16 Allergies Les avantages de la désensibilisation sont aujourd’hui pleinement reconnus L a désensibilisation a connu d’importants progrès au cours de ces dernières années et occupe aujourd’hui une vraie place dans le traitement des maladies allergiques. Une évolution qui s’explique par son efficacité, par sa bonne tolérance et par l’aisance que procure désormais la prise orale plutôt que le traitement par piqûres. Le Docteur Alain Michils, pneumologue à l’Hôpital Erasme, fait le point sur la question. Le Dr Alain Michils Docteur Michils, pourriez-vous d’abord nous rappeler le principe de la désensibilisation? Alain Michils: L’allergie apparaît chez les individus dits ‘sensibilisés’. Ceci veut dire que le système immunitaire répond de manière anormale lorsqu’il est exposé à certains ‘allergènes’, comme les pollens de graminées, les pollens d’arbres ou les poils de certains animaux et, bien sûr, les acariens. Il fabrique des anticorps que nous appelons, en jargon médical, les immunoglobulines de type E. Cet état de sensibilisation, en bonne partie influencé par des facteurs génétiques, peut conduire à des manifestations allergiques qui prennent des formes diverses: écoulement du nez, yeux rouges, démangeaisons, toux, eczéma, asthme… JP0169F La désensibilisation consiste à mettre l’organisme en contact avec des quantités importantes de l’allergène auquel il est sensibilisé. On arrive ainsi, en quelque sorte, à manipuler le système immunitaire afin qu’il ne réagisse plus par une réponse anormale en cas d’exposition à l’allergène. La désensibilisation transforme ainsi un individu sensibilisé en un individu désensibilisé qui ne présente plus de signes d’allergie même lorsqu’il est en contact avec des acariens ou des pollens. Des avancées ou des innovations importantes ont-elles eu lieu dans ce domaine? Les mécanismes qui entrent en jeu lors d’une désensibilisation sont de mieux en mieux cernés. Si ces progrès intéressent principalement les chercheurs, il en est d’autres qui concernent directement les patients. Ces avancées concernent l’efficacité, la sécurité et le confort. En termes d’efficacité, on estime que la désensibilisation conduit à un succès dans environ 2/3 des cas. Les voies alternatives utilisées de nos jours (comme la voie sublinguale orale) rendent aussi son emploi beaucoup plus sûr qu’auparavant en termes d’effets secondaires. En effet, les traitements désensibilisants classiques (c-à-d les injections d’allergènes par voie sous-cutanée) peuvent reproduire, lors des injections, des symptômes parfois aussi intenses que ceux survenant durant les crises, voire plus graves. Plusieurs voies ont été explorées pour rendre le traitement désensibilisant plus sûr. Parmi celles-ci, figure la prise du traitement par voie orale plutôt que de recourir à des injections. 17 Le Journal du Patient N°7 Septembre 2012 Comment expliquer qu’une prise par la bouche, sous la langue, soit plus sûre? Tout a commencé avec des études chez la souris. Des chercheurs ont constaté, au début des années 50, qu’il était possible de rendre des souris sensibles à certains allergènes injectés sous la peau. Lorsque ces animaux sont, après quelques jours, à nouveau exposés aux allergènes auxquels on les a sensibilisés, ils présentent d’intenses réactions pouvant entraîner le décès. En revanche, si les allergènes sont préalablement administrés par la bouche, il est impossible de sensibiliser une souris normale, de transformer une souris normale en souris allergique. La voie buccale permet donc d’induire une tolérance. Pourquoi, me direz-vous? Notre tube digestif est continuellement exposé à une multitude de molécules susceptibles d’entraîner une allergie: tout ce que nous mangeons nous est étranger et, si nous n’y étions pas tolérants, nous ne pourrions pas nous nourrir. Cet état de tolérance a été induit avec le concours des multiples bactéries qui occupent notre tube digestif, y compris la cavité buccale: la muqueuse digestive produit une réponse immunitaire destinée à bloquer l’invasion des microbes, les empêchant ainsi de provoquer une infection. Les mécanismes de cette réaction de défense inhibent ceux de la reponse allergique. Les allergènes auxquels notre tube digestif est exposé sont en quelque sorte victimes des moyens de défense que notre organisme met en place pour lutter contre les bactéries: ces allergènes ne peuvent pas perpétrer leurs méfaits et leur effet s’éteint. Vous parliez également de progrès en termes de facilité et de confort… La voie buccale est évidemment plus aisée et plus confortable que le traitement par injections. Le traitement par injections, qui comporte initialement des piqûres à intervalles rapprochés, a un caractère astreignant qui explique en partie les abandons ou les arrêts transitoires. ‘L’oubli’ répété des injections peut avoir des conséquences sur le plan de l’efficacité: la dose totale sera moindre et comme l’efficacité est liée à la dose… La voie buccale consiste en la prise de comprimés ou de gouttes, à mettre