Cas clinique Fièvre, éruption et adénopathies, puis pancréatite aiguë chez un malade traité pour une hépatite C Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Stéphane Obled1, Aurélie Du Thanh2, Claude Raffanel1, Michel Dandurand2, Albert Sotto3, Laurent Meunier2, Philippe Pouderoux1 1 Service d’Hépato-Gastroentérologie, Hôpital Caremeau, CHU Nîmes Place du Pr Robert Debré, 30029 Nîmes Cedex 9 <[email protected]> 2 Service de Dermatologie, CHU Nîmes 3 Service de Médecine B, CHU Nîmes Mots clés : sarcoïdose, interféron, hépatite C, pancréatite doi: 10.1684/hpg.2007.0058 U Tirés à part : S. Obled n homme de 41 ans suivi depuis 1993 pour une hépatite chronique virale C était hospitalisé en juin 2003 pour une fièvre à 40 °C évoluant depuis 7 jours associée à une éruption cutanée et à des adénopathies superficielles. Le patient avait comme autre antécédent des brûlures des membres supérieurs et inférieurs en 1995 traitées par greffes cutanées. L’hépatite C avait été découverte en 1993 à l’occasion d’un don du sang, et traitée par interféron (IFN) a2b pendant 6 puis 12 mois en 1993 et en 1996, sans efficacité pérenne. En 1996, l’examen de la biopsie hépatique montrait des lésions d’hépatite chronique minime (Metavir A1F0). Le patient avait été ensuite perdu de vue jusqu’en 2002, date à laquelle une seconde biopsie hépatique montrait une aggravation des lésions (Metavir A2F2). La virémie était élevée (> 800 000 UI/mL) et le génotype 1a. En juin 2003, après 9 mois de traitement, le patient était hospitalisé pour fièvre. L’examen clinique montrait une conjonctivite, une éruption photodistribuée, micro-papuleuse, inflammatoire et non prurigineuse du cou, du décolleté, des avant-bras, des membres inférieurs et des mains avec un phénomène de Koebner sur les cicatrices érythémato-squameuses des brûlures sur les faces dorsales des mains et antéro-externes des jambes (figure 1), une polyadénopathie superficielle inguinale bilatérale et axillaire gauche dépassant 8 cm de diamètre. L’auscultation pulmonaire était normale. Biologiquement, les enzymes hépatiques et la calcémie étaient normales. La recherche de l’ARN viral C était négative. L’intradermoréaction à la tuberculine était négative et la radiographie de thorax était normale. L’examen anatomopathologique des biopsies de moelle osseuse (figure 2), des lésions cutanées (figure 3) et d’une adénopathie inguinale réséquée (figure 4) montrait des granulomes épithélioïdes gigantocellulaires sans nécrose ni bacille, évoquant une sarcoïdose. La scintigraphie au gallium montrait une fixation lacrymale et salivaire sans atteinte pulmonaire, médiastinale ou cardiaque. La tomodensitométrie thoracoabdomino-pelvienne, les explorations fonctionnelles respiratoires avec Hépato-Gastro, vol. 14, n°2, mars-avril 2007 165 Cas clinique Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. A Figure 2. Coupe histologique d’une biopsie ostéomédullaire montrant un granulome épithélioïde giganto-cellulaire sans nécrose ni bacille. Figure 3. Coupe histologique d’une biopsie cutanée montrant des granulomes épithélioïdes gigantocellulaires sans nécrose ni bacille. B Figure 1. Éruption vésiculeuse sarcoïdosique au niveau de greffes cutanées de la face dorsale de la main gauche (A) et la face antéro-externe de la jambe droite (B). étude du transfert du CO ainsi que l’échographie cardiaque étaient normales. L’enzyme de conversion de l’angiotensine était à 95 U/mL (normale : 18-55). Un mois après l’arrêt du traitement antiviral, décidé devant l’apparition de cette symptomatologie, on cons- 166 tatait la disparition de la fièvre et une très nette diminution des adénopathies superficielles et des lésions cutanées. Le 24 juillet 2003, quelques semaines après la rémission des troubles, le patient était de nouveau hospitalisé pour une pancréatite aiguë associée à un coma acidocétosique révélateur d’un diabète de type I. La tomodensitométrie abdominale montrait une pancréatite aiguë œdémateuse sans adénopathie profonde. Aucun argument en faveur d’une origine alcoolique, biliaire, infectieuse, métabolique ou médicamenteuse autre que le traitement antiviral précédemment reçu n’était obtenu. L’évolution clinique était favorable sous traitement symptomatique. En septembre 2003, soit 15 mois après la découverte de la sarcoïdose, le patient était de nouveau hospitalisé pour une poussée cutanée de sarcoïdose de même localisation, associée à un syndrome d’Heerfordt (uvéite, parotidite Hépato-Gastro, vol. 14, n°2, mars-avril 2007 traitement d’entretien par cyclophosphamide. Après deux ans de suivi, l’ARN viral C restait indétectable. