0000-Marion.book Page III Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 Ouvrage conçu et coordonné par Gilles MARION Avec la collaboration de Robert REVAT Frank AZIMONT Philippe PORTIER François MAYAUX Daniel MICHEL Antimanuel de marketing Troisième édition Nouvelle présentation © Éditions d’Organisation, 1990, 1998, 2003 ISBN : 2-7081-2896-5 0000-Marion.book Page 1 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 CHAPITRE 1 Marketing : objet, démarche et débats 0000-Marion.book Page 2 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 Cet antimanuel du marketing vise à fournir, en même temps, un mode d’emploi du marketing et des repères quant à ses précautions d’emploi. Un mode d’emploi complet comporte, en effet, non seulement des indications d’usage, c’est-à-dire : « comment appliquer le marketing ? », mais aussi des précautions d’usage, en l’occurrence : « quelles sont ses ambiguïtés ? ». Le marketing est, certes, une discipline remarquablement plastique susceptible d’adapter ses formalisations à des situations et des époques variées. Toutefois, on ne peut passer sous silence ce que savent la plupart des praticiens et ce que pressentent la plupart des néophytes : le marketing n’est pas une construction résultant déductivement d’une théorie scientifique, c’est une pratique théorisée qui tient son efficacité et sa légitimité de ce pragmatisme même. Ce premier chapitre aborde six thèmes principaux. • Le but du marketing et la définition du marketing concept : l’orientation client. • La démarche du marketer et les concepts-clés du marketing. • Le marketing et la diversité des organisations. • La mondialisation des marchés. • Les débats et controverses suscités par le marketing. © Éditions d’Organisation • La place du marketing dans l’organisation. 0000-Marion.book Page 3 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS © Éditions d’Organisation But et définition du marketing Le marketing, en tant que pratique théorisée, est constitué par un ensemble d’instruments de gestion propre aux entreprises : la segmentation, les études de marché, les tests, la vente, la publicité, etc. Tous ces outils ont un seul but : le pilotage de l’échange marchand en situation concurrentielle. Pourquoi disons-nous pilotage ? Parce que c’est probablement la moins mauvaise traduction de management, dans l’expression marketing management. Pourquoi échange marchand ? Parce que c’est, pour nous, l’objet focal du marketing. Parler d’échange marchand, c’est souligner le fait que le marketer s’intéresse à ce qui peut être vendu et acheté et non à n’importe quel échange. On peut, en effet, échanger beaucoup de choses (des biens et des services, mais aussi des politesses, des regards, des coups…). De plus, le marché n’est que l’une des solutions par opposition au troc ou au don, voire au partage. Enfin, parler de situation concurrentielle, c’est mettre l’accent sur le secteur privé marchand (les entreprises), voire le secteur public marchand (les entreprises nationalisées), et non sur le secteur public non marchand (les administrations publiques), même si parfois ces organisations s’efforcent d’imiter les pratiques du secteur privé. Marché concurrentiel et entreprise privée se présupposent réciproquement : pas de marché concurrentiel sans entreprises et pas d’entreprises sans marché concurrentiel. Une telle situation, l’économie de marché, est le fruit du libéralisme qui a substitué les « lois » du marché aux commandements de l’ordre féodal traditionnel et a permis l’extension du commerce. Quant au secteur privé non marchand (les organisations à but non lucratif), il relève d’une approche spécifique que nous présenterons plus loin. Depuis longtemps, la résonance des techniques du marketing, notamment la vente et la publicité, encourage la tentation 3 0000-Marion.book Page 4 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING d’en faire une catégorie universelle de l’action humaine. D’autant plus que le marketing est capable, peut-être plus que d’autres disciplines, de faire son auto-promotion en appliquant ses propres préceptes à lui-même. Ce n’est pas là notre ambition. La pratique du marketing concerne d’abord la gestion de l’entreprise. Elle peut avec prudence être mise en œuvre dans d’autres organisations mais il faut, alors, adapter ses principes et ses instruments. Définition du marketing concept : l’orientation client Le marketer a une conception particulière de la relation marchande. Sa grille de lecture particulière, sa « manière de voir », consiste à privilégier le point de vue de la demande, donc du client, pour concevoir l’action commerciale au lieu de privilégier le point de vue de l’offre, c’est-à-dire celui de l’entreprise. Ce retournement constitue l’élément fondamental de la logique d’action du marketer : Conformément à la logique économique libérale, c’est la rencontre de ces deux intérêts égoïstes (celui du client et celui du fournisseur) qui donne lieu à l’échange et met au jour la valeur de l’objet de l’échange, c’est-à-dire du produit (un bien ou un service). Mais le marketing concept souligne la singularité de la grille de lecture du 4 © Éditions d’Organisation • selon le marketing concept, l’entreprise est orientée par le client, elle a pour objectif de répondre à la demande (aux besoins, aux désirs) du client, • cet objectif doit être commun à tous les membres de l’entreprise pour, notamment, se traduire par la conception et la mise en marché d’une ou plusieurs offres susceptibles de l’emporter sur la concurrence. 0000-Marion.book Page 5 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS marketer : il considère que l’échange doit être polarisé par le client, c’est-à-dire par des demandes individuelles et non par l’offre d’un monopole, la décision d’un centre planificateur, voire d’un dictateur. C’est ce qu’on désigne par l’orientation client (customer orientation, customer focus). Subordonner la réalisation des profits à la satisfaction du client, soumettre la gestion de toute entreprise à l’observation méthodique du marché, donc engager tous les autres services de l’organisation vers ce but commun, n’est pas une idée nouvelle. Mais, à partir des années 1960, la reprise systématique et enthousiaste de cette idée par les milieux d’affaires américains, puis internationaux, voilà la nouveauté. © Éditions d’Organisation Le système des relations offre/demande Pour le marketer, l’environnement de l’entreprise est essentiellement constitué, du côté de la demande, par des clients actuels et potentiels et, du côté de l’offre, par des concurrents actuels et potentiels. L’un des points-clés du marketing consiste alors à mobiliser des ressources de telle sorte que le système concurrentiel soit modifié à l’avantage de l’entreprise. La schématisation de l’encadré 1.1. présente le système des relations entre l’offre et la demande du point de vue du marketer. Les vendeurs, qui constituent l’offre d’un secteur d’activité sont en relation avec les acheteurs, qui constituent la demande, au moyen de quatre processus. Les vendeurs fournissent des biens et/ ou des services aux acheteurs en échange d’argent, le plus souvent au moyen d’intermédiaires : les détaillants, les distributeurs, les entreprises de commerce… Ces vendeurs communiquent sur leurs produits par divers moyens (marque, publicité, emballage, action commerciale…), tandis que les acheteurs émettent des signaux qui constituent pour les vendeurs autant d’informations (achats, connaissance de la marque, opinions sur les produits…). 5 0000-Marion.book Page 6 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING Encadré 1.1. Schématisation du système offre/demande pour le marketer Information Biens/Services Un ensemble de vendeurs Un ensemble d’acheteurs Argent Communication et action commerciale • rassembler et interpréter de l’information afin de comprendre la structure et l’évolution de la demande (l’étude du marché), • construire une représentation pertinente des clients actuels et potentiels (la segmentation du marché) et de la concurrence (l’analyse concurrentielle), • développer une ou plusieurs offres adéquates et rentables (biens et/ou service), concevoir et mettre en œuvre une action commerciale pour accéder au marché, communiquer avec les clients et l’emporter sur la concurrence. 6 © Éditions d’Organisation Cette schématisation du système offre/demande permet de mettre en évidence les éléments essentiels de la « boîte à outils » du marketer. Celui-ci utilise un ensemble d’instruments pour : 0000-Marion.book Page 7 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS Quelle traduction en langue française ? © Éditions d’Organisation Le choix d’un terme en langue française pour traduire marketing soulève d’emblée la question de sa définition. Or, une définition précise et stable de cette notion, au sein même de sa langue d’origine, l’anglo-américain, demeure introuvable. Elle varie selon les époques, les auteurs et les associations professionnelles. Une rapide analyse de contenu permet de voir que le mot marketing désigne : des méthodes, des techniques, des processus, des pratiques, une ou des théories, une « science » sociale, une fonction au sein des organisations, un art, un état d’esprit, voire une « philosophie » à l’intention de l’entreprise et même de l’ensemble des acteurs sociaux. Pour tenter de résoudre cette difficulté, le dictionnaire français propose de définir le marketing comme un ensemble de techniques et de méthodes et de traduire ce terme par commercialisation. Il propose aussi deux autres vocables afin probablement de distinguer la théorie et la pratique : mercatique pour désigner l’étude théorique et générale de la commercialisation, et marchéage pour désigner ses techniques d’application pratique. Mais ces termes n’ont pas été adoptés par les praticiens. Résumons. Au sein de l’entreprise, le marketing a plusieurs visages. C’est d’abord une logique d’action. Une logique pour, d’un côté, penser le marché et agir sur ses acteurs, de l’autre, penser l’organisation et agir sur ses membres. C’est aussi un ensemble de techniques pour construire et gérer de l’information, concevoir des offres sous forme de biens et de services, et bâtir des modes d’accès à la demande. Quant au marketing management, c’est une doctrine normative qui vise à prescrire les décisions stratégiques et opérationnelles qui incombent au marketer. 7 0000-Marion.book Page 8 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING Le marketing management a été lentement formalisé au cours de la première moitié du XXe siècle. Toutefois, l’essor de sa diffusion aux États-Unis comme en Europe date véritablement des années 1960 (Marion, 1995). Sa définition du marketing est alors : une démarche de recherche des besoins du consommateurs et acheteurs afin de définir l’offre de l’entreprise en termes de produit, de distribution et de prix en fonction de ces besoins, puis de faire connaître et apprécier cette offre à travers des actions de communication. Une telle définition met l’accent sur la facette déductive et adaptative du marketing : les besoins apparaissent comme des « données » et l’entreprise doit les identifier pour les satisfaire. Mais, cette acception du marketing pose au moins deux problèmes fondamentaux. La démarche proposée est d’abord déductive : il faudrait partir des besoins pour aller aux produits. Or, nous verrons 1) que la relation besoin/produit est en fait interactive, 2) que la notion de besoin est particulièrement floue (cf. chap. 2). La démarche proposée est aussi adaptative : il suffirait, pour réussir, de lire les signaux de la demande afin de répondre par une offre que l’on fera connaître et apprécier. Or, 1) à nouveau il faut souligner que la relation entre demande et offre est interactive. La demande est en permanence transformée par le jeu concurrentiel, dès lors les signaux de la demande sont aussi les réactions des clients aux diverses offres qui elles-mêmes résultent des réactions des clients, etc., 2) les entreprises ne se contentent pas de faire connaître ou faire « apprécier » leur offre, elles influencent dans le sens de leurs objectifs les conditions mêmes de l’échange. La doctrine traditionnelle présente toujours l’orientation client comme capable de conduire, presque magiquement, à un double résultat positif : la satisfaction du client et la performance de l’entreprise. Mais c’est oublier que l’orientation client peut conduire le 8 © Éditions d’Organisation La doctrine du marketing management traditionnel 0000-Marion.book Page 9 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 © Éditions d’Organisation MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS vendeur à ne voir le monde qu’au travers des yeux des clients actuels et à vivre dans la « tyrannie des marchés servis » (Hamel et Prahalad, 1991). En cas de changement brutal du contexte, l’extrême adaptation à l’environnement peut être préjudiciable. C’est pourquoi la doctrine du marketing traditionnel se transforme graduellement. Ses auteurs phares reconnaissent désormais (Kumar, Sheer, Kotler, 2000) que l’introduction des discontinuités que sont les innovations consiste à inventer, en même temps, de nouveaux objets et de nouveaux clients, la solution et le problème, et non à s’adapter dans le court terme à une demande manifeste. Pour prendre un exemple, ancien mais bien étudié, lorsque George Eastman invente l’appareil Kodak permettant à chacun de prendre une photographie, il invente en même temps un groupe social : celui des photographes amateurs. L’appareil et ses utilisateurs sont inventés, construits et définis en même temps. Dès lors « satisfaire le client » signifie aussi bien « réagir aux exigences manifestes d’un cahier des charges construit par un client compétent » que « anticiper les “besoins latents” d’un consommateur moyen ». Le marketing consiste tout autant à servir le marché en s’adaptant à la demande d’un client-roi (to be market driven) qu’à façonner et conduire le marché (to drive market) en mettant en évidence un problème inaperçu jusqu’alors et à avancer une solution. L’innovation invente, déplace une valeur. C’est là une évidence que rappellent toutes les innovations radicales : le Walkman de Sony aussi bien que le Post-it de 3M ; mais c’est aussi vrai d’innovations plus incrémentales : un baume pour cheveux qui devient un « vitaliseur » ou un fromage frais qui devient « de l’énergie pour les petits malins ». Il est probable que les entreprises les plus performantes sont celles qui sont capables d’équilibrer ces deux processus (market driven et market driving) en fonction du contexte, voire d’opérer simultanément selon ces deux modes. 9 0000-Marion.book Page 10 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING Le mythe du « client-roi » Une entreprise qui décide de fournir une offre unique et peu différenciée à un très grand nombre de clients fera un usage exemplaire du concept de marketing si, par là même, elle est capable de tenir une position concurrentielle. La notion de « client-roi » est donc un moyen commode pour passer des clients réels, en chair et en os, au « client » représentatif de la multiplicité des individus, et repérable comme une sorte de « moyenne » des clients réels. Ce « client » est « roi » dans la mesure où il est construit comme celui qui va orienter l’activité économique en manifestant ses désirs, c’est-à-dire en fournissant des signaux d’acceptation ou de refus. Il est ainsi postulé que le « client » a des « besoins » et que le but de la production consiste à les identifier afin de les satisfaire. Le « client-roi » est donc une fiction, mais c’est une fiction efficace et convaincante car : 10 © Éditions d’Organisation La notion de « client-roi » mérite quelques éclaircissements. Prenons un exemple : a-t-on le sentiment d’être un roi dans un hypermarché ? Sans doute non, mais l’addition y est moins lourde qu’ailleurs et, jusqu’ici, cela justifie largement le déplacement pour une clientèle très large. Le marketing concept prescrit que l’entreprise atteint ses propres objectifs au moyen de la satisfaction du client, mais il ne s’agit pas pour elle de s’adapter à toutes les demandes. Certaines ne sont pas solvables ou constituent des particularismes non rentables, d’autres ne coïncident pas avec les ressources et compétences de l’entreprise ou avec ses priorités, certains produits sont concevables mais techniquement non réalisables. De nombreuses contraintes (techniques, financières, culturelles, sociales, légales…) limitent donc, de fait, une conception naïve du marketing qui laisserait à penser que l’entreprise vise toujours à satisfaire chaque client considéré isolément. 0000-Marion.book Page 11 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS • elle permet l’application des méthodes statistiques fondées sur la loi des grands nombres, • elle fournit le fondement d’une interprétation parcimonieuse et pédagogique de la mission de l’entreprise, • elle permet de légitimer une organisation vis-à-vis de son environnement et donc de ses membres. En près d’un siècle les marketers ont su construire une discipline, à mi-chemin entre les sciences sociales et la pratique entrepreneuriale, dont l’ambition est d’organiser une sorte de « dialogue » entre production et consommation, où le marketer s’efforce de prendre en main la relation marchande. Ce faisant il peut : « suivre » le marché (la tactique des marques de distributeurs est un cas typique), « façonner » le marché, c’est-à-dire influencer sa structure même (Microsoft est un cas typique), « interagir » avec le marché (la tactique des marques de la mode vestimentaire est un cas typique), voire « s’isoler » du marché (les secteurs en stagnation ou les entreprises en redressement constituent des cas typiques). On passe, ainsi, de la métaphore de la main invisible (Adam Smith) à celle de la main visible des marketers (Chandler, 1977). © Éditions d’Organisation Les confusions habituelles : vente, publicité, et études de marché Le marketing est parfois réduit à l’une de ses manifestations : la vente ou la publicité et les études de marché. Ces réductions permettent de critiquer à bon compte les marketers soit pour pointer leur excès de pouvoir, soit pour en montrer les limites. Mais, bien que ces confusions renvoient à des interrogations légitimes, elle demeurent souvent de courte vue. 11 0000-Marion.book Page 12 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING La publicité est, pour l’entreprise, une forme particulière de vente qui substitue au vendeur en chair et en os un dispositif de diffusion de messages informatifs et persuasifs au travers des médias disposant de larges audiences. C’est la forme la plus visible du marketing dans le champ des produits de grande consommation. C’est pourquoi les observateurs extérieurs à cette pratique, qu’ils soient critiques 12 © Éditions d’Organisation La vente est une notion différente du marketing. L’objectif du vendeur est de « faire du chiffre d’affaires » en cherchant à recruter des clients pour une offre déjà constituée. Ce n’est donc là qu’un moment dans la mise en œuvre d’une stratégie marketing. Il demeure que c’est un moment indispensable et il est excessif de déclarer que « le but du marketing est de rendre la vente superflue ». La logique de la vente n’est ni inférieure ni supérieure à la logique marketing, elle signifie simplement que le vendeur n’entend pas négocier sur d’autres dimensions de son offre que celles habituellement constituées par ses conditions de vente. On comprend alors que des conflits puissent apparaître entre les porteurs de la logique de la vente et celle du marketing. D’une part, le vendeur considère comme légitime la poursuite d’objectifs à court terme car « il faut bien remplir le carnet de commandes ». D’autre part, le marketer s’efforce de préserver la position concurrentielle à plus long terme car « il faut bien préserver la qualité de l’image et le niveau des profits ». Pour dépasser ces oppositions, le marketer s’efforce d’articuler les contraintes et les informations quotidiennes avec les tendances et les ambitions sur plus longue période. Bien souvent c’est le vendeur qui, le premier, repère chez ses clients les signaux faibles témoignant de l’insuffisance d’une stratégie. C’est là une information précieuse mais qui nécessite une interprétation. L’évolution à court terme du chiffre d’affaires n’est qu’un indicateur parmi d’autres des tendances à venir. La prise en compte des exigences immédiates des clients n’est donc, pour le marketer, que l’une des contraintes à analyser. 0000-Marion.book Page 13 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS © Éditions d’Organisation ou non, perçoivent de manière fragmentaire la logique qui soustend les choix en matière de dépenses et de contenu de la communication vers le marché. Si bien que, même au sein de l’entreprise, certains considèrent qu’on ne fait du marketing qu’à condition de réaliser des campagnes publicitaires. Réciproquement, toute organisation (association, service public, collectivité territoriale, établissement public, institution religieuse, parti politique), qui emprunte la voie des grands médias est soupçonnée de faire du marketing. Ces naïvetés, qui entretiennent la confusion entre publicité et marketing, conduisent à occulter les problèmes concrets que pose, au sein des organisations, la double ambition du marketer : intervenir au niveau opérationnel et au niveau stratégique. En s’efforçant de repérer et comprendre les attentes du client, le marketer met souvent en évidence la nécessité d’adapter non seulement les modes d’accès au marché (une nouvelle technique de vente, le choix d’un média publicitaire…), mais aussi des éléments plus déterminants de la qualité et de la nature de l’offre : la configuration du produit (biens et/ou services), et les processus internes qui sous-tendent sa compétitivité. Dès lors, ceci le conduit à proposer des changements qui touchent, à divers degrés, à la mission et au métier de l’entreprise, à son organisation, et à l’attitude de l’ensemble de ses membres. Certains ajustements retentissent peu sur l’ensemble de l’organisation (un changement marginal sur un emballage par exemple), mais d’autres impliquent des éléments qui tiennent à l’identité même de l’organisation (une nouvelle ligne de produits à l’intention d’un nouveau segment de marché par exemple). Les études de marché sont assez souvent d’une certaine utilité mais, en pratique comme en théorie, elles ne constituent pas un passage obligé de la démarche marketing. Heureusement pour les entrepreneurs, l’intuition est aussi une manière de construire une offre et une action commerciale. Quelques succès célèbres comme le 13 0000-Marion.book Page 14 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING © Éditions d’Organisation Post-it, le Walkman de Sony ou la Swatch montrent que la réussite n’est pas forcément le résultat d’une étude préalable du marché. Certains considèrent même avec beaucoup de suspicion les études fondées sur les réactions de clients potentiels (Ries et Trout, 1989). D’abord parce que de nombreux clients manquent de compétence pour évaluer voire comprendre ce dont on leur parle. Ensuite, parce les études commerciales sont le plus souvent consacrées à l’examen du passé (ce que les consommateurs font ou ont fait) et non au futur (ce que les consommateurs vont faire). On doit toujours examiner les résultats d’une étude de marché en se souvenant que l’art du marketing concerne le futur et qu’il s’agit parfois de créer le futur. On objectera que certaines études prospectives visent à mettre au jour des tendances. Certes, mais les « vendeurs de tendances » vendent d’abord des études ou des articles pour les médias. Chaque usager de ces études constatera que, selon elles, le monde change aussi vite que les vagues de l’océan. Or, ce que cherche le marketer c’est une lecture des grands courants de moyen ou long terme et non les engouements éphémères. D’une part, donc, on peut faire du marketing sans faire des études systématiques auprès du client et, d’autre part, le marketing va toujours au-delà d’une séquence d’études commerciales qui visent à structurer la demande ou à tester telle ou telle hypothèse d’offre. Le marketing consiste plus largement à comprendre un marché pour choisir une cible, positionner un produit, le distribuer, le vendre et communiquer sur lui. 14 0000-Marion.book Page 15 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS La démarche du marketer et ses concepts-clés La mise en œuvre des instruments du marketer renvoie, traditionnellement, à deux rôles complémentaires dans l’entreprise : le marketing opérationnel et le marketing stratégique (encadré 1.2.). © Éditions d’Organisation Encadré 1.2. L’articulation des concepts-clés du marketing Marketing stratégique Segmentation Ciblage Positionnement Marketing opérationnel Marketing mix Action commerciale Le champ concurrentiel Analyse des forces concurrentielles Le marketing opérationnel désigne les actions commerciales qui s’efforcent de réaliser un chiffre d’affaires en s’appuyant sur des moyens tactiques. Ces moyens relèvent de choix concernant partiellement le produit et, principalement, le prix, la distribution et la communication (les éléments du marketing mix). Il s’agit de vendre le plus possible en utilisant au mieux ces moyens tactiques, c’est-à-dire les moyens dont le rapport coût-efficacité est le plus favorable à court terme. La qualité du marketing opérationnel est un facteur décisif de la performance de l’entreprise. Aussi excellent soit-il, un bien ou un service doit avoir un prix acceptable et accepté, et être disponible dans les lieux de ventes appropriés. Cette présence suppose, le plus souvent, une équipe de vente performante et le soutien d’une communication publicitaire afin de le faire connaître et de le valoriser 15 0000-Marion.book Page 16 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING aux yeux de ses acheteurs potentiels. Les questions-clés du marketing opérationnel s’énoncent donc en termes d’action commerciale (vente, promotion des produits, animation des points de vente, stimulation des achats…), d’approvisionnement et de logistique (prévisions de vente, gestion des stocks, disponibilité des produits…). Mais il ne saurait y avoir de mise en œuvre opérationnelle efficace sans des choix stratégiques solides. Ce découpage traditionnel pourrait laisser penser que le marketer a pour unique préoccupation le client, et que la prise en compte de la concurrence n’est qu’un épisode secondaire de sa démarche. En fait, le champ concurrentiel détermine largement ses marges de manœuvre, c’est pourquoi l’analyse concurrentielle constitue le cadre permanent et incontournable de sa démarche. Le noyau dur de cette démarche est la notion de positionnement et, plus spécifiquement, la position voulue par l’entreprise dans l’esprit 16 © Éditions d’Organisation Le marketing stratégique désigne la démarche qui, à partir de l’analyse du marché, permet, 1) d’identifier différents segments actuels ou potentiels de la demande et de repérer les positions des concurrents, 2) de choisir le ou les segments-cibles et de sélectionner la ou les différence(s) qui singularisera l’offre pour, 3) définir un positionnement. Cette séquence (segmentation, ciblage, positionnement), vise à mettre au jour la ou les meilleures opportunités à moyen terme. Que le produit soit « aspiré par le marché » (market pull) ou « poussé par la technologie » (technology push), le rôle du marketer est d’évaluer le mieux possible les conditions de sa viabilité commerciale, son potentiel de croissance, et de fournir les éléments d’analyse de sa rentabilité financière. Ainsi, le marketing stratégique construit des éléments essentiels pour déterminer les caractéristiques de l’offre en adéquation avec des segments cibles, constituer le portefeuille de produits, et contribuer à l’orientation de la stratégie générale de l’entreprise. 0000-Marion.book Page 17 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS du client vis-à-vis de la concurrence. En effet, la situation contemporaine de la consommation se caractérise par la multitude des messages, des marques, et des produits proposée au consommateur. Par conséquent, une position claire et distinctive est indispensable pour émerger du « concert » publicitaire (Ries et Trout, 1981). On trouvera dans l’encadré 1.3. une schématisation de la démarche stratégique générale du marketer qui le conduit des premières étapes (segmentation et analyse concurrentielle) à l’énoncé d’une position voulue dans l’espoir d’obtenir une position perçue favorable. Nous verrons que la notion de positionnement condense l’ensemble des questions stratégiques-clés : quoi ? (c’est-à-dire que veut-on proposer au marché ?), qui ? (à qui veut-on s’adresser ?), pourquoi ? (pour quel(s) motif(s) notre offre sera-t-elle préférée à celle des concurrents ?). Encadré 1.3. La démarche stratégique du marketer Analyse concurrentielle Segmentation Ressources et compétences Choix d’une cible Choix d’une différence © Éditions d’Organisation Position voulue Mise en œuvre du positionnement. Marketing mix Position perçue 17 0000-Marion.book Page 18 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING La segmentation du marché La première étape de la démarche consiste en une étude systématique du marché et de son environnement au moyen des techniques d’étude et de recherche commerciale, voire d’un système d’information marketing. L’environnement est constitué par les nombreux facteurs (économique, social, culturel, technologique, réglementaire, juridique…) qui s’imposent à l’entreprise et évoluent constamment. C’est pourquoi le marketer doit observer en permanence ces facteurs, puisque ce sont eux qui déterminent la dynamique de ses marchés. Traditionnellement un marché est le lieu concret (en anglais la « market place ») où acheteurs et vendeurs se rencontrent pour effectuer des échanges : la place du marché, le supermarché ou l’hypermarché, le marché aux puces, etc. Mais le marketer utilise le plus souvent le mot marché pour désigner l’ensemble des clients, actuels et potentiels, d’un secteur donné. Pour désigner l’ensemble des clients actuels et potentiels d’un véhicule automobile, d’un vêtement ou d’un hôtel…, il parle alors du marché de l’automobile, du marché des vêtements ou du marché de l’hôtellerie. Ce faisant, il prend aussi le point de vue de l’offre et désigne, tout autant, lui-même et l’ensemble des concurrents qu’il doit affronter : tous les constructeurs automobiles, tous les fabricants de vêtements ou toutes les enseignes d’hôtellerie. De manière plus lâche, le marketer utilise aussi le terme marché pour désigner une certaine manière de regrouper les consommateurs : en termes d’âge, de sexe, de revenu (le marché du troisième âge, des enfants, des femmes, des hauts revenus…), en termes géographiques (le marché parisien, européen, asiatique…), en termes de pratiques de consommation (le marché 18 © Éditions d’Organisation Qu’est-ce qu’un marché ? 0000-Marion.book Page 19 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS du sport, des vacances, de la forme, du bricolage…), etc. De plus, au-delà de la consommation des ménages, d’autres échanges relèvent d’un marché et sont donc susceptibles d’une approche marketing : le marché de l’emploi ou du travail, le marché financier, le marché des matières premières, etc. L’entreprise est, en effet, soumise à de multiples pressions non seulement consuméristes, mais aussi syndicales, sociales, politiques… Toutefois, le marketer et ses outils privilégient d’abord les pressions qui résultent des clients. Ce n’est que par extension, parfois discutable, que ces outils sont mobilisés dans le champ social ou politique. Le processus de segmentation © Éditions d’Organisation Le processus de segmentation est l’un des noyaux durs de la logique marketing. L’hypothèse de ce processus, désormais banale, c’est que chaque client est singulier. Par conséquent, la segmentation consiste à repérer des groupes de clients homogènes du point de vue de l’entreprise. Le marketer cherche à découper l’ensemble des clients potentiels en groupes plus réduits de telle sorte que les individus d’un même groupe aient des caractéristiques sinon identiques du moins très proches. Il présuppose donc : • que le marché est hétérogène, c’est-à-dire que les clients potentiels et les offres en présence ne sont pas largement substituables, • qu’il est possible et rentable pour l’entreprise de répondre à la demande spécifique de segments d’une taille et d’une stabilité suffisantes, • que l’entreprise dispose des moyens lui permettant d’accéder à cette cible en construisant des actions commerciales et de communication spécifiques. 