Biologie au quotidien Ann Biol Clin 2011 ; 69 (6) : 705-11 Acidose lactique sévère par intoxication accidentelle à la metformine : à propos de 3 observations Severe lactic acidosis due to metformin: report of 3 cases Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Céline Roche1 André Nau2 Éric Peytel2 Jean-Luc Moalic1 Manuela Oliver1 1 Fédération des laboratoires <[email protected]> 2 Service de réanimation (Pr Peytel), hôpital d’instruction des armées Laveran, Marseille, France Résumé. La metformine, antidiabétique oral, est l’unique représentant de la classe des biguanides commercialisé en France. En raison de ses effets bénéfiques sur le poids et au niveau cardiovasculaire, il représente le traitement de référence du diabétique de type 2 obèse. L’acidose lactique associée à la metformine est une complication rare mais grave qui peut survenir chez ces patients, notamment lorsqu’un épisode intercurrent favorise l’accumulation de cette molécule. Nous rapportons trois observations dont l’origine toxique de l’acidose a été objectivée par les dosages plasmatiques et intra-érythrocytaires de metformine. Le traitement curatif repose sur l’épuration extrarénale mais le traitement principal est préventif, imposant le respect des contre-indications et des règles de bonne prescription de ce médicament. Mots clés : acidose lactique, metformine, biguanides, diabète, intoxication Abstract. Metformin, an oral antidiabetic drug, is the sole representative of the biguanide class available in France. Because of its beneficial effects on weight and cardiovascular level, it represents the standard treatment for type 2 diabetic obese patients. Lactic acidosis associated with metformin is a rare but serious complication that can occur in these patients, particularly when intercurrent episode promotes the accumulation of this molecule. We report three cases in which the toxic origin of acidosis has been objectified by the plasma assay and intra-erythrocyte metformin. Curative treatment is based on renal replacement therapy, but the main treatment is preventive, requiring compliance with the cons-indications and rules of prescription of this drug. doi:10.1684/abc.2011.0619 Article reçu le 17 février 2011, accepté le 7 avril 2011 Key words: lactic acidosis, metformin, biguanides, diabetes, poisoning Le diabète de type 2 est un problème de santé publique, touchant près de trois millions de français actuellement et dont l’incidence ne cesse d’augmenter ces dernières années [1]. Les décompensations hyperglycémiques (acidocétose diabétique, syndrome d’hyperglycémie hyperosmolaire) et l’hypoglycémie sont des complications assez fréquentes, source d’un grand nombre d’admissions en service d’urgence et de réanimation. L’incidence de l’acidose lactique est plus faible, comprise entre deux et neuf pour 100 000 patients par an [2] mais s’avère plus grave. Cette complication peut survenir lors d’intoxications accidentelles ou volontaires à la metformine. Le surdosage est alors favorisé par l’insuffisance rénale et le pronostic se trouve être radicalement différent selon la situation clinique. Les observations suivantes illustrent cette hétérogénéité et sont l’occasion de rappeler les mécanismes de toxicité de ce médicament. L’observation 1 Monsieur G., 53 ans, est admis au service des urgences de notre hôpital en raison d’épisodes de vomissements itératifs depuis la veille, compliqués d’une somnolence. Ce patient présente comme antécédents une insuffisance coronarienne, un diabète de type 2 traité par metformine, une dyslipidémie et un syndrome dépressif. Il se plaint depuis 48 heures d’asthénie, d’anorexie, de nausées et de Pour citer cet article : Roche C, Nau A, Peytel É, Moalic JL, Oliver M. Acidose lactique sévère par intoxication accidentelle à la metformine : à propos de 3 observations. Ann Biol Clin 2011 ; 69(6) : 705-11 doi:10.1684/abc.2011.0619 705 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Biologie au quotidien vomissements. Peu