Les leçons des grands essais thérapeutiques concernant l

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Les leçons des grands essais
thérapeutiques concernant
l’insuffisance cardiaque
● M. Komajda*
Points forts
■ Les
principales classes thérapeutiques recommandées
dans le traitement de l’insuffisance cardiaque sont : les
inhibiteurs de l’enzyme de conversion, les bêtabloquants
en première intention associés aux diurétiques à la dose
minimale efficace, puis, dans l’insuffisance cardiaque
sévère, la spironolactone, les digitaliques. La place des
antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II demeure
à évaluer.
■ De
nombreux essais thérapeutiques ont été conduits
avec ces molécules, ou seront conduits avec de nouvelles
classes thérapeutiques posant le problème des polythérapies.
■ L’insuffisance
cardiaque à fonction systolique préservée demeure totalement inexplorée et peu d’études lui
ont été consacrées.
Mots-clés : Insuffisance cardiaque - Traitement - Essais
cliniques.
L‘
insuffisance cardiaque (IC) est une pathologie fréquente, dont l’incidence croît avec le vieillissement
de la population, associée à une lourde mortalité et
à des hospitalisations longues et récurrentes (1, 2). Ces faits expliquent que le coût de l’IC soit élevé pour les systèmes de santé ;
on évalue le poids de cette pathologie à environ 1 % des dépenses
de santé dans notre pays, notamment du fait des hospitalisations.
* Service de cardiologie, CHU Pitié-Salpêtrière, 75013 Paris.
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Jusqu’au début des années 80, le traitement de l’IC reposait sur
la prescription de diurétiques et de digitaliques, essentiellement
pour corriger les symptômes liés aux poussées d’insuffisance cardiaque.
À l’époque, l’accent était mis sur la baisse de la performance cardiaque et sa compensation par des médicaments inotropes positifs. Ce n’est qu’à partir des années 80 qu’a progressivement
émergé le concept de maladie systémique selon lequel l’altération de la performance cardiaque entraîne la mise en jeu de complexes mécanismes de compensation, notamment neuro-hormonaux. L’effet à court terme de ces mécanismes est bénéfique et
destiné à maintenir un débit de perfusion des organes vitaux satisfaisant, mais l’effet à long terme est délétère, avec une augmentation de la consommation d’oxygène du myocarde, une rétention d’eau et de sel, un effet favorisant la prolifération de cellules
non musculaires et la fibrose. Parallèlement s’est imposé le principe de la médecine fondée sur les preuves, qui a conduit à réaliser des essais thérapeutiques de grande ampleur avec les classes
de médicaments suivantes : inhibiteurs des phosphodiestérases,
inhibiteurs de l’enzyme de conversion, digitaliques, bêtabloquants, anti-aldostérone, antagoniste des récepteurs de type 1 de
l’angiotensine II.
INHIBITEURS DES PHOSPHODIESTÉRASES
En théorie, cette classe de médicaments, dont le mécanisme d’action est d’augmenter la concentration intracellulaire d’AMP
cyclique pour obtenir une diminution des enzymes qui catabolisent ce messager intracellulaire, est séduisante : l’accroissement
de l’AMP cyclique intracellulaire myocardique renforce la
contractilité, alors que l’effet vasculaire est vasodilatateur.
En pratique, les études de mortalité se sont avérées négatives avec
la milrinone (étude PROMISE) et la vesnarinone (étude VEST).
L’administration chronique de ces composés est associée à une
surmortalité possiblement rythmique, l’AMP cyclique intracellulaire ayant un effet arythmogène (3, 4).
De ce fait, cette classe, qui avait soulevé de grands espoirs, n’est
pas recommandée en traitement chronique ; elle est réservée uniLa Lettre du Cardiologue - n° 345 - mai 2001
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quement à la voie parentérale pour le traitement des poussées
sévères de l’insuffisance cardiaque ou aux patients en attente de
transplantation.
INHIBITEURS DE L’ENZYME DE CONVERSION (IEC)
Après les résultats de l’étude CONSENSUS I, les IEC se sont
progressivement imposés dans une large population d’insuffisants
cardiaques comme le traitement de référence, en raison de leur
effet bénéfique sur la mortalité et la morbidité : insuffisance cardiaque sévère (CONSENSUS I), insuffisance cardiaque de gravité moyenne (SOLVD, V-HeFT II), post-infarctus avec dysfonction ventriculaire (SAVE) ou insuffisance cardiaque avérée
(AIRE, TRACE) (5-10).