19 0000-Marion.book Page 20 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING Quel est l’intérêt d’une telle opération ? A priori, vendre un produit largement standardisé à un vaste ensemble de clients le plus homogène possible semble plus profitable. On sait que Henry Ford a vendu plus de 15 millions de Fords T entre 1908 et 1927, avec un seul modèle proposé uniquement en couleur noire. On sait aussi que de 1886 à 1936, Coca-Cola a vendu un seul produit au prix unique de 5 cents (Tedlow, 1990). Ces deux entreprises ont mis en œuvre une stratégie de masse permettant de fixer des prix bas grâce aux économies d’échelle. Un choix stratégique cohérent avec l’état de leur marché à l’époque. En revanche, la fragmentation de la plupart des marchés contemporains encourage les stratégies de segmentation pour : Cette découpe du marché peut être plus ou moins fine. À la limite, dès qu’il existe au moins deux clients potentiels sur un marché il devient possible de le segmenter. La micro-segmentation consiste à isoler des clients individuels pour construire des offres sur mesure à leur intention. C’est une pratique fréquente en milieu industriel à cause du faible effectif de la population des clients. C’est aussi une tendance au sein de la grande consommation au moyen de la personnalisation des offres (customization). La macro-segmentation consiste à repérer un segment cible plus ample afin de proposer 20 © Éditions d’Organisation • mieux connaître les clients auxquels on veut s’adresser, • suggérer des adaptations spécifiques de l’offre à la cible visée (caractéristiques du produit, services associés, prix), voire lui proposer de nouveaux produits, • orienter l’action commerciale (choix de l’accès au marché, des lieux de vente, des audiences de la publicité), • distinguer dans le portefeuille de produits ceux qui seront privilégiés et recevront une attention et des ressources particulières. 0000-Marion.book Page 21 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS © Éditions d’Organisation une offre prédéterminée à un client typique. De tels choix font varier les coûts de l’entreprise : stocks plus ou moins lourds, séries plus ou moins longues, production et commercialisation plus ou moins complexes. C’est pourquoi certains considèrent l’hyper segmentation comme un excès, dans la mesure où elle entraîne la prolifération de produits dotés de variantes mineures. Certaines entreprises s’engagent alors dans une stratégie de simplification de leur gamme de produits au moyen de la contre-segmentation. Cette manœuvre consiste à négliger certaines différences entre divers segments pour proposer une offre dépouillée des adaptations antérieures. C’est une sorte de retour vers plus de standardisation : des produits moins adaptés à des segments spécifiques permettent, en effet, de réduire les coûts de production et de commercialisation. Ce gain peut être répercuté en partie au niveau des clients par une baisse des prix de vente. C’est sur ce raisonnement qu’est fondée la stratégie des « hard discounters » en Europe (Aldi, Lidl) : proposer au client un peu moins que ce qu’il avait l’habitude d’accepter en échange de prix plus bas. C’est aussi ce qui a sous-tendu l’apparition de nombreux produits dits « 2 en 1 ». Comment découper le marché ? De multiples critères permettent d’effectuer cette opération. L’adoption de l’orientation client conduit d’emblée à segmenter le marché du point de vue de la demande mais, en pratique, trois familles de critères sont repérables : ceux qui permettent la structuration des offres, ceux qui permettent la structuration de la demande, et ceux qui permettent la structuration de la perception des offres par les clients, c’est-à-dire ceux qui concernent les relations entre l’offre et la demande (encadré 1.4.). 21 0000-Marion.book Page 22 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING Encadré 1.4. Les sources principales de critères de segmentation • intrinsèques • prix Caractéristiques des clients • • • • Caractéristiques des relations sociodémographiques • bénéfices rechergéographiques chés mode de vie • préférences pour style de vie un type de points de vente, une catégorie, une marque • comportements passés • Les caractéristiques intrinsèques des offres (taille, volume, composition, matière, encombrement, résistance, puissance, etc.), et le niveau relatif de leur prix (bas de gamme, milieu de gamme, haut de gamme, par exemple), constituent une première source. C’est la réponse à la question : quelles sont les caractéristiques intrinsèques d’une offre qui font que celle-ci est différente des autres ? • Les caractéristiques qui visent à décrire les clients (individus, ménages, organisations…), constituent une seconde source. Les individus ou ménages sont repérables en fonction de critères sociodémographiques (âge, sexe, profession, revenu…), de localisation géographique (habitat, région, pays…), de mode de vie (équipements, loisirs, activités…) et de styles de vie, appelé parfois « psychographiques », (opinions, intérêts, attitudes). Lorsque les clients sont des organisations on peut repérer leur localisation géographique, leur secteur d’activité, leur taille, leur appartenance à un groupe multinational… C’est la réponse à la question : 22 © Éditions d’Organisation Caractéristiques des offres 0000-Marion.book Page 23 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS quelles sont les caractéristiques qui permettent de distinguer les acteurs de la demande ? © Éditions d’Organisation Les critères de segmentation les plus pertinents sont ceux qui saisissent la relation des clients et des produits : la segmentation par bénéfice recherché (benefit segmentation) et la segmentation comportementale. • La segmentation par bénéfice recherché (ou segmentation par avantage) consiste à mettre en évidence les diverses valorisations suscitées par une offre. Par exemple, un produit alimentaire peut être valorisé pour son goût, son caractère diététique ou énergétique, la praticité de son emballage, son faible coût, etc. Autant de bénéfices pour le client. De même, un lubrifiant industriel peut être valorisé pour sa polyvalence, la constance de ses caractéristiques, sa conformité aux normes ou les services qui lui sont associés, etc. Les études commerciales vont donc s’attacher à mettre en évidence les caractéristiques sociodémographiques et le comportement vis-à-vis des médias des groupes typiques valorisant de manière identique un même produit, c’està-dire recherchant le même bénéfice ou avantage. L’entreprise pourra ainsi concevoir une stratégie marketing, et notamment une campagne publicitaire, adaptée à ce groupe. • La segmentation comportementale est une démarche voisine qui s’attache à l’histoire des relations des clients avec le produit. Deux voies principales sont alors possibles : la mise en évidence des préférences pour un type de points de vente, une catégorie de produits ou une marque ; et l’analyse des comportements passés au moyen du repérage de la fréquence d’achat ou de consommation, et des quantités achetées (petit, moyen, gros consommateurs). 23 0000-Marion.book Page 24 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING La segmentation est donc une manière de représenter la demande. C’est pourquoi la combinaison de multiples critères permet de voir et d’interpréter le marché de différentes façons, il y a donc plusieurs lectures possibles de la demande. Dans l’idéal du marketer, la meilleure est celle qui permet de prédire les comportements d’achat, de mesurer la taille des segments, et de concevoir une stratégie permettant d’y promouvoir son offre. Mais, bien souvent, il ne dispose pas de l’information nécessaire à la construction de variables prédictives des relations. Pour repérer ses cibles, il est donc contraint de se retourner vers les deux premières familles de critères : celles qui permettent de décrire les offres et les clients. Un segment n’est pas une « réalité ». C’est une construction du marketer qui définit ainsi un espace économique fermé (un cadre de référence) qu’il considère temporairement comme stable et indépendant afin de simplifier son analyse. Il isole un îlot de cohérence au sein de la fragmentation chaotique du marché pour pouvoir raisonner en négligeant la porosité avec les segments adjacents. Mais, ce découpage sur le papier ne doit pas faire oublier que la « clôture » des segments est une simplification. Les frontières qui séparent les segments sont non seulement poreuses mais aussi provisoires. À tout moment la dynamique générale de l’offre et de la demande peut les déplacer. Du côté de l’offre, de nouvelles technologies et de nouveaux concurrents peuvent bouleverser le paysage. Par exemple, on constate une atténuation grandissante de la frontière entre informatique et télécommunications, aliments et médicaments (avec l’émergence des « alicaments ») ou entre banque et assurance. De même, du côté de la demande, la gestion du budget des ménages est de moins en moins cloisonnée. Les choix fondés sur la recherche 24 © Éditions d’Organisation Limites et ambiguïtés de la segmentation 0000-Marion.book Page 25 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS © Éditions d’Organisation de plaisir (un bijou fantaisie est en concurrence avec une paire d’escarpins), l’imitation de pratiques exotiques (le restaurant scolaire découvre la concurrence de McDonald’s) ou la pratique des cadeaux (un voyage de noces est en concurrence avec un diamant), inscrivent dans un même espace concurrentiel des biens et des services appartenant à des segments et des secteurs que l’on considérait traditionnellement comme étanches les uns par rapport aux autres. D’où l’idée que la segmentation serait un concept dépassé. Plusieurs voies se dessinent pour faire face à cette question : • une segmentation de plus en plus fine favorisée, d’une part, par la flexibilité des système de production et, d’autre part, le couplage de cette flexibilité avec une approche individualisée des clients. C’est la tendance à la micro-segmentation, voire à l’hyper segmentation, et au sur mesure de masse (mass customization) par la personnalisation des offres (customization). Dell Computer, fournisseur de micro-ordinateurs, est la figure emblématique d’une telle révolution : proposer à chacun un ordinateur sur mesure qui ne sera mis en fabrication que lorsque la commande spécifique du client parviendra à la chaîne de production. Les constructeurs automobiles, les leaders de la chaussure de sport (Nike) ou de la mode vestimentaire s’efforcent de suivre un tel modèle, • le recours à la notion de segmentation situationnelle qui repose sur l’idée qu’un même individu participe de plusieurs segments de marché selon le moment et le lieu de sa consommation. Les compagnies aériennes ou de location de voitures et les grandes enseignes d’hôtellerie savent depuis longtemps que les désirs de leurs clients varient selon qu’ils voyagent pour affaires (seuls) ou pour leur plaisir (en famille) ; les industries de l’apparence (vêtements, cosmétiques, parfums…), savent aussi qu’une même cliente cherche à 25 0000-Marion.book Page 26 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 DE MARKETING construire des apparences diverses selon les rôles qu’elle doit jouer dans diverses situations sociales : le travail, la sortie de l’école, les loisirs, un cocktail, etc. (cf. chap. 2). Toute l’industrie agroalimentaire est de plus en plus sensible au développement de la consommation hors domicile, etc. Par conséquent il est aussi possible de segmenter un marché selon le moment et le lieu de la consommation : à la maison, au travail, dans les transports individuels ou collectifs, en vacances…, • la prise en compte de l’affinité de certains médias spécialisés avec des cibles particulières. La multiplication des chaînes de télévision thématique, des sites spécialisés sur la toile, des magazines visant des « micro-publics », conduit à reconnaître aussi dans la consommation des médias un comportement « tribal ». Il s’ensuit que le marketer prend comme point de départ le comportement vis-à-vis des médias pour remonter aux comportements d’achat et de consommation. À la place d’un ciblage sociodémographique, il substitue un ciblage par « affinité-médias » et adapte sa stratégie de communication, voire son offre, à des groupes d’individus qui partagent la même conduite vis-à-vis des événements et des médias (cf. chap. 9), • une conception renouvelée de la marque. Au lieu de considérer celle-ci comme un simple signe ajouté à l’offre de l’entreprise, le marketer peut la définir comme un système fédérant un ensemble de produits et des services. La marque n’est plus alors seulement un signal permettant de garantir l’origine du produit et de le différencier. C’est un système identitaire dans lequel les produits viennent s’insérer. L’entreprise cherche donc à construire un « territoire imaginaire » spécifique pour ses offres. Une 26 © Éditions d’Organisation ANTIMANUEL 0000-Marion.book Page 27 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS sorte de conception du monde et d’elle-même, qui ne repose exclusivement ni sur l’homogénéité des bénéfices proposés par ses produits, ni sur celle des métiers et processus de production qu’elle maîtrise, ni sur les concurrents qu’elle entend affronter. C’est ainsi que l’on peut comprendre la stratégie de Virgin et de nombreuses entreprises œuvrant dans le champ de la mode, du luxe (Hermès, Chanel), et des pratiques sportives (Salomon). Pour ces entreprises la marque n’est pas un attribut du produit mais, au contraire, chaque produit est un attribut de la marque (cf. chap. 4). L’analyse concurrentielle © Éditions d’Organisation Pour le marketer, la prise en compte de l’environnement consiste non seulement à repérer les tendances lourdes, voire les cycles économiques, qui déterminent la demande, mais aussi à concentrer son analyse sur le champ concurrentiel (Porter, 1980), afin de saisir la dynamique propre à son secteur d’activité. Le secteur d’une entreprise, son industry au sens de Porter, est défini comme « l’ensemble des firmes qui fabriquent des produits étroitement substituables ». C’est là une définition un peu floue mais qui demeure utile. Dans la schématisation présentée par l’encadré 1.5. le secteur, considéré comme l’ensemble des entreprises en rivalité directe, occupe le centre du champ concurrentiel. Ce dernier est un espace marchand qui implique aussi toutes les organisations avec lesquelles l’entreprise entretient des relations d’échange (clients, fournisseurs) ou de concurrence (entrants potentiels ou fournisseurs de substituts). Les concurrents directs sont les entreprises qui définissent leurs activités de manière comparable à l’entreprise considérée (l’ensemble des 27 0000-Marion.book Page 28 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING fabricants de lessive par exemple). Ils s’adressent à peu près aux mêmes clients, en utilisant à peu près les mêmes technologies ou les mêmes savoir-faire. L’intensité concurrentielle à ce niveau dépend principalement des acteurs de l’offre (nombre et diversité des concurrents, puissance relative, degré de différenciation…), et du taux de croissance de la demande. Une demande forte autorise un certain espace pour le développement de chaque entreprise en présence, et les efforts de chacune d’elle contribuent à dynamiser collectivement la demande. Inversement, un marché en stagnation ou en recul augmente la probabilité des affrontements et réduit la possibilité de dégager des profits. C’est, le plus souvent, à ce niveau que l’on s’efforce de repérer les positions concurrentielles et, comme nous le verrons plus loin, de construire une carte perceptuelle du marché (encadré 1.8.). Mais, en fait, la position de l’entreprise ou de la marque dépend aussi d’autres forces concurrentielles. Encadré 1.5. Le secteur dans son champ concurrentiel Entrants potentiels Barrières à l’entrée Concurrence directe au sein du secteur Fabricants de substituts 28 Clients © Éditions d’Organisation Fournisseurs 0000-Marion.book Page 29 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS Les clients peuvent disposer d’un fort pouvoir de négociation et l’exercer pour réduire les prix, donc les marges, de leurs fournisseurs, voire placer ceux-ci dans une position de forte dépendance. Leur pouvoir de négociation est d’autant plus grand que les achats sont concentrés, que les produits sont indifférenciés, et que les risques d’intégration ou de quasi intégration vers l’amont sont élevés. Les relations entre les fabricants et les grandes entreprises de commerce, telles que les enseignes d’hypermarchés, illustrent clairement ce type de situations. La concurrence des marques de distributeurs en est la manifestation la plus forte. © Éditions d’Organisation Les fournisseurs peuvent chercher à intégrer des activités situées en aval de leur propre activité ou, plus simplement, réduire par leur puissance les marges bénéficiaires de leurs clients. Leur pouvoir de négociation est d’autant plus grand que l’offre est concentrée, qu’il existe des risques de pénurie de l’offre, et que les risques d’intégration ou de quasi-intégration vers l’aval sont élevés. Les réseaux de « station-service », constitués par les pétroliers pour la distribution de leurs carburants, relèvent d’une telle stratégie et placent leurs clients directs dans une situation de dépendance. Les nouveaux entrants constituent un risque qui dépend des attraits d’un secteur et des barrières à l’entrée. Ces dernières sont autant d’obstacles qui réduisent l’accessibilité d’un secteur. Par exemple le niveau d’un investissement industriel ou l’importance de l’investissement publicitaire ou encore la durée d’un apprentissage. Les nouveaux entrants peuvent entraîner une réduction des marges bénéficiaires du secteur soit en favorisant la guerre des prix, soit en provoquant une augmentation des coûts liés à la riposte des entreprises du secteur. Les produits de substitution exercent une menace sur l’ensemble d’un secteur lorsqu’ils proposent un meilleur rapport performance/prix. 29 0000-Marion.book Page 30 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING Ils peuvent donc influencer fortement l’évolution de la demande globale ou provoquer une baisse des marges suscitée par la riposte des entreprises du secteur. Ainsi, par exemple, le plastique se développe au dépens du bois (dans le bâtiment), de l’acier (dans la construction automobile) ou du cuir (dans la chaussure). Au total, selon Porter, la pression exercée par le jeu de ces cinq forces concurrentielles affecte plus ou moins la rentabilité potentielle moyenne du secteur considéré, et détermine donc en large part son attrait. Une telle analyse concurrentielle élargie permet de repérer la force des positions de la concurrence et les menaces qui pèsent sur la ou les positions tenues et défendues par l’entreprise. Le couplage d’un tel diagnostic avec les résultats du processus de segmentation constitue l’ingrédient central de l’étape suivante : le ciblage. Le ciblage • piloter l’adaptation de l’offre à tel ou tel segment ou la conception d’une offre nouvelle, • mettre en œuvre une action commerciale adaptée aux attentes et comportements spécifiques du segment cible visé. Pour effectuer ce choix, c’est-à-dire le ciblage, il importe de mettre en évidence des critères de sélection en raison des atouts dont l’entreprise dispose pour l’emporter sur la concurrence, et des attraits intrinsèques des segments. 30 © Éditions d’Organisation Le plus souvent l’entreprise ne peut prétendre servir tous les segments du marché. Une dimension-clé de l’art du marketing consiste précisément à trouver l’ajustement le plus étroit possible entre une offre singulière, donc différenciée, et un segment spécifique de clients. Dès lors, le marketer doit faire le choix d’un segment cible pour : 0000-Marion.book Page 31 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS © Éditions d’Organisation • Les atouts sont l’expression des forces et faiblesses de l’entreprise vis-à-vis de la concurrence. Ces éléments sont très nombreux et on ne saurait donc disposer d’une liste toute faite. Par conséquent, le marketer doit chercher à identifier, au cas par cas, les éléments déterminants que l’entreprise va s’efforcer de maîtriser. En pratique, il retient souvent des indicateurs tels que : la qualité et l’originalité des produits, le savoir-faire technologique et logistique, les coûts et la capacité à jouer sur les prix, la maîtrise d’un mode d’accès au marché, l’image d’une marque, le savoir-faire des équipes de vente… • Les attraits sont l’expression des opportunités et menaces rencontrées dans l’environnement. Là encore, le marketer ne saurait disposer d’une liste toute faite. Il doit donc chercher, parmi tous les facteurs peu maîtrisables par l’entreprise, les éléments-clés. Ceux-ci peuvent avoir trait à la demande, la situation concurrentielle, la technologie, et l’environnement économique, social et réglementaire. En pratique, il retient souvent des indicateurs tels que : la taille de la demande, en volume et en valeur, le taux de croissance de la demande, l’intensité concurrentielle, les barrières à l’entrée et à la sortie, les prix moyens pratiqués et les marges dégagées, la saisonnalité et les mouvements cycliques, la localisation géographique des clients… 31 0000-Marion.book Page 32 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING moyens Développement Maintien faibles Attraits du marché élevés Encadré 1.6. Une matrice atouts/attraits Abandon élevés moyens faibles Il est alors possible d’évaluer l’opportunité de choisir tel ou tel segment cible. Pour ce faire, le marketer peut visualiser les choix possibles au sein d’une matrice atouts/attraits qui synthétise les jugements effectués. La rencontre de faibles atouts vis-à-vis d’une cible peu attractive conduira à éliminer un tel choix, inversement un segment cible très attractif pour lequel l’entreprise dispose de sérieux atouts va suggérer de parier sur une telle possibilité. Cette matrice peut être construite de multiples manières : les atouts en vertical ou en horizontal, les jugements articulés sur une échelle ordinale (élevés, moyens, faibles) ou une échelle de notation allant de 1 à 10. Quoi qu’il en soit, il s’agit de visualiser de manière expressive 32 © Éditions d’Organisation Atouts de l’entreprise 0000-Marion.book Page 33 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS le résultat du travail d’analyse qui conduit à la hiérarchisation des cibles (encadré 1.6.). On retrouvera ce type d’approche au sein du chapitre 10 dans la section consacrée à la segmentation stratégique. Nous allons illustrer ici, au moyen d’un exemple, l’application d’une telle grille au choix d’un groupe de client. Attraits du segment Encadré 1.7. Une matrice atouts/attraits pour les téléphones mobiles Professionnels Jeunes Frimeurs © Éditions d’Organisation Atouts de l’entreprise Soit une entreprise œuvrant dans le secteur des téléphones mobiles. L’examen des critères d’achat des clients potentiels montre la diversité des attentes et des attitudes vis-à-vis de ce produit. Pour les uns (les professionnels), c’est un instrument de travail qui leur est quasiment imposé par leur activité professionnelle. Ils sont très exigeants et peu sensibles au prix car leur entreprise assure le financement de l’achat de l’appareil et le coût de son utilisation. Pour d’autres (les frimeurs), il s’agit d’un instrument de prestige social. Ils sont très attachés à la « fonction signe » de cet objet et portent une attention soutenue à la visibilité de l’appareil. Pour les plus 33 0000-Marion.book Page 34 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING jeunes (les jeunes adultes), il s’agit d’un substitut à l’appareil traditionnel (l’appareil fixe). Ils portent une forte attention au prix d’achat de l’appareil et au coût de son utilisation. Supposons que le marché soit constitué par ces trois segments. Faut-il aborder indistinctement ces trois segments ? Faut-il choisir une cible prioritaire ? Il est probable que la taille et la rentabilité de chaque segment sont très différentes, autrement dit chaque segment ne présente pas les mêmes attraits. Il est probable, aussi, que des offres différentes et une communication différente seront nécessaires pour servir chacun de ces segments. Or, l’entreprise dispose, vis-à-vis de la concurrence et de chaque segment, d’un certain nombre d’atouts : elle peut accéder plus facilement à tel type de point de vente, la notoriété et l’image de sa marque sont plus fortes auprès de tel segment, etc. Par conséquent, le marketer peut élaborer une matrice atouts/attraits pour s’efforcer d’objectiver ses priorités et les visualiser. Dans l’exemple présenté (encadré 1.7.), le segment des professionnels constitue la meilleure opportunité pour l’entreprise. Aussi stylisé soit-il, cet exemple indique que le marketer doit hiérarchiser ses cibles potentielles en fonction des savoir-faire de son entreprise. Autrement dit, il doit filtrer ses diverses possibilités d’action au travers des ressources et compétences de l’entreprise. Le savoir-faire d’une entreprise est constitué de ressources et de compétences (capabilitiy). Une innovation, qu’elle soit radicale ou incrémentale, est une nouvelle combinaison de ressources, découverte au sein de l’organisation, capable de produire de la valeur ajoutée (en réduisant les coûts ou en augmentant la demande). Ce sont ces éléments qui constituent la singularité d’une entreprise (Penrose, 1959 ; Durand, 2000). 34 © Éditions d’Organisation Les ressources et compétences 0000-Marion.book Page 35 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS • Les ressources sont des « stocks » d’éléments matériels (usines, équipements, systèmes d’information, capacité de financement, etc.), et immatériels (savoir-faire, brevets, marques, réputation, etc.), spécifiques à l’entreprise. • Les compétences sont des « flux », des « routines » propres à une organisation, qui permettent de mobiliser ces ressources. Cet ensemble d’aptitudes et de savoirs organisationnels se construit dans le temps et repose sur le travail en commun. © Éditions d’Organisation Les ressources et compétences résultent de l’accumulation d’un savoir spécifique au moyen des expériences passées. C’est dans l’action que les membres de l’entreprise apprennent collectivement à déployer des ressources. C’est dans la durée et collectivement que l’on apprend à faire des extensions de gamme, à construire et protéger un capital de marque, à développer un mode d’accès original au marché ou à bâtir une équipe de vente performante. Ainsi, une entreprise peut l’emporter sur la concurrence non seulement parce qu’elle dispose de plus de ressources, mais aussi parce qu’elle utilise mieux ses ressources grâce à ses compétences. Et elle enrichit ses compétences parce qu’elle est engagée dans un processus permanent d’apprentissage collectif. Ce qui fait la valeur d’une ressource ou d’une compétence c’est sa rareté et son caractère tacite (c’est-à-dire peu explicite, peu formalisée et difficile à observer). Elle est donc difficile à imiter, à transférer ou à acheter et ceci protège l’entreprise des concurrents qui se contentent d’imiter. Il ne suffit pas, par exemple, d’imiter platement ce que n’importe quel client d’Ikea constate dans ses points de vente pour identifier les ressources et compétences de cette entreprise. Il ne suffit pas de faire un stage de trois mois chez L’Oréal pour identifier ses ressources et compétences. Plus encore, il n’est pas évident que l’entreprise soit transparente à elle-même et 35 0000-Marion.book Page 36 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING sache exprimer ce qu’elle sait faire. Pour le dire autrement, une entreprise « sait » plus de choses qu’elle ne peut en « dire ». En dépit de ces difficultés, le marketer doit évaluer les savoir-faire de son entreprise avant de l’engager dans le choix volontaire de telle ou telle position vis-à-vis de la concurrence, c’est-à-dire un positionnement. Le positionnement Le terme positionnement, traduction littérale de positioning, recouvre en fait trois idées : une intention, un processus et un résultat. Il est possible de visualiser la position perçue au moyen d’une carte perceptuelle (un mapping). Il s’agit de construire un système d’axes afin d’y repérer la position respective des marques selon leur ressemblance (encadré 1.8.). Un traitement supplémentaire peut mettre en évidence leur proximité avec tel ou tel bénéfice. Cette opération peut s’effectuer soit intuitivement à partir de l’expertise du marketer, soit statistiquement en interrogeant un échantillon de clients (cf. chap. 3). 36 © Éditions d’Organisation • C’est une intention, puisque c’est un énoncé qui définit la place souhaitée pour la marque et le produit dans l’esprit des futurs client, c’est-à-dire la position voulue et donc visée. • C’est aussi un processus, puisque cet énoncé va inspirer la mise en œuvre de plusieurs décisions : caractéristiques du produit, détermination de son prix, choix de ses points de vente, élaboration de sa stratégie de communication… • C’est enfin un résultat, puisque c’est la place occupée par un produit ou une marque dans l’esprit du client, vis-àvis de la concurrence : c’est-à-dire la position perçue. 0000-Marion.book Page 37 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS Encadré 1.8. Une carte perceptuelle : les batteries électriques en Europe. Économique à l’usage Marques de distributeurs Duracell Marque A Ne dure pas longtemps Dure vraiment plus longtemps Marque E Marque B Marque D Marque C Moins économique à l’usage Pour orienter ses choix, le marketer s’efforce donc de définir la position visée par son offre. Cet énoncé (positioning statement) va mettre notamment l’accent, mais pas seulement, sur un point de différence : une caractéristique intrinsèque de l’offre ou l’un de ses bénéfices, c’est-à-dire l’un de ses avantages pour le client. © Éditions d’Organisation Le choix d’une différence Lorsque le produit dispose d’une caractéristique intrinsèque qui constitue une différence fortement valorisée par les clients il n’est guère difficile de faire un choix : plus durable, moins lourd, plus résistant, moins encombrant, plus puissant, moins fragile, plus rapide, moins cher, etc. Mais, le plus souvent, les éléments de 37 0000-Marion.book Page 38 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING différenciation sont plus ténus. Le marketer s’efforce de mettre en évidence une différence moins centrale. C’est par exemple le cas de Domino’s pizza qui s’est focalisé sur « la garantie d’une pizza livrée à domicile en moins de trente minutes » en écartant de son activité toute autre prestation : ni la consommation sur place, ni la livraison de hamburgers ou de hot-dogs. On voit par cet exemple que l’art de la différenciation repose sur la sélection d’un point de différence qui singularise clairement et simplement l’offre par rapport à la concurrence, même s’il s’agit d’une variable périphérique. Au sein des marchés de grande consommation où les concurrents ne manquent pas, le marketing est un jeu où les idées simples et évidentes l’emportent sur les idées complexes, un jeu où le spécialiste l’emporte sur le généraliste. L’énoncé de la position voulue (positioning statement) La plupart des marketers utilisent un outil qui guide durablement ses actions : l’énoncé de la position voulue (positioning statement). Pour rédiger cet énoncé il convient de répondre à trois questions-clés : © Éditions d’Organisation • Pour qui ? (quelle est la cible, quand et où achète-t-elle, consomme-t-elle, utilise-t-elle ?) • Quoi ? (Que proposons-nous, quelle est la catégorie à laquelle appartient notre offre, son cadre de référence ?) • Pourquoi ? (Pour quel motif, quelle raison, notre offre serat-elle préférée à celle de la concurrence). 