Une histoire provinciale ou une histoire impériale pour la campagne

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The handle http://hdl.handle.net/1887/22864 holds various files of this Leiden University
dissertation
Author: Legendre, Marie
Title: Pouvoir et territoire : l'administration islamique en Moyenne-Égypte pré-ṭūlūnide
(642-868)
Issue Date: 2013-12-12
Conclusion
Une histoire provinciale ou une histoire impériale pour la
campagne égyptienne des premiers siècles de l’Islam ?
Au-delà du silence des sources narratives sur la campagne égyptienne, la MoyenneÉgypte des deux premiers siècles de l’Islam apparaît, au terme de cette étude, comme une
région à part entière de l’Égypte islamique. Si son intégration à la province de Miṣr ne faisait
pas de doute, elle restait perçue avec beaucoup de distance. Les détails du développement de
sa géographie politique, de son administration et des populations qui la représentent suivent le
rythme des deux premières dynasties musulmanes et contribuent directement à notre
connaissance de la formation de leur autorité au niveau local. Les vestiges de terrain et les
dynamiques d’occupation, la géographie administrative et les informations données par les
papyrus, et enfin les représentations littéraires présentent chacun une histoire de cette région
selon des temporalités différentes que nous avons proposé d’accorder dans les quatre
chapitres qui ont composé cette étude. Cette investigation a permis de dresser l’histoire de la
région entre Byzance et l’Islam suivant son évolution entre la géographie administrative
byzantine et l’image construite dans les sources littéraires arabes qui dominent les deux
extrémités de notre chronologie. Cette étude montre, au cours de notre chronologie
d’investigation, l’intégration aussi bien administrative que symbolique de la région dans
l’Égypte des premiers siècles de l’Islam.
Une chronologie de la conquête de la région en amont de l’année 642 a tout d’abord
été proposée. La chronique de Jean de Nikiou indique que la conquête aurait débuté par
l’Arcadie, plus que par Babylone qui est la version prônée par les sources islamiques. Les
sources littéraires, quelles qu’elles soient, indiquent que les armées arabes se seraient tournées
vers la vallée dès 641. Les documents confirmant la présence des amīrs dès le premier mois
de l’année 642.
Conclusion
Les modalités de passation de pouvoir au niveau local nous sont ensuite connues avec
beaucoup de détails, grâce aux archives des administrateurs de l’Hermopolite dans les années
640. Elles révèlent leur intérêt immédiat pour la mise en valeur des territoires conquis. La
présence d’amīrs et de leurs garnisons au niveau local permet d’assurer auprès de
l’administration locale, le pagarque d’Hermopolis et le duc d’Antinoé, la mise en œuvre de
larges réquisitions nécessaires à leur installation dans la province, notamment pour la
construction de leur capitale et la subsistance de leurs armées. La documentation de cette
période permet de mettre en évidence des modalités de coopération entre conquérants et
conquis qui se retrouvent des siècles plus tard dans la tradition islamique. Le texte connu sous
le nom de « pacte de ‘Umar » d’après le nom du calife ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz (717-720) en
est un exemple. Les documents des archives de Sénouthios montrent que l’administration
locale affectait des individus portant le titre de boukkelarios à certains moagaritai afin de les
mener en différents endroits de la pagarchie hermopolite pour assurer la gestion de leurs
réquisitions1. Le rayonnement des conquérants dans la région avec l’aide de l’administration
locale devait bien avoir permis à ces moagaritai ou sarakenoi de se familiariser avec le
territoire conquis, ses routes, ses toponymes et sa population. Une image similaire est donnée
dans le pacte de ‘Umar qui liste un certain nombre de règles que les populations chrétiennes
de Syrie auraient dû suivre pour assurer le bon déroulement de leurs relations avec les
communautés musulmanes. Un des préceptes de ce texte se présente comme un écho
intéressant des informations données par les papyrus dans les années 640 quand il indique que
les conquis avaient à charge de renseigner les musulmans sur les ponts et les routes de leur
région2.
Au cours des décennies incertaines entre la conquête et la fin de la première guerre
civile (655-661), nous avons ensuite mis en évidence la mise en place d’une supervision des
régions rurales de la province depuis la nouvelle capitale. Dès la période de la conquête, il y
avait un centre politique en Égypte où les nouveaux conquérants étaient implantés, identifié
comme Babylone dans les papyrus grecs, puis comme Fusṭāṭ ou fossaton à partir du début de
l’époque umayyade3. Jusqu’au début de la période marwānide, l’administration médinoise
puis umayyade, se repose, pour un temps, sur les anciens gouverneurs de provinces
1
Document inédit décrit dans : MORELLI (Federico), L’archivio di Senouthios anystes e testi connessi : Lettere
e documenti per la costruzione di una capitale, CPR XXX, Vienne, 2010, p. 14.
