MAGAZINE 27 VENDREDI 21 OCTOBRE 2016 Après un traumatisme ou une opération, la chirurgie peut supprimer des douleurs chroniques La souffrance à bout de nerf K JEAN AMMANN Santé L Une fracture ou une opération chirurgicale et parfois, le patient traîne des douleurs pendant des mois, des années… «J’ai eu le cas d’un jeune homme qui, dans un accident de travail, s’était blessé à la cheville: quand il est venu me trouver, cela faisait sept ans qu’il souffrait!» raconte le docteur Giorgio Pietramaggiori, spécialiste de la chirurgie des nerfs périphériques. Pour dire les choses simplement, la chirurgie des nerfs périphériques consiste à «décoincer», voire à supprimer, un ou plusieurs nerfs qui sont à l’origine des douleurs. C’est cette technique qui, par exemple, est appliquée dans le syndrome du tunnel carpien, lorsque la main est prise d’engourdissement ou de faiblesse musculaire… Les docteurs Saja Scherer et Giorgio Pietramaggiori, qui travaillent au Centre médico-chirurgical de Nyon, expliquent ce qu’un patient, frappé de douleurs chroniques, peut espérer d’une telle chirurgie. A la base, vous venez de la chirurgie plastique et reconstructrice, mais vous vous êtes spécialisés dans le traitement de la douleur. Quand est-ce que vous pouvez agir? Saja Scherer: En gros, nous pouvons dire que nous nous occupons de la douleur chronique post-traumatique, comme après une fracture de la jambe, et postchirurgicale. Par exemple, un patient s’est cassé le pied, il a subi deux opérations, et malgré le travail de l’orthopédiste ou de l’interniste, il souffre toujours… Il ne peut pas enfiler de chaussure, il ne peut plus poser le pied par terre, parce qu’il a trop mal. Quand ce patient vient nous trouver, nous l’examinons pour voir si une lésion des nerfs est passée inaperçue. Il faut savoir qu’avec les techniques actuelles de l’imagerie, certaines lésions nerveuses restent invisibles. Quand nous parlons de douleurs chroniques, nous parlons de douleurs qui sont installées depuis trois mois au moins, qui ne sont pas directement explicables par une maladie. Par exemple, l’orthopédiste ne voit pas d’arthrose ou il constate que la fracture est bien consolidée… Pour trouver une explication à ces «Pour trouver la réponse à des douleurs inexplicables, il ne faut pas manquer de chercher du côté des nerfs». Fotolia douleurs, il ne faut pas manquer de chercher du côté des nerfs. Giorgio Pietramaggiori: Un cas classique, c’est le nerf qui est lésé après une entorse de la cheville, et là, nous pouvons agir. Parfois, il faut carrément enlever le nerf, pour supprimer la douleur. Nous parlons de dénervation partielle de l’articulation. Comment faites-vous pour être sûrs que c’est bien le nerf qui est responsable de ces douleurs? S.S.: Par rapport aux symptômes et à la localisation de la douleur, nous avons déjà des soupçons: nous savons dans quelle direction il faut chercher. Puis, sous ultrasons, nous injectons un anesthésique local à l’endroit où passe le nerf. Si la douleur disparaît à la suite de cette injection, il y a de bonnes chances – mais ce n’est pas une garantie! – qu’une intervention puisse soulager ce patient. «Certaines lésions nerveuses restent invisibles à l’imagerie» Saja Scherer Ces complications postopératoires sont-elles fréquentes? EFFICACE POUR LES DIABÉTIQUES Les personnes qui souffrent de diabète se plaignent souvent de douleurs au niveau de la main ou du pied. Il faut en chercher les causes du côté de la neuropathie diabétique: l’excès de sucre attaque la gaine des nerfs (myélline). Un tiers des diabétiques sont concernés. «Cela commence par des fourmillements dans les extrémités, explique Saja Scherer, et cela peut finir par de véritables douleurs. Mais ces douleurs sont difficilement identifiables par des examens neurologiques, qui n’apportent pas de réponse.» C’est là que la chirurgie des nerfs périphériques entre en lice: «Nous pouvons soulager les sensations de brûlure au niveau des jambes, des pieds ou des mains. Nous pouvons donner un peu plus de place à ces nerfs comprimés: nous supprimons le facteur mécanique qui est à l’origine de ces douleurs. Beaucoup de patients diabétiques ignorent que la chirurgie puisse leur venir en aide. Ils sont réduits à prendre des médicaments qui sont parfois incompatibles avec une fonction rénale diminuée.» JA G. P.: Nous estimons qu’elles concernent une opération sur dix, mais cela dépend des opérations. Dans le cas des hernies inguinales, ces complications concernent entre 5 et 10% des interventions. S. S.: Il y a quelques endroits où la chirurgie risque de causer davantage de douleurs chroniques, parce que l’opération