M I S E A U P O I N T Amylose et rythme cardiaque ● S. Dinanian* Points forts ■ L’atteinte cardiaque des amyloses AL est généralement très sévère et conditionne le pronostic vital. Le décès est fréquemment subit, par trouble du rythme ou incompétence myocardique. En cas de rémission du myélome, une greffe cardiaque peut être envisagée. ■ Dans la neuropathie amyloïde familiale, les troubles conductifs sont fréquents, témoins de l’atteinte cardiaque. ■ La transplantation hépatique permet d’améliorer le pro- nostic vital et de ralentir le cours de la maladie. ■ Pour la mutation méthionine 30, on a pu montrer une évolution des troubles conductifs, malgré la transplantation hépatique. Cela incite à la plus grande vigilance, étant donné le haut risque de mort subite dans cette population. Ainsi, la constatation d’une anomalie de la conduction, avant ou après transplantation, justifie l’implantation d’un stimulateur cardiaque définitif. Mots-clés : Amylose cardiaque - Troubles du rythme Troubles de la conduction. ✔ L’amylose AL, compliquant les myélomes. Les dépôts sont faits de chaînes légères λ ou κ. Le pronostic de l’atteinte cardiaque dans cette forme est effroyable, les patients décédant d’insuffisance cardiaque réfractaire ou de trouble rythmique. ✔ La neuropathie amyloïde familiale (FAP) est due à une mutation de la transthyrétine [TTR] ( préalbumine) produite par le foie. Cette protéine normalement soluble est rendue insoluble et se dépose dans divers organes. Actuellement, environ 80 mutations sont répertoriées, avec divers foyers dans le monde (Portugal, Nord de la Suède, Japon...). La transplantation hépatique permet d’améliorer le pronostic de ces patients et de diminuer la vitesse d’évolution de la neuropathie (1, 2). ✔ L’amylose AA complique les états inflammatoires chroniques, polyarthrite rhumatoïde, maladie de Crohn en Europe de l’Ouest et aux États-Unis, tuberculose et lèpre dans les pays du tiersmonde. L’insuffisance rénale est prédominante dans cette forme, alors que la neuropathie périphérique et l’atteinte cardiaque sont très rares. ✔ L’amylose sénile est une atteinte cardiaque du vieillard faite de dépôts de TTR normale. Elle se présente sous forme d’insuffisance cardiaque congestive ou de fibrillation auriculaire avec dyspnée et asthénie. Le pronostic est meilleur que celui de l’amylose AL. Il n’y a pas de traitement spécifique de cette forme d’amylose. C’est dans les deux premières formes que les troubles du rythme ont été correctement documentés. TROUBLE DU RYTHME DANS L’AMYLOSE AL L’amylose est un diagnostic anatomopathologique montrant des dépôts extracellulaires de fibrilles colorées en vert pomme biréfringent par le rouge Congo. Ces dépôts conduisent à une perte de l’architecture normale et à des anomalies fonctionnelles variables selon les organes. Quatre types d’amylose sont clairement définis selon l’étiologie : L’atteinte cardiaque dans cette forme d’amylose est de l’ordre de 30 à 50 %. Le diagnostic peut être affirmé par l’existence d’une hypertrophie ventriculaire gauche à l’échocardiographie avec aspect feuilleté et hyperéchogène du septum interventriculaire. Les biopsies cardiaques sont inutiles dans ce cas, car constamment positives (3). Au plan électrocardiographique, on retrouve un microvoltage, des ondes Q de pseudo-nécrose dans les dérivations précordiales et/ou inférieures. Les hémiblocs, blocs de branche et bloc auriculo-ventriculaire sont fréquents. La mort subite représente 30 à 50 % des décès d’origine cardiaque dans cette population, mais il n’existe aucun marqueur de risque satisfaisant. * Hôpital Béclère, 157, rue de la porte-de-Trivaux, 92140 Clamart. Reisinger a réalisé, sur un effectif de 25 patients atteints d’amylose AL, une exploration électrophysiologique complète INTRODUCTION 32 La Lettre du Cardiologue - n° 344 - avril 2001 M afin de mieux cerner les causes éventuelles de ces morts subites (4). Aucun des patients n’avait un ECG normal. Un BAV 1 était retrouvé chez la moitié des patients, des ondes Q chez 64 %, un hémibloc chez 32 %, un bloc de branche droit ou gauche chez 16 % (8 % BBD, 8 % BBG). Les mesures électrophysiologiques endocavitaires ont mis en évidence des troubles conductifs nodaux et infranodaux avec un intervalle AH moyen à 121 ms ± 33 ms (70 à 210) et un intervalle HV moyen à 79 ms ± 18 ms (50 à 110). Chez 12 patients, il mesurait plus de 80 ms. En revanche, la stimulation