2
COHEN (Mark R.), « What was the Pact of `Umar? A Literary-Historical Study”, JSAI 29 (1999), p. 100-157.
3
P.Apoll. 6, 3 (Edfou, fin du 3e et du début du dernier quart du VIIe siècle).
278
Conclusion
byzantines, les ducs. Leurs administrations, mais aussi la carte administrative de l’Égypte sont
refondues au rythme d’un système qui s’inspire de l’ordre local comme des initiatives des
nouveaux maîtres du pays.
L’administration de la Moyenne-Égypte prend effectivement une forme nouvelle, à
partir du règne de Mu‘āwiya (661-680). Au VIIe siècle, les documents grecs et coptes rendent
toute l’ampleur de l’activité administrative d’Antinoé et de sa zone d’influence. Dès le début
du
e
VIII
siècle, son nom arabe apparaît dans les documents, et on peut suivre l’histoire
d’Anṣinā qui se place ensuite, dès les premières décennies du
e
VIII
siècle, dans l’ombre de sa
voisine Ašmūn. Dans ce processus, le découpage provincial et en son cœur la Thébaïde, est
adapté à la philosophie de l’Empire, pour ne garder qu’une division entre Haute et BasseÉgypte. Le duc présente un profil progressivement islamisé à différents niveaux de
représentation de sa fonction, comme dans les documents que sa chancellerie émet. La
chronologie de cette évolution était déjà connue dans son ensemble au niveau des plus grands
centres de l’Empire4, mais nous avons pu donner, dans le troisième chapitre, le détail de
l’application des mesures impériales au sein de la province.
Au tournant de l’époque marwānide, la région intègre ensuite directement des acteurs
nouveaux. Des fonctionnaires de nom arabe interviennent directement au niveau local, ils
portent tout d’abord le titre d’epikeimenos dans les documents arabes et acquièrent ensuite
directement un ancrage territorial au sein de la région. Ils remplacent alors les élites locales
dans la gestion des affaires administratives de la région. La création de ce corps de
l’administration local au niveau de la kūra constitue l’aboutissement des mesures mises en
place dès le début de l’époque umayyade, et témoigne d’une volonté impériale de
structuration de l’administration des provinces dans leurs différents niveaux hiérarchiques.
L’investissement du gouvernement provincial par l’envoi des epikeimenos arabes à partir de
705, l’implantation d’un corps de l’administration arabe en tant que tel au niveau de la kūra
d’Ašmūn à partir de 714 et la disparition progressive du duc de Thébaïde de la hiérarchie
provinciale dans les années 720, représentent trois volets intimement liés et consécutifs de ce
processus, si ce n’est directement contemporains. On trouve des epikeimenos arabes alors que
le duc est toujours en poste, puis epikeimenos et pagarques arabes finissent par se confondre
en une seule fonction.
Cet examen nous permet réellement de placer un tournant dans l’administration de la
Moyenne-Égypte autour des années 710 et du règne du calife al-Walīd (705-715). Les
4
Comme l’indique P. Brown, la période 632-809 est celle du « monde antique sous la domination de l’Islam » :
The World of Late Antiquity, Londres, 1971, p. 194-203.
279
Conclusion
informations que nous avons eu l’occasion d’examiner pour d’autres régions ne permettent
pas de douter que cette chronologie soit applicable pour d’autres régions. Au cours de ce
passage, nous avons pu présenter l’examen des titres trouvés dans les papyrus concernant les
administrateurs de l’Hermopolite/kūra d’Ašmūn. Ils révèlent une distinction nette entre l’élite
traditionnelle de la pagarchie, qui porte le titre de pagarques ou ṣāḥib, alors que les
représentants directs de l’État islamique portent le titre de ‘āmil dans les documents arabes et
ne portent pas de titre dans les documents grecs et coptes. De manière générale, les
administrateurs représentants l’État islamique, le duc, les epikeimenos ou les ‘āmils, sont
souvent connus avec le titre d’amīr dans les documents grecs et coptes.