après son admission aux urgences, il présente des troubles de la vigilance ainsi que des signes d’hypoperfusion périphérique (marbrures étendues aux deux membres inférieurs), sans altération de l’état hémodynamique (pression artérielle = 157/95 mmHg). La protidémie est de 91 g/L (N : 63-81 g/L) et l’urémie de 22,2 mmol/L (N : 3,2-8,3 mmol/L), confirmant une situation de déshydratation extracellulaire avec insuffisance rénale fonctionnelle. La gazométrie artérielle retrouve une acidose métabolique majeure : pH égal à 6,78 ; PaCO2 inférieur à 10 mmHg ; lactates égaux à 13 mmol/L (N : 0,5-2,2 mmol/L), CO2 total égal à 2 mmol/L (N : 2325 mmol/L). Le patient est alors transféré en service de réanimation. Outre une hypothermie à 34,5 ◦ C, une tachycardie régulière et une polypnée, il présente des signes de défaillance neurologique avec un score de Glasgow à 12, une mydriase bilatérale réactive et une obnubilation. L’examen physique retrouve seulement une sensibilité au niveau de l’hypochondre droit. Le bilan biologique montre une hyperglycémie à 110 mmol/L (N : 4,20-5,80 mmol/L), une hyperkaliémie à 7,3 mmol/L, une insuffisance rénale avec clairance de la créatinine mesurée à 9 mL/min (valeurs usuelles : 80 à 120 mL/min), un syndrome inflammatoire biologique (CRP = 24 mg/L) et des stigmates de pancréatite aiguë : lipasémie à 185 UI/L (N : 13-60 UI/L). Le bilan toxicologique initial comprenant la recherche d’alcool, de salicylés, benzodiazépines, phénobarbital et tricycliques, est négatif, de même que la recherche de corps cétoniques. La polypnée majeure du patient impose la mise sous ventilation mécanique. Devant ce tableau clinique associant état de choc, acidose métabolique majeure et insuffisance rénale aiguë, un traitement symptomatique comprenant un remplissage vasculaire avec amines vasopressives et une épuration extrarénale par hémodialyse conventionnelle est instauré. Dans l’hypothèse d’une surinfection pulmonaire, une antibiothérapie probabiliste est prescrite. Le lendemain, le patient présente des signes de souffrance myocardique (augmentation de la troponine Ic sans manifestation électrocardiographique) avec altération de la fonction ventriculaire gauche. L’état acidobasique et les troubles ioniques s’améliorent dès les 48 premières heures, mais l’insuffisance rénale persiste et le syndrome inflammatoire biologique s’intensifie. À j3, le sevrage de la noradrénaline est possible, mais le patient requiert une assistance respiratoire jusqu’au septième jour et développe une pneumopathie bilatérale. À j6 est diagnostiqué un surdosage en metformine sur un prélèvement réalisé lors de l’admission en réanimation. La metformine plasmatique est mesurée à 31,3 mg/L (valeurs thérapeutiques inférieures à 1,34 mg/L) et la metformine 706 érythrocytaire à 22,3 mg/L (valeurs thérapeutiques inférieures à 1,65 mg/L). L’insuffisance rénale persiste durant le séjour en réanimation et des séances d’hémodialyse sont nécessaires jusqu’au dixième jour. Au cours de son hospitalisation, le patient présente une agitation psychomotrice importante associée à une désorientation temporelle et de nombreuses hallucinations, en rapport avec un probable sevrage brutal en benzodiazépines. Le patient nie toute intention suicidaire. L’intoxication à la metformine sera considérée comme accidentelle, favorisée par l’insuffisance rénale générée par une probable déshydratation dans un contexte de préparation colique la semaine précédente sans apport compensateur en boissons. L’observation 2 Monsieur K., âgé de 65 ans est hypertendu et diabétique, traité par metformine, acarbose et gliclazide. Il présente un syndrome grippal accompagné de vomissements incoercibles, diarrhées et de difficultés pour s’alimenter depuis quatre jours. L’apparition de troubles de la conscience et d’une désorientation temporospatiale motivent son transfert médicalisé vers le service des urgences. À l’arrivée, le patient est polypnéique (fréquence respiratoire : 