Mise au point Thrombopénies aux inhibiteurs de la pompe à protons Magali Bisch1, Thierry Weitten1, Pauline Dietsch2, Martine Alt2, Emmanuel Andrès1 1 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Service de médecine interne, diabète et maladies métaboliques, Clinique médicale B, Hôpital Civil, Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, 1 porte de l’Hôpital, 67091 Strasbourg Cedex, France <[email protected]> 2 Centre de pharmacovigilance d’Alsace, Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, Strasbourg, France Les principales classes médicamenteuses susceptibles d’induire une thrombopénie sont les médicaments de type anticoagulant dont les plus fréquents sont les héparines, les antiinfectieux (rifampicine, cotrimoxazole, pénicilline), les sels d’or ou encore la quinine, les quinidiniques et les antidiabétiques oraux. Récemment, les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) ont également été suspectés comme étant à l’origine d’une toxicité plaquettaire. Une revue de la littérature et l’interrogation de bases de données de pharmacovigilance font apparaître d’exceptionnels cas de thrombopénie aux IPP, cette dernière étant en général peu voire asymptomatique. Néanmoins, en pratique, la connaissance d’un tel effet indésirable des IPP peut être utile à l’enquête étiologique d’une thrombopénie. Mots clés : thrombopénie, cytopénie, inhibiteurs de la pompe à protons, effet indésirable, iatrogénie L Tirés à part : M. Bisch 322 mt, vol. 15, n° 4, octobre-novembre-décembre 2009 En pratique, il s’agit d’une classe très fréquemment prescrite. Les IPP occupaient ainsi en 2006 le troisième rang des dépenses de l’assurancemaladie et la France, avec 22 comprimés par an et par habitant, se situe au deuxième rang de la consommation des pays européens [4]. L’utilisation massive des IPP et la méconnaissance de cet effet rendent l’analyse des données disponibles intéressante et sont à l’origine de ce travail et de cette mise au point. Rappels sur les thrombopénies médicamenteuses Une thrombopénie est définie par une baisse du nombre de plaquettes sanguines inférieure à 150 G/L (150 000/mm3) [5]. Sur un plan clinique, un nombre de plaquettes situé entre 50 et 150 G/L n’entraîne généralement pas de conséquence grave, les doi: 10.1684/met.2009.0214 mt es thrombopénies induites par des médicaments sont relativement fréquentes [1]. On estime leur incidence annuelle entre 1 pour 100 000 habitants à 1 pour 15 000 habitants selon les traitements incriminés (pour cette dernière, on peut par exemple citer les diurétiques thiazidiques). Les principales classes médicamenteuses susceptibles d’induire une thrombopénie sont les médicaments de type anticoagulant dont les plus fréquents sont les héparines, les antiinfectieux (rifampicine, cotrimoxazole, pénicilline), les sels d’or ou encore la quinine, les quinidiniques et les antidiabétiques oraux [1, 2]. Or, il apparaît suite à une analyse bibliographique et à la consultation des données du centre régional de Pharmacovigilance de Strasbourg que les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) peuvent également être à l’origine d’une toxicité plaquettaire, cette dernière étant en général méconnue des praticiens. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. hémorragies notamment viscérales ainsi que le purpura thrombopénique n’apparaissant qu’à moins de 10 G/L. Cela explique pourquoi la majorité des thrombopénies médicamenteuses passent inaperçues et celles-ci ne sont de ce fait en principe pas rapportées (sous notification des cas) [2]. Le plus souvent, le médicament incriminé dans la genèse de la thrombopénie a été pris pendant environ 1 semaine en continu, ou pendant une période plus longue s’il est administré de façon intermittente avant que les premiers symptômes tels que pétéchies et ecchymoses n’apparaissent. Chez les patients plus sévèrement atteints, on observe un purpura, ainsi que des épistaxis, saignements gingivaux, gastro-intestinaux ou encore urinaires [6]. Dans