Une récente méta-analyse sur les principaux essais conduits avec
les IEC et regroupant environ 20 000 patients montre une réduction de la mortalité globale d’environ 25 % par rapport au placebo. Cette réduction concerne la mortalité par insuffisance cardiaque, mais également celle par infection du myocarde.
Parallèlement, la morbidité évaluée par le taux d’hospitalisation
suite à l’aggravation de l’insuffisance cardiaque est également
diminuée de façon substantielle (11). Ces résultats expliquent que
les IEC soient recommandés actuellement en traitement de première intention chez l’insuffisant cardiaque par altération de la
fonction systolique dans les recommandations internationales,
notamment européennes (12).
Pour autant, un certain nombre de questions demeurent non
résolues :
✔ Les enquêtes conduites en pratique quotidienne révèlent que
60 % environ des patients insuffisants cardiaques reçoivent des
IEC et que les doses présentes sont souvent modestes par rapport
à celles ayant démontré leur efficacité dans les essais randomisés et contrôlés (13, 14).
✔ Les raisons évoquées pour expliquer cette absence de généralisation des conclusions des essais cliniques sont multiples : parmi
celles-ci, l’existence d’effets secondaires tels que insuffisance
rénale ou hypotension orthostatique ou la crainte de leur survenue, notamment chez les sujets âgés ou porteurs de comorbidités.
✔ L’application des résultats obtenus avec de fortes doses à des
doses plus modérées, comme celles utilisées en pratique quotidienne, n’est qu’imparfaitement établie : l’étude ATLAS a comparé des doses élevées de lisinopril à des doses faibles sur la mortalité globale et un certain nombre d’objectifs secondaires, dont
la morbidité et la mortalité cardiovasculaires ou par insuffisance
cardiaque (15). Elle suggère que les fortes doses d’IEC seraient
associées à une réduction plus prononcée de la morbidité, sans
effet significativement différent des faibles doses sur la mortalité
globale ou les effets secondaires tels que insuffisance rénale ou
toux. Cependant, cette étude a comparé des doses “extrêmes”, et
la comparaison doses-fortes/doses-moyennes reste à faire.
DIGITALIQUES
Pilier historique du traitement de l’insuffisance cardiaque, les digitaliques ont fait l’objet d’un grand essai sur la mortalité, l’étude
DIG (16). Cet essai a montré que l’action de la digoxine par rapport à celle du placebo était neutre, sans doute en raison de deux
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effets opposés : un effet bénéfique sur la mortalité par insuffisance
cardiaque, un effet négatif sur la mortalité coronarienne et rythmique. En revanche, les digitaliques ont réduit significativement
dans cette étude la mortalité liée aux hospitalisations par insuffisance cardiaque. Ces résultats en “demi-teinte” ont conduit à proposer la prescription des digitaliques en seconde intention, comme
traitement adjuvant des thérapeutiques ayant démontré un effet
bénéfique sur la mortalité (IEC et bêtabloquants), afin d’améliorer la morbidité liée à l’insuffisance cardiaque.
BÊTABLOQUANTS
Suggérée dans des essais de petite taille, l’action bénéfique des
bêtabloquants a été démontrée dans quatre grandes études : le
programme américain carvédilol, l’étude CIBIS II (bisoprolol),
l’étude MERIT-HF (métoprolol) et, plus récemment, l’étude
COPERNICUS conduite dans l’insuffisance cardiaque sévère
(17-20).
Ces quatre essais ont tous été interrompus prématurément sur
recommandation des comités de surveillance, en raison du bénéfice apporté par le bêtabloqueur sur la mortalité globale par insuffisance cardiaque sévère, la mortalité subite et la morbidité liées
à l’insuffisance cardiaque.
Les résultats concordants suggèrent que les bêtabloquants prescrits sur un traitement de fond par IEC, diurétique et éventuellement digitalique réduisent d’environ 20 à 25 % la mortalité et les
hospitalisations. Ils expliquent que l’on considère actuellement
cette classe comme recommandée en première intention en association avec les IEC dans l’insuffisance cardiaque à fonction systolique altérée.
L’initiation du traitement doit se faire chez un patient stabilisé, à
distance de toute poussée d’insuffisance cardiaque et à doses très
progressives, en l’absence des contre-indications classiques à
l’emploi de cette classe, telles que l’asthme.