ventriculaire programmée n’a déclenché une tachycardie ventriculaire soutenue que chez 3 patients . Tous trois avaient des critères de positivité des potentiels tardifs. Deux stimulateurs cardiaques et un défibrillateur ont été implantés chez 3 patients. Vingt-trois patients sont décédés ou ont bénéficié d’une transplantation cardiaque : ● dix morts subites, incluant les trois patients appareillés, ● sept insuffisances cardiaques congestives, ● deux transplantations cardiaques pour insuffisance cardiaque réfractaire, ● quatre décès non cardiaques. En analyse univariée, on retrouve une relation entre mort subite et intervalle HV ≥ 80 ms (p = 0,024). Toutefois, cela ne signifie pas obligatoirement que la cause du décès soit un trouble conductif aigu. Un HV long serait le marqueur d’une infiltration sévère majorant le risque d’arythmie ventriculaire fatale ou de dissociation électromécanique. Le haut risque de mort subite a conduit l’équipe du Medical Center de Boston à proposer l’implantation d’un défibrillateur chez 11 patients présentant des troubles du rythme documentés (5). Deux patients seulement ont survécu. Une dissociation électromécanique primaire ou secondaire à des chocs appropriés était responsable du décès . I S E A U P O I N T Nous rapportons deux cas cliniques d’amylose AL ayant conduit à poser l’indication de stimulation cardiaque définitive. ✔ Une femme de 43 ans est adressée pour bilan cardiologique avant chimiothérapie intensive dans le cadre d’une amylose AL compliquant un myélome à chaînes légères. Le tableau clinique est celui d’une insuffisance cardiaque congestive en anasarque résistant au traitement habituel. L’hypertrophie est modérée, avec un septum mesurant 12 mm, mais sa structure est évocatrice avec un aspect hyperéchogène. La fonction diastolique est très altérée, avec intolérance au remplissage. La fonction systolique est relativement conservée. Le holter va mettre en évidence une hyperexcitabilité ventriculaire, une dysfonction sinusale avec échappement jonctionnel et une variabilité sinusale effondrée. Jugeant délétère la perte de la systole auriculaire dans un tel tableau, l’indication de stimulation cardiaque est retenue. La patiente décède pendant son hospitalisation de dissociation électromécanique, avant l’implantation d’un stimulateur, malgré les manœuvres habituelles de réanimation. ✔ Un homme de 60 ans, sans diagnostic d’amylose AL, se plaint d’altération de l’état général avec perte de poids, toux non productive à l’effort et à la parole. On retrouve des signes discrets d’insuffisance cardiaque congestive. Le bilan cardiaque permet de conclure à une cardiopathie hypertrophique avec septum mesurant 17 mm, d’allure idiopathique. La coronarographie et les biopsies cardiaques sont normales. Le cathétérisme droit est en faveur d’une restriction sévère. L’évolution est émaillée de troubles du rythme auriculaire (figure 1) qui aggravent l’état hémodynamique, ainsi que d’une dysfonction sinusale menant à l’indication d’un stimulateur cardiaque définitif associé à la prescription d’amiodarone. Le seuil de stimulation atrial est très élevé et la Figure 1. Patient atteint d’amylose AL. Tracé 12 dérivations. Dans les dérivations standards, le rythme est difficile à analyser et les complexes QRS sont peu voltés. En revanche, les ondes de tachycardie atriale à 170/mn sont nettement visibles en V1. Elles conduisent spontanément en 3/1 vers les ventricules. La Lettre du Cardiologue - n° 344 - avril 2001 33 M I S E A U P O I N T capture de l’oreillette ne s’accompagne d’aucune activité mécanique en échocardiographie. Le patient décède deux mois plus tard d’insuffisance cardiaque. L’examen anatomopathologique du cœur révèle la présence de pigments amyloïdes que les biopsies n’avaient curieusement pas retrouvés. Dans ces deux observations, la présence de troubles du rythme auriculaires et/ou ventriculaires concourt à l’aggravation du tableau clinique. L’infiltration cardiaque s’accompagne d’une hypertrophie plus ou moins marquée, sans corrélation avec la gravité clinique. Le caractère restrictif est majeur dans les deux cas, expliquant la mauvaise tolérance de l’arythmie. L’évolution est rapidement fatale dans les deux cas. TROUBLES DU RYTHME DANS LA NEUROPATHIE AMYLOÏDE FAMILIALE L’amylose familiale est caractérisée par une neuropathie périphérique sensitivo-motrice associée à une dysautonomie touchant le tractus