En comparant nos conclusions concernant l’époque de la conquête à celles du début de
la période umayyade, nous pouvons séparer les mesures had hoc et temporaires des initiatives
structurelles ayant des conséquences à long terme. La nomination d’amīr pour le contrôle de
la vallée et la gestion des grandes réquisitions nécessaires à l’installation des armées se
présentent comme des mesures immédiates mais temporaires. La reprise de l’administration
locale par une société issue de la conquête se recompose à chaque pallier de notre étude. La
formation de l’État islamique se présente pas à pas comme celle d’un système politique qui
allie les conquérants et conquis, et, à terme, les chrétiens et les musulmans, assurant
conjointement l’exploitation et l’administration de la région. Des mécanismes de coopération
et d’intégration variés se développent entre cette classe d’administrateurs locaux et le pouvoir
central, pour forger progressivement l’identité de l’État islamique. Au fil de cette adaptation,
la formation d’un système étatique propre au pouvoir islamique recompose peu à peu
l’identité byzantine de l’administration et il devient impossible de distinguer les conquérants
des conquis. A l’étude de la Moyenne-Égypte, il semble bien, cependant, que l’identité
islamique la plus courante au cours des deux premiers siècles de l’Islam est bien celle de
l’administration.
Nous avons pu révéler la place capitale de la ville d’Antinoé/Anṣinā et de
l’administration de son duc pour l’histoire de l’Égypte umayyade, malgré le peu de place
accordée dans les sources arabes à cette ville. Le rôle du duc d’Antinoé dans la formation de
l’ordre umayyade au niveau local est représentatif des conclusions de P. Bourdieu sur la
naissance de l’État : « L’Etat, quand il réussit, se fait donc oublier et fait oublier qu’il a dû
280
Conclusion
naître : il est naturalisé par les acteurs »5. En effet, les rôles du duc de Thébaïde ou des
anciennes provinces byzantines n’apparaissent jamais dans les sources islamiques concernant
l’histoire des origines. Les modalités de la naissance de l’État restent totalement invisibles
dans la tradition.
De nombreuses questions restent encore ainsi en suspens sur le statut d’Anṣinā au
cours de la période abbasside. De ville des ducs au moment de la période umayyade, elle
passe à ville des sorciers dans l’œuvre d’al-Ḥawqāl au
X
e
siècle6. Maqrīzī semble cependant
bien rappeler, au XVe siècle, le souvenir du rôle d’Antinoé/Anṣinā en filagramme de l’histoire
mythique de l’Égypte, qui est maintes fois au centre de son œuvre. Il indique que la mythique
reine Dalūka aurait fait construire un nilomètre à Anṣina7, et qu’un autre aurait été construit
par Mu‘āwiya, « jusqu’à ce que ‘Abd al-‘Azīz b. Marwān construise un nilomètre à Ḥulwān »
où le gouverneur déplaça sa capitale administrative en 6898. Le nilomètre, instrument
symbolique de l’exercice du pouvoir, permettant de mesurer la crue du Nil, semble ici
représenter l’administration des provinces, affirmée à Antinoé sous Mu‘āwiya, mais qui ne
semble pas survivre longtemps après le gouvernorat de ‘Abd al-‘Azīz (685-705).
En l’absence de données archéologiques, les modalités de la perte d’importance de la
ville au niveau régional au cours des
e
VIII
et
e
IX
siècles restent invisibles. Nous avons
cependant pu nuancer, dans les pages précédentes, la tournure générale de l’histoire d’Anṣinā,
qui se maintient comme centre administratif au niveau local tout au long de la période
‘abbāsside et accueille une communauté composite, chrétienne et musulmane à partir du
e
VIII
siècle. L’abandon de la ville que semblait supposer certaines sources médiévales, n’est pas
d’actualité pour la période pré-ṭulūnide. Au tournant du
e
IX
siècle, Anṣinā était loin d’avoir
perdu toute pertinence dans le maillage administratif de la vallée. Nous avons démontré la
pérennité de sa place dans l’administration locale jusqu’à l’époque mamelouke.
Au terme de notre étude, l’époque ṭulūnide se présente comme celle où les domaines
fonciers, aux mains des nouvelles élites locales, reçoivent bien plus de visibilité si ce n’est
5
Je dois à A. Nef l’apport de cette étude clé à l’histoire des débuts de l’Islam au sujet duquel elle prépare une
monographie qui viendra certainement beaucoup enrichir la présente étude : BOURDIEU (Pierre), Sur l’État.
Cours au Collège de France (1989-1992), Paris, 2012, p. 185.
6
Cette image est courante chez les géographes et historiens médiévaux cf. HAARMANN (Ulrich), « Regional
sentiment in Medieval Islamic Egypt », BSOAS 43 (1980), p. 61, n. 8.
