Réanimation 2002 ; 11 : 375-7 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S162406930200258X/MIS CHRONIQUE JURIDIQUE La réanimation. Et après ? C. Sicot*, D. Baranger Le Sou Médical, 130, rue du Faubourg Saint-Denis, 75466 Paris cedex 10, France (Reçu le 14 novembre 2001 ; accepté le 15 novembre 2001) HISTOIRE CLINIQUE M. Y., 18 ans, était victime d’un accident de la voie publique le 26 février 1994 sur une autoroute du centre de la France. Il était passager arrière non ceinturé dans une voiture qui avait été percutée par l’arrière. Après désincarcération, il était transféré dans le coma (Glasgow à 6) au centre hospitalier universitaire. Cliniquement, il existait une hémiplégie droite, une contusion de l’épaule et une plaie du sourcil gauches. L’examen tomodensitométrique cérébral mettait en évidence une hémorragie méningée avec une contusion frontale bilatérale à prédominance gauche. En l’absence d’indication neurochirurgicale, M. Y. était dirigé sur le service de réanimation du Pr R. avec poursuite de la ventilation mise en place sur les lieux de l’accident. Au bout de 48 heures, un nouvel examen tomodensitométrique cérébral montrait une rétrocession des images de contusion cérébrale. La sédation était alors diminuée et le score de Glasgow mesuré à 11. L’état neurologique continuant à s’améliorer, la sédation était arrêtée le 8 mars. Les anticomitiaux étaient institués à partir du 10 mars. Le malade pouvait alors être mis au fauteuil mais il persistait une aphasie d’expression et une hémiparésie droite. L’hyperthermie apparue le 3 mars était traitée par antibiothérapie. M. Y. pouvait être extubé le 11 mars. Le 15 mars, il était décidé de le diriger vers le centre de rééducation de S. mais cela ne pouvant être réalisé qu’une semaine plus tard, le patient était transféré dans le service de neurochirurgie du Pr C. À son arrivée dans ce service, M. Y. était somnolent avec des phases d’hallucination mais l’état de conscience était jugé en amélioration. Il répondait aux ordres simples. La température était toujours oscillante entre * Correspondance et tirés à part. Adresse e-mail : [email protected] (C. Sicot). 38 et 39 °C. La diurèse était minime. Il existait un amaigrissement manifeste avec un pli cutané signant une déshydratation. L’alimentation était très légère car M. Y. avalait difficilement et faisait, de temps à autre, des fausses routes. À noter que lors de son admission en neurochirurgie, M. Y. était porteur d’une sonde nasogastrique qui assurait jusqu’alors son alimentation, mais il l’avait arrachée le 16 mars et elle n’avait pas été remise en place. Le dimanche 20 mars, l’interne de garde demandait un ionogramme sanguin (premier ionogramme réalisé dans le service de neuro-chirurgie depuis l’admission le 15 mars). Il mettait en évidence une « déshydratation extra et intracellulaire très marquée avec hypernatrémie ». Une réanimation apportant quatre litres de solutés était alors prescrite. Le lendemain matin, vers 12h30, une assistante hospitalière tentait de faire avaler un peu de semoule à M. Y., mais celui-ci toussait. L’assistante hospitalière arrêtait l’alimentation, remontait le malade dans son lit et allait porter le bol de semoule à l’office. En revenant, elle trouvait le malade « bleu ». Elle appelait l’infirmière ainsi que l’anesthésiste qui venaient rapidement. Ce dernier intubait le patient et commençait la réanimation mais sans succès. Le décès de M. Y. était constaté à 13h10. La nécropsie permettait d’affirmer que le décès était dû à une fausse route alimentaire par inhalation. Le père de M. Y. (médecin) déposait une plainte pénale (article 221-6 du Code pénal) pour homicide involontaire et le juge d’instruction décidait de mettre en examen le Pr C. chef de service de neurochirurgie, le Dr A. médecin assistant et Mlle G. faisant fonction d’interne en neurochirurgie. L’article 221-6 du Code pénal énonce que : « Le fait de causer par maladresse, imprudence, inattention, 376 C. Sicot, D. Baranger négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements, la mort d’autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 francs d’amende. En cas de manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements, les peines encourues sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 500 000 francs d’amende ». Par ailleurs, d’après la jurisprudence, le lien de causalité entre la faute et le préjudice (décès) doit être certain. En fonction de ces données, les responsabilités