la plupart des cas, le mécanisme de la thrombopénie n’est pas précisé dans la littérature relatant des cas isolés de thrombopénies médicamenteuses. Toutefois, 3 principaux mécanismes à l’origine des thrombopénies médicamenteuses sont décrits et ont été plus ou moins bien documentés et reproduits dans des modèles animaux [2]. Inhibition de la production médullaire Il s’agit dans ce cas d’un mécanisme central touchant une ou plusieurs lignée(s). Les principaux médicaments responsables sont la colchicine, le tolbutamide et les diurétiques thiazidiques [2]. En outre, les médicaments cytostatiques entraînent inévitablement une thrombopénie centrale par inhibition de la production médullaire. Consommation périphérique Ce mécanisme est rare. Il est dû à une agression endothéliale provoquée par des inhibiteurs de l’activation plaquettaire comme la ticlopidine, la mitomycine ou encore la gemcitabine [2]. Hyperdestruction immunologique C’est le mécanisme le plus fréquent, et également le plus documenté. Il est causé par l’apparition d’anticorps dirigés contre des glycoprotéines de la membrane plaquettaire. Ces derniers n’agissent qu’en présence du médicament ayant provoqué leur apparition [2]. Les mécanismes de formation de ces anticorps ainsi que leur action antiplaquettaire sont très divers [7] : – Anticorps haptène-dépendants : les molécules de petit poids moléculaire (< 2-5 kDa) ne possèdent pas de pouvoir immunogène. Elles peuvent toutefois stimuler la production d’anticorps lorsqu’elles sont liées de façon covalente à une protéine de transport. Le mécanisme de la thrombopénie immunologique est dans ce cas le suivant : le médicament se lie de manière covalente à une glycoprotéine membranaire de la surface plaquettaire et se conduit alors comme un haptène pour induire une réaction immunitaire humorale dirigée contre le complexe ainsi formé. C’est le cas notamment des bêtalactamines (pénicillines). – Thrombocytopénie immunologique « quinine-like » : ce mécanisme concerne entre autres les traitements par quinine, quinidine, ainsi que les antibiotiques de la famille des sulfamides. La réaction se produit après 5 à 8 jours de traitement ou en un jour si le patient avait déjà été exposé au médicament sensibilisant auparavant. Elle est caractérisée par la présence d’IgG et d’IgM réagissant avec les épitopes suivants de la membrane plaquettaire : GPIIb/IIIa (récepteur du fibrinogène) et GPIb/IX (récepteur du facteur de Willebrand) en présence du médicament dans sa forme soluble uniquement. En effet, la liaison du médicament à la glycoprotéine membranaire forme un nouvel épitope ou provoque une modification conformationnelle ailleurs dans la molécule qui sera spécifique de l’anticorps produit. – Inhibition GPIIb/IIIa : les molécules impliquées sont le tirofiban et l’eptifibatide, médicaments antiagrégants plaquettaires utilisés dans l’insuffisance coronarienne aiguë, notamment suite à une angioplastie coronaire. Dans le cas de traitements par un de ces deux principes actifs, la thrombopénie peut se déclarer dès la première exposition. A priori, cela suggère un mécanisme nonimmun. Cependant, il a été prouvé [8] qu’il s’agit de thrombopénies induites par des anticorps reconnaissant le médicament lié au récepteur GPIIb/IIIa et que ces anticorps sont naturellement présents ou du moins préexistants. – Anticorps drogue-dépendants : il s’agit du mécanisme impliqué dans les thrombopénies induites par l’abciximab qui est un fragment Fab chimérique (humain/murin) spécifique du récepteur GPIIb/IIIa qui empêche la réaction avec le fibrinogène par empêchement stérique. Environ 1 % des patients développent une thrombopénie aiguë lors de la première administration du médicament. Ce chiffre s’élève à 5 à 10 % lors de la deuxième administration. Ces patients présentent habituellement des IgG et des IgM spécifiques des plaquettes recouvertes d’abciximab. Au contraire, dans environ 50 % de la population sont présents des anticorps similaires spécifiques d’un épitope situé à la