38 0000-Marion.book Page 39 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS Prenons quelques exemples : « Pour toutes les personnes sensibles aux dents tachées, Dazzle est la crème dentifrice blanchissante qui, mieux que les autres, enlève les taches sans abîmer l’émail des dents. » «Pour toute la famille, Actimel est le geste santé du matin qui aide à renforcer l’organisme.» « Tang est une boisson instantanée pour le petit déjeuner de ceux qui cherchent un coup de fouet matinal. » © Éditions d’Organisation Dans ces trois exemples on retrouvent les éléments majeurs d’une position voulue : • Une affiliation claire du produit à une catégorie que les clients sont capables d’identifier immédiatement (le quoi ?). Le marketer dispose d’une marge de manœuvre importante sur cette question. Par exemple un chewing-gum peut être présenté comme une confiserie, un substitut du dentifrice ou un substitut de la cigarette. Une marque de biscuit peut se présenter comme le spécialiste du goûter ou l’expert de la nutrition des enfants. Un fromage frais peut être proposé comme un dessert savoureux ou un en-cas pour les repas hors domicile, etc. • Une cible précise (le qui ?). Rappelons qu’il s’agit autant de définir des individus (enfants, adolescents, adultes, hommes, femmes, famille…) que des moments et des lieux de consommation. • Un élément de différenciation (le pourquoi ?). C’est-à-dire un argument intéressant pour le client mais aussi original vis-à-vis de la concurrence. 39 0000-Marion.book Page 40 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING Cet énoncé va inspirer la cohérence de l’ensemble des actions mises en œuvre par l’entreprise pour positionner son offre, c’est-à-dire définir les éléments du marketing mix. Résumons la démarche qui permet de construire une position voulue pertinente pour une offre donnée : • quelles sont les offres (marques, produits), que les clients comparent lors de leur choix (c’est ce qu’on appelle : l’ensemble de considération ou ensemble évoqué) ? • comment les distinguent-ils (quels attributs, caractéristiques et bénéfices, utilisent-ils pour faire des différences entre les offres) ? • quels sont les attributs déterminants des choix ? • comment se situent les différentes offres par rapport à ces attributs ? • quelle position est souhaitable pour l’offre de l’entreprise ? • quels attributs de l’offre privilégier dans la communication ? • quelle stratégie de communication mettre en œuvre ? On appelle repositionnement d’une marque ou d’un produit, le processus qui consiste à viser une position plus enviable et à traduire cette intention stratégique par de nouveaux choix. L’entreprise peut limiter ces changements à la publicité et à l’emballage ou agir plus profondément sur la distribution et/ou le prix, voire modifier radicalement son offre en changeant les caractéristiques intrinsèques du produit (performance, durabilité, design…), et/ou des services (prise de commande, livraison, installation, après-vente…). Un repositionnement est une opération délicate qui ne doit s’effectuer qu’en 40 © Éditions d’Organisation Le repositionnement 0000-Marion.book Page 41 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS raison de tendances lourdes. Elle peut être motivée par plusieurs raisons : se déplacer vers un groupe de clients plus attractifs (plus nombreux, plus riches, plus jeunes…), éviter la concurrence frontale avec un adversaire puissant, attaquer délibérément une position adverse (cf. chap. 10) ou un changement important dans la technologie. Une telle manœuvre est donc l’exception et non la règle car l’une des qualités d’un bon positionnement c’est son caractère durable. C’est, bien souvent, parce qu’un diagnostic a mis en évidence un écart grandissant entre la position voulue et la position perçue que l’on s’engage dans une telle opération. Limites et ambiguïtés du positionnement © Éditions d’Organisation Certains marketers s’efforcent, de distinguer le positionnement fondé sur un bénéfice pour le client, et le positionnement fondé sur une comparaison vis-à-vis de la concurrence. Cette distinction semble relativement stérile. La notion même de position renvoie à l’idée qu’il s’agit d’occuper un espace spécifique dans les représentations mentales que les clients se sont forgées. Par conséquent, viser une position consiste toujours, à des degrés plus ou moins explicites, à se situer par rapport à des concurrents directs ou à des substituts. La comparaison est le fondement même de la notion de positionnement, c’est là son apport et son originalité. Une précaution importante dans l’emploi de la notion de positionnement consiste à ne pas confondre position voulue et position perçue. Ce qui sépare la position voulue (souhaitée par le marketer) et la position perçue par les acteurs du marché (clients et intermédiaires), c’est le processus même de positionnement. C’est-à-dire un ensemble de tâches concrètes, quotidiennes, et collectives pour mettre en œuvre un plan permettant d’occuper la position visée. En pratique 41 0000-Marion.book Page 42 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING Cette histoire montre que dans toute manœuvre stratégique, les choix délibérés et intentionnels se combinent avec des phénomènes émergents et incontrôlés (cf. chap. 10). Dès lors, bien qu’une représentation convenable de la position perçue et la définition claire d’une position voulue réaliste soient des outils pertinents pour éviter l’autosatisfaction, elles ne garantissent pas, pour autant, la réussite de la mise en œuvre. En réalité, le marketer ne positionne pas sa marque ou son produit, ce sont les clients qui décident collectivement ce qu’il faut en penser. L’art du positionnement ressemble à l’art de courtiser. On 42 © Éditions d’Organisation on constate souvent que ces activités relèvent autant d’une projection vers l’avenir (la position visée), que d’un processus « essais et erreurs ». Autrement dit, il ne suffit pas au marketer d’énoncer clairement une position voulue et de déclarer que cet enjeu est stratégique pour assister à la mise en œuvre du processus de positionnement. L’histoire de la conquête du marché américain de la motocyclette par Honda constitue un exemple intéressant (Pascale, 1984). Contrairement au mythe de la stratégie rationnelle et préméditée, le succès de Honda n’a pas résulté de la vision préalable (une position visée) de quelque marketer perspicace du siège de l’entreprise. Il fut, au contraire, le résultat de l’action collective sur le terrain de « petits cerveaux » : deux cadres fraîchement débarqués du Japon, parlant mal l’anglais et n’ayant d’autre stratégie que de voir s’ils pouvaient vendre quelque chose sur le marché américain ; quelques vendeurs à la recherche de revendeurs, et une poignée de responsables de la qualité des produits. De plus, un étudiant de UCLA proposa dans le cadre de ses études une remarquable campagne publicitaire qui fut retenue un peu au hasard par Honda. Ce que les Japonais de Honda ont su valoriser, ce ne fut pas un discours stratégique très formalisé a priori, mais la capacité de l’organisation à faire monter les idées de la base vers le sommet, puis de les faire redescendre. 0000-Marion.book Page 43 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS peut influencer les pensées et les sentiments d’autrui mais on ne peut décider unilatéralement qu’il ou elle tombera amoureux. Pour positionner, comme pour séduire, il faut être cohérent, persuasif et inspirer durablement confiance. Celui ou celle qui réussit à faire cela suffisamment bien et suffisamment longtemps pourra éventuellement séduire. On le voit, la cohérence et la constance voire l’obsession, sont deux caractéristiques fondamentales de la bonne mise en œuvre d’un processus de positionnement. © Éditions d’Organisation La mise en œuvre : le marketing mix La traduction d’une stratégie commerciale en un plan d’action consiste à définir les caractéristiques spécifiques de l’offre (le produit et son prix), et les modes d’accès au marché (la distribution et la communication). Ces quatre éléments (produit, prix, distribution, communication) constituent un ensemble de moyens d’action, maîtrisables par l’entreprise, qu’on appelle le marketing mix. Si le positionnement est le clou, le marketing mix est le marteau. Cette notion rend compte de manière simple et pédagogique de la diversité des combinaisons. Par exemple, on constate que les produits de maquillage sont commercialisés en grandes surfaces, en parfumerie, via les esthéticiennes, en pharmacie, en vente par correspondance ou en vente à domicile. Chacune de ces situations s’accompagne d’un ensemble de choix spécifiques : un certain type de marques et d’emballages, un niveau typique de prix et de marges consenties aux intermédiaires, un niveau typique de dépenses publicitaires… Ces différences sont le reflet de la position voulue par chaque entreprise qui combine ces ingrédients selon un dosage qui lui est propre. D’où l’apparition de cette métaphore, le « mix », pour rendre compte du résultat obtenu par une combinaison spécifique de moyens, un « mélange » particulier des ingrédients. 43 0000-Marion.book Page 44 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING Les éléments du marketing mix En anglais on désigne ces éléments par une formule mnémotechnique : les 4 P’s. Il s’agit de l’abréviation de Product, Price, Place, Promotion. En fait, chacune de ces rubriques constitue en elle-même une combinaison de moyens. On peut en effet repérer un « mix produit », un « mix prix », un « mix distribution », et un « mix communication ». La simplicité commode des 4 P’s masque, en effet, la liste indénombrable d’outils que l’entreprise entend maîtriser pour piloter la relation d’échange. De plus chaque entreprise puise dans un ensemble de variables spécifiques selon la nature de : • ses activités (vente aux intermédiaires du commerce ou directement au client final, entreprise de commerce ou entreprise de fabrication, etc.), • ses produits (fongible ou durable, bien ou service), • ses clients (individus, ménages, organisations). © Éditions d’Organisation Plusieurs chapitres sont consacrés spécifiquement à chacun de ces éléments, c’est pourquoi on se contentera, ici, de fournir un court inventaire (encadré 1.9.) permettant de repérer grossièrement leur extension. D’un côté les éléments liés à l’offre, de l’autre les éléments liés à l’action commerciale pour accéder au marché. 44 0000-Marion.book Page 45 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS Encadré 1.9. Un inventaire des éléments du marketing mix L’offre Produit (product) • • • • • • bien et/ou service concept et caractéristiques bénéfices et attributs services associés emballage et nom etc. Prix (price) • niveau relatif • coûts, marges, remises, ristournes • tarif • crédit • délais de payement • etc. L’action commerciale Distribution (place) • • • • • type de circuit sélective ou non directe ou via intermédiaire localisation etc. Communication (promotion) • publicité et promotion des ventes • relations publiques • force de vente et personnel en contact, aides à la vente • etc. © Éditions d’Organisation Les caractéristiques d’un marketing mix efficace Pour apprécier la pertinence d’un marketing mix (cf. encadré 1.10. pour un exemple) on dispose de quelques critères généraux : sa cohérence, sa distinction, et sa compatibilité. 45 0000-Marion.book Page 46 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING • Marché potentiel : le rasage dans le monde. • Segmentation : rasage humide ou rasage électrique, systèmes ou rasoirs jetables. • Cible : tout le rasage humide (600 millions d’hommes utilisant en moyenne 12 lames par an), soit 4300 millions de $. Priorité à 19 pays situés en Amérique du Nord et en Europe. • Objectif : 7 % du marché, soit 300 millions de $ prix public. • Chiffre d’affaires prévisionnel : 150 millions de $ (marge des intermédiaires 50%), soit 20 millions de rasoirs et 300 millions de lames en 1990. • Positionnement : un nouveau système de rasage révolutionnaire qui procure un rasage de plus près, plus doux et plus sûr que jamais. • Marque : Gillette Sensor. • Produits : à partir de l’innovation du GII (1970), fondée sur le principe de l’hystérésis (la première lame tire le poil, la deuxième le coupe avant qu’il ne se rétracte), les deux lames sont montées individuellement sur ressorts. Chaque lame détecte en permanence les moindres courbes et détails du visage et s’y adapte automatiquement. • Prix : 20 % au-dessus de la concurrence, 3,75 $ le rasoir et 75 cents la lame aux États-Unis. • Distribution : 80 % des points de vente du secteur. • Publicité : budget publicitaire de 100 millions de $ pour une campagne mondiale « The best a man can get » (La perfection au masculin), couverture de 500 millions de personnes dans le monde, agence BBDO. Budget promotionnel 8 millions de $, coupons de réductions et échantillons gratuits. • Résultats : 24 millions de rasoirs et 350 millions de cartouches, 9 % du marché. Coût total du lancement 198 millions de $, perte de 48 millions de $ en 1990, profit de 40 millions de $ en 1991. Adapté de Assael H. Marketing: Principles and Strategy, 2nd ed. The Dryden Press, 1993. 46 © Éditions d’Organisation Encadré 1.10. Le marketing mix de Gillette Sensor en janvier 1990 0000-Marion.book Page 47 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS • Sa cohérence, puisque ces éléments seront appréciés globalement par le client. Il importe donc que les choix soient harmonieux du point de vue du segment cible. Ainsi, il est évident qu’un produit « haut de gamme » ne peut être vendu dans n’importe quel point de vente et à n’importe quel prix. Le marketing mix est un système dont la valeur dépend de l’intégration harmonieuse de ses composantes. • Son caractère distinctif vis-à-vis de la concurrence, puisque ces éléments seront évalués relativement aux autres offres proposées et à leurs substituts. Cette distinction est l’expression d’une stratégie de différenciation vise à donner au client le sentiment que l’entreprise lui propose quelque chose d’unique. • Sa compatibilité avec les ressources et compétences de l’entreprise et son critère de rentabilité, puisque l’efficacité de la mise en œuvre en dépend. Cette efficacité relève d’une part, des aptitudes et des savoir-faire organisationnels et, d’autre part, du « réglage » du niveau des moyens mis en œuvre : le montant des dépenses de publicité, la taille de l’équipe de vente, le prix relativement aux coûts et à la concurrence, etc. © Éditions d’Organisation Limites et ambiguïtés du marketing mix Une première limite concerne la nature de ces variables. Si l’on déclare, comme de nombreux auteurs traditionnels, que le marketing mix est constitué de variables contrôlables par l’entreprise, on pourra s’étonner de voir figurer la distribution parmi ces variables alors que ces intermédiaires auraient plutôt tendance à contrôler de nombreuses situations plutôt qu’à être contrôlés. Il suffit de comparer le chiffre d’affaires d’une entreprise de commerce internationale 47 0000-Marion.book Page 48 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING Une seconde critique du marketing mix provient des spécialistes du marketing industriel, Business to Business (Michel, Salle et Valla, 1996). Le découpage en quatre éléments d’action, constituant autant de stimulus susceptibles de déclencher les réponses adéquates de la demande, ne semble pas décrire convenablement les tâches d’un fournisseur du milieu industriel. En pratique, celui-ci s’efforce continuellement d’adapter son marketing mix pour certains clients et pas pour d’autres. Il ne sélectionne pas des combinaisons de stimuli pour obtenir des réactions de la part d’un client typique et anonyme. Au contraire, il cherche à gérer des interactions avec des clients éminemment actifs et nommément repérés. Il faudrait introduire dans la liste des éléments du marketing mix des ingrédients tels que « l’ensemble des personnes qui contribuent à l’élaboration d’une solution et à son transfert chez le client » ou, « l’ensemble des signes qui contribuent à la construction de l’image d’un fournisseur », pour adapter la notion de marketing mix au milieu industriel. Mais, alors, on se sera éloigné de la préoccupation 48 © Éditions d’Organisation avec la moyenne des chiffres d’affaires des fabricants pour constater le poids écrasant des grandes enseignes de distribution (cf. chap. 7). Par ailleurs, au sein de l’entreprise ces variables sont elles contrôlables entièrement par le seul marketer ? Ce dernier ne maîtrise bien souvent qu’une partie des éléments liés à l’offre. D’autres acteurs, tels que les ingénieurs chargés de la recherche et du développement, les responsables de la production ou de la logistique, et les responsables d’exploitation d’une activité de service, sont aussi évidemment détenteurs d’un pouvoir. Enfin, on pourra s’étonner de ne pas voir figurer dans la liste des éléments du mix, un ingrédient aussi essentiel que la marque quand on connaît l’intérêt que lui accordent fabricants, distributeurs, consommateurs et analystes financiers (cf. chap. 4). 0000-Marion.book Page 49 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS mnémotechnique des promoteurs initiaux de ce vocable (le marketing industriel fait l’objet d’une prochaine section). © Éditions d’Organisation Une troisième critique provient des spécialistes du marketing des services (Grönross, 1994). Parce que les actes de service sont immatériels, non stockables et non transportables, et parce qu’ils résultent de la coproduction du fournisseur et du client, d’autres éléments devraient apparaître dans la liste du marketing mix. Notamment, plus un service est immatériel plus il est nécessaire de fournir des indices matériels de sa qualité. Par exemple, l’accueil du personnel en contact, l’environnement physique et l’ambiance d’un hôtel, d’un restaurant ou d’une banque, exercent un rôle décisif sur la perception du « produit ». Au total, le marketing des services, comme le marketing en milieu industriel, souligne de manière convaincante que la qualité de relations durables est plus importante que l’obtention d’une vente à court terme, et qu’il est difficile de séparer la fonction marketing du management général de l’entreprise. L’histoire de la notion de marketing mix permet de mettre en évidence les raisons de ces critiques. Cette notion apparaît aux ÉtatsUnis, dans les années cinquante, sous la plume d’un spécialiste de la publicité et des produits de grande consommation. Elle émerge donc dans des conditions historiques particulières : marché de masse, distribution de masse, et médias de masse, puis s’est simplifiée au fil du temps sous la forme des 4 P’s. C’est alors que la vertu de cette métaphore pédagogique a pris toute sa valeur. D’une part, les décideurs peuvent facilement se l’approprier et l’utiliser pour décrire et communiquer l’essentiel de leur stratégie de manière simple et organisée. D’autre part, le non-spécialiste identifie facilement dans sa vie quotidienne les manifestations d’un marketing de masse dont le marketing mix fourni une description simpliste et parcimonieuse. Selon cette représentation, la relation marchande 49 0000-Marion.book Page 50 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING prend place dans un marché atomisé, composé de clients considérés comme des agents passifs, seulement capables de répondre aux stimuli délivrés par les signaux du marketing mix des entreprises proposant des offres concurrentes. Ce mécanisme stimulus-réponse est l’un des fondements de la doctrine traditionnelle du marketing management. Pour elle, tout se passe comme si le marketer pouvait faire agir de grandes masses anonymes, et maîtrisait au sein de son service les leviers essentiels de l’action vers le marché. Atomisation, transactions singulières et indépendantes, stimulus-réponse et domination de la coalition des marketers, constituent les prémisses du marketing management traditionnel. On sait aujourd’hui que, comme toute bonne métaphore, le marketing mix rend compte de beaucoup de choses mais en masque tout autant. Si cette métaphore est particulièrement expressive dans le champ du marketing de masse, elle est peu pertinente, voire nuisible, lorsqu’on la transpose platement à n’importe quelle situation. D’où l’émergence d’une d’école de pensée concurrente : le marketing relationnel. Le marketing relationnel • non pas un mécanisme stimulus-réponse entre les variables du marketing mix et la demande (c’est-à-dire une conception béhavioriste du pilotage de l’échange), mais une relation 50 © Éditions d’Organisation L’école de pensée du marketing relationnel repose sur une critique des présupposés de la doctrine majoritaire et relativise la notion de marketing mix. Pour ce faire, elle s’efforce de proposer une nouvelle description de l’échange. Cette grille de lecture, d’abord élaborée à l’intention du milieu industriel (Häkansson, 1982), est fondée sur le changement de perspective suivant : 0000-Marion.book Page 51 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS interactive entre fournisseur et client où chacun des acteurs de l’échange est actif, • non pas seulement des épisodes transactionnels, où fournisseurs et clients perdent très vite la mémoire des échanges passés, mais aussi une relation à long terme chargée du poids de l’histoire (l’image de l’entreprise ou la réputation du fournisseur en sont des manifestations), • non pas une conception atomisée du marché composé d’agents autonomes et anonymes, mais des réseaux d’acteurs inscrits dans le social, • non pas la séparation de la fonction marketing au sein de l’organisation mais son intégration au sein de multiples processus. © Éditions d’Organisation En fait, le marketing relationnel reconnaît un continuum de situations. Car, pour lui, tout échange marchand n’est pas inscrit de la même manière dans un système relationnel. • À l’une des extrémités de ce continuum, se trouvent les situations où la relation avec des clients très nombreux (souvent plusieurs millions) est très simple et typée. Lors de la conception de l’objet d’échange, le marketer se fonde sur un simulacre d’interaction avec quelques échantillons de la population visée. Cette démarche permet au fournisseur (souvent une grande marque) d’anticiper la relation : il peut prédéterminer et standardiser son offre et mettre en œuvre des moyens de masse pour accéder au marché. Chaque client ne peut, à titre individuel, négocier avec le fournisseur. Le marketer pilote une relation fortement typée, avec un client typique, qu’il appelle « Le » consommateur. Mais ce dernier n’est pas un consommateur en chair et en os, c’est une construction « sur le papier ». Ces situations 51 0000-Marion.book Page 52 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING Entre ces deux extrémités, se trouvent une grande diversité de situations où se combinent à divers degrés la standardisation et le sur mesure : biens d’équipements sur catalogue (pour les entreprises ou les particuliers), matières premières, biens et services modulables ou à la carte, services professionnels de santé ou de conseil… Ces situations entraînent un pilotage particulier de la relation client-fournisseur qui diffère de celle qui prévaut traditionnellement pour les biens fongibles de grande consommation. Mais, ceci n’est qu’une photographie de la diversité des relations d’échange. Quelle est la dynamique de leur évolution ? Allons nous vers plus de situations d’interaction ou vers plus de situations où la relation est prédéterminée et standardisée ? L’évolution des technologies de l’information et de la communication semble favoriser la première hypothèse par l’élargissement du nombre des 52 © Éditions d’Organisation sont celles des produits de masse de la grande consommation et la métaphore du marketing mix y conserve une certaine pertinence. • À l’autre extrémité du continuum, se trouvent les situations où la relation avec le client relève d’une riche interaction directe. Celle-ci ouvre la possibilité d’une négociation avec un client actif et d’une coconstruction de l’offre et des conditions de l’échange. C’est une situation typique dans le domaine du Business to Business où le fournisseur est confronté à un client souvent très compétent vis-à-vis duquel il doit consentir de multiples adaptations. Le département marketing, quand il existe, est alors loin de détenir tous les leviers de l’action sur le marché. On rencontre ces situations non seulement dans les biens et services complexes dédiés aux organisations, mais aussi dans les grands projets architecturaux ou l’artisanat de luxe. 0000-Marion.book Page 53 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS © Éditions d’Organisation situations d’interactions, directes ou virtuelles. Un bref rappel de l’histoire des médias permet de comprendre une telle évolution. • Initialement, la présence de quelques rares grands médias (la radio dans les années trente aux USA, deux ou trois grands networks dans les années soixante, une ou deux chaînes de télévision en France à la même époque…) impose un certain type de relation avec l’audience : une relation quasi passive où la part d’autonomie du récepteur se résume à la sélectivité de son attention. • La fragmentation de l’audience des médias, la multiplication des chaînes de radio et de télévision, l’apparition de la télécommande introduisent un premier type d’interaction : la réactivité qui consiste à « zapper ». Mais, c’est là une interaction de commande, où la part d’autonomie du récepteur demeure encore largement contrainte par l’émetteur et le média. • Les possibilités contemporaines de l’Internet autorise une interactivité conversationnelle où l’autonomie de chacun est ouverte. Difficile dès lors de continuer à parler d’audience, la relation est beaucoup plus symétrique : chacun est pro actif, tantôt émetteur et tantôt récepteur. Dans une telle situation, les présupposés du marketing mix sont largement remis en cause. Les possibilités offertes par le réseau Internet et, notamment le fait que tout acteur (fournisseur et client) peut être actif dans le choix de son mode relationnel laisse entrevoir les futures possibilités d’interaction (cf. chap. 7). Le client dispose de possibilités plus ouvertes. Au lieu d’adopter une conduite réactive au système de marketing direct du fournisseur (publipostage, téléphone, catalogue papier ou électronique…), il peut être pro actif, au sein de « la toile », prendre l’initiative de chercher le site qui l’intéresse et se 53 0000-Marion.book Page 54 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING connecter avec le fournisseur de son choix, et ce, dans le monde entier. Il peut, au sein de groupes de discussion, mettre très rapidement en cause tel ou tel produit ou entreprise. Bref, l’évolution des technologies de l’information et de la communication bouleverse les représentations traditionnelles de la relation fournisseur-client. De plus, comme nous le verrons en conclusion du prochain chapitre on assiste à une demande grandissante d’appropriation de la part des consommateurs. Quelle est la réponse actuelle des marketers ? La gestion des relations-client – C R M La gestion des relations-client (Customer Relationships Management – C.R.M.) désigne principalement un ensemble d’outils, fondés sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication, commercialisés par les consultants spécialisés dans les systèmes d’information. Ceux-ci proposent des outils pour : Par exemple, dans l’idéal, l’application de tels outils devrait conduire à la situation suivante. Un client appelle l’entreprise pour faire part d’un problème. Avant même que quiconque ait décroché, l’ordinateur surpuissant de l’entreprise a identifié le correspondant et a anticipé les raisons de son appel. Par conséquent, il dirige immédiatement la demande vers l’interlocuteur compétent. Ce dernier voit apparaître sur son écran toutes les informations utiles sur le client et toute l’histoire récente de ses relations avec l’entreprise. De plus, des informations concernant les produits que ce client 54 © Éditions d’Organisation • repérer les clients les plus intéressants en se fondant sur des méthodes de scoring, • retenir ces clients par une individualisation des relations, et un programme de fidélisation. 0000-Marion.book Page 55 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS peut probablement acheter apparaissent au même moment. Il reste à la personne en contact à vendre ces produits après avoir résolu le problème. Rien moins. © Éditions d’Organisation Cette petite anecdote est en partie réelle, notamment dans les banques les plus orientées client. Mais, le chemin semble bien long pour d’autres entreprises. Quoi qu’il en soit, la rhétorique du marketing « One to One » et du « marketing sur bases de données » met l’accent sur la personnalisation des messages et des offres (biens ou services), destinés à un client individualisé. Grâce à l’existence de fichiers bien renseignés, le marketer est susceptible de planifier sa communication et ses offres à partir de la définition du profil de chaque client et de ses réactions successives (ses feedbacks). Il devrait ainsi « cibler » la relation avec chaque individu et ce pour un grand nombre de clients. La C.R.M. utilise le vocable interaction pour pointer deux caractéristiques du processus de communication : la capacité à s’adresser à un individu singulier et la capacité à mémoriser ses réactions au fil du temps. À partir d’un profil particulier, constitué par l’histoire des contacts avec chaque individu éventuellement enregistré via un « cookie », il devient, en effet, possible de mettre en œuvre trois catégories de tactiques relationnelles : • assurer une certaine continuité des transactions, par exemple une carte de « fidélité » donne droit à des offres spéciales, des réductions de prix, des cadeaux par cumul de points, etc., • individualiser des messages publicitaires puisqu’une segmentation plus fine, au moyen des bases de données, permet de sélectionner des adresses et de construire des opérations promotionnelles plus ciblées, voire de proposer des conseils d’achat sur mesure, 55 0000-Marion.book Page 56 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING • personnaliser les offres au moyen d’une proposition « sur mesure », doublée éventuellement d’une relation interpersonnelle entre le consommateur et un acteur humain (le personnel en contact) ou non humain (par exemple un site Web), de l’entreprise. Les tactiques relationnelles du premier type ne sont guère nouvelles. Dès lors que le marketer dispose d’un fichier convenablement renseigné, il lui est possible de réaliser des opérations de marketing direct. Depuis de nombreuses années, les détaillants de multiples secteurs (musique enregistrée, vêtement, épicerie, hôtellerie, transport aérien, etc.) utilisent de tels moyens. C’est la diminution du coût de gestion des adresses et la possibilité d’enrichir en permanence d’amples bases de données qui expliquent le renouveau de ces questions. Avec les tactiques relationnelles du troisième type, le marketer doit, dans l’idéal, être capable de concevoir des offres adaptées à chaque individu. C’est alors que se posent vraiment des questions nouvelles. La conception d’une offre et d’un message spécifiques à chaque client a, en général, pour conséquence d’augmenter le nombre et la diversité des adaptations ce qui implique des coûts supplémentaires. Pour faire face à ces coûts d’adaptation, le marketer n’a, traditionnellement, d’autres solutions que de s’en tenir à une logique 56 © Éditions d’Organisation Les tactiques relationnelles du second type sont plus récentes et résultent directement de la puissance des bases de données désormais disponibles. On lui doit, par exemple, le développement de la segmentation comportementale dans le secteur bancaire ou la sélection d’un « groupe cible » au sein des abonnés d’une chaîne du câble ou du satellite pour leur adresser un message publicitaire particulier (par exemple, les foyers avec enfants qui résident à moins de cent kilomètres d’un parc de loisirs). 