32/min). Il présente une acidose lactique (lactates : 10,6 mmol/L) majeure (pH : 6,81) avec hypocapnie compensatrice (pCO2 : 15 mmHg), associée à une hyperkaliémie à 7,1 mmol/L et une insuffisance rénale aiguë (clairance de la créatinine mesurée : 4 mL/min). Le patient nécessitant une intubation orotrachéale et une épuration extrarénale en urgence, il est alors transféré en réanimation. Il bénéficie également d’un remplissage vasculaire, d’un soutien hémodynamique par noradrénaline, d’un traitement hypokaliémiant et d’une antibiothérapie probabiliste. À j3, apparaît une souffrance myocardique (troponine à 9 g/L pour des valeurs usuelles inférieures à 0,01 g/L). Le patient reprend une ventilation spontanée dès le lendemain. À j7, une amélioration sur le plan hémodynamique permet un sevrage des amines vasopressives et à j10, le patient ne requiert plus d’épuration extrarénale. Il est alors transféré en service de cardiologie. Les concentrations plasmatiques et érythrocytaires sont respectivement mesurées à 113 et 61 mg/L, confirmant une intoxication accidentelle à ce médicament, potentialisée par une déshydratation : protidémie à 88 g/L (N : 63-81 g/L), urémie à 62,2 mmol/L (N : 3,2-8,3 mmol/L). L’interrogatoire retrouvera la notion d’un épisode diarrhéique aigu à l’origine de cette déshydratation. Ann Biol Clin, vol. 69, n◦ 6, novembre-décembre 2011 Acidose lactique à la metformine Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. L’observation 3 Madame R., 80 ans, est diabétique traitée par metformine, hypertendue et dépressive. Dans les suites d’une pyélonéphrite récidivante, elle présente un épisode de dyspnée avec polypnée motivant son admission au service des urgences. À son admission, la patiente présente des marbrures, une hypotension artérielle réfractaire au remplissage vasculaire, nécessitant donc la mise en place d’amines vasopressives. Son état se dégrade avec une majoration de la dyspnée et l’apparition de troubles neurologiques (score de Glasgow à 6). Elle est alors admise en réanimation pour choc septique sur pyélonéphrite et pneumopathie lobaire supérieure droite, compliquée d’une acidose lactique (lactates = 8,0 mmol/L) majeure (pH = 7,00) et d’une hyperkaliémie à 5,4 mmol/L. Elle bénéficie d’un traitement de soutien hémodynamique (remplissage vasculaire et noradrénaline), d’une antibiothérapie et d’une hémodiafiltration veinoveineuse continue dès le lendemain pour altération de sa fonction rénale (clairance mesurée de la créatinine : 35 mL/min). Initialement, la patiente présentait un état de déshydratation extracellulaire avec une insuffisance rénale fonctionnelle débutante (urée : 110 mmol/L). Dès le troisième jour, la situation hémodynamique se stabilise et la patiente reprend une diurèse avec amélioration rapide de la fonction rénale. L’évolution clinique est marquée par l’apparition de rectorragies révélatrices d’une colite ischémique secondaire au choc septique. Sur le plan biologique, le syndrome inflammatoire régresse et les dosages de metformine (sur un prélèvement antérieur à l’épuration extrarénale) indiquent une concentration plasmatique de 7 mg/L (N : 1-1,34 mg/L) et érythrocytaire à 5,4 mg/L (N : 0-1,65 mg/L), confirmant une acidose lactique associée à la metformine chez cette patiente. Le facteur favorisant retrouvé est très probablement la survenue d’une pyélonéphrite compliquée d’un choc septique. Discussion La metformine : antidiabétique efficace nécessitant une attention particulière Unique représentant de la classe des biguanides en France, la metformine représente un traitement efficace du diabète de type 2 non insulinorequérant, avec un contrôle glycémique équivalent à celui de l’insuline et des sulfamides hypoglycémiants [3]. Ses bénéfices sont multiples, à la fois sur les complications microvasculaires et macrovasculaires. Ses effets bénéfiques sur le poids (par diminution de l’insulinémie), sur le bilan lipidique, son effet protecteur chez l’insuffisant cardiaque [4] et