypoxie d'un littoral est un processus long et complexe. Seuls la maîtrise des rejets agricoles et industriels polluants, la réduction de l'utilisation des engrais et pesticides dans l'agriculture et le bannissement des phosphates dans les lessives pourraient permettre d'améliorer la situation. Les différentes réglementations agricoles tendent notamment à réduire ces phénomènes. Ainsi, il faudra attendre plusieurs décennies pour constater les conséquences des efforts actuellement faits. 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