gastro-intestinal, la vessie et le système cardiovasculaire. Les symptômes débutent généralement au cours de la deuxième ou troisième décennie, plus tard pour certains patients (6). Le décès survient 7 à 15 ans après le début des symptômes. Dans cette forme d’amylose, la transplantation hépatique peut améliorer le pronostic et ralentir la progression de la neuropathie en supprimant la source de TTR anormale, essentiellement produite par le foie (1, 2). L’atteinte cardiaque est liée aux dépôts d’amylose et à la dénervation présynaptique responsable de troubles conductifs et d’anomalies de la compliance, alors que la fonction systolique est normale (7-9). La mutation méthionine 30 est la plus fréquente, notamment chez les patients originaires du Portugal. Quatre-vingts mutations sont connues actuellement. Elles ne semblent pas être toutes responsables de la même forme clinique en ce qui concerne la date de début des symptômes et la sévérité de l’atteinte cardiaque. Les troubles du rythme auriculaire et ventriculaire sont rares dans l’amylose familiale. Une équipe japonaise s’est récemment intéressée à la comparaison des anomalies ECG des deux formes d’amylose (FAP et AL) (10). On trouve significativement moins d’arythmie par fibrillation auriculaire dans la FAP. Les tachycardies ventriculaires recherchées par enregistrement holter sont de l’ordre de 10 % dans les deux groupes. Sur une série de 55 patients hospitalisés pour bilan cardiaque pré-transplantation hépatique, nous n’avons jamais observé d’hyperexcitabilité ventriculaire notable sur les holters. De même, les stimulations ventriculaires programmées n’ont jamais déclenché de TV soutenue (protocole maximal, sans infusion d’isoprénaline, un site stimulé) (11). Lors de l’exploration électrophysiologique, on note l’existence d’une voie lente chez 16 patients, mais aucun déclenchement de rythme réciproque intranodal (figure 2). Un quart des patients possède donc le substrat nécessaire à la formation de la réentrée intranodale, mais ne déclenche aucune arythmie de ce type, faute d’innervation favorable. En effet, l’étude des récepteurs sympathiques post-synaptiques cardiaques par scintigraphie au MIBG montre une dénervation importante comparée à un groupe de témoins sains (8). Les troubles conductifs sont très fréquents, tant à l’étage nodal qu’infranodal. Un BAV 1 est présent chez 25 % des patients de la série japonaise et de notre série (figure 3). Les blocs de branche Figure 2. Patient atteint d’amylose familiale. Enregistrement de cinq dérivations de surface et d’une dérivation endocavitaire située sur la paroi latérale de l’oreillette droite. Au début du tracé, on retrouve un BAV 1 avec intervalle PR mesurant 0,28 seconde. Vers la fin du tracé, sans modification du cycle des ondes P, la conduction s’effectue brusquement par une voie beaucoup plus lente (PR = 0,48 seconde), avec amorce d’une période de Wenckebach témoignant de sa piètre conduction. 34 La Lettre du Cardiologue - n° 344 - avril 2001 M gauche sont deux fois plus fréquents que les blocs de branche droite et sont retrouvés chez 10 à 30 % des patients. Les hémiblocs antérieurs gauches sont également fréquents (20 % des patients), les hémiblocs postérieurs étant plus rares. Le HV moyen mesure 59 ms ± 15 ms. Il est supérieur strictement à 55 ms dans la moitié de notre population de FAP (figures 4a et 4b). Les dysfonctions sinusales peuvent justifier un appareillage définitif par stimulateur cardiaque (9). Le mode de décès des amyloses familiales est volontiers subit, suggérant une origine rythmique. La transplantation hépatique I S E A U P O I N T permet d’améliorer significativement le pronostic, mais n’élimine pas totalement le risque de mort subite. La plus grande vigilance est nécessaire dans le suivi cardiologique. On a pu observer une évolution des troubles conductifs malgré la transplantation, en particulier dans la forme MET 30 (12). Il nous semble justifié de proposer un appareillage définitif par stimulateur cardiaque devant la constatation d’un quelconque trouble conductif sur l’ECG ou lors de l’exploration électrophysiologique. On s’écarte alors des indications classiques de stimulation chez des patients souvent asymptomatiques. ▲ Figure 3. Patient atteint d’amylose familiale. Sur les quatre dérivations de surface, les ondes P ne sont visibles que dans l’onde T des trois premiers complexes. Le rythme est sinusal, avec PR très