Entretien avec les proches à distance d’un décès : besoins et analyse. Michel Benhamou*, Jean-Christophe Farkas**, Bruno Lafon **, Jean Pierre Deyme*, Sassan Amoli Mohebbi*. * Service de Réanimation - Hôpital Privé d’Antony, 1 rue Velpeau, 92160 Antony. ** Service de Réanimation - Groupe Courlancy - Site Saint André, 18 rue de l'écu, 51100 Reims Introduction : La stratégie de communication entre les équipes de réanimation et les proches de patients qui décèdent en réanimation a fait l’objet de plusieurs études qui ont démontré l’intérêt de certains outils comme la communication proactive et l’emploi de documents adaptés (1), cependant la survenue d’un stress post-traumatique atteint 50% des proches (2). La compréhension par les proches des évènements vécus a été peu étudiée. Depuis plusieurs années est proposée systématiquement dans nos deux services un entretien à distance du décès. De janvier 2010 à décembre 2011 les données ont été colligées de façon prospective. Procédure : - Au moment du décès les proches sont avertis qu’une proposition d’entretien leur sera adressée. - Quinze jours à un mois après le décès, un courrier est envoyé, proposant un entretien dans le but de répondre aux interrogations et de revenir sur la suite des événements qui ont conduit au décès. Il est précisé que cette démarche se fait dans un but d’accompagnement psychologique. Un contact téléphonique est ensuite pris pour recueillir la réponse des proches et éventuellement, fixer un rendez-vous. - Le jour de l’entretien, un des médecins du service et une IDE ou un Cadre infirmier sont présents. Peu de temps avant l’entretien, une revue du dossier est réalisée par les intervenants. L’entretien a lieu dans la salle de réunion des services. Déroulement de l’entretien : Dans le premier temps de l’entretien, une description des évènements est faite par le médecin. Au terme de cette description, le médecin et l’IDE, au besoin en observant des moments de silence parfois prolongés, laissent s’exprimer les proches. Dans un troisième temps, le médecin et l’IDE répondent aux questions et aux remarques des proches. La discussion devient ensuite plus interactive. La suite de l’entretien concerne les proches eux mêmes, présents ou non, un suivi psychologique est parfois proposé. Résultats : Patients hospitalisés (2 unités – 01/10 à 12/11) 1826 SAPS II 44,3 Durée de séjour 8,3 j Patients ventilés 54% Patients ventilés > 48h 42% Patients décédés 377 (20,6%) Réponses Réponses positives à la proposition 144 (38%) Pas de réponse après courrier ou de contact possible 158 (42%) Refus non motivé ou insatisfait 17 (5%) Refus avec remerciement 58 (15%) Analyse des entretiens Attitude mutique 3 (2%) Avaient compris la pathologie 63 (44%) N'avaient pas compris la pathologie 78 (54%) L’entretien est accepté dans 38% des cas. La durée moyenne est de 45 min, allant de 20 à 90 minutes. La teneur des entretiens est très variable mais - Le point important de cette étude est qu’elle retrouve dans 54% des cas une mauvaise compréhension du cas médical de la personne décédée. Les entretiens avec les proches, réalisés en général tous les jours par les médecins des deux unités, n’avaient pas permis, au cours de l’hospitalisation, la réelle compréhension du déroulement de la maladie. - Un retard initial au diagnostic ou au traitement est souvent évoqué, la plupart du temps avec un fort sentiment de culpabilité des personnes présentes, plus rarement avec la recherche de responsabilité d’une tierce personne. - L’évocation de problèmes relationnels avec un ou des membres de l’équipe est rare, l’entretien permet en règle de répondre aux interrogations et éloigne les conflits. L’expression de gratitude vis à vis des soignants est prédominante. - Dans la même période et concernant la cohorte des patients décédés une demande de dossier médical a été faite dans trois cas (0,8%). Conclusion : L’absence de suivi des proches après décès d’un patient est responsable dans plus d’un cas sur deux de l’incompréhension persistante de la pathologie ayant amené au décès. Cette incompréhension est source de culpabilité, de souffrance et représente un obstacle à l’acceptation du décès et au travail de deuil. Elle est sans doute aussi source de conflit avec les soignants, et l’entretien à distance permet de diminuer de façon importante les demandes de dossier médical pouvant déboucher sur une procédure médico-légale. Cet entretien avec les proches à distance du décès est devenu une activité à part entière de la prise en charge des familles dans nos deux unités. Elle représente une charge réelle en temps médical, infirmier et de secrétariat mais paraît à ceux qui la pratiquent un élément indispensable à la prise en charge des familles. 1. Lautrette A et al. A communication strategy and brochure for relatives of patients dying in the ICU. N Engl J Med. 2007 Feb 1; 356 (5):469-78. 2. Azoulay E et al. Risk of post-traumatic stress symptoms in family members of intensive care unit patients. Am J Respir Crit Care Med. 2005 May 1; 171(9):987-94.