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Discussion Figure 4. Coupe histologique d’une adénopathie inguinale réséquée montrant des granulomes épithélioïdes gigantocellulaires sans nécrose ni bacille. bilatérale et paralysie faciale gauche, figure 5). L’administration de corticoïdes (méthylprednisolone 120 mg/j/3 J puis prednisone 70 mg/j, avec diminution progressive de 5 mg/mois) entraînait une amélioration des symptômes. Cependant, le patient était devenu corticodépendant avec une aggravation de la symptomatologie cutanée au-dessous du seuil de 20 mg/jour de prednisone, malgré l’introduction d’un Figure 5. Paralysie faciale gauche associée à une hypertrophie des glandes parotidiennes témoins d’un syndrome d’Heerfordt. La sarcoïdose est une maladie systémique de cause inconnue caractérisée par la présence de granulomes composés de cellules épithélioïdes et géantes, entourées d’une couronne de lymphocytes et de plasmocytes [1]. Elle se révèle le plus fréquemment par des adénopathies hilaires bilatérales associées à une infiltration pulmonaire. Des atteintes cutanées, oculaires ou d’autres organes sont fréquentes [2]. En 1987, Abdi et al. décrivaient le premier cas de sarcoïdose observée chez une patiente traitée par IFNa pour un carcinome rénal [3]. Depuis, d’autres cas ont été rapportés chez des patients porteurs d’hémopathies malignes, de sarcomes de Kaposi, de sclérodermie systémique, d’hépatite chronique virale B et de mélanomes. La majorité des cas concerne cependant des patients porteurs d’une hépatite chronique virale C (plus de 60 cas publiés) [4]. Cinquante pour cent ont développé la maladie avec de l’IFN associé à la ribavirine, 40 % sous IFN seul (a et/ou b) et 10 % sous PEG-IFN et ribavirine. La sarcoïdose apparaît en moyenne après 34 semaines de traitement par IFNa (extrêmes 2-168 semaines) [4], chez des malades plus âgés (50 ans contre 20-30 ans pour les sarcoïdoses spontanées). La moitié des patients ont des signes respiratoires et 70 % ont une atteinte pulmonaire au bilan d’extension de la maladie, contre 90 % dans les sarcoïdoses classiques. La peau est le deuxième organe le plus souvent touché lors de la sarcoïdose post-IFN ; elle est atteinte chez 60 % des patients contre 25 % dans les sarcoïdoses spontanées. L’atteinte ganglionnaire concerne 20 % des malades. Chez notre malade, l’atteinte fut préférentiellement cutanée et ganglionnaire, sans signes médiastino-pulmonaires, avec récidive cutanée. Seuls 6 % des malades ayant une sarcoïdose sous interféron ont une atteinte de plus de 3 organes. Un retard diagnostique de plusieurs semaines est fréquent, les symptômes d’appel (asthénie, anorexie, amaigrissement, fièvre) étant facilement imputés au traitement [4]. La sarcoïdose nécessite l’arrêt du traitement antiviral dans 60 % des cas, associé à un traitement corticoïdes dans 40 % des cas [5] ; l’amélioration ou la rémission de la maladie est ainsi obtenue dans 83 % des cas. Au moins 7 cas de résolution de la sarcoïdose malgré la poursuite de l’interféron ont été rapportés [4]. Au contraire, on constate une stabilisation dans 11 % et une réactivation après rémission dans seulement 6 % des cas. Dans la sarcoïdose classique, la guérison survient spontanément dans 50 % des cas, et, en Hépato-Gastro, vol. 14, n°2, mars-avril 2007 167 Cas clinique Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. moyenne, 70 à 80 % des patients seront guéris à 2 ans. La mortalité de cette affection est évaluée à 3 %. Cela suggère une évolution et un pronostic comparable entre les formes « primitives » et celles survenant sous IFN. La physiopathologie de survenue de la sarcoïdose après traitement par PEG-IFN et ribavirine est mal connue. L’hypothèse d’un dérèglement immunitaire avec réaction inflammatoire chronique provoqué par l’infection par le VHC et exacerbé par IFNa est la plus vraisemblable. On peut penser que l’infection par le VHC provoque une stimulation antigénique permettant à l’IFNa de faire développer la maladie chez des patients génétiquement prédisposés [6]. En effet, l’infection chronique virale C est associée à plusieurs pathologies auto-immunes, mais la prévalence de l’infection virale C ne semble pas plus élevée chez les patients atteints de sarcoïdose que dans la population générale [7]. Le très grand nombre de malades porteurs du VHC traités ainsi que ce