0000-Marion.book Page 57 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS bien connue : regrouper ces individus au sein de segments qu’il va considérer comme homogènes. C’est alors, que les outils de la C.R.M. peuvent permettre de résoudre autrement ce type de problème. © Éditions d’Organisation Grâce à une base de données relationnelle, le fournisseur qui sait gérer de manière flexible des assortiments de produits ou de composants peut mettre en œuvre de nouvelles solutions. Typique de cette application est le site Amazon.com qui « personnalise » des recommandations concernant de nouveaux ouvrages littéraires. Dès qu’un client a effectué un premier achat, on lui recommande d’autres livres en comparant sa demande avec celle des autres clients qui ont effectué un achat identique ainsi que d’autres achats. L’hypothèse est que ces choix se ressemblent et qu’il est opportun d’informer ce client sur cette ressemblance. Autrement dit, on utilise la corrélation entre l’achat d’un client et les achats d’autres clients afin de « relancer » le premier. C’est ce que fait un bon libraire lorsqu’il conseille un livre en rapprochant le profil d’un client de celui des clients qui lui ressemblent. Une base de données relationnelle permet donc de proposer des éléments complémentaires à une demande spécifique. Une autre application typique consiste à mémoriser le processus de recherche d’un client afin de lui épargner le travail qui consiste à faire de nouveau une recherche identique. De même qu’un bon vendeur se souvient de qui est le client et pourquoi il revient. Quel est le point commun de ces techniques ? Elles améliorent la productivité de la gestion des contacts en utilisant une base de données dotée d’une structure relationnelle. C’est-à-dire une base composée de plusieurs fichiers reliés entre eux par des clés permettant de les mettre en relation, par exemple : un fichier de personnes, un fichier de transactions, un fichier historique sur les réactions des destinataires, et un fichier géographique. Une telle base de 57 0000-Marion.book Page 58 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING Mais, au total, rien de bien nouveau dans les « astuces » permettant de retenir un client ou d’interroger une poignée de consommateurs pour prédéfinir une offre ou un marketing mix. Le marketing traditionnel suggère, en effet, cela depuis longtemps. Beaucoup de nouveautés, par contre, du côté des technologies qui accélèrent la mise en relation de multiples informations à propos d’un client « de papier » ou d’un client électronique. Une telle performance n’est pas une réponse à la demande du client, c’est l’effet de la mise en œuvre de nouvelles techniques pour gérer des contacts. Il s’ensuit que la réussite de telles opérations va dépendre d’une part, de la capacité et de la volonté d’apprentissage du client et, d’autre part, de la capacité et de la volonté d’apprentissage du fournisseur, et notamment de ses vendeurs ou, plus généralement, de son personnel en contact. Il s’ensuit que ce dernier doit investir dans : • un système permettant de gérer une base de données relationnelle, 58 © Éditions d’Organisation données peut donc permettre de proposer rapidement une ample combinaison de produits ou de composants, et peut conserver en mémoire de nombreuses informations. Bien qu’un vendeur traditionnel sache effectuer de telles tâches, il ne peut le faire de manière aussi ample et rapide que la machine. De plus, il ne saurait disposer d’une capacité cognitive suffisante pour garder tout cela en mémoire. La mise en relation des bases de données peut améliorer la productivité de la gestion des contacts en diminuant le coût de recherche et de traitement de l’information par le client, en augmentant la vitesse et l’amplitude des combinaisons virtuelles effectuées par le fournisseur, et en mémorisant l’histoire des transactions et des réactions de chaque client. Bref, pour le dire autrement, ces évolutions transforment la structure des « coûts d’interaction », voire leur diminution. 0000-Marion.book Page 59 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS • un système d’acteurs non humains qui vont se substituer ou se combiner avec le personnel en contact avec le consommateur, • l’information et la formation des consommateurs et du personnel en contact. © Éditions d’Organisation Ces enjeux relèvent d’un ensemble de fonctions auparavant séparées au sein de l’entreprise et constituent une opportunité pour le marketer. Mais ils transforment aussi la structure des coûts et des valeurs ajoutées et génèrent une incertitude accrue vis-à-vis de la capacité d’apprentissage de l’entreprise qui permettrait des gains de productivité. Le développement des outils de la gestion des relations-client (C.R.M.) résulte peu d’une demande des clients ou des consommateurs. Il résulte principalement des conditions contemporaines de l’échange, suscitées par les technologies de l’information et de la communication (Marion, 2001). C’est pourquoi de nombreuses entreprises témoignent de leur déconvenue vis-à-vis de tels outils. Pourtant, le souci de différenciation des marketers et la réussite de certaines entreprises (Dell Computer, par exemple) vont continuer à favoriser la diffusion de tels outils. 59 0000-Marion.book Page 60 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING Le marketing et la diversité des organisations La classification des champs du marketing a fait couler beaucoup d’encre, et pourtant on ne dispose toujours pas d’une taxinomie largement acceptée. Pour simplifier nous tiendrons compte de deux variables-clés (encadré 1.11.) : la nature des acteurs en présence (individus/ménages ou organisations) et la nature de l’objet de l’échange (biens ou services). Encadré 1.11. Quelques champs typiques du marketing Services Individus, ménages Grande consommation Services aux particuliers Entreprises, organisations Milieu industriel Services aux entreprises Ainsi, le champ des produits de grande consommation (fongibles ou durables) est constitué par l’échange de biens entre un fournisseur et un individu ou un ménage. C’est le champ qui nous a principalement servi de référence pour décrire la démarche du marketer et ses concepts-clés. Mais, d’autres champs nécessitent de sérieuses adaptations : celui du milieu industriel, constitué par l’échange de biens entre un fournisseur et une entreprise ou une organisation, et le champ des services destinés soit aux particuliers soit aux entreprises. 60 © Éditions d’Organisation Biens 0000-Marion.book Page 61 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS Le marketing des produits industriels Le milieu industriel se caractérise d’abord par la nature des acteurs de l’échange : ce sont, le plus souvent, deux entreprises qui sont en relation. D’où l’expression « Business to Business » parfois utilisée pour désigner ces situations. Il faut tirer toutes les conséquences d’un tel constat. Contrairement à la grande consommation, les obligations réciproques sont fortement personnalisées et leur définition est négociée au sein d’une relation fournisseur-client singulière où chaque acteur se voit attribuer un rôle actif dans la construction de l’échange. © Éditions d’Organisation Une relation interactive Les solutions délivrées par le fournisseur ne sont que partiellement prédéterminées car client et fournisseurs sont supposés interagir concrètement et directement pour déterminer l’objet d’échange. Les deux organisations sont en relation interactive, c’est pourquoi on parle aussi de marketing inter-organisationnel. Leur identité est clairement repérée, la raison sociale (corporate name), du fournisseur et du client est prise en considération, car la qualité du fournisseur en tant qu’organisation importe autant, voire plus, que la seule qualité du produit. Les termes de l’échange sont supposés co construits et suscitent, de part et d’autre, des processus d’adaptation à partir d’une offre de base. L’interaction fournisseur-client se manifeste par la confrontation d’un centre de vente (ingénieur commercial, service de maintenance, bureau d’études, service après-vente…), avec un centre d’achat (acheteur, responsable de la production, service qualité, responsable financier…). 61 0000-Marion.book Page 62 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING Dans les filières industrielles la performance d’une entreprise est conditionnée par celle de nombreuses autres entreprises, situées en amont ou en aval, dans un système de relations de dépendance et de complémentarité constituant de multiples réseaux. Les alliances, les ruptures, les conflits et les coopérations peuvent apparaître de toute part, menaçant ou confortant la position de chaque entreprise au sein de ses réseaux. Dès lors, la position d’un fournisseur visà-vis d’un client est non seulement conditionnée par la position de l’un et de l’autre vis-à-vis de leur marché respectif, mais aussi par leur position vis-à-vis de l’ensemble des acteurs constituant les réseaux et les filières. La gestion de la position relève donc de variables qui ne sauraient être à la seule discrétion d’un département marketing. En grande consommation, la division traditionnelle du travail entre producteur et consommateur confie au marketer le soin de rassembler de l’information sur le marché au travers d’une analyse de la demande et, dans le meilleur des cas, d’une analyse plus fine des usages, attentes, attitudes et comportements des clients potentiels. La distribution de cette information auprès de plusieurs autres fonctions de l’entreprise, et notamment auprès des responsables de la recherche et du développement des produits (R & D), permet la conception, 62 © Éditions d’Organisation De plus, un grand nombre de marketers « à temps partiel », situés dans d’autres fonctions que la fonction marketing, sont en interaction directe avec le client (d’où la notion de centre de vente). Le développement d’un nouveau produit n’est donc pas piloté par un unique chef de produit et celui-ci n’est même pas, très souvent, membre du département marketing. Par ailleurs, les tests auprès d’échantillons représentatifs sont plus rares à cause du faible effectif des populations considérées. Les budgets publicitaires sont beaucoup plus réduits et l’usage des grands médias exceptionnel. 0000-Marion.book Page 63 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS puis la mise en production d’une nouvelle offre qui peut être alors proposée au marché. Une telle démarche se caractérise par un processus séquentiel. Les étapes de construction de l’information, de dissémination de cette information, et de réponse à cette information constituent des moments séparés dans le temps et dans l’espace. On peut certes parler dans ce cas d’interaction entre le fournisseur et le client, mais il s’agit d’une interaction limitée et les tâches du marketer sont alors éclatées entre diverses phases. D’abord la construction de l’information : qui consomme quoi, combien, quand, comment, pourquoi, etc. ? Ensuite la phase de dissémination de cette information : « briefs » pour la R&D, le design, le graphisme, la publicité, l’argumentaire, etc. Enfin, de multiples activités de coordination pour piloter le développement de la nouvelle offre : tests divers, prévisions des volumes, fixation des prix, calendrier de mise en marché, etc. L’encadré 1.12. propose une représentation simplifiée d’un tel processus. Encadré 1.12. La relation fournisseur-client en tant que processus séquentiel © Éditions d’Organisation Conception Production Marketing Consommation Dans les situations Business to Business, caractérisée par une interaction approfondie, les processus de ce cheminement séquentiel sont compressés dans le temps et dans l’espace. Ils sont simultanés. Les processus de marketing (construction et dissémination de l’information, pilotage de la réponse de l’entreprise), de conception (quel 63 0000-Marion.book Page 64 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING matériau, quel principe fonctionnel, quelle forme, quel design, etc. ?), de production (quelle quantité, à quel rythme, à quel prix, etc. ?), et de consommation (quels usages, quels résultats, quelles satisfactions et insatisfactions, etc. ?) se recouvrent largement les uns les autres dans le temps et dans l’espace. Il est moins question de créer de la valeur pour le client que de créer de la valeur avec le client. Ce que le fabricant apporte c’est un complément aux savoirs, aux ressources et aux équipements déjà possédés par le client. Ce que le client apporte c’est sa compétence. Fournisseur et client sont dans une relation interactive approfondie et concrète (encadré 1.13.). Encadré 1.13. La relation fournisseur-client en tant que processus simultanés d’interaction Marketing Conception Consommation Il s’ensuit que le service marketing et, plus généralement la coalition des marketers, disposent d’un pouvoir moindre au sein de l’organisation. Ils doivent, en permanence, apporter des preuves convaincantes de la nécessité de leur contribution, alors que les instruments 64 © Éditions d’Organisation Production 0000-Marion.book Page 65 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS de mesure dont ils disposent demeurent très parcellaires. Dans certaines entreprises les contributions du département marketing peuvent se cantonner à des ingrédients très périphériques : un logotype, une brochure commerciale, un publipostage… Dans d’autres entreprises, au contraire, l’orientation client fait largement partie de la culture de l’entreprise. À l’examen de cette diversité, on comprend qu’on ne saurait définir normativement la place du marketing dans l’organigramme des entreprises œuvrant en milieu industriel. © Éditions d’Organisation Une relation sélective : le portefeuille de clients Le faible effectif de la population des clients (en milieu industriel on les compte par dizaines, centaines ou milliers ; en grande consommation par millions, dizaines, voire centaines de millions), et la possibilité d’entériner leur hétérogénéité (taille, activité, compétence, nationalité), expliquent en large part la diversité des relations. Toutefois, le recours au négoce industriel permet de limiter la diversité des adaptations et des négociations du point de vue du fournisseur. Ce choix lui permet de couvrir un marché diffus en reportant sur un distributeur la fourniture de services complémentaires : stockage, livraison, finition, installation, maintenance. Le fournisseur réduit ainsi la diversité de ses relations et limite l’ampleur des adaptations et des négociations à consentir. Dès lors, la plupart des fournisseurs constituent et gèrent un portefeuille de clients. La position de ces derniers y est hiérarchisée, de fait ou par choix, en raison de leurs attraits et des atouts dont dispose le fournisseur. Cette position conditionne la sélectivité de l’émission des messages et de l’allocation des ressources du fournisseur : suivi spécifique par un vendeur, invitation personnelle dans un salon professionnel, publipostage ciblé, adaptation spécifique. De son côté, de fait ou par choix, le client gère un 65 0000-Marion.book Page 66 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING Du coup, les relations fournisseur-client sont entretenues par un réseau de relations personnelles. C’est l’ensemble de cette dynamique, et sa cohérence, qui favorise ou non la qualité « psychosociologique » de la relation, c’est-à-dire son atmosphère. Les relations sont largement personnalisées : visite, courrier, téléphone, télécopie. Des médias spécialisés (presse professionnelle, annuaires, bases de données), permettant de véhiculer une information plus approfondie qu’en grande consommation, constituent une sorte de mémoire externe à l’usage de l’ensemble des acteurs. Les dispositifs de transfert de la solution peuvent nécessiter des investissements de la part du fournisseur et du client : emballages, modes de livraison ou de stockage, organisation de la production, actions de formation, conditions de règlement. Souvent, des procédures spécifiques sont mises en place (homologation ISO, délé66 © Éditions d’Organisation portefeuille de fournisseurs. Il s’ensuit que cette relation donne le jour à une construction sociale particulière : le couple fournisseurclient. Les contacts seront récurrents ou épisodiques en fonction du cycle de vie et de l’atmosphère de la relation : phase pré relationnelle où les deux parties s’évaluent mutuellement ; phase d’initiation, scandée par des épisodes critiques tels que des essais techniques ou des commandes d’essai ; phase de développement, où des adaptations sont effectuées de part et d’autre (caractéristiques du produit, ordonnancement, logistique) ; stabilisation voire institutionnalisation de la relation ou questionnement, voire rupture. Ces épisodes s’inscrivent dans un système social concret : manifestations professionnelles (salons, colloques, réunions), réception des représentants, implication des centres d’achat et de vente dans les processus d’adaptation. Des ajustements réciproques, tels que le « juste à temps » ou le développement conjoint d’une innovation, donnent lieu à d’amples investissements spécifiques et durables. 0000-Marion.book Page 67 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS gation de contrôle, assurance qualité, flux tendu, Échange de Données Informatisées). Ces dispositifs manifestent le degré de dépendance dans la relation fournisseur-client. Chaque organisation s’efforce de réduire les risques par un ajustement mutuel permanent. Au-delà de l’offre de base, une solution et son transfert sont adaptés et négociés de manière sélective. Autrement dit, les adaptations possibles ne seront consenties qu’en raison du degré souhaité d’implication dans la relation. Selon le rang de cette relation dans la hiérarchie de chacun, des marges de manœuvre pourront être plus ou moins utilisées. Un fournisseur pourra consentir, vis-à-vis d’un client « cible », un seuil particulier de mise en production, une forme spécifique de livraison ou une procédure ad-hoc de facturation © Éditions d’Organisation Des indicateurs différents Les indicateurs de performance utilisés sont moins quantitatifs, moins « universels », et reposent rarement sur une collecte de données fondée sur des échantillons prélevés dans une population nombreuse et homogène. De plus, ils visent à rendre compte de l’évaluation par les clients non seulement de l’objet d’échange (le produit et/ou le service fourni), mais surtout de la qualité de l’organisation qui en assure la fourniture. Le plus souvent, le nombre de fournisseurs en présence chez un client donné, leur « taux de pénétration » et leur statut (principal, petit mais innovateur, de complément), sont préférés à la part de marché. Les bases de données ad hoc, les banques de données, et les sources d’informations fournissant des données « secondaires » sont de fréquents substituts à l’interrogation directe des clients. La veille concurrentielle met autant l’accent sur la capacité des organisations concurrentes (niveau des coûts, capacité de production, dépôts de brevets), que sur la performance de leurs produits et de leurs marques. La taille modeste 67 0000-Marion.book Page 68 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING des budgets de publicité limite largement les procédures d’évaluation et de contrôle de ces actions. La diversité des clients, des acteurs de la décision d’achat, des technologies et des applications complexifie la mise au jour des attributs déterminants, des images, des positions perçues et des niveaux de satisfaction. La durée des relations, les étapes de leur cycle de vie, leur atmosphère, constituent des indicateurs plus difficiles à appréhender par des indicateurs statistiques. Cette description à grands traits des interactions du milieu industriel ne concerne cependant qu’une partie des relations inter-organisationnelles. D’autres terrains tels que le marketing de l’innovation technologique ou le marketing de projets nécessiteraient des développements plus amples. Nous renvoyons donc au ouvrages spécialisés pour l’approfondissement de ces thèmes (Michel, Salle et Valla, 1996). De plus, les relations fabricants-distributeurs sont aussi, évidemment, des relations inter-organisationnelles. Il s’ensuit que ce qu’on appelle le Trade Marketing, c’est-à-dire le pilotage par un fabricant de ses échanges avec une entreprise de commerce (cf. chap. 7) peut sans doute s’inspirer de ce type d’approche. L’intérêt porté aux services se développe fortement depuis la fin des années 1970. Trois éléments principaux permettent d’expliquer cette tendance. Premièrement, le poids économique des activités de service devient dominant dans la plupart des pays dits développés. On parle de tertiarisation de l’économie pour décrire cette évolution. De nombreux économistes et sociologues tentent d’expliquer ce phénomène : Gershuny (1978) ou Delaunay et Gadrey (1992), proposent diverses hypothèses, tantôt opposées et tantôt convergentes, 68 © Éditions d’Organisation Le marketing des services 0000-Marion.book Page 69 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS pour expliquer la croissance des services. Il demeure que, dans une période économique où la création d’emplois est un enjeu majeur, la réflexion sur le développement des services s’avère particulièrement d’actualité. Deuxièmement, un certain nombre de thèmes cristallisent l’attention à la fois des praticiens d’entreprises, des pouvoirs publics, et des clients. Ainsi, la question de la qualité de services constitue un sujet crucial pour les entreprises. Elles y voient un levier stratégique dès lors que l’on assiste à une banalisation accrue des offres. De même, les pouvoirs publics accordent de l’importance à ce thème à la fois pour l’image de leur pays (accueil de visiteurs étrangers par exemple), et dans une perspective de développement économique. De plus, les consommateurs semblent manifester une exigence de plus en plus grande à ce niveau. D’autres thèmes suscitent aussi l’intérêt des différents acteurs économiques tels que la place et l’évolution des services publics ou encore le rôle des services dans l’aménagement du territoire et dans la vie sociale. Enfin, les modèles et outils du marketing traditionnel, issus pour l’essentiel des pratiques de la grande consommation, ne peuvent souvent fournir ni une description satisfaisante des problèmes rencontrés dans les services, ni des guides d’action totalement adaptés à ce contexte. © Éditions d’Organisation La spécificité des services De nombreux auteurs s’accordent pour souligner un certain nombre d’éléments permettant de distinguer les services des biens : ils sont immatériels, donc difficiles à présenter, à normer et à représenter. Ils ne peuvent être stockés. Ils impliquent la participation du client et, le plus souvent, d’un personnel en contact avec le client. Deux éléments principaux résument et expliquent l’ensemble de ces éléments : 69 0000-Marion.book Page 70 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING • l’immatérialité (ou intangibilité) des services : « Un produit est un objet, une chose, un moyen ; un service est un acte, une exécution, un effort. » (Berry, 1980), • la non-séparabilité entre production et consommation : un service ne suit pas la séquence chronologique classique production-distribution-consommation, mais est généralement produit et consommé simultanément dans le cadre d’une relation directe entre l’entreprise et le client. Eiglier et Langeard (1987), utilisent le terme servuction pour rendre compte de ce processus particulier : la servuction est aux services, ce que la production est aux produits. Cette spécificité a pour conséquence essentielle de mettre l’élément humain et les facteurs relationnels au cœur du marketing des services. Il faut donc souligner l’importance numérique et stratégique du personnel en contact avec la clientèle. Celui-ci doit souvent à la fois vendre et réaliser le service, d’où l’intérêt porté à la notion de marketing interne. Il faut aussi examiner le rôle des clients lorsqu’ils participent à la réalisation du service, véritables « coproducteurs » de la prestation. Pour mettre l’accent sur l’importance des interactions entre ces deux acteurs principaux du service on utilise l’expression « moment de vérité » (Normann, 1984), afin de désigner cette phase de l’interaction où se cristallisent les évaluations par le client de l’offre de service, du personnel en contact, et de l’entreprise elle-même. Le rôle joué par le personnel en contact d’une part, et par le client d’autre part, constitue l’une des sources essentielles de la non-reproductibilité à l’identique d’un acte de service. D’ou la variabilité 70 © Éditions d’Organisation L’importance du personnel en contact 0000-Marion.book Page 71 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS d’une même prestation dans le temps et dans l’espace. Ce constat effectué, les prescriptions divergent : faut-il tenter de normer, standardiser au maximum la prestation, « d’industrialiser le service » ou doit-on au contraire reconnaître, voire stimuler, une certaine personnalisation (customization) de la prestation ? En fait, ces deux positions semblent constituer les deux extrêmes d’un même continuum. De plus, elles sont partiellement conciliables si l’entreprise est capable de segmenter finement son marché. En pratique, une tendance vers plus de normalisation et de standardisation semble se manifester et l’engouement des entreprises de services pour la certification de la qualité en est un indice. © Éditions d’Organisation Au-delà des spécificités liées aux caractéristiques de l’offre proposée, le marketing des services se nourrit des méthodes élaborées soit pour les produits de grande consommation, soit pour les produits industriels, selon qu’il s’agit de prestations destinées aux ménages ou aux organisations (Dumoulin et Flipo, 1991). La nature du client paraît donc plus déterminante que celle de l’offre pour caractériser la diversité des pratiques, d’autant que les entreprises de production intègrent de plus en plus de services au sein de leurs offres. 71 0000-Marion.book Page 72 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING La mondialisation des marchés Il faut souligner la diversité des réponses des entreprises aux enjeux de la mondialisation des marchés. Pour faire simple, on oppose traditionnellement deux positions extrêmes : l’adaptation aux marchés locaux ou la standardisation mondiale de la stratégie. En fait, cette opposition est quelque peu caricaturale : certains segments d’un marché peuvent appartenir à l’un des pôles et d’autres au second sans que ceci soit stable dans le temps. Il convient plutôt de parler de degré de mondialisation. La dialectique du « mondial » et du « local » De multiples travaux sur les stratégies internationales (Porter, 1986 ; Prahalad et Doz, 1987 ; Bartlett et Ghoshal, 1989) s’efforcent de 72 © Éditions d’Organisation La mondialisation des échanges se manifeste par la planétarisation économique et financière des marchés, des firmes, des institutions (FMI, Banque mondiale, ONU, ONG, etc.), et des technologies de l’information et de la communication (Internet, la télévision par satellites, etc.). Elle s’accompagne d’une part de la dématérialisation des objets, des acteurs et des processus d’échange et, d’autre part, d’une accélération de la création d’offres, de leur diffusion, et de la circulation de l’information. L’atténuation des frontières entre marchés nationaux donne naissance à un espace économique mondial (globalization) qui se caractérise par une tendance à l’homogénéisation des offres et des demandes, l’abaissement graduel des barrières commerciales, et une concurrence exacerbée. Mais, ces tendances ne se manifestent pas de la même manière dans tous les secteurs. 0000-Marion.book Page 73 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS comprendre les familles de facteurs qui expliquent ces tendances. Du point de vue des entreprises, tout semble se passer comme si un ensemble de « forces » exerçaient des pressions en faveur ou en défaveur de la mondialisation : © Éditions d’Organisation • d’un côté des forces incitent à l’intégration et à la coordination mondiale des activités géographiquement dispersées : économies d’échelle, taille critique de l’unité de production, intensité des investissements, intensité de la R&D par rapport au chiffre d’affaires, pression sur les coûts, avantage comparatif d’un pays, coûts de transport, • d’un autre côté des forces incitent à s’adapter à la demande et aux contraintes locales : barrières douanières, obstacles non tarifaires tels que les quotas, les normes, les formalités… ; poids des marchés publics, diversité des goûts du consommateur, effets liés à l’origine nationale de l’offre, diversité des circuits de distribution, position historique de certaines entreprise, prédominance des acheteurs locaux. Il s’ensuit que chaque secteur est soumis à divers degrés à ces différents facteurs. Dès lors, certains secteurs sont mondialisés parce que la pression des forces de coordination et d’intégration est forte et que les forces d’adaptation locales sont négligeables (les composants électroniques, les chaussures de sport). À l’opposé, certains secteurs sont « domestiques » parce que les forces d’intégration et de coordination sont faibles, tandis que la pression des forces d’adaptation locales est forte (les produits alimentaires ultra-frais, la charcuterie). Entre ces deux situations, on trouve un très grand nombre de secteurs « mixtes » : certains sont plutôt « multidomestiques », parce que l’ensemble des facteurs exercent une pression faible ; d’autres sont plutôt « transnationaux », parce que l’ensemble des facteurs exercent des pressions fortes. 