7
Sur la mythique reine Dalūka, cf. SIJPESTEIJN (Petra M.), « Building an Egyptian Identity », dans MARGARITI
(Roxani E.), SABRA (Adam), SIJPESTEIJN (Petra M.), Histories of the Middle East, Studies in Middle Eastern
Society, Economy and Law in Honor of A.L. Udovitch, Leyde, 2010, p. 85-105.
8
al-Maqrīzī (m. 845/1442), al-Mawā‘iẓ wa al-‘i‘tibār fī dikr al-ḫiṭaṭ wa al-Ātār I, (A.F. Sayyid, Dār alFurqān éd.), Londres, 2002, p. 151.
281
Conclusion
plus d’attention au niveau administratif. Selon les termes de C. Wickham, la période ṭulūnide
apparaît comme le moment qui permet réellement de construire un ordre politique intégrant
les intérêts locaux. Cette courte période se présente, en effet, avec plus de stabilité par rapport
à la domination ‘abbāsside et le rythme soutenu de révoltes qu’elle rencontra en Égypte9.
En ce qui concerne les usages linguistiques, la Moyenne-Égypte se place comme un
contexte particulièrement propice à l’étude de l’utilisation du copte à la suite de la conquête.
Les documents qui en proviennent permettent de révéler le rôle de cette langue dans
l’administration umayyade au niveau local. L’exemple du monastère de Baouit indique
également que ce type de communauté pouvait utiliser presque exclusivement le copte dans
les limites de ses communications internes jusqu’au
IX
e
siècle. Au
e
XI
siècle, un habitant de
Moyenne-Égypte, originaire de Baouit, utilisait toujours le copte pour son usage personnel,
comme dans les affaires, réutilisant également des lettres en arabe dans sa correspondance.
Ces archives appartenaient à Raphaël fils de Mina et datent entre 1029 et 1063. Elles sont
parmi les plus récentes à attester de l’usage du copte en Égypte pour l’écrit documentaire10.
Plus que de révéler la valeur de la documentation papyrologique et archéologique pour
les débuts de l’Islam, nous avons pu démontrer comment ces deux types de sources peuvent
être mises à contribution pour écrire l’histoire de leur contexte de production. Rappelons que
nous espérons servir ici également la promotion d’une investigation archéologique des
différents sites de la région pour la période des débuts de l’Islam, ayant démontré tout l’intérêt
que représente cette région pour l’histoire des périodes umayyades et abbassides.
Nous avons également montré comment les sources islamiques les plus anciennes
peuvent être mises à contribution pour l’histoire locale, l’administration des kūras, les
relations entre conquérants et conquis en dehors des grands centres provinciaux. La valeur de
l’œuvre d’al-Kindī pour l’étude de l’administration de la province d’Égypte entre la conquête
et la période ̩ṭulūnide apparaît clairement à terme de cette recherche. Il convient de considérer
les informations que cette œuvre peut donner pour la formation des institutions islamiques au
sein des amṣārs. L’examen que nous avons proposé du devenir de l’administration ducale au
sein de la formation du dīwān al-ḫarāǧ et son administration, le directeur des finances,
indique que de nombreuses informations du texte d’al-Kindī demandent à être ordonnées sur
9
WICKHAM (Chris), Framing the Early Middle Ages, Europe and the Mediterranean, 400-800, Oxford, 2005,
p. 25.
10
RICHTER (Tonio Sebastian), « Greek, Coptic and the ‘language of the Hijra’ », dans COTTON (Hannah M.),
HOYLAND (Robert G.), PRICE (Jonathan J.), WASSERSTEIN (David J.), From Hellenism to Islam : Cultural and
linguistic change in the Roman Near East, Cambridge, 2009, p. 421.
282
Conclusion
la formation du dīwān de Fusṭāṭ, avec l’éclairage indispensable qu’offre les papyrus.
L’administration visible au niveau local dans les papyrus nous permet de comprendre la forme
du dīwān qui s’était développé dans la ville de Fusṭāṭ, elle nous en transmet son miroir et
constitue ainsi la source la plus ancienne sur sa formation connue à ce jour.