après chirurgie cardiaque en font le traitement de référence chez le diabétique obèse [5]. Ann Biol Clin, vol. 69, n◦ 6, novembre-décembre 2011 Cependant, la metformine est réputée augmenter l’incidence des acidoses lactiques [6] à l’instar des autres biguanides retirés du marché (phenformine). À partir de ces trois observations cliniques et après un rappel sur les propriétés des biguanides, nous discuterons des différents aspects de l’acidose lactique associée à la metformine. Pharmacocinétique Après ingestion, la diméthylbiguanide ou metformine est absorbée au niveau de l’intestin grêle. Dans le plasma, il se comporte comme une molécule hydrophile complètement ionisée et ses concentrations maximales sont atteintes en une à deux heures avec des valeurs de 1 à 3 mg/L après une prise de 500 à 1 000 mg. Les concentrations érythrocytaires sont égales à deux tiers des concentrations plasmatiques. La metformine a une demi-vie plasmatique comprise entre 4 et 8,7 heures. Non liée aux protéines plasmatiques et non métabolisée, elle est éliminée majoritairement (90 %) par voie rénale. Mécanismes d’action La metformine agit à la fois sur le métabolisme glucidique et lipidique. Ses effets métaboliques sont résumés dans le tableau 1. Le contrôle glycémique tient davantage à une action anti-hyperglycémiante plutôt qu’hypoglycémiante. Le contrôle lipidique se traduit par une baisse du cholestérol total, du LDL-cholestérol et des triglycérides sériques. La metformine agit également sur la coagulation en diminuant l’agrégation et l’adhésion plaquettaire, et en augmentant la fibrinolyse et l’activité tissulaire du plasminogène. Tableau 1. Effets métaboliques de la metformine. Effets sur le métabolisme glucidique Réduction de l’insulinorésistance Amélioration de la sensibilité à l’insuline au niveau hépatique et périphérique par augmentation du transfert du glucose vers la membrane cellulaire, de l’activité des transporteurs du glucose GLUT 4 et GLUT 1 et par une action sur la signalisation après stimulation des récepteurs tyrosine-kinase insuliniques Diminution de la production hépatique de glucose : inhibition de la néoglucogenèse à partir de différents substrats (lactates, pyruvates, acides aminés) et augmentation de la glycogénolyse Augmentation de l’utilisation périphérique du glucose : augmentation de la captation du glucose par le muscle squelettique, oxydation et stockage au niveau du muscle et des adipocytes Ralentissement de l’absorption intestinale de glucose et élévation de son utilisation à ce niveau (diminuant l’afflux portal) Effets sur le métabolisme lipidique Diminution de l’oxydation des lipides Diminution de la concentration des acides gras libres 707 Biologie au quotidien au non-respect des contre-indications dans la plupart des cas) ou d’une défaillance d’organe. Chez un patient diabétique traité par biguanides, trois principales situations cliniques peuvent expliquer la survenue d’une acidose lactique. Les observations rapportées illustrent cette hétérogénéité. L’acidose lactique de type A peut révéler une cause sous-jacente telle qu’un état de choc, une insuffisance hépatocellulaire [11], une détresse respiratoire ou hémodynamique et de façon plus générale toute situation engendrant une hypoxie tissulaire. Dans cette situation, la présence de metformine n’est qu’anecdotique. Son dosage rapporte fréquemment des concentrations thérapeutiques. Dans l’acidose lactique de type B, situation de pronostic plus favorable que la précédente [12], la metformine est la cause de l’acidose lactique du fait d’un surdosage accidentel ou volontaire. L’acidose survient à l’occasion de facteurs favorisant l’accumulation plasmatique de metformine, en particulier la présence d’une insuffisance rénale [13], la metformine étant exclusivement éliminée par voie urinaire. Concernant nos patients, l’acidose lactique est survenue vraisemblablement à l’occasion d’une insuffisance rénale fonctionnelle par déshydratation due à un défaut