partie C-terminale de l’abciximab mais la liaison de ces anticorps aux plaquettes recouvertes d’abciximab est facilement inhibée. Il se pourrait que les anticorps responsables de thrombopénies aiguës soient spécifiques de la partie murine du fragment Fab. On ne sait toutefois pas encore pourquoi les anticorps présents naturellement ne provoquent pas de thrombopénie, ni la raison pour laquelle des anticorps responsables de la destruction massive de plaquettes sont présents chez une minorité de patients. – Auto-anticorps induits par un médicament : les patients chez qui se produit une thrombopénie « quininelike » produisent parfois également des anticorps non drogue-dépendants dirigés contre les glycoprotéines de la membrane plaquettaire. Il s’agit notamment des thrombopénies aux sels d’or, qui sont bien connues. Toutefois le mt, vol. 15, n° 4, octobre-novembre-décembre 2009 323 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Mise au point mécanisme de production de ces anticorps n’est pas encore élucidé. – Formation de complexes immuns : c’est le mécanisme impliqué dans les thrombopénies induites par l’héparine. Après 7 jours de traitement par héparine non fractionnée, environ 50 % des patients produisent des anticorps dirigés contre le complexe héparine-facteur 4 plaquettaire. Une thrombopénie est alors induite chez 5 % des patients (rarement sévère), parmi lesquels 10 % présentent une thrombose paradoxale engageant le pronostic vital. George et al. ont réalisé une analyse systématique des cas de thrombopénies médicamenteuses publiés en utilisant les critères d’imputabilité décrits dans le tableau 1 [9]. Ces critères seront ensuite utilisés pour chaque cas étudié dans notre travail [7]. L’oméprazole a été le premier inhibiteur de la pompe à protons (IPP) mis sur le marché aux États-Unis et en Europe à la fin des années 1980. Il a depuis été suivi par le lansoprazole, et plus récemment par le pantoprazole, l’ésoméprazole qui est l’isomère S de l’oméprazole ou encore le rabéprazole. Les IPP agissent après absorption par la muqueuse intestinale, distribution dans l’organisme et sécrétions dans les cellules pariétales gastriques. Les molécules sont ionisées dans ces cellules où le pH est proche de 2. La forme ionisée va alors se lier par liaison covalente à un groupement –SH présent sur la sous-unité alpha de la Tableau 1. Critères d’imputabilité utilisés pour les thrombopénies médicamenteuses [9] Critères Description 1 Prise du médicament avant la thrombopénie et Disparition complète et durable après l’arrêt du médicament Traitement unique par ce médicament avant la thrombopénie ou Maintien ou réintroduction d’autres médicaments avec maintien de la normalisation plaquettaire Exclusion d’autres causes de thrombopénie Thrombopénie causée par une réexposition au médicament Imputabilité 3 4 Niveaux d’évidence I II III IV 324 H+ HCO3CO2 ATP K+ ATP ase ClK+ O2 histamine H2 ADP Cl- AMPc Cellule pariétale Figure 1. Inhibition de la pompe à protons H+/K+–ATPase conduisant à une diminution des protons qui atteignent la cavité stomacale. Rappels sur les inhibiteurs de la pompe à protons 2 H2O Certain (présence des critères 1, 2, 3 et 4) Probable (présence des critères 1, 2 et 3) Possible (présence du critère 1) Peu probable (absence du critère 1) pompe à protons H+/K+–ATPase, provoquant son inhibition réversible. Comme le montre la figure 1, l’inhibition de cette pompe conduit à une diminution des protons atteignant la cavité stomacale. Depuis la mise sur le marché des premiers IPP à la fin des années 1980, leur utilisation n’a cessé de croître, parfois avec un mésusage de ces molécules. Un travail réalisé en 2006 par la Société nationale française de gastro-entérologie dans la circonscription de Grenoble a montré que sur 600 questionnaires envoyés à des médecins généralistes ayant prescrit de IPP en première intention, 46,3 % des prescriptions se sont avérées non conformes aux indications de l’AMM et dans 21 % des cas la posologie n’était pas celle