73 0000-Marion.book Page 74 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING Le rôle du consommateur et des goûts • ceux qui se nourrissent de la dissémination de valeurs nouvelles aux dépens des valeurs héritées localement. Au travers de Coca-Cola, Levi’s ou Nike, les adolescents consomment les signes du mythe américain. Au travers des griffes du luxe à la française ou celles du raffinement italien, les « élites » mondiales consomment les signes de la distinction. Au travers du « made in Germany » les clients consomment le stéréotype de la solidité et de la performance. Barilla, producteur de pâtes et Ily producteur de café expresso vendent à travers le monde la qualité typiquement italienne. Marks et Spencer répand la conception anglaise de la qualité et du confort. Les vins français bénéficient de la tradition de qualité de leur origine, comme Volvo est indiscutablement suédois. Dans tous ces cas, on voit combien l’identité nationale et géographique de l’émetteur joue un rôle déterminant, • ceux qui se nourrissent du changement technologique et suscitent la création d’un ensemble de valeurs radicalement nouvelles. Les marques issues de la « Hi-Tech. », 74 © Éditions d’Organisation Le succès de certaines grandes marques mondiales, le plus souvent américaines, semble indiquer une tendance générale vers une mondialisation des comportements de consommation. De même, les produits de luxe constituent un exemple commode pour illustrer cette tendance à l’homogénéisation. Une Mercedes, un foulard Hermès ou un sac Vuitton visent une même clientèle en Amérique du Nord, en Argentine ou à Singapour : celle qui dispose de revenus supérieurs, est mobile et bien informée. Mais, c’est là une analyse de courte vue. Il faut, au contraire, s’efforcer de repérer, du point de vue des goûts, les secteurs les plus favorables à la mondialisation : 0000-Marion.book Page 75 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS © Éditions d’Organisation de l’informatique, de l’électronique, des télécommunications, construisent non seulement les marchés, mais aussi les repères qui les constituent. Leurs produits s’inscrivent d’emblée dans une perspective mondiale qui s’impose à tous les producteurs (micro-informatique, consoles de jeux électroniques, téléphonie mobile…). Les jeunes générations semblent beaucoup plus sensibles que leurs aînées à ces nouveaux produits, qui constituent « leur univers » de consommation. Dans le champ de l’alimentation, pourtant très ancrée dans les traditions culturelles, l’innovation dans le segment des barres chocolatées favorise aussi ce type de consommation. Les produits peu coûteux, qui concernent des usages « universels » et pour lesquels le prix est largement dépendant de l’effet de volume (briquet jetable, instruments d’écriture à faible prix, rasoir mécanique…) bénéficient aussi de cette tendance, • ceux qui, particulièrement dans le champ des services, se nourrissent de la mobilité et du cosmopolitisme des clients (location de voiture, transport aérien, hôtellerie, restauration, tourisme...). Bien que l’homogénéisation des modes de vie et des styles de vie de la planète encourage la recherche de ces segments de marché, il ne s’ensuit pas automatiquement que des segments universels s’imposent à toutes les entreprises. La dynamique de la mondialisation ne conduit pas seulement à plus d’homogénéité et de gigantisme. Elle suscite, dialectiquement chez le consommateur, la recherche de proximité, d’enracinement, de valeurs singulières et à taille humaine. Pour le dire autrement, les tendances à l’universalisme qui accompagnent la mondialisation nourrissent, en même temps, le regain des phénomènes communautaires : le clan, la tribu, 75 0000-Marion.book Page 76 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING • ceux qui sont très enracinés dans les pratiques culturelles. C’est d’abord le cas du secteur alimentaire. En dépit de la présence mondiale de Coca-Cola ou de McDonald’s, force est de constater que les rayons alimentaires des supermarchés varient fortement d’un pays à l’autre. Il suffit de comparer Paris, Barcelone, Londres et Genève pour constater que la structure du petit déjeuner, la place de l’assaisonnement ou du sucre, le rôle du fromage, etc. sont radicalement différents dans les pratiques familiales. Certains loisirs sont eux aussi fortement ancrés dans la tradition et les systèmes de valeurs : Club Med, en dépit de ses efforts pour universaliser son concept, se heurte depuis longtemps à la « résistance » germanique ou nord-américaine. La presse et l’édition, pour des raisons qui tiennent évidemment à la langue mais aussi à l’histoire, demeurent encore peu mondialisées. En dépit du succès des Jeux olympiques et de la coupe du monde de football, il demeure que certaines pratiques sportives et les loisirs qui s’y rattachent demeurent enracinés dans un espace limité culturellement (le baseball), et géographiquement (la mer, la montagne). Du coup, des marchés majoritairement locaux perdurent et permettent une prédominance des acteurs nationaux, voire régionaux, • ceux qui sont très liés à la structure des modes de vie et, notamment, le secteur du commerce de détail et de la vente par correspondance (en large partie déterminé par la structure de l’habitat, le degré d’urbanisation, la réglementation des horaires d’ouverture ou les autorisations de localisation). En dépit des ajustement progressifs de la 76 © Éditions d’Organisation la bande, la clique, voire la secte ou la mafia. D’où les limites de la mondialisation des marques situées dans certains secteurs : 0000-Marion.book Page 77 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS © Éditions d’Organisation législation européenne, on constate des variations extrêmement fortes dans la dispersion des tailles de points de vente entre le Nord et le Sud de l’Europe. Une formule de vente aussi « rodée » que l’hypermarché à la française doit s’adapter dès lors qu’elle se présente sur le marché espagnol, le rôle des petits commerces est essentiel dans tous les pays en voie de développement, etc. Entre ces deux espaces, les marchés en voie de mondialisation se définissent comme des univers où de fortes traditions historiques se combinent avec des économies d’échelle et des effets d’expérience qui favorisent les entreprises capables de mettre en œuvre des stratégies au plan mondial. Le marché automobile ne cesse de se mondialiser sous la poussée des constructeurs. Le rôle initial de l’industrie japonaise est aujourd’hui repris par tous les autres constructeurs. Cette progression vers la mondialisation s’observe aussi dans le matériel électroménager, le cinéma, le mobilier de prix moyen, les supports de musique enregistrée, etc. Sur tous ces marchés, on assiste au renforcement des acteurs globaux aux dépens des acteurs locaux. Par contre, la mondialisation de certains secteurs se heurte à des obstacles plus difficiles à surmonter. Notamment ceux où les écarts de prix entre les différentes zones géographiques influencent fortement le positionnement de la marque et sa qualité relative perçue. Aux États-Unis, ni Levi’s ni Arrow ne disposent d’une position « haut de gamme », contrairement à la situation européenne. De même, le prix moyen d’Évian ou Perrier aux États-Unis donne à ces marques une position assez différente de celle dont elles disposent en Europe. 77 0000-Marion.book Page 78 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING Les stratégies internationales Une stratégie mondiale repose sur l’idée que la position concurrentielle dans un pays est largement influencée par la position concurrentielle dans d’autres pays. C’est le cas de secteurs tels que les télécommunications, la pharmacie, les composants électroniques ou, de plus en plus, les services bancaires. La prise en compte de l’interdépendance entre les pays, et la volonté de rationaliser la stratégie dans une perspective mondiale s’accompagnent alors des décisions suivantes : • une offre standardisée et une communication standardisée fondées sur l’idée que les attentes des clients sont homogènes, 78 © Éditions d’Organisation On l’aura compris, les variations de goûts ne sont que l’un des facteurs, favorable ou défavorable, du processus de mondialisation. Si de nombreux marchés évoluent progressivement vers un degré plus élevé de « globalization » c’est que des forces puissantes sont exploitées par les stratèges et les marketers pour rationaliser leur action. Toutefois, les organisations ne sont pas seulement influencées par les exigences de leur environnement et la nature de leur secteur (mondial, domestique, multidomestiques), ni non plus par la volonté des dirigeants. Elles le sont aussi par leur héritage culturel et historique. Selon Bartlett et Ghoshal (1989), l’analyse comparée des entreprises européennes et des entreprises japonaises montre que, historiquement, les premières ont donné souvent naissance à des fédérations d’entités largement indépendantes (un modèle « fédératif décentralisé » qui s’accompagne d’une stratégie multinationale), tandis que les secondes ont donné naissance à un système « rayonnant centralisé » où le contrôle est étroit et les décisions centralisées (Kœnig, 1996). Il faut, donc, s’efforcer de caractériser les stratégies internationales typiques à la lumière de l’ensemble de ces éléments. 0000-Marion.book Page 79 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS © Éditions d’Organisation ou homogénéisables, quel que soit le territoire géographique considéré. Coca-Cola, McDonald’s ou Microsoft exploitent systématiquement cette idée, • un engagement significatif dans tous les marchés nationaux majeurs pour obtenir des volumes et des synergies. Un tel engagement permet à l’entreprise de s’appuyer sur les tendances de consommation et/ou les changements technologiques qui traversent la diversité des situations géographiques, • une concentration des activités créatrices de valeur dans quelques sites géographiques (la recherche et développement, la fabrication, les campagnes publicitaires), de manière à obtenir des économies d’échelle et/ou bénéficier des avantages d’une localisation particulière, • la construction cohérente d’un avantage concurrentiel significatif et durable pour assurer une position mondiale avantageuse, et la conduite de manœuvres stratégiques concertées entre les principaux pays pour anticiper les interdépendances. Une stratégie « multidomestique » consiste à investir sélectivement dans quelques pays. Chaque filiale conserve une large autonomie et le siège joue principalement un rôle de société holding. Une variante est constituée par la focalisation sur le marché historique de l’entreprise, et donc « domestique », qui s’accompagne le plus souvent de quelques opérations d’exportation de proximité ou d’opportunité. Une très grande partie des entreprises françaises de l’habillement dans le milieu de gamme relève d’un tel type. Une stratégie multinationale se caractérise par l’action indépendante de plusieurs filiales situées sur des zones géographique de forte croissance ou d’intensité concurrentielle faible sur leur propre marché. Le quartier général d’une multinationale assure la coordination 79 0000-Marion.book Page 80 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING financière, l’unification de quelques éléments tels que la politique de marque, et centralise assez fortement la recherche et développement. Elle peut procéder par investissement direct pour implanter des unités locales ou procéder à des transferts de technologie auprès de partenaires qui en sont dépourvus. © Éditions d’Organisation Une stratégie transnationale vise à concilier les forces d’intégration globale avec la nécessité de différencier les offres par pays. Selon Bartlett et Ghoshal (1989) l’organisation transnationale est un réseau asymétrique d’unités dans lequel le centre (le siège social) ne domine pas outre mesure les unités locales. Des flux importants de compétences circulent entre le siège et les filiales, mais aussi entre les filiales sans passer par le siège. Ce type de stratégie serait particulièrement adaptée aux secteurs « mixtes » (c’est-à-dire les plus nombreux) dans lesquels les forces d’intégration globale et les forces de différenciation locales sont élevées. 80 0000-Marion.book Page 81 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS La place du marketing dans l’organisation © Éditions d’Organisation L’illusion qu’il suffit de nommer ou de débaucher, un directeur du marketing pour injecter l’orientation client dans l’organisation repose sur l’idée que le marketing est une fonction séparée, vaguement reliée à la recherche et développement, à la production ou à la vente. Lorsque cette conception prévaut, la responsabilité du service marketing se cantonne souvent aux études de marché et à la publicité. Il intervient peu sur des éléments aussi essentiels que la conception des offres, le niveau de qualité, la fixation des prix, le choix des clients, etc. La dimension stratégique du marketing est ainsi occultée. On voit alors des entreprises disposant de gros services marketing peiner pour s’adapter au changement, tandis qu’une petite entreprise dépourvue de tout département marketing pourra modifier son cap avec un remarquable à propos. Autrement dit, l’apparition d’un service spécialisé dans l’organigramme ne suffit pas pour énoncer que l’entreprise est orientée par le client. Il convient donc de distinguer deux perspectives pour comprendre la nature et l’évolution des structures organisationnelles. Le marketing en tant que groupe fonctionnel au sein de l’organisation (un service, un département, bref une entité organisationnelle distincte), et le marketing en tant qu’ensemble d’activités (la publicité, la gestion des produits, la vente, les études commerciales…). Dans une perspective fonctionnelle, il faut analyser le pouvoir de cette entité (le département marketing) c’est-à-dire le poids relatif de son influence sur les enjeux stratégiques de l’unité considérée (l’entreprise, l’une de ses divisions, une filiale géographique, etc.). Nous verrons que le secteur d’activité (grande consommation versus 81 0000-Marion.book Page 82 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING Business to Business) et le poids de la technologie jouent un rôle important dans ce domaine. Nous verrons aussi que l’un des enjeux majeurs concerne la coexistence de la vente et du marketing. Enfin, nous pointerons le paradoxe de la diffusion de l’orientation marché : plus est grand le nombre d’acteurs qui dans l’entreprise sont impliqués dans des relations avec les clients plus le pouvoir de l’entité marketing décroît. La structure formelle de l’entreprise la plus classique est fondée sur une répartition fonctionnelle : vente, marketing, gestion de la production ou des opérations, gestion financière, gestion des ressources humaines, recherche et développement, etc.). Par direction commerciale ou direction des ventes, on entend alors l’ensemble des unités qui regroupent les divers métiers spécifiques de la vente (directeur des ventes, chef de secteur, attaché commercial, merchandiser, responsable de compte-clé…), tandis que la direction marketing, lorsqu’elle existe, regroupe les chefs de produit, parfois sous la responsabilité d’un chef de groupe de produits, et les assistants chefs de produit (A.C.P.) et souvent le ou les chargé(s) d’études commerciales (encadré 1.14.). Cette structure, dite par chefs de produit (Product managers, Brand managers), est la plus courante dans les entreprises de grande consommation si bien qu’elle est devenue la norme voire, pour certains, le synonyme d’une orientation client. On en vient à considérer que l’entreprise ne saurait faire du marketing en l’absence d’un département spécifique constitué de plusieurs chefs de produit sous la responsabilité d’un directeur du marketing. Mais, en pratique, ce type d’organisation concerne surtout les entreprises de biens de grande consommation. De plus, la 82 © Éditions d’Organisation Les contours d’un département marketing 0000-Marion.book Page 83 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS définition du poste de chef de produit est très variable au sein même de ce type d’organisation. Le chef de produit n’a pas d’autorité hiérarchique vis-à-vis des autres services avec lesquels il travaille. Il occupe une position à la frontière de plusieurs systèmes : la recherche et développement, la production, les achats, le contrôle de gestion, la comptabilité, les ventes. Il joue, de ce fait, un rôle de coordination et de traduction de logiques différentes et parfois contradictoires. C’est pourquoi son rôle varie largement d’une organisation à une autre. Encadré 1.14. Une organisation typique de la fonction marketing © Éditions d’Organisation Directeur Marketing Secrétariat Études commerciales Chef de Groupe 1 Chef de Groupe 2 Chef de produit 1 Chef de produit 2 A.C.P. A.C.P. Les entreprises de services et les entreprises du milieu industriel adoptent bien souvent des structures moins normées. Le service marketing ne manipule alors qu’une partie des variables d’action propres au marketing. Plusieurs marketers « à temps partiel », situés dans d’autres fonctions et d’autres services (recherche, méthodes, fabrication, exploitation, etc.), sont en interaction avec les clients. 83 0000-Marion.book Page 84 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING Toutefois, un grand nombre d’ingénieurs, œuvrant quotidiennement pour fournir des solutions aux clients, ne reconnaissent pas toujours que leur activité relève du marketing. De plus, dans ces entreprises les promoteurs de la logique marketing peuvent porter des titres divers : directeur du marketing, responsable du département marketing, directeur commercial, directeur des ventes…, et peuvent appartenir à d’autres services que celui qui porte l’étiquette « marketing » ou « commercial ». Autrement dit, on observe une dispersion plus ou moins grande des activités marketing au sein de l’organisation. Enfin, dans les entreprises plus petites, il est relativement fréquent de constater une large dispersion des activités marketing entre divers services. Le rôle du chef de produit • construire un plan de marketing et un budget marketing (cf. chap. 5) : volume de ventes, chiffre d’affaires, « contribution » marketing, dépenses d’études, de publicité, et de promotion, 84 © Éditions d’Organisation L’organisation traditionnelle d’une multinationale œuvrant dans les produits de grande consommation est calquée sur la structure par chefs de produit initiée en 1931 par Procter et Gamble et largement diffusée à partir des années 1950 (Low et Fullerton, 1994). Ce choix organisationnel résultait de la multiplication des marques et des produits et de la complexification de l’organisation des grandes entreprises. Si bien que 84 % des fabricants de la grande consommation disposaient de chefs de produit en 1967 (Buell, 1975). Le chef de produit apparaît alors comme une sorte de « pivot », comme un « mini general manager » dont les responsabilités typiques consistent à : 0000-Marion.book Page 85 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS © Éditions d’Organisation • coordonner la mise en œuvre du marketing opérationnel (extensions de gamme, modifications de produits et de prix, actions promotionnelles, stratégie publicitaire…). De ce point de vue, le chef de produit est en contact avec de nombreuses autres fonctions (R & D, production, finance, logistique…), sans avoir aucune autorité hiérarchique sur ses interlocuteurs. Il doit convaincre par sa compétence et la qualité de son expertise. Il est aussi chargé de la coordination des relations avec l’agence de publicité et des sociétés d’études ou du service études si celui-ci existe, • suivre finement la position concurrentielle de ses produits et l’évolution de la demande au moyens des panels, des études, des statistiques professionnelles, etc. Un chef de produit est donc partie prenante de plusieurs systèmes d’action en relation les uns avec les autres. Il joue, de ce fait un rôle important d’intermédiaire et d’interprète entre des logiques d’action différentes, voire contradictoires (clients, production, agence de publicité, sociétés d’études…). Il est soumis à de multiples pressions internes et externes et, pour faire face à l’incertitude, il doit disposer d’un système d’information pertinent concernant les clients, la demande et la concurrence. La structure typique d’un département marketing traditionnel découle de l’apparition du chef de produit. Celui-ci peut dépendre d’un chef de groupe coordinateur de plusieurs lignes de produits, qui lui-même dépend du directeur marketing ou du directeur de la division. La trajectoire traditionnelle du marketer est ainsi tracée : d’abord assistant chef de produit, puis chef de produit, chef de groupe et, enfin, directeur du marketing. 85 0000-Marion.book Page 86 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING L’évolution des métiers du marketing Ces nouvelles solutions sont suscitées par la prise en compte d’un ensemble de tendances lourdes : la mondialisation des activités, la montée en puissance des entreprises de commerce, la diffusion des technologies de l’information qui permettent au Top Manager de disposer rapidement d’une information ad hoc au plan mondial, l’horizontalisation de l’entreprise autour des notions de chaîne de 86 © Éditions d’Organisation En pratique, la fonction chef de produit est extrêmement diverse au sein des organisations et les contours de ses responsabilités opérationnelles fluctuent largement d’une entreprise à une autre. Dès 1973, de très grandes entreprises comme Pepsi-Cola, Heinz ou Heublein mettent en cause la pertinence du brand manager au profit d’autres choix organisationnels : category manager, chef de marché, directeur de petites divisions, travail en équipe… Les chefs de produit eux-mêmes manifestent une certaine lassitude vis-à-vis de certaines de leurs responsabilités (la promotion des ventes, la prévision des ventes, la gestion budgétaire) qui se développent aux dépens d’activités plus « passionnantes » telles que la stratégie publicitaire ou le pilotage des nouveaux produits (Quelch, Farris et Olver, 1987). Du coup, un certain nombre de critiques sont adressées aux chefs de produit eux-mêmes : trop jeunes et inexpérimentés, trop carriéristes (la rotation moyenne aux USA serait de dix-huit mois), trop centrés sur leur service et certaines activités comme la publicité ou la promotion… Bref, une vision trop fragmentaire et réductrice, alors que des enjeux importants les dépassent largement : la marque est un actif trop précieux pour que celle-ci soit confiée à un chef de produit, le développement d’une offre européenne voire mondiale doit résulter d’un travail pluridisciplinaire, les relations avec les grandes enseignes de distribution relèvent du « trade marketer »… D’où l’émergence de nouvelles solutions organisationnelles. 0000-Marion.book Page 87 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS © Éditions d’Organisation valeur et de gestion par les processus. Le « nouveau » chef de produit apparaît plus alors comme un manager expérimenté (senior), un généraliste qui domine les frontières traditionnelles entre les fonctions verticales de l’entreprise : le maître mot de ce nouveau profil est intégration et s’oppose à l’approche fonctionnelle traditionnelle. En d’autres termes, chaque marketer sera moins un membre du « département » marketing qu’une compétence au sein de l’entreprise. Divers types de compétences sont alors repérables (George, Freeling et Court, 1994) : • une compétence centrée sur un segment du marché final (le responsable marketing du marché hispanique chez Kraft, le directeur d’un hypermarché chez Carrefour, le responsable du segment « professions libérales » dans une banque…). Une telle compétence repose sur une connaissance fine d’un groupe de clients homogène et vise à déployer les ressources de l’entreprise sous la formes de produits et de services adaptés à ce segment, • une compétence centrée sur un certain type de client direct (le responsable grand compte, le directeur d’enseigne, le Key Account Manager, le trade marketer, le responsable d’un accès sélectif au marché : duty free shop, parfumeries, pharmacies…). Cette compétence repose sur l’aptitude à analyser finement les interactions fournisseur-client, à partir des modèles développés pour le Business to Business (cf. chap. 7), et à conduire des stratégies d’adaptation, voire d’alliance, vis-à-vis des centrales d’achat et des grandes enseignes, • une compétence centrée sur un certain type de produits (le responsable d’un bouquet de nouvelles formes d’assurances, le Category Manager, le responsable du projet Twingo…). Cette compétence est typiquement transversale et relève plus de la conduite de projet que du rattachement à un 87 0000-Marion.book Page 88 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING service particulier. Elle repose sur une forte expérience des différentes fonctions de l’entreprise et permet de conduire des actions mobilisant des ressources et des compétences très diverses (chercheurs, vendeurs, financiers, hommes de production…). Comme pour la conduite d’un projet, la compétence principale ne se situe pas dans une expertise spécialisée mais dans l’aptitude à mobiliser des compétences collectives, • une compétence centrée sur une technique marketing (le marketing direct, le pilotage des prix, la publicité, le merchandising, l’analyse des données, la gestion de bases de données, le E-Commerce…). Au total, on dispose de moins en moins d’une définition simple et normée de la structure marketing. Les solutions organisationnelles apparaissent toujours comme le fruit provisoire d’exigences par nature contradictoires : mission ou métier, centralisation ou décentralisation, locale ou mondiale, formelle ou informelle… Avant de mettre en évidence la diversité des structures organisationnelles et les facteurs qui expliquent cette diversité, il convient de souligner la prégnance de deux évolutions fondamentales : le rôle de l’approche par les processus et l’impact de la chronocompétition. 88 © Éditions d’Organisation Aujourd’hui, au sein même des entreprises de grande consommation, on constate donc une remise en cause grandissante de la structure traditionnelle par chefs de produit. De plus, la mondialisation conduit les grandes entreprises certes à adapter leur structure en raison des exigences de l’action locale (afin d’adapter les offres), mais surtout à tenir compte des impératifs d’une stratégie mondiale (afin de préserver une marque unique et une offre standardisée et de négocier avec des enseignes elle-mêmes mondiales). On observe alors une réduction du rôles des directions locales, c’est-à-dire au niveau d’un pays. 0000-Marion.book Page 89 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS Le marketing au sein des processus : la chaîne de valeur © Éditions d’Organisation L’analyse de l’entreprise en termes de processus propose une grille de lecture originale pour décrire ses activités, c’est-à-dire les modes de transformation de ses ressources en résultats. Le succès, au moins médiatique, des opérations de Business Process Reengineering a renforcé la volonté de briser les chapelles fonctionnelles (functional silos) pour leur substituer une réflexion en termes de processus-clés. On entend par processus (sous-entendu transversal), un ensemble d’activités, reliées entre elles par des flux d’information, qui se combinent pour fournir un résultat défini. Le « processus de fabrication » a pour résultat un produit fini, le « processus de commande/livraison/facturation » a pour résultat l’émission d’une facture, le « processus d’achat » a pour résultat une commande, le « processus de conception » a pour résultat un concept de produit que l’on peut fabriquer et vendre. Une telle définition des activités de l’entreprise est différente du regard traditionnel hérité de la doctrine de Fayol (qui remonte à 1917), où le personnel est réparti verticalement en groupes distincts selon sa fonction (technique, commerciale, financière, comptable…), et son niveau hiérarchique. L’analyse par les processus fait, au contraire, apparaître transversalement les liens entre la valeur délivrée par l’entreprise et l’action de chaque individu ou équipe. Elle essaie ainsi de dépasser les obstacles introduits par la division taylorienne du travail en prenant systématiquement comme référence le jugement final du client sur la valeur du résultat de ces processus. Cette approche est au fondement de plusieurs outils, notamment les notions de chaîne de valeur (Porter, 1980), de qualité totale, et de reconfiguration des processus (Business Process Reengineering). Elle met l’accent sur la recherche d’une efficacité opérationnelle 89 0000-Marion.book Page 90 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING supérieure à la concurrence : soit en délivrant une valeur supérieure au client qui sera alors prêt à payer un prix supérieur, soit en créant une valeur comparable à un coût inférieur. L’efficience de l’entreprise, mesurée par les différences de prix ou de coût visà-vis de la concurrence, résulte des centaines d’activités que nécessitent la conception, la production, et la vente de biens et de services. C’est donc l’ensemble de ce système, et non pas telle ou telle activité, qui détermine la compétitivité de l’entreprise. Par conséquent, il convient de raisonner sur l’articulation des activités au sein de processus interdépendants. Par exemple, au sein du processus logistico-industriel de fabrication, le contrôle qualité sur les achats permet de réduire les incidents de production ou le taux de rebuts. Ou encore, la gestion fine du planning de mise en fabrication, grâce à un bon système d’information, permet de réduire les stocks sans provoquer de rupture dans les livraisons. • Le processus commande/livraison/facturation est constitué par des activités réparties traditionnellement dans des fonctions séparées verticalement (direction des ventes, planification des commandes, administration des ventes, services logistiques, responsables de la production, facturation et comptabilité). Dans le secteur automobile un tel processus peut être décrit comme l’enchaînement suivant : action publicitaire et promotionnelle, prise de commande, négociation d’un prix et de conditions de règlement, réception d’une commande, programmation de la livraison, fabrication 90 © Éditions d’Organisation Le marketer peut jouer un rôle important au sein de deux processusclés : le processus qui conduit d’une commande à la facturation et le processus de conception et de développement des nouveaux produits. Ces deux processus recouvrent en partie ce que l’opposition marketing opérationnel et marketing stratégique entend distinguer. 0000-Marion.book Page 91 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 © Éditions d’Organisation MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS ou sortie de stocks, préparation de la livraison, transport, facturation, encaissement, services associés à la livraison et mise à disposition du véhicule. L’horizon de planification est très proche, et on se situe dans le champ des décisions courantes. Trois conséquences importantes sont attendues de l’amélioration de ce processus : la satisfaction des clients (commandes livrées plus rapidement et plus précisément, respect des engagements), la diminution des conflits entre fonctions, et l’amélioration de la productivité. • Le processus de conception et de développement des nouveaux produits est constitué traditionnellement par un enchaînement linéaire d’étapes articulant les activités d’acteurs séparés : le marketer, les ingénieurs de recherche et développement, le responsable des achats, celui de la production, la direction financière… Toutefois, les processus linéaires sont souvent remis en cause dans les situations d’innovation complexes. Il s’ensuit de profondes perturbations dans les organisations de grande taille où les services sont cloisonnés, l’action finement planifiée, et la structure très hiérarchisée (cf. chap. 5). Quoi qu’il en soit, l’horizon de planification est plus lointain que dans le processus précédent. On se situe dans le champ des décisions stratégiques. L’un des enjeux les plus importants de ce processus concerne le choix effectué par l’entreprise sur le continuum standardisation/sur mesure. Entre la standardisation pure (dont la Ford T est le prototype historique et McDonald’s la version contemporaine), et le sur mesure intégral (le bijoutier de la place Vendôme ou l’architecte qui crée pour un client unique), il existe de multiples voies où se combinent la modularité et la standardisation à tous les niveaux du développement d’un nouveau produit : conception, fabrication, assemblage et vente. 91 0000-Marion.book Page 92 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING La chronocompétition De même, le temps est une variable concurrentielle de première importance pour les entreprises qui opèrent dans le textile-habillement puisqu’une offre trop précoce est génératrice de stocks, tandis qu’une offre trop tardive sera soit soldée, soit invendable. Plus généralement, la concurrence fondée sur la gestion rapide des processus est exacerbée dans tous les secteurs où se manifeste une accélération de l’obsolescence des produits (automobiles, électronique, vêtements, etc.). Les avantages d’une mise en marché rapide sont en effet nombreux car l’entreprise peut alors : • vendre plus cher, • accroître sa part de marché, • collecter plus vite de l’information (prévisions des ventes, qualité attendue…), 92 © Éditions d’Organisation Au cours des années 1970, l’industrie automobile japonaise a fait de la flexibilité et de la vitesse d’exécution (time to market) l’une de ses compétences distinctives. Ce que l’on appelle le « toyotisme », c’est-à-dire la généralisation de la démarche organisationnelle mise en place par Toyota (le « juste à temps », le contrôle permanent et autonome des défauts, la flexibilité du travail, et la « créativité - invention » de tous les opérateurs concernés) se traduit notamment par une gestion différente du temps. Toyota aurait, ainsi, réduit d’une part, la durée du développement d’un nouveau véhicule de 5 ans à 3 ans, notamment en créant des équipes projets auto-organisées et en impliquant très tôt ses fournisseurs dans le processus. D’autre part, elle aurait réduit le cycle de production de 5 jours à 2 jours et le processus de commande de 5 jours à 1 jour. Ce sont là les effets de la chronocompétition, c’est-à-dire l’utilisation du temps comme arme concurrentielle. 