Il reste à expliquer les résultats discordants de deux études conduites
dans l’insuffisance cardiaque sévère : l’étude BEST, avec le bucindolol, qui a montré un effet neutre sur la mortalité dû sans doute à
un sur-risque de décès chez les patients de race noire et les patients
de classe IV, et l’étude COPERNICUS, qui, comme signalé plus
haut, a été bénéfique avec une réduction significative de la mortalité chez des patients avec fraction d’éjection inférieure à 25 %.
ANTI-ALDOSTÉRONE
Bien que les diurétiques aient été une des premières classes thérapeutiques utilisées dans le traitement de l’insuffisance cardiaque
et aient montré un effet bénéfique sur la régression des symptômes liés à la rétention hydrosodée, aucune étude randomisée et
contrôlée n’a évalué leur impact, notamment sur la mortalité.
Le seul essai en ce sens était conduit avec la spironolactone (étude
RALES) chez des insuffisants cardiaques sévères de classe III et
IV (21). Cette étude a démontré que l’adjonction de spironolactone entraînait une réduction significative de la mortalité globale,
par insuffisance cardiaque, par mort subite et du taux d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque par rapport au placebo, sur
un traitement de fond par diurétiques, inhibiteurs de l’enzyme de
conversion et éventuellement digitaliques.
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De façon intéressante, l’incidence des événements secondaires
était relativement faible, avec notamment un taux d’insuffisance
rénale et d’hyperkaliémie “acceptable”. Il convient néanmoins
de rappeler qu’un des critères d’exclusion dans cette étude était
la valeur de la créatinine au-delà de 25 mg/l.
Il est probable que la spironolactone agit non seulement par un
effet diurétique, mais aussi par un effet antihormonal et antifibrosant.
ANTAGONISTES DES RÉCEPTEURS DE L’ANGIOTENSINE I
À la suite d’études pilotes, une grande étude de mortalité a été
conduite avec le losartan (étude ELITE II) (22). Cette étude a comparé le losartan 50 mg par jour au captopril 150 mg/j dans une cohorte
de plus de 3 000 patients en insuffisance cardiaque chronique.
Contrairement à des résultats préliminaires, cette étude n’a pas
démontré la supériorité du losartan par rapport au captopril.
Aucun des critères primaires ou secondaires d’efficacité n’était
différent entre les deux groupes. On a même noté dans cette étude
une interaction positive plus forte entre inhibiteurs de l’enzyme
de conversion et bêtabloquants qu’avec le losartan.
Compte tenu de ces résultats, cette classe de médicaments ne peut
être considérée à l’heure actuelle comme un traitement de première intention de l’insuffisance cardiaque, et paraît réservée aux
patients intolérants aux inhibiteurs de l’enzyme de conversion.
Récemment, l’étude VAL-HeFT a été présentée à La NouvelleOrléans lors des dernières sessions de l’American Heart Association. Elle indique que la combinaison de valsartan (jusqu’à
320 mg/j) à un traitement par IEC n’améliore pas la mortalité,
mais améliore un critère composite décès + mort subite ressuscitée + hospitalisations pour insuffisance cardiaque + nécessité
de traitement inotrope/vasodilatateur i.v. de 13 %. L’effet semble
plus marqué chez les patients ne recevant pas d’IEC ou de bêtabloquants. Ces résultats en “demi-teinte” devront être confirmés
par d’autres études en cours, notamment l’étude CHARM.
CONCLUSION
Les essais thérapeutiques se sont multipliés au cours des années
avec les principales classes utilisées dans le traitement de l’insuffisance cardiaque à fonction systolique altérée.
De nouveaux résultats sont à attendre avec des classes comme les
antagonistes des récepteurs de l’arginine vasopressine, des récepteurs de l’endothéline, des médicaments modulant les cytokines,
ou encore les inhibiteurs mixtes des vasopeptidases qui ont à la
fois une action d’inhibiteur de l’enzyme de conversion et une
action de blocage de l’endopeptidase neutre qui bloque la dégradation des peptides natriurétiques.
Cela posera un problème de polythérapie chez l’insuffisant cardiaque, et probablement à terme une sélection des meilleurs
répondeurs en fonction de critères multiples incluant potentiellement la pharmacogénétique.
Il reste un certain nombre d’inconnues, qui concernent notamment le traitement de l’insuffisance cardiaque à fonction systolique préservée, pour laquelle aucune étude spécifique n’a
été conduite. Quelques résultats sont attendus avec les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II (étude CHARM).
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Il n’en demeure pas moins que ce domaine reste entièrement
■
à explorer.
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É F É R E N C E S
B I B L I O G R A P H I Q U E S
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La Lettre du Cardiologue - n° 345 - mai 2001
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