recommandée [3]. Le tableau 2 reprend les principales indications thérapeutiques validées des IPP [10]. L’utilisation massive de cette classe médicamenteuse a permis une bonne connaissance de ses effets indésirables fréquents (> 1/100) tels que céphalées, douleurs abdominales, constipation, diarrhées, flatulences, nausées et vomissements qui restent la plupart du temps bénins, et d’être convaincu de leur sécurité d’emploi. Toutefois, la survenue d’effets plus rares (> 1/10 000) notamment hématologiques (leucopénie, thrombocytopénie) reste mal connue et difficile à évaluer en raison de leur discrétion, voire de leur sous-notification. Thrombopénies induites par les IPP Données issues de la base nationale de pharmacovigilance Une recherche dans la base de données nationale de pharmacovigilance concernant les thrombopénies sous mt, vol. 15, n° 4, octobre-novembre-décembre 2009 Tableau 2. Principales indications validées des inhibiteurs de la pompe à protons [10] Principales indications reconnues des IPP Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. En association à une antibiothérapie, pour l’éradication d’Helicobacter pylori en cas de maladie ulcéreuse gastroduodénale En cas d’ulcère duodénal ou gastrique évolutif En cas d’œsophagite érosive ou ulcérative symptomatique par reflux gastro-œsophagien (RGO) Pour le traitement symptomatique du RGO associé ou non à une œsophagite Pour le traitement d’entretien des ulcères duodénaux chez les patients non infectés par H. pylori ou chez qui l’éradication n’a pas été possible Pour le traitement d’entretien des œsophagites par RGO En cas de syndrome de Zollinger-Ellison (ulcères récidivants sur la muqueuse de l’estomac et du duodénum) Pour le traitement préventif des lésions gastroduodénales induites par les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) chez le patient à risque IPP a donné les chiffres indiqués dans le tableau 3 concernant des dossiers où l’IPP est considéré comme suspect. Il s’agit du nombre de cas répertoriés depuis le début de la commercialisation de chacun des médicaments. Données issues de Drugdex® Les données suivantes sont issues de la banque de données Drugdex® qui présente des synthèses de données sur les médicaments, de documents consultés au centre régional de pharmacovigilance de Strasbourg ainsi que d’une recherche bibliographique à l’aide de PubMed. Aucun article relatant une thrombopénie induite par ésoméprazole ou rabéprazole n’a été trouvé. Oméprazole La banque de données Drugdex® fait état de la survenue d’événements hématologiques à type de pancytopénie, thrombopénie, neutropénie, anémie, leucopénie ou anémie hémolytique chez moins de 1 % des patients traités par oméprazole. Ci-dessous sont rapportés les 3 cas de thrombopénies associées à la prise d’oméprazole. Cas n°1 [12] Un homme de 47 ans avec des antécédents d’éthylisme chronique a été admis pour altération de l’état général. De l’oméprazole lui a été prescrit à la dose de 20 mg/ jour suite au diagnostic d’œsophagite ulcérative. De plus, il est traité par cisapride et hydroxydes d’aluminium et de magnésium pour une hernie hiatale, et par propranolol pour hypertension artérielle. Après 4 jours de traitement, une thrombopénie à 94 G/L est apparue, allant jusqu’à 64 G/L après 7 jours. Le bilan de coagulation intravascu- laire disséminée étant négatif et le patient étant apyrétique, aucune cause autre que la cause toxique n’a pu être envisagée. L’administration d’oméprazole a donc été arrêtée, et les plaquettes sont revenues à 122 G/L après 3 jours pour atteindre le nombre normal de 196 G/L après 4 jours. Le lien de causalité de l’oméprazole est dans ce cas « probable » (critères 1, 2 et 3 du tableau 1) [11]. Cas n°2 [13] Une femme de 80 ans a été admise pour anémie, ictère et tendance hémorragique, le tout évoluant depuis environ 5 semaines après l’institution d’un traitement par oméprazole. À l’admission, elle présentait une hémoglobinémie de 6,4 g/dL, une numération plaquettaire de 1 G/L, des leucocytes