0000-Marion.book Page 93 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS • enclencher plus vite des économies d’échelle ou une courbe d’apprentissage (cf. chap. 10), • introduire plus vite des innovations incrémentales, • susciter une animation dans les points de vente, • en revanche, une mise en marché rapide peut entraîner des problèmes de qualité et augmenter les coûts de développement d’un nouveau produit. La chronocompétition est donc un enjeu grandissant qui conduit les entreprises à imiter tout ou partie des « pratiques japonaises ». Par ailleurs, la valorisation de leur propre temps par certains clients (homme d’affaires pressé, mère de famille impliquée dans un travail salarié…) suscite de nouvelles opportunités pour les aider à gagner du temps. Ainsi, l’élasticité du prix par rapport au temps peut constituer un critère de segmentation complémentaire. Ce critère semble particulièrement utile dans le champ des services. © Éditions d’Organisation La diversité des structures organisationnelles La structure d’une organisation est constituée par le champ des relations entre les différentes composantes de son gouvernement : répartition des responsabilités, configuration des pouvoirs, rapports d’autorité. On peut la décrire selon sa complexité (nombre de niveaux hiérarchiques, dispersion géographique…), sa formalisation (standardisation des définitions de postes, explicitation des procédures et de la distribution du pouvoir…), et son degré de centralisation. La place du marketing dans l’organisation reflète son influence. Toutefois, les grandes organisations manifestent une forte diversité de leur structure dans l’espace et dans le temps. D’abord, une certaine diversité selon les activités, les fonctions, et les pays. En 1987, au 93 0000-Marion.book Page 94 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING sein d’Unilever, les activités chimiques de l’entreprises relevaient d’une forte coordination internationale, tandis que pour les produits de consommation alimentaires le degré de coordination demeurait très modeste, les lessives occupant une position intermédiaire. Au sein des activités de lessives, la fonction R&D était amplement coordonnée au plan mondial, tandis que la fonction vente était largement adaptée aux exigences locales, la fonction marketing occupant une position intermédiaire. Au sein de la fonction marketing, les marchés allemand et français faisaient l’objet d’une forte coordination, tandis que pour le Brésil et l’Inde la coordination était très faible, la Suisse, la Hollande, et la Suède occupant une position intermédiaire (Bartlett et Ghoshal, 1989). On voit donc qu’à un moment donné, une même entreprise manifeste une ample diversité organisationnelle. De plus, l’observation dans le temps montre, le plus souvent, qu’un dispositif organisationnel résulte de mouvements multiples relevant moins d’un plan général et délibéré que d’un incrémentalisme logique, c’est-à-dire un processus caractérisé par une série d’étapes visant à prendre en charge des conditions spécifiques. Entre 1960 et 1987, IBM a réorganisé quatre fois ses équipes commerciales : d’abord selon une logique produit, puis selon une logique client/produit, puis selon la taille des clients, enfin selon une logique géographique (Cespedes, 1990). Avant de clarifier les raisons de cette diversité, présentons d’abord les grandes formes organisationnelles. L’adaptation de la structure organisationnelle de l’entreprise aux changements de son environnement est un levier puissant pour la 94 © Éditions d’Organisation Les grandes formes organisationnelles 0000-Marion.book Page 95 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS © Éditions d’Organisation mise en œuvre de la stratégie. L’analyse historique de Chandler (1962) fournit une première catégorisation. • La structure fonctionnelle ou unifiée (U) apparaît au sein des premières grandes entreprises. Celles-ci sont le plus souvent monoproduit (acier, tabac, pétrole…) et les services fonctionnels (production, vente, finance…) constituent les unités opérationnelles sous la direction d’un « patron ». L’information et la répartition des tâches sont fortement centralisées (top down). Lorsque la croissance s’accompagne d’une multiplication des produits et des marchés (notamment géographiques), le sommet stratégique (Top Management) peut difficilement traiter toute l’information et être attentif, en même temps, aux enjeux stratégiques et aux enjeux opérationnels. Accroître la participation des responsables fonctionnels aux décisions stratégiques n’est guère satisfaisant car ceux-ci risquent de privilégier leur propre fonction aux dépens de l’ensemble de l’organisation. • La forme multidivisionnelle (M) apparaît au début des années 1920. Elle consiste à établir des niveaux intermédiaires de hiérarchie et de contrôle : les divisions. Celles-ci constituent des unités se comportant comme une quasi-entreprise au sein du groupe (un centre de profit ayant la responsabilité de ses objectifs et résultats). Chez Du Pont de Nemours il s’agissait de résoudre la question de la surcharge des dirigeants (Top Management), au sein d’une structure unifiée. Chez General Motors il s’agissait plutôt des coordonner des entités au départ indépendantes (Buick, Cadillac, Oldsmobile, Pontiac, Chevrolet) progressivement agrégées au sein de l’entreprise. La forme multidivionnelle est donc aussi une manière de faire évoluer la forme holding vers une intégration renforcée des entités opérationnelles. 95 0000-Marion.book Page 96 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING • La forme holding (H) consiste à laisser une grande indépendance aux filiales et à ne contrôler que leurs résultats. On constate alors que l’opposition entre les formes centralisées (qui accompagnent une stratégie globale) et les formes fédérales (qui accompagnent une stratégie multinationale) semble s’atténuer (Kœnig, 1996). La tendance actuelle ferait plutôt apparaître une convergence progressive des modes d’organisation de la présence internationale des grands groupes. La dialectique des exigences contemporaines vis-à-vis du « global » et du « local » conduit les entreprises fédératives à renforcer leur intégration, tandis que les firmes centralisées s’ouvrent aux demandes locales. L’organisation « transnationale » (Bartlett et Ghoshal, 1989) serait la forme visée par la plupart des entreprises. Dans ce type de structure organisationnelle, et de stratégie, toutes les filiales ne sont pas traitées de la même manière et l’autonomie d’une unité locale est proportionnelle à son importance stratégique. Certaines fonctions sont concentrées, d’autres sont coordonnées, d’autres encore ont une forte autonomie locale. De multiples équipes-projets horizontales et transnationales 96 © Éditions d’Organisation Depuis les premiers travaux de Chandler, l’ajustement de la structure repose sur un adage dominant « la structure suit la stratégie », autrement dit une modification dans la stratégie doit entraîner une révision de la structure. Cependant, de nombreux travaux contemporains indiquent aussi que la structure conditionne la stratégie. De plus, les multiples observations empiriques échouent à isoler les structures formelles efficaces au plan international qui garantiraient à la fois l’efficience d’ensemble de l’entreprise et la sensibilité aux enjeux locaux. En pratique, pour évaluer un dispositif organisationnel concret il est nécessaire de compléter la vue d’ensemble que procurent les grandes formes (U, M, ou H) par des observations plus fines sur les relations entre les diverses unités et le « quartier général ». 0000-Marion.book Page 97 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS complètent la structure hiérarchique, voire s’y substituent. Une typologie des localisations de la vente et du marketing va permettre de clarifier les facteurs qui expliquent cette diversité (Workman et al., 1998 ; Homburg et al., 2000). L’organisation fonctionnelle au sein d’une unité autonome Dans cette forme organisationnelle, chacune des fonctions majeures de l’entreprise (ventes, marketing, opérations ou production, Recherche et Développement, R&D) rapporte à la direction générale de l’entreprise, de l’unité, de la filiale… (encadré 1.15.). Le service marketing peut être plus ou moins étoffé, voire quasi inexistant. C’est une forme fréquente dans les petites entreprises peut internationalisées. Dans un grand groupe à la structure mutidivisionnelle, ce type de service partage peu de relations avec d’autres unités. Parfois, notamment aux États-Unis, la direction des ventes et la direction marketing rapporte à un échelon intermédiaire tel que le Vice President of Sales and Marketing. Encadré 1.15. La vente et le marketing au sein d’un unité autonome © Éditions d’Organisation Direction générale Marketing Ventes Opérations Production R&D 97 0000-Marion.book Page 98 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING L’organisation fonctionnelle articulée avec un service central Dans ce type d’organisation l’entreprise (dans nos schémas : Le Groupe) est divisée en unités en général spécialisées par type de produit. La différence majeure entre cette forme et la précédente est la présence d’un service central du marketing au niveau du Groupe auquel appartient l’unité (encadré 1.16.). D’un côté, chaque unité, ou presque, dispose de ses propre ressources pour contrôler la conception de ses produits, la production, le marketing, et la vente. Mais, de l’autre, un service situé au niveau de la direction du groupe coordonne le marketing stratégique des diverses unités et centralise certaines activités transversales spécialisées notamment dans les études commerciales et dans l’achat d’espace publicitaires auprès des médias, mais aussi le dépôt des marques ou la veille juridique. Encadré 1.16. Une organisation fonctionnelle et un service central Direction Groupe Marketing 98 Unité 2 Ventes Production Unité 3 R&D Marketing Groupe © Éditions d’Organisation Unité 1 0000-Marion.book Page 99 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS Dans le cas des unités plus petites, qui peuvent difficilement disposer des moyens leur permettant de construire leurs propres équipes de marketing et de R&D (notamment les petites filiales géographiques), apparaît alors la fonction de chef de marché. Un chef de marché sert de relais entre les chefs de produits centraux (en charge du marketing stratégique, quels que soient les marchés géographiques) et les enjeux spécifiques du marché local. Plusieurs organisations fonctionnelles partagent une même force de vente © Éditions d’Organisation Certaines organisation ont regroupé toutes leurs forces de vente en une seule équipe localisée dans une unité séparée qui assure la vente de tout ou partie des produits du groupe (encadré 1.17.). La première raison d’un tel regroupement tient à l’amélioration de la productivité des équipes lorsque les produits sont reliés entre eux. C’est donc le fait des grandes organisations qui cherchent à susciter des synergies entre leurs diverses activités. Deux autres facteurs renforcent ce choix : le désir de mettre l’accent sur des relations à long terme avec les clients directs et la nécessité de coordonner l’action commerciale vis-à-vis des plus gros clients. Dans cette situation chaque unité perd un peu plus de son autonomie. De nombreux chefs de produits de la grande consommation sont placés dans ce type de situation : ils ont la responsabilité des profits et pertes de leurs produits sans cependant avoir le contrôle de la force de vente. Il en va souvent de même dans les entreprises du milieu industriel. Dans tous ces cas on assiste à une concurrence interne pour retenir l’attention des vendeurs. L’une des solutions à cette situation consiste à créer un poste de coordination entre les chefs de produit et les équipes de vente pour équilibrer les activités de cette dernière, voire déterminer des quotas de ventes. 99 0000-Marion.book Page 100 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING Encadré 1.17. Trois unités qui partagent une force vente unique Direction Groupe Unité 1 Marketing Unité 2 Production Unité 3 Force de vente Groupe R&D Certaines entreprises ont regroupé dans une ou plusieurs unité(s) spécialisée(s) les activités de marketing, de vente et de services aux clients (encadré 1.18.). Un tel regroupement concerne souvent, et d’abord, une cible géographique particulière de clients. Un tel regroupement peut aussi reposer sur des critères qui reposent non pas sur la localisation géographique des clients mais sur leur nature même. Par exemple un découpage de la clientèle par type d’activité : tous les artisans ou toutes les professions libérales. Une telle unité est donc spécialisée dans l’accès à un segment du marché et au marketing spécifique qu’il implique. Relativement aux services centraux du Groupe, elle dispose de faibles ressources propres en R&D ou en production pour adapter les offres. Elle peut, par contre disposer de ressources consacrées aux supports techniques : formation, maintenance, service après-vente, etc. 100 © Éditions d’Organisation Une unité spécialisée dans le marketing et la vente 0000-Marion.book Page 101 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS Encadré 1.18. Une unité spécialisée dans l’accès à un segment de marché Direction Groupe R&D Groupe Marketing Marketing et Ventes Groupe Ventes Production Groupe Supports techniques Des unités « produits » fournisseurs d’unités « marchés » © Éditions d’Organisation Dans un même Groupe peuvent coexister des unités dédiées à la R&D, la production et au marketing stratégique d’une famille de produit tandis que d’autres sont spécialisées sur un segment du marché (encadré 1.19.). Les premières sont les fournisseurs des secondes et ces dernières apparaissent comme des prestataires de services vis-à-vis des premières. Dans cette forme organisationnelle des activités marketing se retrouvent dans chaque type d’unité : les unes dites « stratégiques » dans les unités « produit », et les autres dites « supports » dans les unités « marché ». 101 0000-Marion.book Page 102 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING Encadré 1.19. Des unités produits et des unités marchés Groupe Unité 2 Produit Unité 3 Produit Unité A Marché Unité B Marché Marketing Stratégique Ventes Production Services R&D Marketing Support Unité C Marché Bien entendu, de nombreuses formes hybrides apparaissent. Notamment, certaines entreprises multinationales organisent leurs activités marketing sous la forme de filiales de distribution pour la plupart de leurs marchés géographiques étrangers mais utilisent une structure fonctionnelle plus autonome pour leur marché domestique. De plus, plusieurs formes organisationnelles peuvent coexister : des unités « marché » spécialisées pour les grandes catégories de clients et une unité plus « généraliste » pour le reste des clients. Quels sont les facteurs qui motivent telle ou telle forme et, notamment, qu’est-ce qui explique la dispersion ou la non-dispersion des 102 © Éditions d’Organisation Unité 1 Produit 0000-Marion.book Page 103 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS © Éditions d’Organisation activités marketing entre divers services ou départements au sein de l’entreprise ? Trois familles de facteurs sont à considérer : • des facteurs liés à l’entreprise dans son ensemble : d’abord sa taille, puisque les grandes entreprises sont à la recherche de synergie entre leurs diverses unités, ensuite la proximité de ses produits et des activités marketing et de vente d’une unité à une autre. Plus faible sera cette proximité et plus fréquente sera l’apparition de formes autonomes. • des facteurs d’environnement : l’incertitude liée au marché (c’est-à-dire le caractère plus ou moins imprévisible de son évolution : préférences des clients, actions des concurrents, évolutions de la distribution…) et l’incertitude liée à la technologie (c’est-à-dire la rapidité et le caractère peu prévisible du changement technologique). Ces deux facteurs augmentent la dispersion des activités marketing. Toutefois, alors que l’incertitude liée au marché accroît le pouvoir d’influence du marketing dans l’organisation, l’incertitude liée à la technologie (comme c’est souvent le cas des entreprises de la haute technologie) diminue ce pouvoir au profit de la R&D. Par ailleurs, ainsi que nous l’avons déjà souligné plusieurs fois, la dispersion des activités marketing est beaucoup plus grande dans le secteur des produits industriels que dans celui des produits de grande consommation. Par ailleurs, il est probable que d’un pays à l’autre ou d’un continent à l’autre des variables socioculturelles favorisent telle ou telle forme organisationnelle. • des facteurs liés à chacune des unités : certaines unités sont focalisées sur des stratégies de domination par les coûts (cf. chap. 10) alors que d’autres mettent l’accent sur la différenciation de leur offre. Ce sont ces dernières qui, d’une part, dispersent plus leurs activités marketing et, d’autre 103 0000-Marion.book Page 104 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING part, accordent plus de pouvoir d’influence au marketing. Par ailleurs, la concentration du portefeuille de clients, c’est-à-dire lorsque l’unité a peu de gros clients, favorise la dispersion des activités marketing puisque de nombreux marketers « à temps partiel » interviennent dans les relations avec les clients. Il s’ensuit que dans cette situation le pouvoir d’influence du marketing est plus faible. On le voit de multiples facteurs peuvent expliquer le choix d’une forme organisationnelle. Ces facteurs tiennent non seulement à l’environnement de l’entreprise mais aussi à des aspects historiques qui se sont institutionnalisés dans l’entreprise. Il s’ensuit que le pouvoir d’influence du marketing dans l’entreprise est non seulement propre à chaque organisation mais qu’il varie plus ou moins graduellement au fil du temps. Doit-on abandonner toute tentative pour dégager une tendance générale ? Pas tout à fait. Les conséquences d’un tel mouvement sont nombreuses. Les marketers doivent notamment apprendre à agir dans des organisations plus complexes, au sein d’équipes pluri-fonctionnelles. Il s’ensuit aussi que les systèmes comptables et les systèmes de rémunération se transforment pour mettre en évidence une rentabilité par client ou groupes de clients. 104 © Éditions d’Organisation On observe en effet une tendance générale des entreprises à organiser leurs unités d’action selon une logique qui les focalise sur un groupe de clients homogène du point de vue de leur secteur, des usages et applications d’un produit ou toute autre similarité en dehors de leur localisation géographique. Par conséquent, elles abandonnent progressivement des regroupements par famille de produits ou par zones géographiques (encadré 1.20.), d’autant plus que les systèmes d’information modernes favorisent cette dispersion géographique. 0000-Marion.book Page 105 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS Encadré 1.20. Le glissement des formes organisationnelles Focalisation sur des groupes de clients Évolution des formes organisationnelles Focalisation sur des familles de produit Focalisation sur des zones géographiques © Éditions d’Organisation Le plan de marketing Quelle que soit la forme organisationnelle retenue par l’entreprise, elle s’efforce de formaliser ses actions dans un plan afin de les programmer et de les contrôler. Toutefois, certains dirigeants pratiquent le tâtonnement systématique et prennent leurs décisions au jour le jour, ou pour quelques mois, sans aucune évaluation. D’autres engagent leurs équipes dans l’élaboration de plans soigneusement chiffrés et à long terme et font contrôler régulièrement la réalisation de ce plan. Entre ces deux extrêmes on pourra rencontrer (Atamer et Calori, 2003) : 105 0000-Marion.book Page 106 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING • une équipe dirigeante qui se contente d’une vision approximative du futur pour guider l’action quotidienne de l’entreprise, • une équipe dirigeante qui ajoute aux éléments précédents quelques méthodes simples d’évaluation et de prévision à court terme (budget annuel, contrôle budgétaire, plan d’activité annuel…), • une équipe dirigeante qui ajoute aux éléments précédents une prévision à moyen terme, un plan pluriannuel (3 à 5 ans), glissant ou non, et des plans plus détaillés à court terme, dont le plan de marketing, • une équipe dirigeante qui ajoute aux éléments précédents la simulation de scénarios et de plans contingents en fonction de plusieurs versions de futurs possibles. • une synthèse managériale (executive summary) qui résume les grandes lignes du plan, • une analyse de la situation actuelle : historique des ventes, du chiffre d’affaires, de la position concurrentielle…, • une présentation des opportunités et des enjeux : forces et faiblesses, menaces et opportunités (cf. chap. 10), 106 © Éditions d’Organisation Il s’ensuit que la rédaction d’un plan de marketing, et notamment des plans de lancement de nouveaux produits, peut faire l’objet d’une formalisation plus ou moins grande en raison de la taille de l’entreprise, de la diversité de ses activités, de son horizon stratégique, et du degré de turbulence de l’environnement. De plus, le plan de marketing peut être désigné par plusieurs vocables : business plan, plan d’action commerciale, plan de vente…, et comporter divers documents : budget annuel, compte de résultats prévisonnels, revue de marque, product fact book, etc. Le plan type d’un tel document devrait comporter les rubriques suivantes : 0000-Marion.book Page 107 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS • les objectifs de vente et de profits, • les grands axes de la stratégie marketing, • les divers programmes d’actions et plans d’actions prioritaires, • le compte de résultats prévisionnels, • les instruments et indicateurs de contrôle. En fait, chaque entreprise adopte des présentations particulières et des niveaux de précisions très variables. Quoi qu’il en soit, la formalisation d’un plan devrait être un processus itératif (où l’on revient sur les prémisses et les objectifs en fonction des résultats attendus), et un processus interactif (associant à la conception du plan les responsables de son application). La planification est de peu d’utilité si elle demeure un simple acte formel. Cela dit, le style de management de l’entreprise peut favoriser divers types de processus : © Éditions d’Organisation • le style autocratique implique peu les niveaux hiérarchiques inférieurs lors de l’identification des problèmes, et pas du tout lors de l’élaboration des décisions et du contrôle des réalisations, • le style consultatif implique les niveaux hiérarchiques inférieurs lors de l’identification des problèmes, et les implique peu lors de l’élaboration des décisions et du contrôle des réalisations, • le style participatif implique les niveaux hiérarchiques inférieurs lors de l’ensemble des étapes. Plusieurs recherches convergent pour conclure aux limites d’un processus autocratique. C’est une formule rapide, mais qui néglige beaucoup de facteurs dans la résolution d’un problème. À l’autre extrême, un processus totalement démocratique allonge le temps de réponse et exige un sens peu commun du collectif. Les processus consultatifs et participatifs permettent la réduction des « biais 107 0000-Marion.book Page 108 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING cognitifs du chef » lors du diagnostic, mobilisent la créativité de chacun, et contribuent à la motivation des personnes (Atamer et Calori, 2003). Par exemple, si le directeur du marketing et le directeur des ventes sont d’accord sur l’importance d’un nouveau produit, l’animation des vendeurs et la construction du plan de marketing traduiront en termes concrets ce consensus. Il en va de même pour la relation avec les autres fonctions de l’entreprise : achats, production, finance… C’est dire que la qualité du travail collectif est essentielle tout au long du processus. En d’autres termes, le plan lui-même compte moins que le processus de concertation qui lui donne forme. Il demeure que la formalisation écrite d’un plan est une contrainte salutaire. Elle permet de conserver la trace des décisions prises et de leurs fondements. La formalisation est d’autant plus importante que le retour sur investissement est à plus long terme. Évidemment, un plan ne peut pas tout prévoir, et l’entreprise doit donc laisser ouverte la possibilité de réagir rapidement à des opportunités ou des menaces nouvelles. Pour ne pas transformer la mise en œuvre du plan de marketing en un instrument bureaucratique, mais en faire le lieu de rassemblement des intelligences et des 108 © Éditions d’Organisation Dans une unité complexe, le plan de marketing d’ensemble de l’unité sera la synthèse des plans de marketing rédigés pour les produits ou les marques. En outre, si l’entreprise est en relation avec des « grands comptes » (centrale d’achat d’une entreprise de commerce ou d’un réseau de détaillants indépendants), le plan de marketing de l’unité comportera un plan établi par les gestionnaires de comptes-clés. Un plan de marketing international, intégrera la dimension géographique et la gestion d’une position concurrentielle internationale comportant une répartition des efforts entre des zones et des pays. 0000-Marion.book Page 109 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS énergies, il convient de laisser des marges de manœuvre aux opérationnels. Il convient aussi de disposer d’un système d’information (cf. chap. 3) capable de mettre en évidence des signaux faibles dont la signification, parfois ambiguë, exige une analyse collective. Ces signaux sont rarement quantitatifs et tiennent parfois plus de la rumeur que des faits. D’autre discontinuités peuvent aussi se manifester par des effets importants et rapides : lancement d’un produit par la concurrence, déréférencement chez un distributeur, action d’une association de consommateurs… Dans les deux cas, c’est la qualité du système d’information qui permettra à l’entreprise de reconsidérer d’une manière adaptée les actions en cours. © Éditions d’Organisation Par ailleurs, la mise en œuvre d’un plan ne doit pas être trop rigide, laissant aux responsables locaux la possibilité de prendre des décisions permettant de faire face aux problèmes spécifiques de leur situation. Ces résolutions de problème « sur le tas » constituent souvent une « déviation » par rapport au plan initial. Pourtant, lorsqu’elles sont repérées, expliquées, et exploitées, elles constituent autant de sources d’innovation qui contribuent à l’apprentissage organisationnel. On ne saurait tout prévoir, mais il est possible d’apprendre plus vite que les autres. Nous aborderons ce point dans une prochaine section. 109 0000-Marion.book Page 110 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING Débats et controverses Périodiquement le marketing fait l’objet de réévaluations plus ou moins aimables. La presse d’affaires internationale accueille des articles proposant tantôt qu’on enterre le marketing, tantôt qu’on le redécouvre. Ici on l’accuse de porter atteinte à la liberté du client, là d’être incapable de susciter de véritables innovations. Autrement dit, le marketing cristallise de nombreuses controverses. On peut les classer en trois grandes familles. Celles qui concernent la relation entre l’orientation client et la performance de l’entreprise. Celles qui concernent le pouvoir de marché de l’entreprise. Enfin, celles qui concernent l’élargissement du domaine d’application du marketing : assiste-ton à son triomphe ou est-il en crise ? On cherche depuis longtemps, mais avec un succès mitigé, s’il existe une relation de cause à effet, entre l’emploi de techniques de marketing (études de marché, publicité, techniques de ventes…), et la rentabilité de l’entreprise. En fait, ces ingrédients ne sont que des symptômes qui jouent un rôle partiel dans la performance de l’entreprise. D’abord, parce que des facteurs externes tels que la dynamique du marché (stable ou en croissance, prévisible ou non) et l’intensité concurrentielle jouent un rôle déterminant. Ensuite parce que le savoir-faire des marketers n’est que l’une des compétences de l’entreprise en combinaison avec l’ensemble des ressources et compétences de l’entreprise. Dès lors, celle-ci peut adopter diverses attitudes marketing en raison des diverses représentations qu’elle peut 110 © Éditions d’Organisation L’impact du marketing sur la performance de l’entreprise 0000-Marion.book Page 111 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS se donner de ses relations avec son marché. Ces attitudes étant imbriquées au sein de son attitude stratégique. L’histoire de l’entreprise sédimentée dans sa culture contribuent à forger de telles représentations collectives. Les attitudes stratégiques © Éditions d’Organisation La logique marketing est solidaire d’une conception de l’entreprise qui privilégie ses relations avec l’extérieur pour piloter l’organisation. Pour le marketer, l’art de la stratégie consiste à être présent dans les secteurs et les segments de marché les plus attractifs et chaque secteur ou segment est un champ concurrentiel où l’entreprise devra faire valoir son aptitude à exploiter ses ressources et ses compétences. Mais, toutes les entreprises n’adoptent pas la même attitude vis-à-vis d’un champ concurrentiel. Une typologie des attitudes stratégiques permet de repérer quatre grands modes (Miles et Snow, 1978) : le mode défensif (defenders), le mode entrepreneurial (prospectors), le mode analytique (analysers), le mode réactif (reactors). La dimension principale de cette typologie est constituée par le rythme des changements de produits et de segments de marché effectués par l’entreprise. • Les « défenseurs » maintiennent leurs activités dans un périmètre étroit. Ils surveillent finement leur « niche » et ne cherchent pas de nouvelles opportunités à l’extérieur de ce périmètre. • Les « entrepreneurs » sont sans cesse à la recherche de nouvelles opportunités et, ce faisant, alimentent les changements au sein de leur secteur d’activité. • Les « analyseurs » adoptent une attitude qui combine les éléments précédents. Pour la part des activités stables, ils 111 0000-Marion.book Page 112 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING tirent partie de l’expérience accumulée en les gérant au mieux. Pour les activités plus turbulentes, ils surveillent étroitement les concurrents et adoptent rapidement les nouvelles idées prometteuses. • Les « réactifs » n’entreprennent aucune adaptation à moins d’être contraints par des pressions extérieures. Un secteur d’activité est donc une sorte d’arène dans laquelle plusieurs entreprises participent au jeu concurrentiel et la dynamique d’un champ concurrentiel peut être plus ou moins contraignante. Un puissant déterminisme de l’environnement et des marges de manœuvre stratégiques peu nombreuses imposent à l’entreprise une alternative brutale : s’adapter ou disparaître. Par contre, lorsqu’elle dispose d’un avantage de coûts ou de possibilités de différenciation, elle peut s’engager, de manière pro active, dans la construction d’une position concurrentielle favorable sur le marché, et s’efforcer de choisir une attitude marketing. Par principe, l’orientation marketing s’oppose à l’attitude stratégique « réactive ». Néanmoins, il y a plusieurs manières d’être pro actif. Plusieurs « attitudes » marketing typiques sont repérables en fonction de la représentation du marché et de la concurrence que se donne le marketer. Certes, le succès de l’entreprise repose sur la satisfaction du client, mais cette assertion est ambiguë. Cette satisfaction est-elle un moyen pour l’entreprise d’atteindre ses propres buts (maximiser son profit, dégager un profit satisfaisant, assurer sa survie…) ou s’agit-il d’une fin en soi ? Nous connaissons la réponse : l’entreprise est conduite par un but égoïste et non par un quelconque altruisme. Mais alors, une entreprise peut l’emporter 112 © Éditions d’Organisation Les attitudes marketing 0000-Marion.book Page 113 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS sur la concurrence sans satisfaire pleinement le client, il lui suffit d’être meilleure (ou moins mauvaise), que ses concurrentes. Réciproquement, une entreprise peut satisfaire le client et ne pas l’emporter sur la concurrence, il