rôle immunostimulant expliquent probablement que la majorité des sarcoïdoses sous IFN surviennent chez des malades porteurs du VHC. Cela ne semble pas être le cas en cas d’infection par le VHB, pour lequel un seul cas de sarcoïdose sous IFN a été décrit, et où, au contraire, un autre où l’on constatait une amélioration d’une sarcoïdose préexistante. In vitro, l’IFNa est capable d’activer les lymphocytes T et d’entraîner la libération d’IFNc et d’IL2 [8]. Il est donc possible de penser que l’IFNa est capable d’induire ou de réactiver la sarcoïdose en provoquant une réaction immunitaire médiée par les lymphocytes CD4 Th-1, exacerbée dans cette maladie [9]. En ce qui concerne la ribavirine, l’utilisation en association ne permet pas d’être certain de son rôle dans la survenue d’une sarcoïdose. Cependant, il a été suggéré qu’elle pouvait majorer une réponse de type Th-1 et supprimer une réponse de type Th-2, comme l’attestent les taux des ARN messagers des cytokines impliquées dans les deux types de réponse [10]. La survenue d’une sarcoïdose chez le présent patient sous IFN et ribavirine, alors qu’il avait reçu à deux reprises de l’IFN seul sans complication évoque un rôle notable de la ribavirine, tout comme la forme pégylée de l’IFN, qui entraîne des taux sanguins plus stables, et augmente ainsi la dose reçue, suggérant un effet dose de l’interféron. La présentation clinique de la sarcoïdose était particulièrement sévère chez notre malade sous une forme polyviscérale avec atteinte de la peau, des ganglions superficiels, des glandes salivaires et de la moelle osseuse, sans atteinte pulmonaire. Ensuite, malgré une amélioration initiale après l’arrêt du traitement antiviral, le patient a rechuté avec atteinte cutanée, glandulaire salivaire, ophtalmologique et neurologique périphérique, nécessitant un traitement par corticoïdes et immunosuppresseurs, sans sevrage possible après un 168 recul de 2 ans. De plus, la corticodépendance suggère comme dans d’autres maladies auto-immunes une évolution pour son propre compte du processus autoimmun une fois déclenché, malgré l’arrêt de l’IFN et l’éradication du VHC. La seconde particularité de ce cas est la pancréatite aiguë développée entre les 2 poussées de sarcoïdose et compliquée de diabète sucré. L’origine n’en étant ni alcoolique, ni biliaire, ni médicamenteuse directe ou métabolique, une localisation sarcoïdosique est par conséquent envisageable. La littérature recense près de 20 cas de pancréatite sarcoïdosique dont aucune sous IFN ou chez un malade infecté par le VHC. Elle se complique parfois de diabète sucré [11] et peut avoir deux origines : d’une part, inflammatoire, par infiltration granulomateuse du parenchyme, et d’autre part métabolique par hypercalcémie. La pancréatite aiguë est une complication rare du traitement par IFN et ribavirine (0,8 % des malades porteurs d’une hépatite chronique virale C traités par IFN et ribavirine dans une étude récente [12]). Dans le cas présent, l’arrêt du traitement depuis 3 mois va contre cette éventualité et favorise l’origine sarcoïdosique. Dans le cas présent, la recherche de l’ARN du VHC dans le sang est restée négative, malgré l’interruption prématurée du traitement antiviral et l’administration d’immunosuppresseurs. Cela confirme que les corticoïdes et les immunosuppresseurs ne semblent pas entraîner de risque supplémentaire de résurgence de la maladie virale lorsqu’une réponse virologique durable est obtenue. En conclusion, l’apparition d’une sarcoïdose n’est pas exceptionnelle chez les malades traités par interféron pour une hépatite C. En cas d’apparition de signes généraux, de symptômes respiratoires, d’adénopathies ou de signes cutanés atypiques, il ne faut pas hésiter à réaliser les investigations nécessaires afin de diagnostiquer plus précocement cette affection. La régression spontanée de la maladie est fréquente, mais inconstante, après l’arrêt du traitement antiviral, qui doit être discuté au cas par cas, en fonction de la sévérité respective de l’hépatite C et de la sarcoïdose. Références 1. Mitchell DN, Scadding J-G. Sarcoidosis. Am Rev Respir Dis 1974 ; 110 : 774-802. 2. James DG, Turiaf J, Hosada W. In : Siltzback LE, ed. Description of sarcoidosis ; report of the subcommittee on classification and definition. In Seventh International Conference on sarcoidosis and other granulomatous disorders. New York : New York Academy of Sciences, 1976 ; (p. 742). 3. 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