à 7,5 G/L et des réticulocytes à 325/1 000. Les tests de Coombs direct et indirect étaient tous deux positifs à l’admission, et elle présentait une valeur d’IgG associées aux plaquettes (PAIgG) de 110 ng/106 (valeurs moyennes : 2.0-10 ng/106 plaquettes [14]). Après l’arrêt du traitement par oméprazole, les valeurs de l’hémoglobine et des plaquettes ont progressivement augmenté jusqu’à atteindre un niveau normal. À 27 jours d’hospitalisation, le test de Coombs direct était positif et l’indirect négatif. Le nombre de PAIgG était également revenu à la normal. Après 59 jours d’hospitalisation, la patiente a pu sortir, et 40 jours plus tard le test de Coombs direct est devenu négatif. Il s’agirait dans ce cas d’une anémie hémolytique associée à une thrombopénie sévère causée par l’oméprazole via un immun complexe. À nouveau, le rôle joué par l’IPP est « probable » (critères 1, 2 et 3 du tableau 1) [15]. Cas n°3 [16] Tableau 3. Nombres de cas répertoriés dans la base de données nationale de pharmacovigilance depuis la commercialisation de chaque inhibiteur de la pompe à protons Molécule Nombre de cas Date de commercialisation [11] Oméprazole Lansoprazole Pantoprazole Esoméprazole Rabéprazole 433 40 66 111 13 15/04/1987 11/12/1990 08/02/1995 12/09/2000 25/11/2000 Un homme de 58 ans présentant une cirrhose alcoolique et des varices œsophagiennes a été admis pour saignement gastro-intestinal. Ce dernier a été traité efficacement par sclérothérapie. De l’oméprazole IV a été administré au patient pendant 6 jours (80 mg/jour), et le sixième jour les leucocytes étaient à 2,8 G/L et les plaquettes à 29 G/L, ce qui correspond à une baisse respectivement de 28 % et 24 % par rapport à la valeur avant le traitement par IPP. À l’arrêt du traitement, les numérations ont augmenté pendant 13 jours de 50 % et 72 %. mt, vol. 15, n° 4, octobre-novembre-décembre 2009 325 Mise au point Lansoprazole Des cas ont également été trouvés dans la littérature en utilisant Drugdex®. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Cas n°1 [16] 326 Un homme de 85 ans était admis pour asthénie et melaena depuis 2 jours. L’analyse sanguine réalisée le jour de l’admission a montré une hémoglobinémie à 8,6 g/dL et des plaquettes à 160 G/L. Son INR était de 4,3. Après avoir arrêté le traitement habituel du patient (irbesartan, furosémide, aténolol), il a été transfusé de 2 unités de globules rouges et de 2 unités de plasma frais congelé. On lui a également administré 5 mg de vitamine K en sous-cutané. L’INR a alors baissé à 2,8. Au même moment a été débuté le traitement oral par lansoprazole 60 mg 2 fois par jour. Au deuxième jour d’hospitalisation, la numération plaquettaire a baissé à 102 G/L (– 36 %) après les 2 premières doses de lansoprazole 60 mg, et est descendue à 36 G/L (– 78 %) le troisième jour. Le lansoprazole étant la seule médication suspectée de cet effet toxique, il a été arrêté le troisième jour, soit après 4 doses de 60 mg de lansoprazole. Entre les jours 4 et 6, la numération plaquettaire est remontée à 105 G/L. Encore une fois, le lien entre la thrombopénie et l’IPP est « probable » (critères 1, 2 et 3 du tableau 1) [10]. Les transfusions ont été répétées durant toute l’hospitalisation (8 unités de globules rouges en tout) et pourraient être la cause d’une hémodilution qui expliquerait la thrombopénie. Cependant, l’hémoglobinémie a été croissante et infirme cette hypothèse. plaquettaire a eu lieu malgré le maintien des autres médicaments (bisoprolol et nicardipine). Pantoprazole La banque Drugdex® rapporte également des évènements hématologiques chez moins de 1 % des patients traités par pantoprazole. Dans la littérature, 2 cas de thrombopénie associée à la prise de pantoprazole ont été jusqu’à maintenant décrits. Cas n°1 [18] Il s’agit d’une femme de 62 ans, africaine-américaine, hospitalisée pour nausées, vomissements, diarrhées, hyperleucocytose et troubles psychiques. On note également des frissons depuis 2 jours non accompagnés de fièvre. Elle souffre de