Nous avons ainsi démontré que plus qu’une région rurale de la province d’Égypte, la
région d’Ašmūnayn et Anṣinā représente un laboratoire idéal pour l’étude de la formation de
l’identité politique des empires umayyades et ‘abbāssides au cours des deux premiers siècles
de l’Islam. Les moments clés du développement de l’État islamique au niveau local se
placent, selon notre analyse, au diapason des décisions impériales et non seulement selon une
dynamique proprement fustatienne ou locale. Il est cependant bien difficile de distinguer le
niveau provincial du niveau impérial et d’attribuer à l’un ou à l’autre la paternité des
innovations de l’État islamique. Cette difficulté s’explique par la proximité de l’Égypte et de
la Syrie, surtout au début de la période umayyade. Cette proximité est notamment révélée par
les monnayages. Plus de la moitié des gouverneurs nommés par les califes umayyades en
Égypte étaient également d’origine syrienne. De plus, la fiscalité égyptienne du début de
l’époque marwānide est bien tournée vers les grands projets de l’Empire. Jamais nous ne
trouvons, hors de cette période, autant d’informations sur le rôle de l’Égypte dans les grandes
constructions ou la flotte impériale. Cette myriade d’informations est largement due au
dossier d’Aphroditô, cependant même les documents isolés ne donnent pas l’impression d’une
pérennité de l’implication de la campagne égyptienne dans grands projets de l’empire, au-delà
de cette période.
L‘étude de la Moyenne-Égypte de la fin de la période umayyade, comme de la période
‘abbāsside, ne donne pas à penser que la province a bénéficié de la même politique de mise en
valeur de la diversité de ses ressources. Ce passage est cependant peut être dû à la mise en
place d’un système de taxation qui privilégie de plus en plus une fiscalité imposée
uniquement en monnaies, par rapport au système umayyade, qui s’appuyait beaucoup sur les
réquisitions de matières premières, de main d’œuvre et de produits manufacturés. Au cours du
e
IX
siècle, les revenus fiscaux payés en monnaies arrivaient bien d’Égypte jusqu’à Samarra
comme l’attestent les papyrus retrouvés dans les fouilles de la ville11. Dans les sources
narratives, la politique des ‘Abbassides en Égypte semble suivre le même type de difficultés
11
REINFANDT (Lucian), « Administrative Papyri from the Abbasid Court in Samarra (AD 836–892) – A first
report », dans SCHUBERT (Paul), Actes du 26e Congrès international de Papyrologie, Genève, 16-21 août 2010,
Genève, 2012, p. 641.
283
Conclusion
que dans les autres provinces de leur empire : des difficultés de gestion économiques et
militaires12. Cependant, l’un des constats les plus frappants de notre dernier chapitre concerne
la pauvreté des ensembles documentaires pour l’étude de l’Égypte de la période ‘abbāsside
par rapport à la riche documentation d’époque umayyade. Il convient de rappeler que des
recherches futures sur l’identification de registres administratifs ou archives de cette période
seraient particulièrement utiles. Elles permettraient d’affiner les conclusions de la présente
recherche sur l’administration locale au cours de la période ‘abbāsside et d’éclairer à nouveau
le récit que nous propose les sources narratives. L’apport d’autres recherches régionales sur
l’Égypte des débuts de l’Islam permettrait également de confronter nos conclusions aux
évidentes disparités régionales.
Une dernière question se pose enfin sur les niveaux de lecture de nos conclusions : estce que le contexte égyptien est particulier, où représente-t-il une image fidèle de la politique
umayyade et ‘abbasside envers leurs autres provinces ? Il serait difficile d’argumenter une
telle chose, après avoir démontré, dans les pages qui ont précédé, la valeur du contexte de
production documentaire, archéologique et littéraire pour comprendre l’histoire d’une région
donnée. La documentation égyptienne est certes particulière par sa nature, à travers la richesse
des trouvailles archéologiques et surtout papyrologiques. Cependant nous avons montré, la
valeur de cette recherche pour l’histoire impériale des umayyades, mais également pour
l’étude de l’administration des deux premières dynasties de l’Islam. Le contexte de chaque
province reste évidemment bien particulier, tous comme les sources qui documentent chacune
d’entre elles13. L’apport de l’Égypte reste néanmoins riche en enseignement pour l’étude de la
conquête, des umayyades et des ‘abbāsside : des modalités d’installation des conquérants, de
la formation de l’État islamique et des dīwāns et d’une identité musulmane dans les régions
périphériques. Elle apporte également de nombreuses leçons sur les modalités de lecture de la
tradition islamique sur ce type de sujets. Il est néanmoins certains que l’apport des contextes
des autres provinces pourra éclairer en retour le panorama que nous avons proposé pour la
Moyenne-Égypte en transition.
12
KENNEDY (Hugh), « The Decline and Fall of the First Muslim Empire », Der Islam 81 (2004), p. 3-30.
FOSS (Clive), « Mu‘āwiya’s state », dans HALDON (John), Money, Power and Politics in Early Islamic Syria,
Burlington, 2010, p. 75-96.
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