se fait très près des nerfs sensitifs. Sur tout le corps, nous avons des nerfs sensitifs, qui – comme leur nom l’indique – permettent la sensibilité, mais transmettent aussi la douleur. Lorsque les fibres nerveuses sont touchées au cours d’une chirurgie, cela peut déclencher des douleurs chroniques. Il y a quelques endroits où la chirurgie risque de causer davantage de douleurs chroniques. La chirurgie des hernies inguinales, la reconstruction des seins sont par exemple des interventions à risque sur le plan des nerfs sensitifs, tout comme les interventions aux pieds. Cette chirurgie des nerfs périphériques, qui vise à supprimer des douleurs, est-elle connue depuis longtemps? S. S.: En fait, elle se pratique depuis longtemps: l’opération du tunnel carpien répond aux mêmes principes, on décomprime un nerf au niveau du poignet. Tous les chirurgiens de la main pratiquent cette opération. Il y a quarante points sur le corps, vingt de chaque côté, qui peuvent causer des situations comparables à celle du tunnel carpien. Des cas de migraines peuvent être déclenchés par une compression d’un nerf. Des sensations de brûlure dans la cuisse peuvent aussi provenir d’un nerf. Il y a très peu de chirurgiens qui sont formés à ces techniques: quelquesuns interviennent dans les cas de migraines, mais plus rarement dans les articulations, comme celles du genou et de la cheville. Et quel est votre pourcentage de réussite? S. S.: Il faut reconnaître que dans certains cas, l’intervention sur les nerfs ne marche pas, mais dans le cas de la migraine, le taux de réussite est de 85%. G. P.: Quand nous intervenons après un traumatisme ou une opération chirurgicale, nous intervenons sur des nerfs qui sont déjà lésés et là, les chances de récupération sont moins bonnes. Pour les patients posttraumatiques, le succès varie entre 60 et 70%. S. S.: Mais nous avons eu des cas où, après une opération du genou, un homme ne pouvait plus travailler debout. Après une dénervation partielle, il a pu retravailler en position debout. G. P.: Je peux vous raconter l’histoire d’un jeune homme qui souffrait de la jambe depuis sept ans, après qu’un accident de travail avait touché sa cheville: au repos, il estimait ses douleurs à 7 sur 10, et à la marche à 10 sur 10! Suite à notre intervention, ses douleurs sont à 0. Je vous laisse imaginer ce qu’il a gagné en qualité de vie! L «Une intervention et la fin de quatre ans de galère» Quatre opérations à un genou, quatre ans de souffrance, avant d’être «sauvée». Témoignage. Au départ, elle venait pour se débarrasser de quarante ans de migraines, elle est repartie avec un genou tout neuf, ou presque. Rolande Rime, 52 ans aujourd’hui, souffrait donc de migraines depuis l’adolescence, lorsque son médecin généraliste lui a parlé d’une opération chirurgicale qui pourrait peutêtre la soulager. Au mois de janvier de cette année, elle s’est donc rendue à Nyon, pour rencontrer le docteur Saja Scherer et, incidemment, elle a évoqué un genou qui, depuis bientôt quatre ans la faisait souffrir, depuis qu’une chute, en 2012, s’était prolongée par une série de quatre opérations! La chirurgienne propose alors de lui injecter un anesthésiant et la douleur disparaît en quelques minutes: la source des maux se trouve probablement dans un nerf lésé, ou coincé à la suite des nombreuses i nter vent ions chirurgicales. «Le 17 février, raconte Rolande Rime, je me suis présentée à la clinique de Nyon et j’ai subi une dénervation partielle dans le genou gauche. L’opération s’est faite en ambulatoire, sous narcose complète, et le soir même, je quittais la clinique sans béquille.» Repos pendant dix jours, deux mois d’assurance, et Rolande Rime a pu reprendre son travail à plein-temps: «Je passe 8 h 30 par jour debout. Je n’ai aucune séquelle, aucune perte de sensibilité. Grâce à cette opération, j’ai pu sauver ma place de travail et j’ai retrouvé une vie normale. Chaque fois que je vais trouver le docteur Scherer, je lui apporte une boîte de chocolats et je la remercie: elle a mis fin à quatre ans de galère et elle m’a offert une nouvelle vie.» «Je n’ai qu’un regret, poursuit Rolande Rime, c’est de ne pas avoir connu cette technique avant.» Car cette intervention sur un nerf périphérique est arrivée après une cascade d’opérations, dont la pose d’une prothèse totale de genou en mai 2013. A propos, que sont devenues ses migraines? «Le 15 mars, je me suis fait opérer selon la même technique, répond Rolande Rime. Depuis cette date, je n’ai eu qu’une seule migraine, alors que j’en avais eu 17 durant le seul mois de décembre!» Ce témoignage ressemble de plus en plus à une action de grâce. L JA