drépanocytose et a présenté un accident vasculaire cérébral 5 ans avant l’hospitalisation. Son traitement (acide folique, docusate de sodium (laxatif), ranitidine, prométhazine, bupropion, paracétamol, oxycodone et patch de fentanyl) a été arrêté à l’admission, à l’exception de l’acide folique. Hospitalisée, elle a reçu pipéracilline/tazobactam, métronidazole, paracétamol à la demande, et pantoprazole 40 mg/jour. Le métronidazole a été arrêté au troisième jour, le reste de l’antibiothérapie a été suivi pendant toute l’hospitalisation. La numération plaquettaire de la patiente a diminué de jour en jour jusqu’au sixième jour où elle a atteint un nadir de 87 G/L (340 G/L à l’admission) soit une baisse de 74 %. Le pantoprazole a été arrêté ce jour, et les plaquettes sont alors remontées à 199 G/L à J8 et 212 G/L à J9. Cas n°2 [18] Cas n°2 [17] Une femme de 76 ans a été hospitalisée suite à un accident vasculaire cérébral ischémique. Le jour de son admission, le traitement suivant a été mis en place : lansoprazole 30 mg/jour et héparine, relayée par du clopidogrel per os le quatrième jour. Le traitement antihypertenseur suivi à domicile par la patiente était de l’eprosartan, qui a été remplacé le deuxième jour par l’association nicardipine-bisoprolol. Une analyse sanguine réalisée le quatrième jour a montré une numération plaquettaire de 193 G/L et des leucocytes à 5,3 G/L. Le quatorzième jour ces valeurs n’étaient plus que de 136 et 2,3 soit une baisse respectivement de 30 % et 57 %, alors que les neutrophiles ont été comptés à 0,8 G/L. À nouveau, la seule cause évidente étant une cause toxique, le lansoprazole a été arrêté le quatorzième jour. Les valeurs mesurées 4 jours après l’arrêt ont été : leucocytes 4 G/L, plaquettes 166 G/L et neutrophiles 2 G/L. Ce rétablissement rapide après l’arrêt du médicament suspect rend probable le lien de causalité entre thrombopénie, et ici également neutropénie et leucopénie, et le lansoprazole. En effet, il n’y a chez la patiente pas d’autre cause apparente de thrombopénie, celle-ci est apparue lors de l’administration du médicament et a régressé à son arrêt, et enfin la normalisation Un homme de 42 ans a été hospitalisé pour douleurs gastriques et dorsales associées à des nausées et vomissements. Il présente en outre un syndrome de l’intestin court, une fistule entérocutanée chronique, des douleurs abdominales chroniques et un diabète. Dans ses antécédents on note une thrombose veineuse profonde et une hépatite B guérie. Il est séronégatif pour le HIV-1. À domicile, son traitement était : morphine, lansoprazole, ondansétron, lorazepam, diphénhydramine, paracétamol, et patch de fentanyl. Lors de l’hospitalisation tous les médicaments ont été continués sauf le lansoprazole et le paracétamol. Le premier jour a été instauré un autre IPP : pantoprazole per os à la dose de 40 mg/jour, remplacé par la voie intraveineuse le deuxième jour. La numération plaquettaire du patient a baissé quotidiennement jusqu’au cinquième jour pour atteindre 75 G/L. Le patient avait déjà été admis à l’hôpital un mois auparavant et avait présenté un premier épisode de thrombopénie. Un point commun entre les deux épisodes était la prise de pantoprazole, c’est pourquoi les cliniciens ont décidé de le remplacer au cinquième jour par le lansoprazole déjà utilisé à domicile. Le nombre de thrombocytes est alors passé à 95 G/L le lendemain, puis 126 G/L 5 jours plus tard. mt, vol. 15, n° 4, octobre-novembre-décembre 2009 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Données issues d’une étude de cohorte Les thrombopénies liées aux IPP cas ont intéressé une équipe médicale de l’hôpital Lenox Hill Hospital de New York, qui a réalisé une étude de cohorte [19], incluant 2 groupes de 468 patients hospitalisés âgés de 18 à 80 ans (les distributions d’âges et sexes sont équivalentes). Le but de cette étude était de déterminer si les risques de thrombopénie sont augmentés par la prise de l’IPP. Les patients du premier groupe ont été traités pendant