d’hydratation compensatrice, dans un contexte de préparation colique pour le premier patient et de gastro-entérite pour le second. L’observation no 3 illustre une autre situation plus fréquemment retrouvée où une cause extérieure est responsable de l’acidose lactique [14]. Chez notre patiente, l’acidose lactique est initialement imputable au choc septique et a été aggravée par l’accumulation de metformine. Le pronostic du tableau clinique est alors surtout lié à celui de la cause Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Acidose lactique associée à la metformine : une complication rare mais grave Épidémiologie L’acidose lactique liée à la metformine est plus rare [7] que les autres complications aiguës du diabète de type 2 que sont les décompensations hyperglycémiques (acidocétose diabétique, syndrome d’hyperglycémie hyperosmolaire) et l’hypoglycémie. Son incidence est de deux à neuf pour 100 000 patients par an en France, soit dix à 20 fois moins que celle de la phenformine, aujourd’hui retirée du marché. En revanche, elle représente la complication la plus grave dans la mesure où elle est grevée d’une mortalité très importante [8]. L’âge moyen de survenue de cette complication est de 69 ans. Physiopathologie Le mécanisme impliqué dans l’hyperlactatémie associée au traitement par biguanide est complexe et multifactoriel. L’accumulation de lactates résulte à la fois d’une baisse de son utilisation et d’une augmentation de sa production, en favorisant : – la diminution de la néoglucogenèse à partir de différents substrats dont le lactate, via l’inhibition du complexe 1 de la chaîne respiratoire mitochondriale [9] ; – l’augmentation du ratio NAD/NADH+ avec élévation du flux au travers de la pyruvate kinase [10], telle que décrite sur la figure 1 ; – l’augmentation de la production intestinale de lactate. Ce déséquilibre entre la production et l’utilisation de lactates surviendrait à l’occasion d’un surdosage (secondaire GIucose GIycogène Membrane plasmique Acidose GIucose 6-phosphate ADP Alcalose ATP ADP NAD ATP H+ H+ NADH Pyruvate Alanine Membrane mitochondriale Lactate ADP NADH + O2 ATP NAD + H2O Lactate CO2 Figure 1. Potentiel d’oxydoréduction et régulation de la glycolyse (Jaouar et al., Médecine thérapeutique). 708 Ann Biol Clin, vol. 69, n◦ 6, novembre-décembre 2011 Acidose lactique à la metformine Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. initiale. Dans notre observation, l’amélioration rapide du choc septique a permis l’évolution favorable de la patiente. Parmi les trois patients, deux étaient suivis pour des troubles dépressifs. C’est l’occasion de souligner que chez ces patients souffrant d’une maladie chronique comme le diabète, il est important de pousser l’interrogatoire à la recherche de troubles psychiques débutants, afin de ne pas méconnaître une intoxication volontaire par la metformine. Tableau clinico-biologique L’acidose lactique associée à la metformine ne présente pas de particularité sur le plan clinique. Les principaux symptômes associés sont d’ordre digestif (malaise, douleurs abdominales, anorexie), respiratoire (polypnée), ou hémodynamique (hypotension par vasoplégie, troubles du rythme cardiaque). Des signes cliniques moins spécifiques sont également retrouvés tels qu’une hypothermie ou des myalgies. Nos deux premiers patients présentaient une symptomatologie digestive (vomissements, anorexie voire diarrhée) compliquée secondairement par une dégradation hémodynamique. La troisième patiente quant à elle présentait d’emblée une détresse hémodynamique secondaire à un choc septique. L’acidose lactique est définie par un pH inférieur à 7,35 et une concentration en lactate supérieure à 5 mmol/L. Elle est souvent accompagnée d’une insuffisance rénale aiguë hyperkaliémique. Le diagnostic d’acidose lactique associée à la metformine est confirmé par les dosages de metformine plasmatique et/ou érythrocytaire dont les concentrations thérapeutiques sont habituellement inférieures