du Pr C. chef de service de neurochirurgie, du Dr A. médecin assistant et de Mlle G. faisant fonction d’interne sont-elles pénalement engagées ? D’autres responsabilités sont-elles à rechercher ? INSTRUCTION DU DOSSIER Le juge d’instruction chargé d’instruire le dossier désigna comme expert un professeur des universités, chef de service de neurochirurgie d’un CHU. Celui-ci estima qu’il n’y avait pas eu de problème de surveillance ou de traitement du blessé dans le service de réanimation. Tout en excluant toute faute dans la prise en charge assurée par le service de neurochirurgie, l’expert souligna que des ionogrammes auraient dû être réalisés plus précocement pour mettre en évidence la déshydratation liée à l’alimentation insuffisante et l’hyperthermie, et qui, à son avis, avait été à l’origine de la dégradation de l’état de conscience décrite par les infirmières et les agents hospitaliers du service de neurochirurgie. À la demande de la partie civile, et notamment du père (médecin) du jeune homme, le magistrat instructeur accepta de demander une contre-expertise dont les conclusions furent les suivantes : « La réanimation n’a pas permis de rétablir l’état antérieur dans la mesure où M. Y. était un patient présentant d’une part, des séquelles neurologiques et d’autre part, une dénutrition et une déshydratation importantes. Son état de conscience était altéré après l’accident dont il a été victime mais cet état a pu être aggravé par la déshydratation. Il n’y a pas de lien direct entre la déshydratation et la fausse route mais la déshydratation, ainsi que les troubles neurologiques dont souffrait le patient, sont, en partie, la cause de l’échec de la réanimation ». À la suite du dépôt de ce deuxième rapport, le juge d’instruction décida de renvoyer devant le Tribunal correctionnel les trois médecins mis en examen. Se fondant notamment sur le deuxième rapport d’expertise, les magistrats du Tribunal correctionnel estimèrent que « (ces) trois médecins avaient par leur manquement fautif de vérification, laissé s’installer chez M. Y. un état sévère de déshydratation en ne demandant aucun ionogramme avant le jour du décès ; que cet état avait contribué à faire échec aux mesures de réanimation, que la mort résultait de cet échec et qu’il s’en suivait que leur faute avait concouru directement au décès ». Le 24 février 1999, ils condamnèrent chaque médecin à un emprisonnement de trois mois avec sursis ainsi qu’à une peine d’amende de 30 000 francs pour le chef de service de neurochirurgie et de 10 000 francs pour les deux autres médecins. Le chef de service de neurochirurgie ainsi que le Ministère Public ayant fait appel, l’affaire revint devant la Cour d’appel en novembre 1999. Reprenant les termes des deux rapports d’expertise, les magistrats soulignèrent que le premier expert ne s’était pas prononcé sur la relation de cause à effet entre la déshydratation et le décès. Quant aux seconds experts, ils avaient conclu qu’il n’était pas possible d’imputer à la déshydratation la cause directe du décès, lequel était dû à une fausse route bronchique mais qu’avec l’état neurologique du malade, la déshydratation avait sa part de responsabilité dans l’échec de la tentative de réanimation. En conséquence, « l’on ne pouvait affirmer que si le malade n’avait pas été en état de déshydratation, une réanimation aurait été possible ; que si le dossier faisait apparaître que la surveillance hydrique avait été insuffisante, néanmoins la relation de cause à effet entre cette faute et le décès n’était pas établie ; que si l’utilisation d’une sonde naso-gastrique pour nourrir et hydrater le malade aurait sans doute réduit le risque de fausse route, elle ne l’aurait pas supprimé et que d’autre part, les médecins n’avaient pas décidé d’enlever cette sonde mais de ne pas la remettre une fois que le malade l’ait arrachée, qu’il s’agissait peut-être d’une erreur médicale mais pas d’une faute pénale ». Pour ces motifs, la Cour d’appel relaxa les prévenus et débouta la partie civile. COMMENTAIRES Sur le plan juridique, ce dossier n’appelle pas de remarque particulière. Devant la justice pénale, un médecin ne peut être condamné que : a) s’il a commis une faute ayant la qualification d’une infraction pénale et b) s’il existe une relation certaine entre cette faute et le préjudice causé au patient, en l’occurrence son décès. Les juges de première instance avaient retenu contre les médecins poursuivis, une faute de négligence en raison d’une absence