au moins 3 jours par du pantoprazole lors de leur hospitalisation, leurs numérations plaquettaires sont comparées à celles des patients du groupe témoin, non traités par pantoprazole. Le critère faisant conclure à un cas de thrombopénie est soit une baisse supérieure ou égale à 50 % par rapport à la valeur mesurée le premier jour du traitement, soit une numération plaquettaire inférieure à 150 G/L le dernier jour de traitement. Les critères d’exclusion sont une thrombopénie préexistante ou une hospitalisation pour une durée inférieure à 3 jours. Les cas avérés de thrombopénie ont été examinés pour écarter d’éventuelles thrombopénies induites par l’héparine. Le tableau 4 donne les valeurs recueillies en pourcentage de patients ayant présenté une thrombopénie dans chacun des groupes. Il n’y a pas de différence significative entre les deux groupes : on peut estimer que la prise de pantoprazole n’augmente ni ne diminue le risque de survenue d’une thrombopénie. Par la suite, les résultats ont été traités ad hoc avec comme critère une baisse supérieure à 20 % de la numération plaquettaire par rapport au jour de la première administration de pantoprazole (tableau 5). La différence entre les deux groupes est dans ce cas significative. Toutefois le traitement peut être poursuivi sans crainte de thrombopénie grave puisque l’expérience semble prouver que la baisse des plaquettes est rarement sévère (≥ 50 %). Dans cette étude, il existe tout de même des différences entre les 2 groupes étudiés. En effet, si l’âge et le sexe des patients ont été équilibrés, la durée d’hospitalisation a été plus longue dans le groupe ayant pris du pantoprazole (7 jours en moyenne contre 5 dans le groupe témoin), ce qui laisse potentiellement supposer des pathologies plus graves, rendant ces personnes plus enclines à développer une thrombopénie. La conclusion qui peut être donnée à cette étude renforce tout de même l’idée de sécurité d’emploi qui est généralement attribuée aux IPP. En effet, les conséquences cliniques de la baisse du nombre de plaquettes sont le plus souvent négligeables. Conclusion Les principales classes thérapeutiques et médicaments susceptibles d’être à l’origine de thrombopénie médicamenteuse idiosyncrasique sont bien identifiés. Toutefois en se penchant comme dans le présent travail sur le cas des inhibiteurs de la pompe à protons, il apparaît que d’autres classes, moins connues comme étant à l’origine d’effets hématologiques, peuvent également être incriminées lors de la recherche de l’étiologie d’une thrombopénie. La toxicité des IPP reste cependant exceptionnelle et ne doit pas faire considérer les IPP comme des médicaments dangereux, mais il est bon d’en avoir connaissance. Conflit d’intérêts : Aucun. Le Professeur Emmanuel Andrès est membre de la Commission Nationale de Pharmacovigilance de l’Afssaps. Le contenu de ce manuscrit reflète son opinion personnelle et ne saurait être relié d’aucune manière à cette institution. Références Tableau 4. Pourcentage de patients ayant présenté une thrombopénie (définie par une baisse ≥ 50 % par rapport à la valeur mesurée le premier jour du traitement, soit une numération plaquettaire < 150 G/L le dernier jour de traitement) dans une étude comparative de cohorte entre placebo et pantoprazole [19] Baisse des plaquettes ≥ 50 % ou < 150 G/L Pantoprazole Groupe témoin 6,2 % 6,6 % Tableau 5. Pourcentage de patients ayant présenté une thrombopénie (définie par une baisse ≥ 20 % par rapport à la valeur mesurée le premier jour du traitement) dans une étude comparative de cohorte entre placebo et pantoprazole [19] Baisse des plaquettes > 20 % Pantoprazole Groupe témoin 23% 11% 1. Daoud H, Biour M, Jaillon P. Drug-induced thrombocytopenias. La Lettre du Pharmacologue 2005 ; 19 : 56-61. 2. Serraj K, Mecili M, Aouni M, Maaouni A, Andrès E. Les thrombopénies médicamenteuses idiosyncrasiques. Rev Med Interne 2009 in press. 3. Roblin X, Germain E, Levy-Neumand O, Bonaz B. 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