à 1,34 et 1,65 mg/L respectivement. L’accumulation est définie par une concentration de metformine plasmatique supérieure à 5 mg/L. Alors que les concentrations plasmatiques sont associées à un phénomène aigu, les concentrations érythrocytaires sont le reflet du caractère profond d’une accumulation tissulaire. Ainsi, le dosage intra-érythrocytaire semble intéressant dans la mesure où il permet d’établir le diagnostic de surdosage chronique. Dans les deux premières observations, les taux de metformine érythrocytaires supérieurs à 20 mg/L laissent supposer un surdosage d’installation progressive. D’un point de vue pratique, ce dosage est du ressort de laboratoires très spécialisés et n’est pas réalisé en urgence. Les résultats étant disponibles seulement après plusieurs jours, le diagnostic de surdosage est donc toujours confirmé a posteriori. Le surdosage peut également être sous-diagnostiqué [15] du fait d’un défaut ou d’un retard à la prescription de ces dosages par le médecin en charge du patient. Dans notre cas, le dosage a pu être effectué sur un prélèvement réalisé à l’entrée du patient car les prélèvements sont conservés au laboratoire sept jours à + 4 ◦ C. Les résultats ont été obtenus en moyenne au bout d’une semaine. Ann Biol Clin, vol. 69, n◦ 6, novembre-décembre 2011 Si le surdosage en metformine engendre une acidose lactique [16], il semble ne pas exister de lien entre les concentrations de metformine ou de lactates et la mortalité [2, 17]. En particulier, certains auteurs rapportent que l’instauration d’un traitement par metformine ne s’accompagne pas d’une augmentation significative de la lactatémie ni de l’incidence des acidoses lactiques [18]. De plus, des intoxications aiguës à la metformine sont retrouvées sans acidose lactique associée [19]. A contrario, comme nous l’avons déjà souligné, d’authentiques acidoses lactiques peuvent survenir alors que les dosages de metformine rapportent des valeurs thérapeutiques [20]. D’autres études rapportent une moindre mortalité chez les patients ayant les plus forts taux de metformine plasmatique, le rôle bénéfique de la metformine dans les acidoses lactiques pouvant s’expliquer par ses propriétés anti-oxydantes. Le pronostic semble donc déterminé non pas par la sévérité de l’acidose ni par la concentration de metformine (plasmatique ou érythrocytaire) mais par les pathologies sous-jacentes [21, 22] de ces patients : insuffisance hépatique, rénale, coronaire, facteurs de risque cardiovasculaire. Il peut s’agir d’un épisode intercurrent précipitant l’acidose lactique ou la survenue de facteurs favorisants conduisant à l’accumulation plasmatique de metformine [23]. Prise en charge thérapeutique La correction de l’acidose et de la lactatémie ne sont pas systématiques dans la mesure où les études cliniques n’ont pas prouvé son efficacité. Certaines mettent en avant le rôle protecteur de l’acidose [24]. En revanche, l’utilisation d’un tampon bicarbonate se justifie lorsque l’acidose est très sévère (pH < 7) ou se prolonge dans le temps. La metformine étant dialysable, le traitement curatif de première ligne de l’acidose lactique associée à la metformine est l’épuration extrarénale [25] (hémodialyse ou hémodiafiltration). Cette technique permet par la même occasion de suppléer l’insuffisance rénale et de corriger l’hyperlactatémie. Parmi les différentes techniques de dialyse disponibles, l’épuration continue est privilégiée [26] dans la mesure où elle engendre un moindre retentissement hémodynamique. Cette technique a été retenue pour nos patients. Alors que l’épuration s’est prolongée sur une dizaine de jours pour les deux premiers patients, une seule séance a été nécessaire pour le troisième. Cette hétérogénéité dans le pronostic est liée à celle des situations cliniques à l’origine de l’acidose lactique (déshydratation vs sepsis sévère). Le traitement des défaillances d’organes associées (respiratoire, cardio-circulatoire. . .) est primordial : il repose sur