sous la langue, puis à avaler éventuellement. Elle ne nécessite donc pas une visite chez le médecin. Les principaux effets indésirables peuvent être des picotements dans la bouche au moment de la prise. Ils disparaissent en une quinzaine de jours. Aucun accident grave n’a été décrit jusqu’ici. Comment dépister une allergie? Comme je l’ai mentionné, certains individus sont génétiquement prédisposés à développer un état de sensibilisation. Beaucoup d’entre eux sont sensibilisés sans le savoir. Le stade ultérieur est caractérisé par l’apparition de symptômes répétés et handicapants. Ces symptômes sont parfois attribués, à tort, à un rhume qui n’en finit pas. Fort heureusement, l’altération de la qualité de vie qu’ils entraînent pousse bon nombre de personnes à se tourner vers leur médecin. Ce dernier arrive assez facilement à confirmer le diagnostic en menant un interrogatoire détaillé concernant, entre autres, les moments de l’année ou de la journée auxquels les symptômes surviennent, les endroits où ils sont plus intenses… Il réalise des tests cutanés qui consistent à injecter une petite quantité d’allergène sous la peau afin d’observer l’éventuelle réaction qu’il provoque (critères de positivité bien définis). Si la réalisation des tests cutanés est impossible (eczéma étendu, prise d’antihistaminiques,…), le dosage des IgE spécifiques peut se faire dans le sang également. Le traitement désensibilisant n’est probablement pas la seule arme pour lutter contre l’allergie? En effet. On peut tout d’abord éviter l’allergène auquel on est sensible. Plus facile à dire qu’à faire. La mesure à prendre en cas d’allergie aux animaux est simple et efficace, même si elle est parfois douloureuse: le chien, le chat ou le hamster coupable ne devraient pas avoir droit de cité! Dans les autres types d’allergie, la situation est plus aléatoire. Ainsi, il est souvent conseillé, pour éviter les pollens d’arbres ou de graminées, de renoncer aux promenades dans la nature durant les mois de pollinisation, de fermer les fenêtres… Ces conseils me semblent illusoires: assigner les patients à domicile en leur interdisant de profiter des rayons du soleil ou des balades constitue une mesure particulièrement drastique, qu’il est parfois bien difficile de suivre. Quant aux moyens à mettre en œuvre pour réduire suffisamment la concentration en acariens dans une maison, ils sont particulièrement fastidieux car la lutte doit porter sur de multiples fronts: il faut à la fois s’occuper de la literie, de la température, de l’humidité, des tapis, des coussins… Outre les mesures d’éviction, nous disposons de médicaments, comme les antihistaminiques ou les corticoïdes topiques. Ces médicaments sont utiles pour lutter contre les symptômes de l’allergie, mais ils ne conduisent pas à la guérison. Par ailleurs, comme les symptômes allergiques apparaissent souvent dans le jeune âge, le traitement médicamenteux, lorsqu’il est la seule arme utilisée, doit être pris de manière chronique, pendant de nombreuses années. Le seul traitement capable de traiter le mal à sa racine est précisément la désensibilisation. Comme je l’ai mentionné, on estime que celle-ci est efficace dans 2/3 des cas, pour peu qu’elle soit utilisée à bon escient et à doses appropriées. La désensibilisation permet également de réduire la charge en médicaments. Comment se déroule le traitement désensibilisant pour les acariens? Les acariens sévissent toute l’année. La désensibilisation peut donc commencer à tout moment, même si des pics d’acariens sont décrits à l’automne, période où on commence à chauffer les chaumières, et au printemps, période où le taux d’humidité est généralement élevé. La durée du traitement est de 3 à 5 ans. L’effet bénéfique peut se manifester dès la première année et, s’il apparaît rapidement, trois ans de traitement suffisent. Cinq années sont préconisées lorsque l’amélioration est plus tardive. Qu’en est-il dans le cas des pollens d’arbres? Lorsqu’on opte pour une désensibilisation par voie sublinguale/orale, dont j’ai évoqué les avantages, il y a des nouveaux schémas de traitement appelés ‘pré-’ et ‘co-saisonniers’ comprenant un début de traitement deux mois avant la saison pollinique et une prolongation de ce traitement durant la saison. Cette approche permet de limiter la durée de la prise par rapport à une désensibilisation qui dure toute l’année, ce qui augmente la probabilité de rester fidèle au traitement. Prenons l’exemple de l’aulne, du bouleau et du noisetier: la saison pollinique de ces arbres s’étend de fevrier à mars-avril, de sorte que le traitement désensibilisant pré- et co-saisonnier est à débuter en janvier et se termine en avril. Il est donné sous forme de gouttes sublinguales. Pour les graminées, le traitement peut aussi être administré sous forme de comprimés à faire fondre sous la langue, à raison de 1 comprimé par jour. Les traitements sont au point, le reste n’est plus qu’une question de calendrier! Retrouvez cet article sur www.lejournaldupatient.be