de surveillance clinique et biologique du patient ayant abouti à un état sévère de déshydratation et avaient attribué à cette faute le décès du patient. En revanche, rétablissant la vérité des faits, les magistrats d’appel rappelèrent que le décès de ce jeune garçon était lié à une fausse route bronchique et qu’il n’était pas possible d’évoquer une relation de causalité certaine entre la fausse route bronchique et l’absence de sur- La réanimation. Et après ? veillance du ionogramme plasmatique à partir de l’admission en neurochirurgie. D’un point de vue médical, ce dossier pose le problème du devenir des malades à la sortie des services de réanimation. Transférer vers les unités d’hospitalisation, des patients ayant toujours une charge en soins élevée, n’est pas une solution [1]. En Grande-Bretagne, où le nombre de lits de soins intensifs est très insuffisant par rapport aux besoins, il a été montré qu’une telle attitude était génératrice d’une surmortalité hospitalière [1, 2]. Cette mortalité peut être diminuée de 30 % en différant de 48 heures le transfert de certains malades identifiés comme « à risque » [2]. Si le problème ne se pose pas dans les mêmes conditions en France, il n’en reste pas moins que le transfert d’un malade d’une unité de réanimation dans un service où les moyens humains et matériels sont, par définition, plus limités, est une décision qui doit être mûrement réfléchie et qui ne peut s’envisager que si l’on a la certitude que la continuité des soins nécessaires au malade sera assurée. Dans le cas contraire, il est évident que la responsabilité du médecin senior ayant décidé (ou couvert) un tel transfert serait engagée. Si tel n’a pas été le cas dans ce dossier, c’est vraisemblablement parce que la plainte de la famille visait essentiellement les médecins du service de neurochirurgie, qu’un délai de sept jours s’était écoulé entre la sortie du service de réanimation et le décès et que le juge d’instruction n’a pas cru bon d’orienter son enquête dans cette direction. Il n’en reste pas moins que le premier rapport d’expertise rédigé par un neurochirurgien se terminait par cette phrase : « Mais il est bien certain qu’un service de neurochirurgie n’est pas une structure adaptée pour suivre les malades de traumatologie puisque les neurochirurgiens envoient leurs patients graves en réanimation pendant une certaine période ». Certes, lorsque ce jeune garçon a quitté le service de réanimation, il avait retrouvé une autonomie respiratoire, mais il restait fébrile et, compte tenu de son état de vigilance, son hydratation dépendait essentielle- 377 ment des apports hydriques faits par l’intermédiaire de la sonde naso-gastrique posée en réanimation. Après que le patient l’ait retirée et que les médecins du service de neurochirurgie n’aient pas jugé nécessaire de la reposer, les risques de déshydratation et de fausse route bronchique étaient nettement accrus ce qui aurait dû justifier une surveillance renforcée. A posteriori, l’idéal aurait été qu’après transfert de ce patient, les médecins des services de réanimation et de neurochirurgie puissent se concerter sur la meilleure attitude à adopter concernant la repose (ou non) de la sonde nasogastrique, les modalités de la rééquilibration hydroélectrique, la fréquence des contrôles biologiques{ Évidemment, rien ne permet d’affirmer qu’une telle concertation aurait pu éviter la fausse route responsable du décès mais, comme l’ont estimé les juges d’appel, si l’attitude adoptée ne saurait constituer une faute pénale, « peut-être s’agit-il d’une erreur médicale ». CONCLUSION Le transfert d’un malade de réanimation dans un autre service doit se faire après s’être assuré qu’il n’existe plus de critères justifiant le maintien en réanimation et que le service d’accueil, est en mesure d’assurer la continuité des soins. Un compte rendu détaillé du séjour en réanimation mentionnant l’état à la sortie, le traitement à poursuivre et la surveillance à maintenir ainsi qu’un contact (ne serait-ce que téléphonique) avec les médecins du service d’accueil dans les jours suivants le transfert en sont les meilleurs garants. RÉFÉRENCES 1 Smith L, Orts CM, Neil LO, Batchelor AM, Gascoigne AD, Baudoin SV. TISS and mortality after discharge from intensive care. Intensive Care Med 1999 ; 25 : 1061-5. 2 Daly K, Bealer, Chang RWS. Reduction in mortality after inappropriate early discharge from intensive care unit : logistic regression triage model. BMJ 2001 ; 322 : 1274-6.