des mesures purement symptomatiques (assistance ventilatoire, remplissage vasculaire, amines vasopressives. . .). Tous nos patients ont bénéficié au cours de leur prise en 709 Biologie au quotidien Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. charge d’une assistance ventilatoire et hémodynamique plus ou moins prolongée. Un traitement antibiotique probabiliste a été instauré pour nos trois patients : traitement d’une pneumopathie pour les deux premiers, sepsis à point de départ urinaire pour le troisième. Éducation thérapeutique Le traitement préventif est primordial, reposant essentiellement sur le respect des contre-indications et l’application de mesures spécifiques à prendre en cas de pathologies intercurrentes. Ainsi, chez les patients pour lesquels la metformine est réellement indiquée, la prudence exige que le traitement soit suspendu voire interrompu lors de certaines situations, en particulier celles susceptibles de favoriser l’apparition d’une acidose lactique. Il s’agit notamment de la survenue d’une pathologie intercurrente comme un sepsis ou l’altération d’une grande fonction vitale. Les contre-indications à la metformine ne sont parfois pas respectées en routine [27], notamment l’existence d’une insuffisance rénale. Il s’agit également d’éviter l’association des biguanides avec des médicaments pouvant altérer la fonction rénale (anti-inflammatoires non stéroïdiens, diurétiques, inhibiteurs de l’enzyme de conversion, antagonistes du récepteur de l’angiotensine II) et par extension, l’introduction de substances potentiellement néphrotoxiques. Ainsi, la pratique d’une anesthésie générale ou l’injection de produit de contraste iodé [28] imposent dans la mesure du possible l’interruption momentané des biguanides. Dans tous les cas, le patient doit être informé de la conduite à tenir en cas d’évènement intercurrent potentiellement à risque de favoriser une acidose lactique. Conclusion Lorsque les règles de prescription de la metformine sont bien respectées, le risque de développer une acidose lactique pour les patients traités par cette molécule n’est pas augmenté. Le lien entre metformine et acidose lactique est relativement complexe dans la mesure où l’accumulation de metformine peut être responsable de cette décompensation totalement ou en partie, voire n’être qu’une coïncidence. L’apparition d’une acidose lactique chez les patients traités par metformine est le plus souvent liée à la survenue d’une pathologie intercurrente (insuffisance cardiaque, respiratoire, hépatique) et plus généralement toute situation favorisant une insuffisance rénale ou l’accumulation de metformine. Les intoxications volontaires (favorisées par un terrain dépressif) sont plus rares. Ainsi, adapter la prescription de metformine en cas de pathologie intercurrente et éviter les situations à risque d’accumulation de la metformine restent les seuls moyens de prévenir l’acidose lactique associée à ce médicament. Un 710 prélèvement en vue de doser la metformine doit être réalisé dès l’admission aux urgences d’un patient diabétique sous metformine, dans le but d’établir le diagnostic étiologique de l’acidose lactique et de prévenir les récidives. Dans cette perspective, le dialogue clinico-biologique prend toute son importance. Conflits d’intérêts : aucun. Références 1. Halimi S, Benhamou PY. Diabetes, a worldwide disease. Presse Med 2004 ; 33 : 37-40. 2. Salpeter SR, Greyber E, Pasternak GA, Salpeter EE. Risk of fatal and nonfatal lactic acidosis with metformin use in type 2 diabetes mellitus. Cochrane Database Syst Rev 2010 ; 4 : CD002967. 3. Bailey CJ, Turner RC. Metformin. N Engl J Med 1996 ; 334 : 574-9. 4. wKhurana R, Malik IS. Metformin: safety in cardiac patients. Postgrad Med J 2010 ; 86 : 371-3. 5. Holman R. Metformin as first choice in oral diabetes treatment: the UKPDS experience. J Annu Diabetol Hotel Dieu 2007 ; 1 : 13-20. 6. Fitzgerald E, Mathieu S, Ball A. 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