suffit qu’un concurrent fasse aussi bien qu’elle à un coût inférieur. En somme, la satisfaction du client est une notion très relative. Il s’ensuit que toute entreprise porte attention, à divers degré, aux informations provenant du client et à celle provenant de la concurrence (encadré 1.21.). Encadré 1.21. Quatre « attitudes » marketing typiques Perspective client Non privilégiée Privilégiée Non privilégiée Orientation Autocentrée Orientation par le client Privilégiée Orientation par la concurrence Orientation par le marché Perspective concurrentielle © Éditions d’Organisation Adapté de Day G.S. et Nedungadi P. « Managerial Representations of Competitive Advantage » Journal of Marketing, 58, April 1994, 31-44. Chaque entreprise manifeste ainsi une attitude marketing particulière. Certaines veillent minutieusement aux satisfactions et insatisfactions du client, ce qui les conduit parfois à constater trop tardivement les discontinuités suscités par une offre de substitution. D’autres veillent attentivement à la concurrence, ce qui peut les enfermer dans une conduite, au mieux, réactive et, au pire, passive. La notion de market driven organization (organisation orientée par le marché), propose de trouver un équilibre entre la perspective client et la perspective concurrentielle, afin d’éviter les biais en 113 0000-Marion.book Page 114 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING faveur de tel ou tel acteur. On voit que la représentation que le marketer se donne du marché oriente la sélection et le traitement de l’information. Celui qui privilégie le comportement des clients consacrera de l’argent et des efforts pour acquérir de l’information auprès des acheteurs actuels et potentiels. Celui qui privilégie le comportement des concurrents construira autrement son système d’information. Chaque représentation se manifeste donc par une sélectivité de l’attention aux signaux du marché et par une construction particulière du système d’information de l’entreprise. Au moyen de cette schématisation des attitudes marketing, on peut aussi analyser plus finement certaines manœuvres stratégiques. Soit, par exemple, à expliquer pourquoi une grande marque de couchesculottes est passée de la double gamme (rose pour les filles et bleue pour les garçons) à la gamme unisexe. Pendant de longues années, cette marque a cherché à persuader les jeunes mères que la morphologie différentes des petites filles et des petits garçons justifiait des couches-culottes différentes. Aujourd’hui, le discours est inversé : la couche universelle est arrivée. Justifier un tel changement par l’évolution des « besoins » de la cliente serait, pour le moins, discutable. La manière la plus simple d’expliquer cette manœuvre consiste surtout à prendre en compte le changement dans la technologie des produits et l’intensité concurrentielle. Les « besoins » de la maman apparaissant plutôt comme l’alibi d’un tel changement. Quels sont les déterminants de telle ou telle attitude marketing ? L’histoire de l’entreprise, sédimentée dans sa culture, permet de repérer des éléments importants. Les organisations ne produisent pas seulement des biens et des services. Elles produisent, au fil du 114 © Éditions d’Organisation Le poids de l’histoire et de la culture d’entreprise 0000-Marion.book Page 115 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS © Éditions d’Organisation temps, des normes de comportement plus ou moins explicites, qui reposent sur des valeurs (des croyances durables) et se manifestent de multiples manières : un vocabulaire particulier, des rites, des mythes, des tabous… Ces éléments constituent une forme spécifique du lien social : la culture de l’entreprise. La culture a une fonction de régulation, c’est un mécanisme qui permet d’unir les individus dans une structure sociale, elle-même plongée dans un contexte socioculturel plus large. La culture est aussi un système de représentations. C’est, d’une part, une manière de concevoir l’image que les salariés ont d’eux-mêmes en tant que membres d’un groupe social et, d’autre part, une manière de percevoir l’environnement et les autres parties prenantes (stakeholders) de l’entreprise : clients, actionnaires, pouvoirs publics… Ces représentations partagées permettent aux membres de l’organisation de comprendre son fonctionnement, de repérer les conduites de réussite, les comportements efficaces, et les attitudes recevables. Elles leur fournissent donc des normes de comportement pour coordonner leurs actions. Prenons quelques exemples qui concernent le marketing. Dans certaines entreprises on a la conviction que la mondialisation doit conduire à négliger les frontières politiques et socioculturelles au profit d’une forte standardisation internationale de la stratégie et des offres (Coca-Cola, Marlboro, McDonald’s). Dans d’autres on considère, au contraire, qu’il importe de laisser plus de marge de manœuvre à l’adaptation locale. Certaines ont la conviction qu’on ne peut faire du marketing sans un emploi systématique et minutieux des études et des tests (Procter et Gamble). D’autres (Nike, Benetton), leur accordent moins de mérites. Dans certaines organisations, le département marketing est singularisé et puissant ; d’autres, au contraire, sont réduits à un rôle mineur. 115 0000-Marion.book Page 116 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING Plus encore, pour comprendre certains conflits entre le département marketing et d’autres coalitions au sein de l’organisation (la recherche et développement, la vente ou la production) il importe de repérer les caractéristiques des micro-cultures spécifiques qui les caractérisent. Dans certaines entreprises les membres de la coalition marketing sont sélectionnés, recrutés, formés avec soin et, plus largement, le processus de socialisation de tout nouveau venu favorise systématiquement le contact avec les clients et met l’accent sur la nécessité de sa satisfaction. Alors que dans d’autres entreprises, plus proches d’une technologie particulière (la pharmacie, l’électronique, l’informatique…), on valorise des parcours différents. La culture d’entreprise serait moins ce qui caractérise globalement une organisation que la coexistence de micro-cultures particulières, voire de clans. Plusieurs études témoignent d’une relation positive entre une orientation marché et une performance supérieure. Narver et Slater (1990), Kohli et Jaworski (1990), ont été les initiateurs de ces travaux. Aussi étonnant cela soit-il, ce n’est qu’au début des années 1990 que sont apparus les premiers travaux pour mesurer convenablement le concept d’orientation marché et appréhender le contexte plus ou moins favorable à son adoption. Jusqu’ici on s’était contenté de mettre l’accent sur une sorte de « philosophie » générale – composée de l’orientation client, de la recherche de la profitabilité et de la coordination interne – sans spécifier clairement les activités concrètes propres à mettre cette philosophie en pratique. Pour ce courant de recherche, la profitabilité ne fait pas partie de l’orientation marketing, elle en est la conséquence. De plus, l’expression 116 © Éditions d’Organisation Les comportements et la culture associés à l’orientation marché 0000-Marion.book Page 117 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS orientation marché est préférée à orientation marketing parce qu’elle est moins politiquement chargée et met l’accent sur le fait que des fonctions autres que le marketing participent au processus marketing. Orientation marché est aussi, comme nous l’avons vu, préférée à orientation client parce qu’elle met l’accent sur le marché (c’està-dire le clients et toutes les forces qui pèsent sur lui) et pas seulement les préférences verbalisées du client. © Éditions d’Organisation Pour décrire et mesurer l’orientation marché deux grandes perspectives sont disponibles : une approche comportementale et une approche culturelle. La première vise à saisir des comportements spécifiques, tandis que la seconde se penche sur des caractéristiques plus fondamentales de l’organisation : valeurs, normes. Par exemple Markor (Kholi et al, 1993) est un instrument qui mesure trois composantes comportementales de l’orientation marché : • la production permanente d’informations pour comprendre les clients et les concurrents, market intelligence generation, (réunion avec des clients, études commerciales, études de satisfaction…), • la diffusion rapide de cette information au sein de l’entreprise, market intelligence dissemination, (réunion fréquentes entre services, diffusion rapide des résultats marchés, diffusion rapide des menaces concurrentielles…), • l’utilisation de cette information pour construire des actions, responsiveness to market intelligence, (réaction rapide aux demandes des clients, aux menaces des concurrents, analyse périodique des processus de développement des nouveaux produits…). L’approche culturelle (Homburg et Pflesser, 2000) s’efforce de mesurer non seulement les comportements favorables à l’orientation marché mais aussi le partage de valeurs de base favorables (l’accent sur 117 0000-Marion.book Page 118 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING l’innovativité ou la créativité, l’ouverture à la communication interne, le niveau de coopération entre fonctions…) et la présence de normes favorables (indicateurs marchés régulièrement utilisés, diffusion systématique des informations marché, groupes interfonctionnels pour développer les nouveaux produits…). Quel que soit le type d’échelle de mesure utilisée, de plus en plus d’études mettent en évidence une relation positive entre l’orientation marché et une performance supérieure de l’entreprise. Cependant, deux facteurs d’environnement modèrent cette relations : les turbulences dans le marché et dans la technologie. Mais la question-clé demeure : comment susciter une « orientation marché » ? La réponse classique du marketer consiste à proposer sa propre « boîte à outils » pour la promouvoir : c’est-à-dire mettre en œuvre une stratégie de marketing interne. Il y a plusieurs acceptions de la notion de marketing interne. Sa mise en œuvre systématique s’est d’abord effectuée dans les entreprises de services. Pour les promoteurs du marketing des services, chaque salarié doit mettre en œuvre les promesses faites au client lors des « moments de vérité » que constituent toute interaction client-fournisseur. Dès lors le comportement du personnel, et notamment du personnel en contact, est un atout majeur de la réussite. Celui-ci doit être doté de compétences, d’aptitudes, et de motivations visant à renforcer une « culture de service », c’est-àdire fondamentalement une orientation de tous ses comportements par le désir de servir au mieux le client. 118 © Éditions d’Organisation Le marketing interne pour changer culture et comportements ? 0000-Marion.book Page 119 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS © Éditions d’Organisation Dans la mesure où l’offre de toutes les entreprises comporte à divers degrés une composante service, le marketing interne serait un pré requis incontournable d’un marketing externe efficace. Produits et services devraient être « vendus » en interne avant d’être vendus en externe (Grönross, 1990). Mais, cette ambition très globale peut se traduire par des pratiques très diverses. Le marketing interne peut se manifester comme : • une stratégie mise en œuvre par un service ou une fonction, pour légitimer son existence auprès des autres entités. Le service marketing est bien armé pour promouvoir ses propres valeurs et ses hommes au sein de l’organisation. Mais, parfois, il peut s’agir simplement d’une lutte pour la conquête du pouvoir. C’est là, sans doute l’ambition des premiers tenants de la « révolution marketing » (Keith, 1960 et Marion, 1995, pour une critique de cette conception), • une stratégie d’information et de communication initiée par le sommet stratégique (Top management) pour promouvoir des messages normatifs. Cette stratégie de persuasion ayant pour but de transformer le comportement des salariés par la standardisation de leurs représentations, afin de renforcer la cohésion. Une stratégie paradoxale qui « prêche » l’autonomie en laissant peu de place à l’initiative locale, • un mode de coordination par la création d’un espace marchand au sein même de l’organisation. Dans cette perspective, tous les services et tous les membres de l’organisation sont à la fois clients et fournisseurs au sein de processus transversaux. L’organisation est considérée comme une sorte de marché, afin de compenser les insuffisances des procédures standardisées ou des relations normées. Dès lors, il ne s’agit pas simplement de l’application de quelques techniques 119 0000-Marion.book Page 120 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING de communication, mais d’une approche globale du management des ressources humaines fondée sur une régulation marchande. Le client se trouve au sommet d’une organisation dont tous les membres se comportent sur le mode de la relation client-fournisseur. Cette troisième acception du marketing interne mérite un examen plus approfondi. Généraliser la relation client-fournisseur dans l’entreprise ? L’une des premières conséquences est que le « client dans l’entreprise », comme le « client dans le marché », aura toute liberté pour choisir un fournisseur en raison de son intérêt individuel. Conséquence concrète : chaque membre de l’entreprise pourra en toute indépendance, soit passer commande en interne, soit soustraiter à l’extérieur. On voit poindre les limites d’une telle conception : fragmentation de l’organisation, marchandage permanent, opportunisme éventuel des acteurs, et montée des coûts de transactions. Une seconde conséquence, et non des moindres, c’est le risque de détruire les conditions mêmes de l’innovation. On est en effet loin d’avoir démontré que la systématisation d’une relation clientfournisseur au sein de l’entreprise contribue à la circulation de 120 © Éditions d’Organisation Poussée à sa limite, la généralisation de la perspective marketing au sein de l’entreprise transforme tous les membres de l’organisation en fournisseur et client. Mais, généraliser cette logique au sein même de l’organisation, n’est-ce pas nier ce qui fait la spécificité de l’entreprise, c’est-à-dire s’opposer au marché (Coase, 1937) ? Si on accepte totalement la notion de client « interne », il faudra alors faire face aux conséquences d’un tel choix. 0000-Marion.book Page 121 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS l’information, favorise la motivation et, surtout, suscite l’innovation. Bien au contraire, une innovation est une nouvelle combinaison de ressources qui, par définition, n’est pas disponible sur le marché ou alors c’est une imitation. Faire de chaque membre de l’entreprise le client de son voisin de bureau, c’est renvoyer toujours sur d’autres la source de l’innovation. Attendre les innovations d’un fournisseur, c’est condamner l’entreprise à imiter ou acheter les nouveaux produits et les nouveaux process créés par d’autres. En résumé, la généralisation de la relation fournisseur-client se heurte aux limites de l’identité même de l’entreprise. Celle-ci est un lieu d’identification pour chacun de ses membres principalement pour deux raisons : © Éditions d’Organisation • elle définit les conventions et les règles qui permettent la coordination et la prise de décision individuelle et collective, • les interactions sociales en son sein favorisent non seulement la communication et la coordination, mais aussi l’apprentissage organisationnel et les processus d’innovation. Si l’on accepte cette représentation de l’entreprise, il paraît difficile de la transformer radicalement en un « marché interne », car l’apprentissage collectif c’est plus que la somme des apprentissages individuels. Il est le fruit d’une expérience collective et est incorporé dans des dispositifs techniques (base de données, système d’information, système de communication), des procédures plus ou moins formalisées, une habitude du travail en commun (les routines), et des valeurs partagées. Dès lors, si l’ambition du marketer ne peut être de transformer l’entreprise en un marché, quelle peut être la contribution du marketing ? 121 0000-Marion.book Page 122 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING Le marketing et l’apprentissage organisationnel Bien qu’on sache encore peu de choses sur la manière de susciter une orientation par le marché, on peut cependant souligner la contribution des marketers au processus d’apprentissage organisationnel. Au sein de marchés dynamiques, voire turbulents, l’aptitude de l’organisation à apprendre plus vite que les concurrents et sa volonté d’entreprendre, pourrait bien être le seul avantage concurrentiel durable (Slater et Narver, 1995). Une orientation marché constitue un ingrédient indispensable de l’apprentissage organisationnel parce qu’elle est l’inspiratrice d’un système d’information plus riche. La notion d’entreprise apprenante montre combien la compréhension d’un marché ne saurait seulement relever du hasard ou de quelques études de marché sporadiques fournies par un chargé d’études ou une société spécialisée. L’apprentissage d’un marché s’effectue par un système d’information comportant de multiples voies plus ou moins formelles : non seulement les vendeurs mais aussi tout le personnel en contact avec les clients, non seulement les statistiques professionnelles mais aussi toutes les rumeurs, non seulement la veille technologique et concurrentielle mais aussi un étalonnage large et systématique en regard de la concurrence (benchmarking). Beaucoup d’organisations ne savent pas ce qu’elles savent parce que leur système d’information est conçu seulement pour traiter quelques données « dures » plus ou moins bien choisies (statistiques de ventes, état des stocks, éléments comptables…), et qu’il leur est impossible de repérer qui sait quoi au sein de services trop cloisonnés. 122 © Éditions d’Organisation Apprendre plus vite 0000-Marion.book Page 123 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS © Éditions d’Organisation Par ailleurs, avant d’utiliser une information, toute organisation doit la classer, l’organiser, et la simplifier. Les changements qui se manifestent à un acteur ne se présentent pas dotés d’une étiquette précisant leur nature et spécifiant comment ils doivent être interprétés. Il est nécessaire qu’une représentation leur donne du sens. De nombreux auteurs (Weick, 1979 ; Pfeffer et Salancik, 1978), montrent que les « cartes mentales » ou « cognitives » de chacun jouent un rôle décisif pour structurer l’information et construire des représentations partagées. D’une part, ces cartes fournissent un ordre pour classer et penser les relations de l’entreprise avec son marché, d’autre part, elles polarisent l’attention des membres de l’organisation sur les signaux importants. Le danger de telles représentations ne réside pas dans leur véracité ou leur fausseté puisque tout modèle est une simplification. Le danger tient plutôt à leur caractère implicite, puisqu’alors il n’est pas possible de les remettre en cause. La myopie collective d’une organisation est particulièrement marquée lorsqu’une forte division du travail et une segmentation fine du marché renforcent l’incertitude. Les cartes mentales des décideurs influencent aussi leur jugement sur les fondements de leur avantage concurrentiel, nous avons vu (encadré 1.21.) qu’elles sous-tendaient des « attitudes » marketing typiques. Une longue histoire fondée sur une avance technologique encourage une représentation de l’innovation « poussée par la technologie » (technology push) et minimise la saisie des signaux faibles en provenance des clients. Une longue histoire fondée sur l’adaptation aux demandes des clients actuels et directs (market pull) encourage l’apparition d’innovations incrémentales. Mais, les deux voies sont recevables. Toutes les études le montrent, l’innovation peut provenir de toute part, dès lors le décloisonnement de l’organisation est un moteur puissant de la capacité innovatrice. L’apprentissage organisationnel repose d’abord sur la capacité à « désapprendre » les savoirs obsolètes pour pouvoir entreprendre. 123 0000-Marion.book Page 124 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING L’esprit d’entreprendre Une orientation par le marché n’est qu’un point de départ. Il ne suffit pas d’apprendre plus vite des clients et des concurrents, encore faut-il que l’esprit d’entreprendre soit renforcé par une culture d’entreprise, des normes et des structures organisationnelles favorables. La prise de risque, inhérente à toute démarche entrepreneuriale, peut être étouffée par la bureaucratisation de l’organisation. Plus encore, une focalisation trop étroite sur le marché servi et les concurrents actuels peut conduire à un aveuglement vis-à-vis des marchés ou des concurrents émergents, et renforcer une attitude trop adaptative (en se contentant d’élargir une gamme de produits avec des variantes mineures), voire réactive (en se contentant d’ajouter des produits « me-too »). A contrario, une culture entrepreneuriale valorise la tolérance à la prise de risque, la réceptivité à l’innovation, les attitudes pro actives, le décloisonnement des fonctions, et la résistance active à la bureaucratisation. L’apprentissage par essais et erreurs, fondé sur l’expérimentation, présuppose une culture entrepreneuriale où les échecs comme les réussites font l’objet d’une analyse qui vise moins à sanctionner qu’à apprendre. Au fond, les études relatives à la relation entre l’orientation marché et la performance de l’entreprise abordent la question de la finalité et de l’identité de l’entreprise, c’est-à-dire le but commun qu’elle propose à ses membres : pour quoi existe-t-elle, quelle est sa raison d’être, quelle est sa mission, quel est son métier ? En pratique plusieurs possibilités sont offertes aux dirigeants pour énoncer les objectifs majeurs, les finalités, d’une organisation : 124 © Éditions d’Organisation L’orientation marché et la finalité de l’entreprise 0000-Marion.book Page 125 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS • satisfaire spécifiquement l’une de ses parties prenantes : les actionnaires, les clients, les salariés, voire une fraction d’entre eux, les dirigeants eux-mêmes, • s’efforcer de trouver un équilibre entre la satisfaction de ses diverses parties prenantes • énoncer un principe supérieur, une mission ou une ambition. La première possibilité offre plusieurs hypothèses. Satisfaire les actionnaires, est la plus simple, la plus facile à mettre en œuvre si l’on souhaite disposer de critères explicites et mesurables, et la plus commune dans les entreprises qui sont dirigés par leur propriétaire. Mais, cette solution est souvent accusée de conduire à des décisions de très court terme aux dépens de l’avenir de l’entreprise. De plus, il semblerait que les entreprises « visionnaires » retiennent rarement la maximisation des profits comme un objectif explicite. La deuxième, satisfaire uniquement les clients, n’est cohérente qu’avec un système coopératif ou mutualiste. La troisième, satisfaire uniquement les salariés, conduit à une certaine myopie vis-à-vis de l’environnement. On connaît les dangers de la dernière, satisfaire les dirigeants eux-mêmes, au travers de divers scandales financiers. Examinons maintenant les deux autres possibilités. © Éditions d’Organisation Orientation marché, mission et métier de l’entreprise Selon l’orientation marché, l’entreprise ne se définit pas selon les produits qu’elle vend mais selon les marchés dont elle dépend. Les questions sont alors : quels sont nos clients, à quel besoin répond notre offre ? La logique inverse, parfois appelée orientation production, conduit selon Levitt (1960), à la « myopie » de dirigeants incapables 125 0000-Marion.book Page 126 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING de prendre en compte les évolutions de la demande et celles de la concurrence, notamment l’apparition de substituts. Pour cet auteur, une compagnie de chemin de fer ne saurait définir sa mission comme la gestion d’un réseau ferroviaire, elle doit la considérer comme un service de transport, en concurrence avec la route et les airs. Prenons un autre exemple plus récent : un fabricant de films photographiques est un fournisseur d’images et, si l’image devient électronique, Kodak doit transformer son offre et ses savoir-faire. Généralisons : une offre (bien et/ou un service), est un ensemble d’éléments, matériels et immatériels que le client va transformer en valeur d’usage. Si les exigences du client se modifient ou si d’autres solutions technologiques apparaissent, la position concurrentielle de l’entreprise est remise en cause. Pour reprendre une phrase forte des marketers : ceux qui vendent des forets de 8 mm vendent en fait des trous de 8 mm. Aussi séduisant soit-il, un tel mot d’ordre n’est pas suffisant pour définir la raison d’être d’une entreprise. Le métier d’une entreprise consiste à gérer un ensemble de ressources et de compétences particulières afin de fournir des produits et des prestations. Reprenons l’exemple d’une compagnie de chemin de fer. Son métier consiste à fournir un service de transport « par fer » et non par les airs ou sur la route. C’est ce qui définit sa spécificité et lui permettra de concevoir un train à grande vitesse ou des liaisons intra-régionales. Elle ne fait pas le même métier qu’une compagnie aérienne, une société de location de voiture ou une compagnie de taxis. Force est de constater que la logique du marché servi n’est que l’une des logiques de l’entreprise, sinon on ne pourrait comprendre pourquoi les fabricants de tentes de camping ne proposent pas aussi d’autres solutions pour s’abriter pendant les 126 © Éditions d’Organisation Mission et métier 0000-Marion.book Page 127 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS vacances : des caravanes, des bateaux habitables, de l’hôtellerie, voire des résidences secondaires. Alors, doit-on raisonner selon la logique du métier ou celle de la mission ? Perdre de vue la mission c’est croire que le client a accepté pour toujours la solution proposée par l’entreprise. Perdre de vue le métier, c’est croire que les ressources et compétences de l’entreprises sont sans limites ou, au moins, très adaptables ; et qu’il est facile de faire un produit si on a un client, voire qu’il suffit d’énoncer la mission pour que toute l’entreprise suive. Dans un monde où les préférences comme les technologies sont très changeantes, la polarisation de l’activité par le seul marché suffit-elle ? La solution proposée par l’orientation marché est beaucoup trop large et allusive pour apporter des réponses précises sur le déploiement des ressources ou l’acquisition de ressources et de compétences nouvelles. Une compagnie de chemin de fer est peut être plus apte à développer et gérer des réseaux de fibres optiques, qu’à se diversifier dans le transport par route ou par air. En exploitant systématiquement son savoir-faire dans le domaine des colles et adhésifs, 3M a su s’ouvrir de multiples marchés. Elle a notamment créé un marché (le Post-it), là ou certains ne voyaient qu’une fausse bonne idée. Alors, à qui donner raison ? Encadré 1.22. Deux façons de décrire l’activité d’une entreprise © Éditions d’Organisation Métier Mission Ressources et Produits, prestations compétences Clients et marchés Adapté de Koenig, 1996. 127 0000-Marion.book Page 128 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING L’examen des Corporate Mission Statements, c’est-à-dire les énoncés de la raison d’être de chaque entreprise qui apparaissent le plus souvent dans le rapport annuel, montre que ceux-ci s’efforcent d’articuler tout ou partie des éléments suivants : une cible de clients, une identification des produits principaux (bien et/ou services), une perspective géographique, les technologies du cœur de métier, une ambition économique (croissance, rentabilité, voire survie), des principes éthiques, l’image que l’entreprise se fait d’elle-même, et l’image qu’elle souhaite avoir dans l’esprit du public. Autrement dit, les dirigeants semblent chercher un équilibre entre trois parties prenantes-clés lorsqu’ils énoncent la raison d’être de l’entreprise. Une entreprise orientée marché serait capable de concilier les attentes des clients, des salariés, et des actionnaires. Elle se caractériserait d’abord comme une organisation capable de lire les attentes plus ou moins articulées par ses clients et de satisfaire ces attentes mieux que les concurrents. Pour ce faire, elles valoriseraient ses employés, c’est-à-dire ceux qui créent la valeur pour le client. Enfin, les actionnaires bénéficieraient de l’aptitude singulière, rare et difficile à imiter, qui est à la source de l’avantage concurrentielle de l’entreprise. 128 © Éditions d’Organisation En fait, mission et métier sont deux manières de décrire l’activité d’une entreprise (encadré 1.22.). Ce sont les deux facettes d’une même réalité en interaction dynamique. La maîtrise d’un métier peut trouver à se valoriser dans des marchés peu familiers à l’entreprise. L’évolution des exigences du client peut conduire à l’enrichissement d’une mission et à l’acquisition de compétences nouvelles, donc à la transformation d’un métier. Bref, un métier peut ouvrir sur de nouvelles missions, et la mission peut conduire à de nouveaux métiers. Cette interaction dynamique de la mission et du métier peut entraîner des désajustements transitoires, voire conduire à une crise interne. Mais, renoncer à affronter un tel décalage, c’est condamner l’entreprise à défendre sa position de manière trop statique (Kœnig, 1996). 0000-Marion.book Page 129 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS © Éditions d’Organisation Pouvoir de marché et marketing Certains accordent aux entreprises une influence puissante sur les consommateurs résultant de l’expertise des marketers. Ils s’efforcent de montrer, d’une part les effets du pouvoir de marché des entreprises (attachement des consommateurs à la marque, moindre sensibilité au prix, barrières à l’entrée de nouveaux concurrents, concentration de l’offre…) et, d’autre part, les effets généraux sur la vie sociale et la culture (déformation des systèmes de valeurs, frustration et aliénation des consommateurs, encouragement au matérialisme, affaiblissement de la démocratie, émergence d’une culture de masse et de la société de consommation et du spectacle, etc.). Une telle critique se ramène à poser la question des besoins (cf. chap. 2) et celle de la légitimité de la référence à l’opinion publique (Laufer et Paradeise, 1982). Une réflexion plus approfondie conduit à questionner le rôle du marché, et de l’entreprise, dans la mise en œuvre du progrès économique. Au-delà, ou en deçà, du marketing c’est donc l’organisation de la vie économique et sociale qui se trouve questionnée et notamment les « effets de composition », c’est-àdire les effets pervers de grande ampleur. Par exemple si chacun choisit, en poursuivant son intérêt propre, d’acheter et d’utiliser une automobile, le résultat agrégé de ces choix (stationnement, urbanisme, pollution…), peut apparaître bien pire pour chacun que le renoncement à la voiture. L’exercice de la liberté individuelle ferait ainsi obstacle à la liberté réelle ou, pour le dire en termes économiques, l’existence d’externalités fait que la rationalité individuelle conduit à l’irrationalité collective. Si on se penche de manière superficielle sur le pouvoir de marché d’une entreprise, on pourra soit se féliciter de l’image de sa marque et de son efficacité commerciale, soit faire le procès de sa publicité et ses techniques de vente. Mais ces constats convenus n’apprennent 129 0000-Marion.book Page 130 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING Pour le second point, celui des « recettes marketing », il doit être désormais évident au lecteur de ce chapitre qu’elles n’existent pas pour la simple raison que la capacité d’une entreprise à l’emporter sur la concurrence dépend de facteurs spécifiques à une situation donnée. Face à la diversité des mises en œuvres observables sur les marchés, le marketer est continuellement sollicité par une foule de phénomènes particuliers et, quand il s’efforce de dégager les 130 © Éditions d’Organisation guère plus. Il faut de plus observer que, d’une part la précision des actions commerciales des entreprises demeure très modérée et, d’autre part, qu’il n’est guère possible de mettre en évidence des « recettes marketing » universelles. En dépit de la sophistication croissante des études de marché et du marketing direct – qui repose sur la gestion de fichiers larges et amplement renseignés – l’analyse de situations concrètes montre les nombreuses imprécisions liées à la mise en œuvre. Supposons une entreprise en position de satisfaire une demande potentielle. Le marketer s’efforce alors de déterminer la taille du marché potentiel, l’identité des clients les plus probables, le prix qu’ils seraient prêts à payer, et s’il est rentable pour l’entreprise de saisir cette opportunité. Supposons ce travail réalisé avec une haute précision – ce qui ne va pas déjà de soi – il demeure que, lors de la mise en œuvre, de fortes dérives vont apparaître. La distribution du produit sera inégale, d’autant plus que le pouvoir de négociation des clients directs ne cesse de croître, et l’audience des actions publicitaires ou de marketing direct débordera le plus souvent la « cible utile ». Si en théorie le pouvoir d’influence du marketing peut être élevé, en pratique, du fait du pouvoir des intermédiaires et de la structure de l’audience des médias, ce pouvoir demeure limité. On comprend alors pourquoi la publicité peut « agacer » les nombreux individus qui sont récepteurs d’actions publicitaires ou promotionnelles dont ils ne sont pas les destinataires. 