long, comme en témoigne l’enregistrement endocavitaire de l’oreillette droite. Figure 4a. Patient atteint d’amylose familiale. L’électrocardiogramme 12 dérivations montre un BAV 1 et un bloc incomplet gauche. ➤ Figure 4b. Enregistrement à 100/mn de trois dérivations de surface et de deux dérivations endocavitaires situées sur le faisceau de His. L’intervalle AH mesure 250 ms, mais le HV est également pathologique, mesurant 80 ms. Chez ce patient, l’indication d’un stimulateur cardiaque est retenue, malgré l’absence d’antécédents de syncope. La Lettre du Cardiologue - n° 344 - avril 2001 35 M I S E A U P O I N T CONCLUSION 4. Reisinger J, Dubrey SW, Lavalley M, Skinner M, Falk RH. Electrophysiologic L’amylose est une pathologie rare qui touche de nombreux organes, dont le cœur. Le pronostic diffère selon les étiologies : il est très sombre dans l’amylose AL, pouvant justifier, en cas de rémission du myélome, une transplantation cardiaque. L’implantation d’un défibrillateur automatique ne permet pas de prévenir la mort subite par dissociation électromécanique. L’amylose familiale est responsable d’une atteinte cardiaque moins sévère, pour laquelle les troubles conductifs justifient fréquemment la mise en place d’un stimulateur cardiaque prophylactique. La transplantation hépatique permet une amélioration du pronostic, sans toutefois interrompre complètement l’évolution de la maladie. ■ abnormalities in AL (primary) amyloidosis with cardiac involvement. J Am Coll Cardiol 1997 ; 30 : 1046-51. 5. Falk RH, Monahan K, Smith T. Failure of the implantable defibrillator to prevent sudden death in cardiac amyloidosis. Europace (suppl.) 2000 ; 1 : D154. 6. Coelho T, Sousa A, Lourenco E, Ramalheira J. A study of 159 Portuguese patients with familial amyloidotic polyneuropathy (FAP) whose parents were both unaffected. J Med Genet 1994 ; 31 : 293-9. 7. Nakata T, Shimamoto K, Yonekura S et al. Cardiac sympathetic denervation in transthyretin-related familial amyloidotic polyneuropathy : detection with iodine123-MIBG. J Nucl Med 1995 ; 36 : 1040-2. 8. Delahaye N, Dinanian S, Slama M et al. Cardiac sympathetic denervation in familial amyloid polyneuropathy assessed by iodine-123 metaiodobenzylguanidine scintigraphy and heart rate variability. Eur J Nucl Med 1999 ; 26 : 416-24. 9. Eriksson P, Karp K, Bjerle P, Olofsson BO. Disturbances of cardiac rhythm R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S and conduction in familial amyloidosis with polyneuropathy. Br Heart J 1984 ; 51 : 658-62. 1. Holmgren G, Ericzon BG, Groth C et al. Clinical improvement and amyloid regression after liver transplantation in hereditary transthyretin amyloidosis. Lancet 1993 ; 341 : 1113-6. 10. Hongo M, Yamamoto H, Kohda T, Takeda M et al. Comparison of electrocardiographic findings in patients with AL (primary) amyloidosis and in familial amyloid polyneuropathy and anginal pain and their relation to histopathologic findings. Am J Cardiol 2000 ; 85 : 849-53. 2. Skinner M, Lewis D, Jones LA et al. Liver transplantation as a treatment for familial amyloidotic polyneuropathy. Ann Intern Med 1994 ; 120 : 133-4. 11. Dinanian S, Juin C, Delahaye N et al. Familial amyloidosis : cardiac infil- 3. Pellikka PA, Holmes DR, Edwards WD et al. Endomyocardial biopsy in 30 patients with primary amyloidosis and suspected cardiac involvement. Arch Intern Med 1988 ; 148 : 662-6. AUTOQUESTIONNAIRE tration and denervation. Pace 1999 ; 22 : 887. 12. Dinanian S, Moraru I, Juin C et al. Progression of conduction disturbances after liver transplantation for familial amyloidosis. Pace 2000 ; 23 : 554. FMC 1. Dans quelle forme d’amylose l’atteinte cardiaque a-t-elle le plus mauvais pronostic ? 2. L’implantation d’un défibrillateur automatique prévient-elle le risque de mort subite dans l’amylose AL ? 3. L’atteinte cardiaque est-elle fréquente dans l’amylose familiale ? 4. La transplantation hépatique permet-elle de stopper complètement l’évolution des troubles conductifs dans la mutation méthionine 30 de l’amylose familiale ? RÉPONSES FMC 1. L’amylose AL. 2. Non, décès par dissociation électromécanique. 3. Oui, elle est quasiment constante sous forme d’une insuffisance cardiaque restrictive avec troubles conductifs. 4. Non, cela justifie de surveiller l’ECG de ces patients et de proposer un stimulateur cardiaque dès qu’apparaît une anomalie de la conduction. 36 La Lettre du Cardiologue - n° 344 - avril 2001