0000-Marion.book Page 131 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS facteurs-clés de succès (sur les FCS, cf. chap. 10), il opère le plus souvent par essais et erreurs. Certes, la tendance à la concentration que l’on observe dans de multiples secteurs semble indiquer que le pouvoir de marché des grandes multinationales est croissant puisqu’il se manifeste par des parts de marché dominantes, des marques puissantes, et des ressources financières importantes. Pourtant, dans le même temps, de nombreux secteurs se transforment et permettent l’apparition de nouveaux leaders (qui aurait prévu l’apparition de Nike, Microsoft, Nokia ou Swatch ?). L’économie et la société sont puissamment transformées par l’action des entreprises depuis de nombreuses années et réciproquement. © Éditions d’Organisation L’élargissement du domaine d’application du marketing Les tenants du « tout marketing » (Kotler et Levy, 1969), se sont efforcés d’élargir son domaine à de nombreuses sphères sociales afin d’y inclure d’autres organisations que les entreprises : les services de police, les musées, les écoles, les partis politiques, les églises ou les organisations caritatives. Ce qui sous-tend un tel élargissement, c’est l’idée qu’aller à l’église, voter ou militer, n’est pas différent d’aller au supermarché, acheter ou consommer. Dès lors, de l’homme de Neandertal au consommateur contemporain, tout individu relèverait du marketing en tant que catégorie universelle de l’action humaine. Une telle ambition mégalomaniaque conduit vite à réduire tout ce qui peut motiver les individus à l’intérêt économique, c’est-à-dire à un profit. Cet « économicisme » consiste à considérer que les règles de fonctionnement de l’un des champs sociaux, le champ économique, valent pour tous les autres champs : artistique, culturel, domestique, politique, etc. Pour les tenants de l’utilitarisme libéral l’intérêt économique est, en effet, le but ultime 131 0000-Marion.book Page 132 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING des acteurs. Cette assertion est convaincante dans la mesure où le capital économique est à la base de la constitution des autres capitaux. Dès lors, toute conduite relèverait des « lois » du marché décrites par la « science » économique. Cependant, chaque sphère sociale comporte des enjeux et des intérêts spécifiques, dont notamment la recherche de « gains » symboliques. De plus, le repérage du marché, et notamment la distinction fournisseur/client, ne vont pas toujours de soi. La question est, alors, de mettre en évidence le marché, constitué de clients et de fournisseurs et le mode spécifique du calcul de l’intérêt individuel dans une sphère sociale donnée. Or, pour l’essentiel, le marketer ne voit dans la société que des clients et des fournisseurs et propose, voire impose, un mode de calcul fondé sur l’analyse coût/avantage, quelle que soit la sphère sociale envisagée. Dès lors, si le marketing veut prendre pour objet toute activité sociale (artistique, caritative, religieuse…) alors il doit changer l’un de ses présupposés fondamentaux, la notion d’intérêt lucratif. Et, en toute rigueur, si son objet n’est plus l’échange marchand, il devrait aussi changer de nom. La finalité des organisations à but non lucratif (O.B.N.L.) À l’évidence les O.B.N.L. n’ont pas pour finalité première de gagner de l’argent. Leur efficacité ne peut donc s’analyser uniquement en 132 © Éditions d’Organisation Dès les années 1970, on a cherché à promouvoir les techniques de marketing dans d’autres organisations que les entreprises (Lovelock et Weinberg, 1990). Mais plusieurs enjeux distinguent la situation des organisations à but non lucratif de celles des entreprises du secteur privé marchand : la question de leur finalité et la diversité de leurs parties prenantes. 0000-Marion.book Page 133 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS termes de profit et doit prendre en compte d’autres indicateurs. Le plus souvent il s’agira d’intégrer des indicateurs sociaux et des contraintes financières. Ce constat conduit à deux enjeux majeurs : • Quelle définition retenir pour la mission de l’organisation : pour quoi existe-t-elle ? • Comment intégrer les contraintes financières afin d’assurer la survie de l’organisation? © Éditions d’Organisation La première question met l’accent sur la tension entre mission et satisfaction du client. Alors que l’orientation client insiste sur la nécessité de privilégier la satisfaction du client, la mission d’une O.B.N.L. peut aller à l’encontre des aspirations à court terme de ses « clients ». Ainsi, la mission d’une Église entraînera des sacrifices et des renoncements personnels pour ses fidèles. Une O.B.N.L. dans le domaine culturel peut chercher à promouvoir des formes artistiques (peinture, théâtre, musique), nécessitant un effort d’adaptation de la part de ses membres. L’affirmation durable d’une mission sera donc soumise à des tensions, voire des conflits, manifestant les écarts entre sa mission et la demande de ses « clients ». De plus, l’offre de la plupart des O.B.N.L. est constituée par des services et non par des biens. L’action marketing de ces organisations peut donc s’inspirer largement des outils fournis par le marketing des services. Mais, certaines O.B.N.L. se donnent pour mission la modification de comportements sociaux : arrêter de fumer, protéger un site, être plus solidaire. De tels enjeux ne renvoient pas seulement à un pur choix de consommation individuelle. Pour un individu, les coûts d’un changement de comportement peuvent être plus élevés à court terme que les bénéfices retirés. De plus, certaines causes sont controversées (avortement, nucléaire), et suscitent des débats et des conflits difficiles à gérer. 133 0000-Marion.book Page 134 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING La diversité des parties prenantes des O.B.N.L. De nombreuses O.B.N.L. font appel à la générosité de chacun, utilisent des fonds publics et tissent des liens avec la sphère politique. Dès lors, elles doivent faire face à la surveillance de l’opinion publique et des médias. Plusieurs scandales mettant en cause des organisations caritatives ou des associations proches de sectes illustrent bien cet aspect. Les contraintes sont donc moins liées à une lutte concurrentielle sur un marché donné qu’à des pressions politiques, au contrôle des pouvoirs publics, et à la suspicion de l’opinion publique. Au total, il faut s’interroger sur la pertinence du terme client dans un contexte associatif. Quels sont les clients d’un groupe de scoutisme ? Les enfants, les parents, la municipalité qui prête des 134 © Éditions d’Organisation Alors que les clients d’une entreprise payent pour acquérir ses produits, les « clients » bénéficiant des services d’une O.B.N.L. sont souvent différents des donateurs ou subventionneurs qui financent l’organisation. Dès lors, il s’agit de mettre en place deux types d’action marketing concernant d’une part, la collecte de subventions (fund raising) et, d’autre part, les prestations de services. Cette distinction n’est pas encore suffisante : des mécènes, des sponsors, des employés, des bénévoles, et beaucoup d’autres interlocuteurs peuvent aussi constituer des parties prenantes décisives. Certes, une entreprise doit tout autant gérer des échanges avec une diversité de parties prenantes : salariés, clients, actionnaires, organismes publics, etc. Cependant, pour la plupart des O.B.N.L. cette diversité est exacerbée. Leur réussite et leur développement dépendent d’un très grand nombre de détenteurs d’enjeux autres que les clients, et le marché de leurs produits ou services n’est pas la contrainte principale. 0000-Marion.book Page 135 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS locaux, la collectivité locale qui subventionne ? Puisque la finalité d’une O.B.N.L. n’est pas la recherche de profits, elle peut servir, voire rechercher, des publics non solvables pour lesquels l’appellation de client semble impropre et la notion même de marché inadaptée. Une O.B.N.L. se trouve plutôt imbriquée dans un réseau relationnel et il importe de disposer d’un outil pour mettre au jour un tel réseau. L’explicitation de la mission et l’accord entre bénévoles et salariés sur un tel énoncé, constituent aussi des enjeux importants. On trouvera dans Mayaux et Revat (1993), une approche opérationnelle du marketing adaptée à la situation particulière des associations. Triomphe ou crise du marketing ? Nous venons de le voir, on constate, en même temps, une diffusion grandissante de l’idéologie marketing, de ses concepts, et de ses outils, et un développement de la critique à son égard. © Éditions d’Organisation Brève histoire du marketing Les mots utilisés pour exprimer des concepts apparaissent souvent postérieurement aux pratiques, ainsi le mot « comptabilité » n’apparaît dans le lexique français qu’en 1579, et le mot « commerçant » qu’en 1727. Or, évidemment, la pratique de la comptabilité et du commerce était antérieure à ces dates. La théorisation des pratiques commerciales a vu le jour avant l’officialisation du vocable « marketing » par des universitaires américains. On en trouve de solides traces dans les travaux de l’école historienne allemande appliquée à l’économie à la fin du XIXe siècle et aussi dans Le parfait négociant ouvrage édité à Paris en 1675. La date de naissance du marketing fait donc problème dans la mesure où la vie sociale a 135 0000-Marion.book Page 136 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING • l’économie de marché, c’est-à-dire le recul progressif de l’autoconsommation au profit de la mise en place des marchés élémentaires (le commerce villageois, l’artisan itinérant, le colporteur,...), puis l’élargissement (à partir du XVe siècle en Europe), de l’économie marchande, • la montée du capitalisme, dont la constitution historique s’entremêle avec celle de l’économie de marché, mais que Braudel (1985) nous invite à distinguer avec soin. Il souhaite ainsi souligner le rôle dominant des négociants-capitalistes (gros marchand, armateur, banquier, entrepreneur industriel, exploitant agricole, etc.), pour insérer du capital dans le processus de production, • la révolution industrielle, qui voit le jour en Grande-Bretagne autour de 1750, mais n’émergera qu’au début du XXe siècle sous la forme, entre autres, d’une production et 136 © Éditions d’Organisation été, depuis fort longtemps, scandée par des échanges marchands. Mais, si l’on s’en tient au vocable, celui-ci apparaît au tournant du siècle en Amérique du Nord et demeure ignoré en France jusqu’aux années 1950. Il ne fait son apparition dans les établissements d’enseignement de la gestion en France qu’au début des années 1960. Progressivement, l’importation des techniques américaines va imposer ce mot aux dépens des termes utilisés précédemment : commercialisation, action commerciale, gestion commerciale, fonction vente, sans se substituer totalement à eux. On ne peut donc faire coïncider l’essence du marketing, ni avec l’apparition de la relation d’échange, c’est-à-dire les premiers âges de l’humanité, ni avec celle d’échange marchand, ni avec celle des premiers manuels écrits pour son enseignement. On oublierait, ainsi, de considérer les conditions historiques de son émergence. Plusieurs interprétations de sa naissance peuvent être avancées selon que l’on la fait coïncider avec : 0000-Marion.book Page 137 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS d’une consommation de masse, avec l’apparition de la grande entreprise (Chandler, 1990), • la formalisation d’un ensemble d’outils et de principes pour permettre à la firme d’évaluer, mesurer, influencer, et satisfaire la demande. À partir de 1913 et surtout entre 1930 et 1960, ce travail de formalisation donnera le jour au marketing concept, au marketing management, à la profession de marketer et au métier d’enseignant de marketing et d’auteur de manuels (Marion, 1993 ; Cochoy, 1995). © Éditions d’Organisation Décrivons les grandes articulations de cette formalisation. De manière approximative, elle se contente parfois d’une périodisation des « ères économiques » selon laquelle le « sens de l’histoire » conduirait les entreprises à connaître d’abord « l’orientation production », puis « l’orientation vente », enfin « l’orientation marketing ». Cette présentation n’est guère attestée pas les travaux des historiens pour qui, « l’ère de la production » est un mythe, même si Tedlow (1990) propose trois phases historiques pour lire l’émergence du marketing aux États-Unis : • la fragmentation. Jusqu’en 1880, des coûts de transport élevés et une circulation lente de l’information n’autorisent, sur le territoire nord-américain, que des marchés locaux et de petite taille. Les volumes de production sont faibles et les marges sont élevées, • l’unification. De 1880 à 1950 un marché unifié se constitue sur l’ensemble du pays avec l’émergence progressive d’une production de masse, d’une distribution de masse, d’une communication de masse, et d’une consommation de masse. Il s’ensuit que les volumes sont importants et les marges unitaires peu élevées, 137 0000-Marion.book Page 138 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING • la segmentation. Depuis 1950 la multiplication des offres adressées à des groupes de consommateur plus réduits s’accompagne de la recherche de critères permettant de singulariser les cibles visées et de positionner les produits et les marques, • la micro-segmentation est, pour Tedlow, la phase actuelle du marketing. Elle résulte du développement des technologies de l’information et de la communication et tend vers une situation de personnalisation (customization), où chaque client individuel constituerait un segment. Quelle que soit la périodisation retenue, il demeure qu’on ne peut faire coïncider le marketing avec l’apparition de l’échange marchand. Cela conduirait, en effet, à admettre que toute économie marchande, même embryonnaire, relève du marketing. Cette notion a été forgée progressivement à partir des pratiques de la grande entreprise. Comme l’entreprise n’est pas constituée dans toute économie marchande (Chandler, 1977), il convient de s’en tenir à une « date de naissance » compatible avec le présupposé de l’existence de cette organisation particulière qu’on appelle la grande entreprise au sein d’un système économique qu’on appelle le capitalisme ou, plutôt, les capitalismes, c’est-à-dire la fin du XIXe ou le début du XXe siècle aux États-Unis. Les inquiétudes des uns concernant le pouvoir publicitaire, le matérialisme des échanges, et les excès de la société de consommation, font écho aux lamentations des autres sur l’inconstance du consommateur, l’inefficacité publicitaire, et la « déconsommation ». Bref, le marketing serait en crise. Mais un discours de plus sur « la 138 © Éditions d’Organisation Crise du marketing ? 0000-Marion.book Page 139 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS © Éditions d’Organisation crise », passée ou à venir, ne suffit pas à l’analyse. S’agit-il, en effet, de rendre compte de l’évolution des pratiques, c’est-à-dire comment se comportent les acteurs de l’échange (clients et marketers) ? S’agit-il de rendre compte de l’évolution des modèles, c’est-à-dire des principes qui permettent d’expliquer, rationaliser, et légitimer des comportements ? Ou s’agit-il de questionner les axiomes sur lesquels sont fondés ces modèles, c’est-à-dire les convictions et les croyances qui permettent de justifier les comportements ? Appliquons ces catégories à l’évolution du marketing. Premier constat, depuis des siècles les pratiques de l’échange marchand se transforment en permanence, et la « mondialisation » est une étiquette commode pour caractériser le changement contemporain. S’agit-il d’une rupture ou manquons-nous de recul ? Les historiens diront si les discontinuités de la « turbulence » actuelle sont plus considérables que celles de la « grande dépression » ou des deux dernières guerres mondiales. Deuxième constat, les modèles, les schématisations, les concepts que se donne le marketing évoluent au gré de théorisations parcellaires, souvent contradictoires d’une période à une autre, et peu susceptibles de s’intégrer dans une théorie générale (Marion, 1999). Disons-le autrement, en tant que pratique théorisée, le marketing est un savoir remarquablement plastique. Ses modèles ne sont pas rigoureusement déduits d’un corps parcimonieux d’axiomes explicites. Alors qu’en science économique l’homo œconomicus est rigoureusement défini comme un individu autonome, rationnel, et informé, en marketing la définition du client ou du consommateur varie en permanence dès lors qu’on le dote de dimensions résultant du regard d’autres disciplines : psychologie, sociologie, psychologie sociale, ethnologie, sémiotique, etc. La plupart des querelles théoriques, à propos des pratiques et phénomènes du marketing, résultent de la confrontation de grilles de lecture fournies par des disciplines différentes. Chacune opposant moins différentes réponses 139 0000-Marion.book Page 140 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING à une même question, que différentes définitions de ce qui constitue la « réalité » et notamment la « réalité » de la « nature humaine ». Les convictions et les croyances qui lui sont attachées apparaissent aujourd’hui comme un ensemble de lieux communs : « satisfaire le client est indispensable », « le client a la liberté de choix », « tous clients et fournisseurs », par exemple. C’est précisément leur statut de lieu commun qui fait l’efficacité des justifications fondées sur ces croyances. Il serait, en effet, extrêmement coûteux pour toute personne de remettre en question, lors des conversations courantes, l’enchaînement des arguments qui ont conduit à de telles « évidences ». Le marché constitue la forme institutionnelle 140 © Éditions d’Organisation Le marketing, en tant que produit de l’idéologie des libéraux, s’adosse à l’un de ses principes majeurs pour définir cette « réalité » qu’il appelle le client ou le consommateur : la recherche, par chacun, de son intérêt. Certes, comme le dit Manent (1986, p. 20), « on a envie d’écrire en marge de leur copie : vrai mais vague », car ce principe passablement abstrait recouvre des formes d’intérêt très diverses. Ce qui fait « marcher » le patron d’une entreprise n’est pas le même intérêt que celui qui fait « marcher » l’artiste ou le scientifique. Mais il demeure que ce principe constitue un ressort puissant et universel de l’action des individus. Au fond, ce qui importe n’est pas que les théorisations du marketing soient vraies ou fausses, mais qu’elles soient convaincantes. Elles demeureront convaincantes si tout le monde (client et marketer), a intérêt à ce qu’elles le soient, c’est-à-dire si chacun s’accorde à reconnaître que c’est ainsi que doit se dérouler l’échange. Ajoutons donc en marge de la copie des libéraux « vague mais convaincant ». Le marketing est une convention fondamentale de notre système économique. C’est la conviction, partagée par l’ensemble des acteurs, que c’est ainsi que doit s’effectuer l’échange marchand (Marion et Gomez, 1992 ; Marion 1997). 0000-Marion.book Page 141 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS © Éditions d’Organisation dominante dans l’économie contemporaine pour coordonner l’action des individus. Le concept d’institution est ici entendu comme un ensemble de pratiques sociales dotées d’une certaine régularité : des modes de comportement habituels, attendus et auto-réalisateurs. Le marketing est l’art de piloter les échanges marchands. Les marchés et les clients ne sont pas créés par Dieu ou par la nature mais par des personnes et notamment des marketers sans cesse à la recherche d’opportunités dans les marchés ou dans de nouvelles sphères jusque-là non marchandes. Toutefois, le marketer n’est pas un dictateur qui cherche à tromper le client ou un devin qui saurait mieux que les consommateurs eux-mêmes ce qu’ils désirent, il entend agir légitimement sur le consommateur en lui proposant des produits et des discours qui l’incitent à se « gouverner » lui-même comme un hédoniste pour qui plaisir, bonheur et bien sont une seule et même chose. Lorsque le marketing fait l’objet d’une suspicion, il se transforme en augmentant sa cohérence notamment par la récupération des critiques qui peuvent donner naissance à de nouvelles offres répondant à une demande solvable. L’activité des marketers dans l’entreprise et dans la société se transforme donc non seulement par le jeu concurrentiel mais aussi par le jeu de la critique (Boltanski et Chiapello, 1999). De plus, la doctrine majoritaire est nourrie, depuis plus de cinquante ans, par des schématisations largement diffusées dans les entreprises et les Business Schools et donc ancrées fortement dans leur habitudes et traditions. L’idée que les multinationales de la lessive constituent une « université » du marketing mettra du temps à disparaître. Le fait que les ouvrages et les revues de marketing dominants proviennent exclusivement, ou presque, des États-Unis ne saurait se modifier à court terme. Le marketing management, en tant qu’énoncé plus ou moins solidaire de la convention 141 0000-Marion.book Page 142 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING libérale, devrait donc résister fermement à la suspicion jetée par d’autres approches. Enfin, le marketing est solidaire d’une dynamique peu susceptible de s’affaiblir : celle de la production scientifique contemporaine. C’est, en effet, le système scientifico-technique qui, à la demande des grandes unités actives que sont les entreprises multinationales, suscite en permanence le changement technologique et l’apparition de nouveaux produits. Comme nous le verrons (chap. 2), le vieux problème des vrais et des faux besoins est dépassé. La domination de l’activité scientifique par les enjeux concurrentiels conduit à orienter le développement scientifique et technique vers la création constante de nouveaux besoins. Cette situation, les chercheurs scientifiques du siècle dernier la connaissaient beaucoup moins. Aujourd’hui, à peine une nouveauté est-elle assimilée, qu’une autre doit être proposée. Le principal rôle assigné à la science contemporaine, et aux produits qui en découlent, est de servir l’économie et permettre à une entreprise ou à une nation de rester dans « le peloton de tête ». À cet égard, le marketer-entrepreneur a encore de beaux jours devant lui. Références bibliographiques BOLTANSKI L. ET CHIAPELLO E. (1999) Le nouvel esprit du capitalisme, Paris : Gallimard, col. Essais. BERRY L. (1980) « Services marketing is different », Business, MayJune, 24-30. 142 © Éditions d’Organisation BARTLETT C. & GHOSHAL S. (1989) Managing Across Border. The Transnational Solution, London: Hutchinson Business Books. 0000-Marion.book Page 143 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS BRAUDEL F. (1985) La dynamique du capitalisme, Paris : Arthaud. BUELL V.P. (1975) « The Changing Role of the Product Manager in Consumer Goods Companies », Journal of Marketing, 39, 3-11, July. CESPEDES F.V. (1990) « Agendas, Incubators, and Marketing Organization », California Management Review, 27-53, Fall. CHANDLER A.D. (1962) Strategy and Structure, Cambridge Mass.: MIT Press, (trad. Stratégie et structure, Paris : Les Éditions d’Organisation, 1972) CHANDLER A.D. (1977) The Visible Hand. The Managerial Revolution in American Business, Cambridge Mass.: Harvard University Press. (trad. La main visible des managers, une analyse historique, Paris : Economica, 1988). CHANDLER A.D. (1990) Scale and Scope: the Dynamics of Industrial Capitalism, Harvard University Press, Belknap Press (trad. Organisation et performance des entreprises, Paris : Éditions d’Organisation, 1993). COASE R.H. (1937) « The nature of the Firm », Economica, 4, 386405, (trad. « La nature de la firme », Revue française d’économie, vol. II, 1, 133-163, 1992). © Éditions d’Organisation COCHOY F. (1995) De main en main : trois histoires de médiation marchande, de marketing et de marketers, thèse pour le doctorat de sociologie, École Normale Supérieure de Cachan, 1053 p. DELAUNAY J.C. & GADREY J. (1992) Services in economic thought : three centuries of debate, Boston: Kluwer Academic Publishers. DUMOULIN C. & FLIPO J.P. (eds) (1991) Entreprises de services : 7 facteurs-clés de réussite, Paris : Les Éditions d’Organisation. 143 0000-Marion.book Page 144 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING DURAND R. (2000) Entreprises et évolution économique, Paris : Belin. EIGLIER P. & LANGEARD E. (1987) Servuction, le marketing des services, Paris : McGraw-Hill. GEORGE M., FREELING A. & COURT D. (1994) « Reinventing the Marketing Organization », The McKinsey Quaterly, n˚ 4, 43-62. GERSHUNY J. (1978) After Industrial Society ? The Emerging SelfService Economy, London: MacMillan. GRÖNROSS C. (1990) Service Management and Marketing. Managing the Moments of Truth in Service Competition, Lexington, Mass.: Free Press/Lexington Books. HAKANSSON H. (ed) (1982) International Marketing and Purchasing of Industrial Goods. An Interaction Approach, Chichester: Wiley. HAMEL G. ET PRAHALAD C.K.(1991) « Corporate Imagination and Expeditionary Marketing », Harvard Business Review, 69, JulyAugust, 81-92. JAWORSKI B.J. ET KHOLI A. K. (1993) « Market Orientation: Antecedents and Consequences », Journal of Marketing, 57, July, 53-70. H OMBURG C., W ORKMAN J.P. J R . ET J ENSEN O. (2000) « Fundamental Changes in Marketing Organization: The Movement Toward a Customer-Focused Organizational structure », Journal of the Academy of Marketing Science, 28, 4, 459-478. 144 © Éditions d’Organisation HOMBURG C. ET PFLESSER C. (2000) « A Multiple-Layer Model of Market-Oriented Organizational Culture : Measurement Issues and Performance Outcomes », Journal of Marketing Research, 37, November, 449-462. 0000-Marion.book Page 145 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS KEITH R. J. (1960) « The Marketing Revolution », Journal of Marketing, 24, January, 35-38. KHOLI A. K. AND JAWORSKI B. J. (1990) « Market Orientation: The Construct, Research Propositions and Managerial Implications », Journal of Marketing, 54, April, 1-18. KHOLI A. K., JAWORSKI B. J. AND KUMAR A. (1993) « Markor: A Measure of Market Orientation », Journal of Marketing Research, 30, November, 467-77. KŒNIG G. (1996) Management stratégique. Paradoxes, interactions et apprentissages, Paris : Nathan. KOTLER P. & LEVY S. J. (1969) « Broadening the Concept of Marketing », Journal of Marketing, 33, January, 10-15. KUMAR N., SCHEER L. ET KOTLER P. (2000) « From Market Driven to Market Driving », European Management Journal, 18, 2, April, 129-141. LAUFER R. ET PARADEISE C. (1982) Le prince bureaucrate, Paris : Flammarion. LEVITT T. (1960) « Marketing Myopia », Harvard Business Review, 38, July-August, 24-47. © Éditions d’Organisation LOVELOCK C. & WEINBERG C.(eds) (1990) Public and Non profit Marketing. Readings and Cases, San Francisco: The Scientific Press, 2th ed. LOW G.S. & FULLERTON R.A. (1994) « Brands, Brand Management, and the Brand Manager System: A Critical-Historical Evaluation » Journal of Marketing Research, Vol. XXXI, 173190, May. 145 0000-Marion.book Page 146 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING LUCK D.L., FERREL O.C. & LUCAS G.H. (1989) Marketing Strategy and Plans, Englewood Cliffs: Prentice Hall. MANENT P. (1986) Les libéraux, Paris : Hachette, collection Pluriel. MARION G. (2001) « Le marketing relationnel existe-t-il ?, Décisions Marketing, 22, janvier-avril, 7-16. MARION G. (1999) « La nouvelle crise des modèles rationalisateurs du marketing », Revue Française de Gestion, 81-90, septembreoctobre. MARION G. (1997) « Une approche conventionnaliste du marketing », Revue Française de Gestion, 78-91, janvier-février. MARION G. (1995) « Le marketing management en question », Revue Française de Gestion, 15-30, janvier-février. MARION G. & GOMEZ P.Y. (1992) « Convention et marketing: j’en ai rêvé, Sony l’a fait », Gérer et Comprendre, Annales des Mines, série trimestrielle, 92-102, mars. MAYAUX F. & REVAT R. (1993) Marketing pour associations : l’efficacité au service de vos valeurs, Paris : Les Éditions Liaisons. MICHEL D., SALLE R., & VALLA J.P. (1996) Marketing industriel. Stratégies et mise en œuvre, Paris : Economica. NARVER J. C. & SLATER S.F. (1990) « The Effect of a Marketing Orientation on Business Profitability, Journal of Marketing, 54, October, 20-35. NORMANN R. (1984) Service Management, London: Wiley. 146 © Éditions d’Organisation MILES R. E. & SNOW C.C. (1978) Organizational Strategy, Structure, and Process, New York: McGraw-Hill. 0000-Marion.book Page 147 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 MARKETING : OBJET, DÉMARCHE ET DÉBATS PASCALE R.T. (1984) « Perspectives on Strategy: The Real Story behind Honda’s Success », California Management Review, XXVI, 3, 47-72. PENROSE E.T. (1959) The Theory of the Growth of the Firm, Oxford: Basil Blackwell. PFEFFER J. & SALANCIK G.R. (1978) The External Control of Organizations, a Resource Dependance Perspective, New York: Harper and Row. PORTER M. (1980) Competitive Strategy, New York: The Free Press. (trad. Choix stratégiques et concurrence, Paris : Economica 1982). PORTER M. (eds) (1986) Competition in Global Industries, Boston Mass.: Harvard Business School Press. PRAHALAD C.K. & DOZ Y.L. (1987) The Multinational Mission, New York: The Free Press. PRAHALAD C.K. & HAMEL G. (1990) « The Core Competence of the Corporation » Harvard Business Review, 66, May-June. QUELCH J.A., FARRIS P.W. & OLVER J.M. (1987) « The Product Manager Audit », Harvard Business Review, 65, 30-36, MarchApril. © Éditions d’Organisation RIES A. & TROUT J. (1981) Positioning : the Battle for Your Mind, New York: McGraw-Hill, (trad. Le positionnement, Paris : McGraw-Hill, 1987). RIES A. & TROUT J. (1989) Bottom up Marketing, New York: McGraw-Hill. SLATER S.F. ET NARVER J.C. (1995) « Market Orientation and the Learning Organization », Journal of Marketing, 59, July, 63-74. 147 0000-Marion.book Page 148 Mardi, 25. mars 2003 8:11 08 ANTIMANUEL DE MARKETING TEDLOW R. S. (1990) New and Improved: The Story of Mass Marketing in America, New York: Basic Books, Oxford: Heinemann, (trad. L’audace et le marché, Paris : Odile Jacob, 1997). WEICK K. E. (1979) The Social Psychology of Organizing, 2nd ed., Reading Mass.: Addison Wesley. © Éditions d’Organisation WORKMAN J. P. JR., HOMBURG C. ET GRUNER K. (1998) « Marketing Organization: An Integrative Framework of Dimensions and Determinants », Journal of Marketing, 62, July, 21-41. 148